Pour la ravitaillement des armées - Les Stations-Magasins

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Pour la ravitaillement des armées - Les Stations-Magasins
Revue des Deux Mondes6e période, tome 32 (p. 155-188).
POUR LE
RAVITAILLEMENT DES ARMÉES

LES STATIONS-MAGASINS

Tous les yeux sont aujourd’hui fixés sur notre admirable armée, et, assurément, ce qui retient le plus l’attention de tous, comme il est trop juste, ce sont les exploits de nos soldats, c’est la vie du front elle-même. Mais si rien ne peut égaler l’intérêt de ces exploits et de cette vie, exposée sans cesse aux pires dangers, tout le monde comprend l’importance des questions en relation étroite avec le bien-être et la vie même de nos combattans : je veux dire le ravitaillement de nos armées.

L’œuvre du ravitaillement est, à l’heure actuelle, incomparablement plus difficile que par le passé. Les petites armées de quelques milliers d’hommes, quelques dizaines de mille au plus, ont été remplacées par des armées composées de tous les hommes valides d’un pays, soit souvent plusieurs, millions. Puis les exigences du soldat européen ont considérablement augmenté ; et les besoins de l’armement ont subi une progression bien plus forte encore. Le temps est loin où chaque soldat portait sur lui toutes ses armes offensives et défensives, pouvant fournir à toute une campagne sans avoir besoin d’être remplacées. Chaque nouvelle guerre dépasse toutes les prévisions précédentes, et la consommation de munitions devient vraiment effrayante : n’a-t-on pas vu, en avril dernier, l’armée anglaise consommer plus de munitions en quinze jours, dans l’affaire de Neuve-Chapelle, que pendant les deux années de la guerre du Transvaal ?

Dans cette opération capitale du ravitaillement, un rôle essentiel est joué par un organe à peu près complètement ignoré du grand public et qui porte le nom de station-magasin. Nom singulier à première vue, pas trop mal choisi cependant, s’il n’avait le tort de n’indiquer qu’une partie des opérations effectuées par ces établissemens. En temps de paix, rien ou à peu près n’en indiquait l’existence, sauf parfois de vastes magasins ; mais le public, n’y étant pas admis, ne pouvait savoir ce qu’ils contenaient. La station-magasin est presque exclusivement un organe du temps de guerre, et c’est ce qui explique qu’elle était ignorée des villes mêmes qui en possédaient une.

Dès qu’une armée a stationné longtemps en un même point ou qu’elle avance en une région déjà exploitée par l’adversaire, le ravitaillement sur place devient absolument insuffisant ; dans les pays ravagés, il est réduit presque à néant ; il faut donc faire venir presque tout de l’arrière, et c’est ici qu’apparaît l’utilité de la station-magasin.

L’idée n’en est pas complètement nouvelle ; au temps de Louvois ou de Napoléon, les armées avaient déjà des magasins organisés à l’avance en temps de paix, tout au moins dans la période qui précédait immédiatement les hostilités. Ces magasins étaient d’ailleurs créés pour un motif tout autre qu’aujourd’hui : c’était l’extrême difficulté des communications qui les rendait nécessaires, sans parler du désir de s’affranchir dans une certaine mesure des services coûteux des fournisseurs aux armées. S’il avait fallu faire venir de l’Ouest ou du Midi le blé ou l’avoine nécessaires à l’approvisionnement d’une armée opérant dans l’Est ou le Nord, hommes ou chevaux auraient pu mourir de faim avant de le recevoir. Le danger est qu’en vertu de ce système l’armée pouvait se trouver liée à ses approvisionnemens et n’osait trop s’en écarter. Grâce à la rapidité actuelle des communications, cette difficulté a été très atténuée ; elle a presque disparu dans certains pays dotés d’un réseau ferré très complet. Mais l’utilité des stations-magasins réapparaît à raison du nombre immense d’hommes, chevaux et voitures automobiles à ravitailler ; et, loin que ce soit aujourd’hui la lenteur des communications qui nécessite la création de cet organisme, c’est leur facilité même qui en permet le fonctionnement : établies à grande distance les unes des autres, ou même des armées qu’elles desservent, elles ont été aussi très perfectionnées et sont loin aujourd’hui d’être les simples magasins que leur nom semble indiquer.

Les stations-magasins peuvent être situées indifféremment dans la zone de l’intérieur ou dans la zone des armées ; mais il est clair qu’il y a en général intérêt à ne pas les établir trop près de l’ennemi. Cela est évident surtout s’il y a la moindre crainte d’avance de sa part, parce qu’on ne peut courir le risque de laisser à sa portée des approvisionnemens aussi considérables ; et il y a à leur éloignement relatif une autre raison encore, c’est la difficulté qu’on éprouverait à réunir ces approvisionnemens dans un pays déjà épuisé par le passage ou le stationnement des armées..

Dans ces quelques pages sur l’organe peut-être le plus important de tous ceux qui sont destinés à assurer le ravitaillement de nos armées, j’essaierai de mettre en lumière les services rendus par des hommes qui accomplissent un métier aussi pénible qu’il est nécessaire, et pour lequel ils ont été désignés dès le temps de paix à raison de la profession qu’ils exercent dans la vie civile ; car il faut des spécialistes de tous les corps de métier pour assurer le fonctionnement presque impeccable de ces stations-magasins, qui aura contribué pour une bonne part à permettre à nos soldats de résister à la dure vie des tranchées, en attendant qu’ils puissent entamer leur marche victorieuse en Allemagne.


QU’EST-CE QU’UNE STATION-MAGASIN ?

Une station-magasin est d’abord une sorte d’immense entrepôt de denrées, vivres et approvisionnemens de tout genre, affecté à une armée déterminée et situé bien entendu en un point muni de toutes les facilités de communications, au moins par voie ferrée et, si possible, par eau. Car les transports par eau, par mer surtout, auront joué un grand rôle dans cette guerre où, pris un peu au dépourvu — bien que ce ne soient pas les avertissemens qui nous aient manqué, — il a fallu faire venir de l’étranger, d’Angleterre et d’Amérique surtout, de nombreux approvisionnemens en vivres, vêtemens ou munirions. On a maintenant l’explication des deux mots dont la réunion désigne la station-magasin : elle est un centre d’approvisionnement d’abord et de réexpédition ensuite. Mais elle est aussi bien autre chose, boulangerie de guerre, parc à bétail, atelier de concassage pour les grains destinés à l’alimentation des chevaux, etc.

Pour ces travaux si variés, la station-magasin ne dispose que d’un personnel restreint. Ce personnel comprend d’abord un sous-intendant, qui, jusqu’à une date récente, était toujours de l’armée active. Chef du service de l’intendance de la station-magasin, indépendant par conséquent de l’intendance régionale et correspondant directement avec le ministre, il a sous ses ordres un attaché à l’intendance du cadre auxiliaire et un certain nombre d’officiers d’administration des bureaux de l’intendance et des subsistances ; l’un d’eux, appelé gestionnaire, prend en charge tout le matériel et les approvisionnemens dont il est responsable en principe, même pécuniairement. Un commissaire militaire, doté d’un ou de plusieurs adjoints, a pour mission d’assurer les relations entre les chemins de fer et les services techniques, intendance, artillerie, etc. Ce personnel officier dispose d’un détachement de commis et ouvriers d’administration, qui peut atteindre jusqu’à deux mille hommes dans les grandes stations-magasins, et d’une, deux ou trois compagnies spéciales d’infanterie, mises à sa disposition tant pour les services de garde et de surveillance de la gare et des magasins que pour les corvées, chargemens et déchargemens. Si ces élémens se trouvent insuffisans au moment d’un effort considérable à réaliser, ils peuvent être complétés par des hommes de corvée empruntés aux troupes de la garnison ; parfois aussi, s’il s’agit de transports à effectuer, par des attelages de supplément, là où il existe des troupes d’artillerie ou du train des équipages ; ailleurs, par des voitures civiles réquisitionnées avec leurs conducteurs et leurs chevaux.

Dès les premiers jours de la mobilisation, chaque station-magasin a été le siège d’une activité intense. Immédiatement garnies de leur personnel, dont une partie devait arriver le premier jour de la mobilisation, il leur fallut se mettre aussitôt en état de fonctionner. Là surtout où l’installation n’était pas complète dès le temps de paix, comme dans certaines stations-magasins dites de réserve, il fallut procéder au montage immédiat des fours, tout au moins à leur recouvrement de terre, à l’installation des tentes pour abriter les boulangers et la paneterie, à la pose des voies Decauville, et passer des marchés pour l’évacuation des braises produites en énorme quantité par les fours travaillant jour et nuit, ou encore pour l’enlèvement des issues là où devait fonctionner un abattoir, etc.

En même temps, les immenses magasins de la station, qui vont se remplir des denrées les plus diverses, commencent par se vider de tout ce qui y a été entassé dès le temps de paix en vue de la guerre. Là spécialement où le siège de la station-magasin coïncidait avec celui d’un escadron du train des équipages, ce fut pendant plusieurs jours un défilé ininterrompu de voitures de toute espèce, voitures des convois administratifs et de la boulangerie de guerre, voitures d’ambulance, etc., sans compter parfois un grand nombre de voitures des services de l’artillerie et du génie, remisées en temps de paix dans les locaux libres, qu’elles doivent rapidement évacuer pour permettre l’installation des services de la station-magasin. En même temps avait lieu le défilé des dizaines de milliers de chevaux de réquisition destinés à atteler toutes ces voitures. Il y eut alors plus d’un départ mouvementé, plus d’une roue ou d’un timon brisés par des chevaux trop vifs ou mal conduits, mais qui allaient bientôt, comme les hommes, prendre l’habitude de la vie en commun, pittoresquement campés en attendant leur départ sur une place publique ou en plein champ ; bien vite d’ailleurs, leur première ardeur allait se trouver calmée par les longs et monotones trajets à faire sur les routes poudreuses et ensoleillées de l’été de 1914, en attendant les fondrières et l’horrible boue de l’hiver suivant.

Peu à peu, ce mouvement devait se régulariser, mais en restant toujours presque aussi intense. La station-magasin allait commencer à jouer son rôle normal, recevant d’abord ou fabriquant elle-même les approvisionnemens nécessaires à l’armée à laquelle elle est affectée, et les réexpédiant ensuite sur cette armée. Avec la gare régulatrice, sur laquelle elle les expédie directement, elle constitue comme le cœur de cet immense organisme, la pièce maîtresse du mécanisme destiné à assurer le ravitaillement d’une armée déterminée. Elle se trouve pour cela reliée d’un côté aux services du territoire, à l’intendance régionale notamment, chargée de se procurer une partie de ces approvisionnemens, lourde tâche qu’elle a remplie sans défaillance pendant cette première année de guerre, et de l’autre à la gare régulatrice, gare sur laquelle sont dirigés tous les envois de la station-magasin. A cette gare siège une commission militaire qui dirige les trains de vivres, conformément aux demandes de l’avant, sur des gares plus rapprochées du front, les gares de ravitaillement, chargées à leur tour de les distribuer aux convois administratifs, ou directement aux corps auxquels ils sont destinés. C’est ce double travail d’approvisionnement et de réexpédition qu’il est intéressant de connaître ; quand on aura touché du doigt en quelque sorte les principales difficultés de tout genre auxquelles il se heurte, nul doute qu’on n’admire davantage qu’il ait pu être effectué si longtemps et sur une aussi grande échelle, avec une régularité quasi mécanique.


ENTREPÔTS DE MARCHANDISES

Comment, d’abord, la station-magasin va-t-elle se procurer les milliers de tonnes de denrées de tout genre, dont la valeur dépasse parfois plusieurs millions, qui doivent être entreposées dans ses magasins et renouvelées sans cesse au fur et à mesure des expéditions faites pour donner satisfaction aux demandes de l’armée ?

La station-magasin répond, on l’a vu, à deux sortes de besoins : tantôt elle est simple entrepôt de denrées, qu’elle réexpédie telles qu’elle les a reçues, et tantôt elle doit faire subir à ces denrées certaines préparations et manutentions avant de les envoyer sur le front.

Dans le premier cas, la station-magasin n’intervient guère que pour recevoir et réexpédier les marchandises. Au début cependant, ou du moins après les évacuations précipitées du début de septembre, les stations-magasins de création nouvelle, pour lesquelles rien n’avait pu être prévu, passèrent elles-mêmes d’assez nombreux marchés pour les denrées les plus diverses, sauf cependant celles de première nécessité, blé, farine, avoine, fourrages, bétail, répandues à peu près sur l’ensemble du territoire national et pour lesquelles les commissions de ravitaillement fournirent une grande partie des quantités nécessaires. Assez vite d’ailleurs, les choses se modifièrent, et les stations-magasins n’eurent plus à passer de marchés qu’accidentellement. Pour certaines denrées, les marchés furent passés sur place par l’intendance régionale ; d’autres furent amenées de tous les points du pays, conformément à un tableau graphique des expéditions soigneusement établi de façon à éviter tout retard dans les approvisionnemens de la station-magasin. Il est impossible, en effet, que tout se fasse au jour le jour, pour un organisme de cette importance, alors que si par exemple l’envoi de farine du jour venait à manquer, la boulangerie de guerre devrait cesser la fabrication du pain. Aussi, doit-il en principe exister en magasin pour toutes les denrées un approvisionnement variant, suivant leur nature, de deux jours, pour le bétail, à cinq, dix, et même, pour les petits vivres, vingt fois les besoins quotidiens de la station.

Une partie de ce stock est réunie dès le temps de paix, pour les conserves de viande par exemple, ou le pain de guerre (l’ancien biscuit de guerre) et, à dates fixes, on fait consommer les denrées par les hommes pour renouveler les approvisionnemens. Mais pour bien des raisons, financières et autres, cette façon de procéder ne peut être employée que pour une faible partie des stocks à réunir, et seulement pour les denrées susceptibles de longue conservation. Quant aux autres denrées, celles qui sont répandues à peu près dans tout le pays sont autant que possible achetées dans les centres voisins ; mais quand les ressources de la région sont épuisées, il faut bien les faire venir de plus loin, comme celles qui n’existent pas dans la région. Ces diverses sortes de denrées sont fournies aux stations-magasins, au fur et à mesure de leurs besoins, par des centres spéciaux : gares de groupement de bétail, gares de groupement de foin pressé, établissemens divers (usines de conserves, biscuiteries, etc.), réserves des stations-magasins.

Ces centres spéciaux sont désignés en tenant compte des conditions géographiques et économiques du pays. Certaines régions sont très riches en bétail, en fourrages, en conserves, tandis que d’autres sont dépourvues de ces denrées. Le premier travail à effectuer est donc de s’enquérir exactement de ce qui peut être demandé à chaque région et en quelle quantité. Une organisation de ce genre ne peut évidemment s’improviser ; la détermination de ces régions et de leurs disponibilités a fait l’objet d’un travail minutieux, accompli à loisir en temps de paix. Il est impossible d’entrer ici dans les détails de cette œuvre gigantesque, car ce serait toute l’organisation du ravitaillement en France qu’il faudrait exposer. Voici en quelques mots les grandes lignes de cette organisation.

Dans chaque département fonctionne, sous la présidence du préfet, un comité départemental de ravitaillement, composé de représentans des autorités civiles et militaires. Il est chargé d’établir le plan départemental de ravitaillement. Ce plan se divise en deux parties. La première évalue les ressources de toute nature du département utilisables pour les besoins de la guerre ; la seconde étudie les voies et moyens les plus propres à l’exploitation de ces ressources. Deux commissions permanentes, dont le sous-intendant fait nécessairement partie, correspondent à cette division du plan de ravitaillement ; ce sont la commission d’évaluation et la commission d’exploitation des ressources.

La statistique des ressources, qui fait l’objet de la première partie du plan, se subdivise elle-même en deux branches. Elle comporte d’abord une statistique des stocks minima de toutes les ressources agricoles (céréales, fourrages et bétail existant chez les producteurs) et commerciales (ressources entreposées dans les magasins des commerçans et les établissemens industriels). Cette statistique permet de savoir les quantités sur lesquelles on peut compter au moment de l’année le plus défavorable : car, bien entendu, le stock varie considérablement d’une saison à l’autre pour certaines denrées, grains ou fourrages par exemple.

La seconde branche, la statistique des existences, suit au contraire d’une façon continue les variations de certaines ressources, spécialement pour le blé, la farine de blé et l’avoine, et permet de connaître ainsi les quantités réellement disponibles à tout moment de l’année. Elle indique le chiffre de la production de la région, connu par la statistique agricole annuelle, à l’établissement de laquelle collabore le directeur départemental des services agricoles, et aussi le chiffre des importations, connu, comme celui des exportations, par les renseignemens que fournit le service des douanes. Il faut, bien entendu, défalquer les quantités nécessaires aux semailles et à l’alimentation des hommes et des animaux de la région, quantités que des enquêtes spéciales permettent de connaître.

Quant à la seconde partie du plan, celle qui a trait à l’exploitation des ressources, elle a pour but de préparer leur groupement en un certain nombre de centres répartis aussi également que possible sur toute la surface du département et nommés centres de réception. Ils sont choisis, pour faciliter les transports, à proximité d’une gare ou d’un port fluvial ; quant au nombre d’attelages qui restent disponibles une fois partis les chevaux et voitures sujets à réquisition, il est facile de le connaître par les listes de recensement. Il faut aussi s’assurer de l’existence des locaux convenables pour recevoir le bétail et les denrées, effectuer les pesages, la mise en sacs, etc. A chacun de ces centres est affectée une commission de réception dotée, pour les vérifications à effectuer, d’un certain nombre d’experts correspondant aux principales catégories de denrées à recevoir, céréales, farines, bétail, fourrages et épicerie ; toutes doivent être livrées de qualité loyale et marchande dans la région. Les achats se font en principe « à caisse ouverte, » et le paiement est effectué par l’agent du Trésor le plus rapproché ; c’est seulement quand les acquisitions n’ont pu se faire à l’amiable qu’on recourt aux réquisitions ; les prix sont alors fixés conformément à un tarif arrêté par une commission spéciale.

Les maires jouent eux aussi un rôle important dans cette organisation. Ils ont pour mission de donner la plus grande publicité aux dispositions qui leur sont notifiées ; ils provoquent les efforts de leurs administrés, de telle sorte qu’on puisse en principe recourir aux ventes à l’amiable de préférence aux réquisitions ; enfin ils renseignent les présidens des commissions de réception venus pour prendre connaissance des ressources de la commune et vérifier si elles sont conformes aux prévisions.

Chaque autorité intéressée, préfets, gouverneurs de places fortes, sous-intendans militaires, possède un journal de ravitaillement contenant l’exposé des mesures prises, l’indication par ordre chronologique des diverses opérations qu’elle est chargée d’effectuer, et la liste des plis fermés qui ne doivent être ouverts qu’en cas de mobilisation ou sur ordre spécial.

Toute cette organisation minutieuse, chef-d’œuvre de prévoyance et de méthode, était mise à l’essai dès le temps de paix, au cours des manœuvres ou d’exercices de ravitaillement, pour qu’on pût être sûr de son bon fonctionnement. La réalité a presque partout répondu aux prévisions. Dès le début de la mobilisation, les diverses commissions sont entrées en fonctions dans le pays ; placées sous le contrôle de l’intendance régionale, bien que composées d’élémens civils, elles ont rendu de grands services, dans certaines régions spécialement, grâce à la valeur et au dévouement des hommes mis à leur tête.

Les statistiques du plan de ravitaillement indiquant les disponibilités de chaque région forment la base première du travail du ravitaillement pour tout le territoire. En harmonie avec elles, il existe dès le temps de paix, pour chaque station-magasin, — je parle, bien entendu, de celles qui avaient été organisées à l’avance, — un tableau prévoyant jour par jour les envois à faire sur cette station. Pour les deux premiers mois spécialement, tout était prévu dans le plus grand détail ; ensuite, la machine, mise au point, pouvait continuer à fonctionner avec des indications plus générales : par exemple, réception de tant de quintaux de farine ou d’avoine tous les trois, quatre ou cinq jours, ou de tant de sucre ou de café venant de tel endroit, les 10, 20 et 30 de chaque mois.

Ce graphique est une pièce absolument secrète, cela va de soi ; il est établi avec le soin qu’on devine, puisque la régularité du ravitaillement de l’armée en dépend. Il a fallu en établir un à la hâte pour les stations-magasins créées au cours de la guerre afin de remplacer celles qui étaient disparues, et aussi afin d’en augmenter le nombre, presque doublé aujourd’hui, qui ne dépassait pas une douzaine au début. Le sous-intendant de chaque station a ainsi un tableau où sont inscrites jour par jour toutes les réceptions à faire ; il sait que tel jour il doit recevoir tel nombre de quintaux de denrées déterminées, venant souvent des points les plus éloignés de la France : une même station-magasin recevra de Montpellier le vin, de Marseille le savon, de Nantes les conserves de viande, de Billancourt le pain de guerre, du Havre ou de Bordeaux le sucre et le café. C’est un des premiers devoirs de l’intendant de comparer chaque jour les réceptions de la veille et celles qui sont portées au graphique, et de s’informer ou de réclamer pour celles qui ont fait défaut.


BOULANGERIES DE GUERRE

Nous n’avons encore envisagé jusqu’ici que le cas où la station-magasin apparaît comme un simple entrepôt. Mais son rôle est loin de se borner à réexpédier telles quelles les denrées reçues ; très souvent elle doit leur faire subir certaines préparations ou manutentions. Ce travail est effectué dans les locaux de la station-magasin, par de nombreux ateliers spéciaux, des ordres les plus divers, comme les denrées elles-mêmes. Chaque station-magasin compte d’abord une boulangerie de guerre pour la fabrication du pain, un entrepôt de bétail alimenté par un ou plusieurs parcs de groupement, des approvisionnemens du service des subsistances, et souvent aussi de l’habillement et du campement ; il doit de plus y avoir une station-magasin au moins par armée, qui renferme des approvisionnemens pour l’artillerie, le génie, la télégraphie et le service de santé. Tous ces approvisionnemens sont à l’entière disposition du général directeur des étapes pour les besoins de l’armée à laquelle la station-magasin est affectée.

En ce qui concerne les services spéciaux, artillerie, génie, télégraphie et service de santé, le rôle de la station-magasin est en général assez limité : il se borne le plus souvent à recevoir tout achevé le matériel à réexpédier, munitions de guerre par exemple, pièces et fils métalliques, matériel médical ou pharmaceutique. Il en est autrement du service de l’intendance, beaucoup plus intéressant à notre point de vue, car il comporte fréquemment, en ce qui concerne le service des vivres notamment, d’importans travaux de préparation ou de manutention.

Parmi les services les plus importans de la station-magasin, et même au premier rang de tous, il faut placer la boulangerie de guerre. Le pain forme, avec la viande fraîche ou de conserve, la base de l’alimentation du soldat français ; sa fabrication est donc un point capital, et il faut reconnaître que, d’une façon générale, elle a donné satisfaction aux plus exigeans : on peut même dire que le pain de troupe, — la fameuse « boule de son, » — fait avec des farines de première qualité et dans d’excellentes conditions, s’est souvent révélé supérieur, au début de la guerre notamment, au pain de bien des boulangeries civiles, même dans les grandes villes.

Les stations-magasins sont pour les troupes du front le principal centre de fabrication du pain, mais non le seul. Il en est quelques autres, les manutentions des villes situées près des armées par exemple, et encore les boulangeries de campagne, formations mobiles destinées à suivre les armées. L’avantage que présentent ces deux derniers centres, c’est de permettre de donner aux hommes du pain plus frais. A raison de l’éloignement de la plupart des stations-magasins, le pain qu’elles fabriquent ne peut être consommé avant une semaine au minimum. Il faut bien compter en effet un jour ou deux de ressuage (dessiccation), autant pour le transport à la gare régulatrice, autant encore pour le transport par les trains régimentaires et la distribution au corps, le double même, si, à raison de la distance entre la gare régulatrice et l’emplacement des corps, les convois administratifs doivent intervenir.

Pour parer à cet inconvénient, les stations-magasins, qui sont de beaucoup les plus grands centres de fabrication, font ce qu’on appelle du pain biscuité. Ce pain se rapproche d’ailleurs beaucoup plus du pain ordinaire que du biscuit ; il n’en diffère guère que parce qu’il est un peu plus cuit et soumis à une dessiccation plus prolongée. Il est encore très mangeable après un délai de quinze à vingt jours ; en tout cas, il se conserve parfaitement dix à douze jours, ce qui représente en principe le délai maximum où il doit être consommé.

La « boule » du troupier, ainsi préparée, perd tout droit à son appellation traditionnelle, car elle est notablement aplatie ; elle se présente sous la forme d’un pain rond et plat, pesant, après vingt-quatre heures de ressuage, environ quatorze cents grammes (soit deux rations journalières de sept cents grammes). Chaque pain porte la date du jour de sa fabrication, marquée avec un jeu de chiffres avant la cuisson, de façon à indiquer son ancienneté. Dans plusieurs stations-magasins » par exemple toutes celles qui ont été installées à la hâte, après l’invasion allemande, dans des villes éloignées du front, les fours sont non pas des fours permanens en briques, mais des fours portatifs d’un système ingénieux, nommés fours Godelle ou Lespinasse, du nom de leur inventeur, et composés d’un certain nombre de pièces en tôle faciles à démonter et à transporter en caisses. L’installation consiste à établir, sur un massif de terre élevé de quelques centimètres, une sole de four en briques, réfractaires autant que possible ; les plaques de tôle, montées à 40 centimètres environ au-dessus de la sole, sont à leur tour recouvertes de quelques centimètres de terre, pour mieux conserver la chaleur ; un tuyau coudé d’un mètre cinquante à deux mètres forme cheminée ; devant la bouche de chaque four, on creuse une tranchée ou parfois un simple trou, dit trou du brigadier, d’environ quatre-vingts centimètres de profondeur, pour que l’homme chargé d’enfourner et défourner les pains se trouve à la hauteur voulue ; par-dessus le tout, on monte, pour chaque massif de six à huit fours, une tente, remplacée à peu près partout, depuis l’hiver, par une baraque en bois, pour protéger contre la pluie les hommes et les fours, et toute l’installation est prête à fonctionner.

La première opération à effectuer dans la fabrication du pain, c’est la confection des levains, pâte fermentée destinée à faire lever la masse de la pâte pour la rendre plus légère et plus digestive. La pâte est en général travaillée sur deux levains, mais ce sont là des détails trop techniques pour qu’il y ait lieu d’y insister. Vient ensuite le pétrissage qui dure de vingt minutes à une demi-heure ; puis la formation des pâtons par le brigadier, c’est-à-dire la mise de la pâte en pains ; enfin, le pesage et la mise en panetons, corbeilles d’osier doublées de toile où la pâte s’étale et prend la forme qu’elle devra garder une fois passée au four.

Pendant ces diverses opérations, les fours ont été chauffés ; la pâte préparée est enfournée ; chaque pain est, avant sa mise au four, saupoudré d’une légère couche de farine grossière (fleurage), pour éviter l’adhérence à la pelle sur laquelle on l’enfourne, puis incisé, à la partie supérieure, de quatre traits formant un losange ou un carré, à l’intérieur duquel se trouve inscrite la date de fabrication : ces traits sont destinés à faciliter l’évaporation de l’excès d’eau contenu dans la pâte, de façon que le pain s’aplatisse davantage ; cette dessiccation plus grande, jointe à sa plus longue cuisson, est la caractéristique du pain biscuité et assure sa conservation.

La durée moyenne de la cuisson est d’une heure vingt pour le pain biscuité, soit une demi-heure en sus de ce qu’exige le pain ordinaire. Cela donne en pratique cinq fournées par jour, dix au maximum en marchant jour et nuit, et c’est le cas normal dans les stations-magasins. Chaque four, servi par un brigadier, deux pétrisseurs et un aide, donne théoriquement un rendement de cent-quatre-vingts rations par fournée, en pratique plutôt cent-soixante-dix ; ce qui fait dix-sept cents rations par four et par jour. Pour deux cent mille rations journalières, il faudra donc un groupe d’environ cent vingt fours.

La quantité de farine nécessaire pour mille rations de pain est d’un peu plus d’une tonne, soit 110 000 kilos pour 200 000 rations ; il faut à peu près dix fois moins de sel, soit 10 000 kilos, et environ 30 000 kilos de bois sec, ce qui donne, pour le chiffre de 200 000 rations, un poids total de matières premières d’environ 150 000 kilos. Bien entendu, l’eau nécessaire à la fabrication (75 000 litres) n’est pas comptée dans ce chiffre ; elle est fournie par le service d’eau urbain, au moyen de conduites spécialement posées à cet effet, s’il n’en existait pas à l’emplacement choisi pour l’installation des fours.

Il est facile, d’après ces chiffres, de se représenter les complications et le coût du transport des matières premières quand la boulangerie de guerre ne se trouve pas tout à proximité d’une gare ou d’un embranchement de la voie ferrée permettant de décharger sur place l’énorme stock nécessaire de farine, sel et bois. On se rend compte aussi de l’importance de cette sorte de grande usine qu’est la boulangerie de guerre d’une station-magasin, où travaillent jour et nuit plusieurs centaines d’hommes. C’est un coup d’œil impressionnant, la nuit, de voir, à la lumière de ces multiples lampes électriques qu’il a fallu installer partout, sous les tentes et dans les allées, circuler les centaines d’hommes de cette énorme ruche, la plupart nus jusqu’à la ceinture-, debout devant la gueule rougeoyante des fours, ou transportant dans des civières ou sur des wagonnets le pain tout brûlant encore.

Aussitôt le pain défourné, il est porté, en général grâce à un petit chemin de fer Decauville, dans la paneterie ; soigneusement rangé sur des étagères à claire-voie et bien aéré, il y subit un ressuage de trente-six à quarante-huit heures pour faire disparaître l’humidité qui nuirait à sa conservation. Si la station-magasin doit fournir quotidiennement 200 000 rations de pain, elle en aura donc toujours 3 à 400 000 sur étagères, sans compter une avance d’un jour chargée sur wagons. Cette avance est nécessaire pour parer à tout imprévu : demande d’un gros ravitaillement éventuel, ou, au début, quand les fours étaient peu ou pas abrités par des tentes dressées surtout en vue de protéger Je personnel et les pétrins, ou survenance d’un orage violent faisant manquer une ou plusieurs fournées.


POUR AVOIR DE LA VIANDE FRAICHE

Après la boulangerie de guerre, un des services les plus importans de la station-magasin est celui du ravitaillement en viande fraîche. Il existe à cet effet à la station-magasin un entrepôt de bétail, alimenté par un, deux ou trois parcs de groupement de bétail. Ces parcs sont plus ou moins éloignés de la station qu’ils desservent ; il est désirable qu’ils ne le soient pas trop ; sinon, il en résulte une fatigue pour les animaux et une perte de temps qu’il faut toujours chercher à éviter.

Le mouvement de l’entrepôt de bétail est parfois considérable dans les grandes stations-magasins. Il n’est pas rare de voir, pendant d’assez longues périodes, des réceptions et des expéditions quotidiennes de plusieurs centaines de têtes de bétail. Le bétail arrive et repart, en règle générale, par trains complets. En cas d’urgence, surtout si le parcours n’est pas trop long, le train arrivé du parc de groupement peut être immédiatement réexpédié, après qu’on a fait boire les animaux, quand c’est possible. En général, les bêtes sont aussitôt débarquées et gardées un certain temps à l’entrepôt, d’où elles sont réexpédiées à l’avant sur demande du régulateur. Cette demande est toujours formulée en rations ; un calcul est donc nécessaire pour savoir le nombre de têtes à envoyer, nombre très variable suivant la grosseur des animaux.

La ration forte de viande (500 grammes) a été reconnue trop élevée, du moins pendant la longue période de stationnement dans les tranchées. Les troupes ne touchent plus qu’une moyenne de 400 grammes à titre gratuit. La ration forte correspond à environ un kilogramme de viande sur pied par homme et par jour, en admettant un rendement de 50 pour 100 pour le bétail bovin (pour les porcs, le rendement atteint 75 pour 100). S’il y a 200 000 hommes à ravitailler, il faut donc 200 000 kilos de viande sur pied, soit environ 500 bêtes pesant en moyenne 400 kilos, qui peuvent être chargées en deux trains de 25 wagons à 10 bêtes chacun. Mais le nombre de bêtes à envoyer peut être beaucoup plus ou beaucoup moins élevé. Il varie, pour ce même chiffre de 200 000 kilos, entre 700 et 300 têtes, suivant qu’il s’agit de bêtes petites comme en Bretagne, ou très fortes, au contraire, comme en Normandie.

Toutes les bêtes doivent être immatriculées ; elles le sont par les commissions de réception, au moyen d’une marque faite aux ciseaux ou à l’ocre ; cette dernière est d’application facile, mais s’efface à la pluie. Cette indication permettra d’exercer, s’il y a lieu, des poursuites contre un vendeur qui aurait livré des bêtes impropres à la consommation. Si une bête est blessée gravement au cours du transport, elle est abattue à l’arrivée et livrée aux usines de conserves, au cas où il en existe dans la localité ; sinon, elle est vendue ou consommée par le détachement ou les troupes de la garnison.

Lorsque les demandes de l’avant se ralentissent, le bétail s’accumule à l’entrepôt ou dans le parc de groupement ; il peut y avoir ainsi jusqu’à 1 000 ou 2 000 bêtes réunies. En été, il est facile de les parquer dans un herbage ; en hiver, cela est plus compliqué : on loue ou on réquisitionne des étables ou des hangars, dans lesquels on établit des installations de fortune pour les abreuvoirs, mangeoires, etc. ; mais, bien entendu, en cas d’épizootie, le danger de contamination est alors beaucoup plus grand qu’en plein air.

Le ravitaillement en viande fraîche est une des inquiétudes de l’avenir, pour le cas où la guerre se prolongerait. Il serait déraisonnable de réquisitionner les vaches pleines ou les vaches laitières, ou même un trop grand nombre de bœufs de travail, dans les pays où les travaux agricoles s’effectuent par leur moyen. Aussi, en certains départemens, la quantité des bêtes disponibles a notablement diminué. Pour éviter un trop grand appauvrissement du cheptel national, on a eu recours à l’envoi de viande provenant d’autres animaux, moutons ou porcs. Mais ces derniers voyagent moins facilement que le bétail bovin, surtout par les chaleurs ; aussi a-t-on été conduit à installer dans les stations-magasins des abattoirs avec des locaux destinés au flambage, salage, découpage en quartiers et étiquetage des morceaux. Chicago en miniature, une station-magasin moyenne préparait ainsi environ 200 porcs par jour, et, plus tard, quand il a fallu remplacer les porcs par des moutons, beaucoup plus petits et donnant plus de déchet, environ 600 moutons français ou algériens. Mais la préparation du mouton est plus délicate, la conservation en est moins assurée ; par temps orageux spécialement, les quartiers arrivaient parfois avariés, si bien que, malgré les précautions prises, saupoudrage au sel et même injection d’une solution saline dans les tissus, on a dû renoncer à ce système pour les longs trajets et en revenir au transport des moutons vivans, comme pour le bétail bovin.

La vraie solution eût été de recourir plus tôt et plus largement que nous ne l’avons fait à la viande congelée ou frigorifiée. Cela nous eût permis de ménager notre bétail en nous adressant davantage à l’étranger, et, de plus, eût atténué la hausse de prix formidable dont a souffert la population civile comme l’armée. Malheureusement, il eût fallu, pour conserver cette viande en grande quantité, posséder des installations qui nous manquaient, et c’est regrettable, car la consommation n’en présente aucun des inconvéniens qu’offre celle des conserves de viande prolongée au delà d’un certain temps.

Les conserves de viande, pour lesquelles il y a eu d’énormes marchés passés aux premiers jours de la guerre, sont précieuses en certaines circonstances, à raison de leur petit volume (chaque boite contient une ration de 300 grammes) et de leur longue conservation. Chaque homme doit en avoir deux boîtes dans son sac à titre de vivres de réserve. C’est le fameux « singe » que mangent nos soldats, quand il est impossible de les ravitailler en viande fraîche, ou qu’ils ne peuvent faire cuire la viande fraîche qui leur a été distribuée. Au début, pendant la période de recul, et, plus tard encore, dans les tranchées de première ligne, où on n’osait pas faire de feu, le cas s’est souvent présenté d’hommes obligés de jeter, sans pouvoir l’utiliser, la viande qu’on leur donnait Il n’y avait pas à ce moment de cuisines roulantes, d’ailleurs difficilement utilisables en cas de recul, et ce n’est évidemment pas le rôle des services de l’arrière de fournir aux troupes la viande toute cuite. Par la suppression de tout apprêt, les conserves apparaissent comme la nourriture tout indiquée pour les troupes en marche. Aussi aujourd’hui que. Dieu merci, un recul n’est plus à craindre, la demande d’un fort ravitaillement en boites de conserves est un heureux symptôme. Et, dans cette prévision, la station-magasin en possède, comme pour le pain de guerre, des lots immenses empilés en monticules dans les hangars où ils attendent leur chargement. Mais il y aurait des inconvéniens, au point de vue de la saute des hommes et du maintien de leur appétit, à les nourrir exclusivement de ces conserves pendant longtemps. C’est ce qui a motivé les récentes propositions de passer des marchés pour la préparation Je conserves nouvelles, composées à la fois de viande et de légumes, qui permettraient d’offrir aux hommes, à un prix plutôt inférieur, une alimentation plus hygiénique et plus variée.


PETITS VIVRES ET DENRÉES DIVERSES

De même qu’il existe pour la viande d’énormes stocks de conserves, le pain a lui aussi un succédané, c’est le pain de guerre, qui est au pain ordinaire ce qu’est la conserve de viande à la viande fraîche. Chaque homme doit en avoir 600 grammes dans son sac. Il est préparé par un grand nombre d’usines, notamment la plupart des grandes biscuiteries civiles qui, réquisitionnées comme les usines de conserves, ont au début de la guerre travaillé jour et nuit pour augmenter les approvisionnemens. Le pain de guerre actuel, plus petit et plus mince que l’ancien biscuit de guerre, fournit sous un petit volume un aliment très substantiel ; en cas de nécessité, il remplace momentanément, sans trop de désavantage, le pain dont le troupier français ne saurait se passer.

Vient ensuite une série de vivres de moindre importance, — d’où précisément le nom de petits vivres qui leur a été donné, — qui font partie, comme le pain et l’avoine, du ravitaillement quotidien. La viande même n’est envoyée en principe que sur demande spéciale ; mais le directeur des étapes et services peut toujours prescrire de faire rentrer n’importe quelle denrée dans la composition du ravitaillement quotidien. Ces petits vivres sont les légumes secs ou le riz, le second beaucoup moins apprécié du soldat, peut-être parce qu’il est en général mal préparé. Ils sont distribués au taux général de 100 grammes par ration ; ils peuvent être remplacés par des légumes frais, des pommes de terre par exemple, en plus grande quantité bien entendu (750 grammes). Puis viennent le sel (20 grammes), le lard (30 grammes), qu’il a fallu souvent, sur la demande des soldats de religion musulmane, remplacer par de la cocose ou d’autres graisses végétales dans les ravitaillemens destinés aux troupes d’Afrique ; enfin, deux denrées particulièrement appréciées du troupier, le café (24 grammes) et le sucre, dont la ration ordinaire (32 grammes) a été à bon droit doublée depuis les premiers mois de guerre. Le café est préparé bien entendu à la station-magasin, qui le reçoit vert et le fait griller, la plupart du temps dans des appareils spéciaux à grand rendement ; sinon, on se représente le nombre d’hommes et de brûloirs à café qui seraient nécessaires pour faire griller chaque jour de 4 à 6 000 kilos de café !

Pour ce qui est du vin, le traditionnel « quarté a été doublé pour les hommes du front, et ce n’est pas une petite affaire que l’envoi, chaque jour, pour 2 à 300 000 hommes, d’un demi-litre de vin par homme, et souvent plus, avec les dons généreux des viticulteurs qui n’entrent pas en ligne de compte dans ce chiffre. Certaines stations-magasins envoient chaque jour de 4 à 600 pièces ou barriques d’environ 228 litres ; ce simple chiffre suffit à indiquer l’importance de ce nouveau chantier. Il faut d’abord chaque jour réunir les milliers d’hectolitres nécessaires ; ils arrivent parfois par bateau, pour les dons des viticulteurs algériens par exemple ; plus souvent dans d’énormes wagons-foudres dont (chacun contient de ISO à 200 hectolitres. Il faut ensuite les « dépoter » ou transvider dans les barriques ou les fûts destinés à être envoyés sur le front. Mais auparavant, que d’opérations nécessaires ! Bien entendu, les stations-magasins n’emploient pas toujours de nouveaux fûts ; sinon, le pays n’eût jamais pu suffire à une aussi effroyable consommation. On fait donc revenir les barriques du front. On devine l’état de la plupart d’entre elles ; aussi a-t-il fallu créer de toutes pièces dans les stations-magasins un véritable atelier de tonnellerie. Heureusement, elles possèdent toujours, dans leur personnel d’ouvriers d’administration, des hommes de tous les métiers ; en cas d’insuffisance, les dépôts des villes de garnison environnantes fournissent le complément des tonneliers nécessaires. Tous les fûts, à leur arrivée, sont donc vérifiés, réparés, parfois démontés, une douve ou un fond changé, des cercles rajoutés ; ils sont ensuite nettoyés, passés à l’eau chaude, à la chaîne s’il y a lieu, souvent aussi soufrés ; après quoi, ils peuvent être remplis à nouveau sans crainte de détérioration pour le vin qu’on leur confie. Si bien qu’une station-magasin de quelque importance, avec son avance de plusieurs jours de vin en fûts prêts à être chargés, ses milliers de fûts vides, et les longues files de wagons-foudres qui s’alignent sur ses quais, semble une succursale de Bercy transportée dans une gare de province.

Do temps en temps, en plus du vin, on distribue aux soldats de l’eau-de-vie ou du rhum. Pendant les froids humides de l’hiver dernier, une tasse de thé additionnée d’un peu d’eau-de-vie était un des meilleurs moyens de réchauffer les hommes ensevelis vivans dans les tranchées boueuses ; beaucoup ont appris là à apprécier la boisson favorite de nos alliés anglais et russes… si bien que la guerre actuelle sera peut-être cause d’un notable accroissement de la consommation du thé en France !

Toute l’année également, pour varier l’ordinaire de nos soldats, les services de l’arrière se sont ingéniés à leur procurer des légumes frais que les corps ne pouvaient plus acheter dans les régions dévastées du Nord et de l’Est. Choux, choux-raves, carottes, navets, oignons, ajoutés au bœuf du pot-au-feu, le transforment et en doublent, sinon la valeur nutritive, tout au moins la sapidité. Certaines stations-magasins, situées dans les contrées grandes productrices de légumes, ont pu envoyer ainsi des 100 000 kilos de légumes chaque semaine, pour le plus grand bonheur des hommes du front ; tous préfèrent singulièrement le pot-au-feu avec légumes aux potages condensés préparés pour l’armée.

Enfin, les stations-magasins possèdent encore une foule d’autres denrées qui peuvent être distribuées à titre gratuit sur ordre du commandement, ou envoyées à titre de substitution pour remplacer d’autres denrées faisant défaut, mais qui ne sont le plus souvent cédées qu’à titre remboursable, c’est-à-dire achetées par les popotes d’officiers ou les ordinaires des corps sur leurs bonis. La liste en est presque illimitée ; ce sont d’abord les fromages variés, ceux surtout à pâte dure, au premier rang le gruyère, dont on a fait une telle consommation que la Suisse a dû prendre des mesures pour en restreindre l’exode. Ces énormes meules empilées, dont certaines dépassent cent dix kilos, occupent dans les halles de la station-magasin des vingtaines de mètres carrés et voisinent avec les fromages français plus petits, cantal et autres ; puis viennent les pâtes alimentaires, le chocolat, les oranges, les fruits secs, figues et pruneaux, les confitures ou marmelades variées, la choucroute. les jambons, les conserves de tout genre, homards, poissons, légumes, tomates, etc., le tout réparti en lots soigneusement étiquetés et qui forment de vrais monticules s’élevant souvent jusqu’au toit des hangars qui les abritent.

Une dernière denrée qui, pour n’être pas alimentaire, n’en est pas moins considérée par beaucoup d’hommes comme un objet de première nécessité, c’est le tabac. On en a fait dans les tranchées une consommation considérable, beaucoup de ceux-là mêmes qui ne fumaient pas s’étant mis à faire comme leurs camarades. A quinze grammes par homme, c’est par milliers de kilogrammes que se chiffrait la consommation quotidienne de chaque armée, et c’étaient chaque semaine des wagons entiers des tabacs les plus variés qui s’acheminaient vers le front, depuis le caporal ordinaire jusqu’aux cigarettes algériennes pour les troupes d’Afrique, en passant par le tabac à priser, qui fut quelquefois réclamé lui aussi ; seul le traditionnel tabac à chiquer de nos marins ne l’a pas été jusqu’ici.


Tout ceci ne vise que les hommes ; mais ils ne sont pas les seuls qu’il faille entretenir à l’armée, et le ravitaillement des chevaux, quand ils se dénombrent par 80 à 100 000, n’est pas non plus une opération de petite importance.

En ce qui concerne les fourrages, pour éviter l’encombrement des wagons et des lignes, les stations-magasins ne reçoivent et n’expédient en principe que du foin pressé en balles : il tient deux ou trois fois moins de place que le foin bottelé et a de plus le grand avantage de se laisser beaucoup moins pénétrer par la pluie. Il existait, dès le temps de paix, un certain nombre d’ateliers de pressage répartis dans les régions productrices de fourrages, et il a fallu, au cours de la guerre, multiplier ces installations.

Mais c’est l’avoine qui, à un certain moment, a causé le plus de difficultés. Les réserves excessives faites par beaucoup de cultivateurs, les spéculations de certains acquéreurs, jointes à l’impossibilité de recevoir des grains de Russie, avaient fait notablement augmenter le prix des avoines. Aussi prit-on le parti, après le premier mois de guerre, de recourir au mélange de cette denrée avec d’autres dans des proportions variant de un tiers aux deux tiers : riz non décortiqué (paddy), pois pointus, fëverolles, orge, maïs surtout. Plusieurs de ces grains étant très durs, les chevaux n’auraient pu que difficilement les broyer ; l’avoine qui y était mélangée aurait subi le même sort : les chevaux l’auraient « bue, » au grand détriment de leur santé. Aussi a-t-il fallu procéder au concassage des grains trop durs, du maïs notamment, qui a été le plus employé jusqu’ici.

Une fois le concassage fait au moyen d’appareils spéciaux, il est nécessaire d’effectuer le mélange avec l’avoine. Comme ce mélange porte chaque jour sur des milliers de quintaux, il ne saurait être question de le faire à la pelle ; le travail serait à la fois beaucoup trop long et nuisible à la santé des hommes, à raison de la poussière intense soulevée. Il a donc fallu installer, à côté des concasseurs, des élévateurs mécaniques qui élèvent les quantités voulues d’avoine et de maïs jusque dans une cuve où s’effectue le mélange ; un ventilateur électrique enlève en même temps la poussière et améliore ainsi sensiblement la qualité de certaines avoines. Ici encore, pour peu qu’il s’agisse de livrer 2 à 300 000 kilos par jour, il a fallu créer de toutes pièces, en quelques jours, une véritable petite usine. C’est un bel exemple de régie directe ou par économie et, pour une fois, elle justifie ce nom d’économique que méritent si peu d’ordinaire les travaux directement effectués par l’Etat. L’outillage, marchant en général à l’électricité, a souvent été installé par les officiers mêmes de la station-magasin, dont les plus compétens s’improvisent ingénieurs, et les appareils fonctionnent sous leur direction, surveillés et réparés, le cas échéant, par les électriciens ou mécaniciens pris dans le personnel. Cent à cent cinquante hommes sont ainsi occupés sans trêve, souvent même de nuit en cas d’urgence, à décharger, concasser, mélanger et recharger les milliers de sacs d’avoine ou de maïs nécessaires pour le ravitaillement quotidien des chevaux d’une armée.


On ne se contente plus aujourd’hui des chevaux pour assurer les transports de l’armée ; on utilise dans de larges proportions les moteurs mécaniques. Un peu négligés dans notre armée avant l’ouverture des hostilités, la guerre les a vite mis à leur vraie place, qui sera la première dans les guerres de l’avenir, — un avenir éloigné, il faut l’espérer. Je ne parle pas ici, bien entendu, de la cavalerie, ni même de l’artillerie de campagne, mais qu’il s’agisse de convois de vivres et de munitions à transporter, ou a fortiori de déplacemens de corps entiers à effectuer rapidement d’un point à l’autre du front, les tracteurs ou véhicules automobiles de tous genres rendent, au point de vue de la puissance et de la rapidité, des services qu’on ne saurait attendre des chevaux. On sait que les autobus parisiens ont été particulièrement précieux : très robustes, ils transportaient en général jusqu’au front la viande fraîche, parfois aussi les hommes, quand le rendement des voies ferrées se trouvait insuffisant pour un mouvement stratégique urgent et de grande ampleur comme il s’en est souvent produit au cours de cette guerre, avec un front s’étendant sur plusieurs centaines de kilomètres. Des voitures réquisitionnées de toute espèce ont circulé ainsi toute l’année ; parmi elles, plusieurs milliers avaient été commandées par les Allemands aux États-Unis ; grâce à notre maîtrise des mers, c’est nous qui en avons pris livraison et les utilisons contre eux.

Il faut aussi se garder d’oublier cet automobilisme aérien, qui a rendu de tels services comme instrument de reconnaissance et de combat. Il est nécessaire d’alimenter tous ces moteurs, elle ravitaillement de ces millions de chevaux-vapeur, s’il cause moins d’encombrement que celui des chevaux en chair et en os, ne va pas sans créer cependant quelques difficultés. Heureusement, nous n’avons jamais manqué de pétrole ni d’essence, ce combustible de l’avenir, dont le rôle déjà immense dans cette guerre ne fera que croître, sur terre comme sur mer. Il en faut d’énormes réserves pour satisfaire, en dehors du ravitaillement régulier, aux demandes éventuelles, parfois considérables, qui peuvent être adressées d’urgence à la station-magasin. Aussi, dans un endroit isolé, de crainte d’incendie, s’entassent les bidons, les caisses et les fûts de toutes formes et de toutes marques, essence, pétrole, huile, graisses diverses, carbure de calcium pour l’éclairage à l’acétylène. Tout cela, soigneusement bâché pour éviter soit la lente infiltration de l’eau dans les bidons par temps de pluie, soit l’incendie causé par une flammèche, est rangé en tas immenses qui forment, suivant les catégories d’ingrédiens, des sortes de quartiers avec de petites rues tracées au cordeau et se coupant à angle droit comme les quartiers neufs des villes.

Ce sont là les principales denrées qui constituent l’approvisionnement normal d’une station-magasin, mais il en est bien d’autres qu’elle est tenue d’avoir, ou tout au moins de pouvoir se procurer d’urgence en cas de demande de ravitaillement éventuel. Glycérine pour automobiles, en vue d’empêcher la congélation de l’eau dans les moteurs pendant les grands froids, bois, coke, charbon de bois ou de terre, savon, bougies pour s’éclairer dans les tranchées, pipes et papier à cigarettes, onguens pour les pieds des hommes et des chevaux, son, allumettes, alcool solidifié, les articles les plus divers peuvent être demandés, et le plus souvent par quantités énormes ; et il faut se les procurer dans les délais les plus rapides, dès la réception des télégrammes du directeur des étapes ou du commissaire régulateur qui les réclament.

Rien qu’en s’en tenant à ce qui constitue son approvisionnement normal, c’est par dizaines de millions de francs qu’au cours d’une année de guerre une grande station-magasin aura vu passer dans ses magasins les denrées de toutes sortes par elle expédiées sur le front. Certaines de ces denrées sont de conservation difficile, surtout par la chaleur ou l’humidité, et leur entretien en bon état n’est pas un petit embarras pour le personnel de la station-magasin. Et ce n’est pas la seule difficulté à laquelle il se heurte ; il y a aussi à craindre les fraudes de tous genres d’expéditeurs peu scrupuleux. Ce sont d’abord les fraudes ordinaires sur la qualité, contre lesquelles des lois récentes sont venues armer les acheteurs ; à cet effet, un chimiste, pris autant que possible dans le personnel de la station-magasin, est chargé à chaque réception de faire les analyses nécessaires. Mais il faut de plus surveiller de façon toute spéciale les fraudes sur la quantité, le volume ou le poids des denrées livrées. Insignifiantes lorsqu’elles se produisent sur une petite échelle, elles deviennent ici très graves à raison de l’énormité des chiffres en jeu. Si, sur un lot de cinq cents quintaux de conserves par exemple, chaque boîte pèse en moyenne 980 grammes au lieu d’un kilogramme, ou contient une proportion d’eau de 20 grammes de plus que la normale, c’est de 1 250 kilos que l’État se trouve fraudé. Si l’on songe que, justement en vue d’éviter certaines fraudes, les conserves pour l’armée sont achetées aujourd’hui au poids net, métal non compris, eau même égouttée pour les conserves de légumes, on voit quelles opérations méticuleuses sont nécessaires à leur réception.

Quand on a affaire à un industriel ou à un commerçant déterminé, la tâche est relativement simple ; mais lorsque l’expédition critiquée provient de commissions de réception négligentes, acceptant sans vérification suffisante des bêtes tuberculeuses ou des sacs d’avoine pesant deux ou trois kilos de moins que le poids dû, souvent on ne sait même pas à, qui s’en prendre ; le sous-intendant de la station-magasin se débat alors entre les reproches de la gare régulatrice ou de l’intendant d’armée d’un côté et de l’autre les protestations des commissions de réception jurant leurs grands dieux qu’il leur est impossible de remplir leur rôle avec plus de conscience et de soin !


TRAINS DE VIVRES ET DE MUNITIONS

Quand tout ce travail déjà formidable a pu s’accomplir sans trop d’à-coups, la tâche du personnel de la station-magasin est loin d’être achevée. Reste la deuxième partie de cette tâche, l’expédition des trains de vivres ou de munitions sur l’armée, plus exactement sur la gare régulatrice ; car l’emplacement de l’armée est ignoré de la station-magasin, ou du moins censé l’être, et c’est le commissaire régulateur qui reçoit et réexpédie sur l’avant les trains envoyés par la station-magasin, conformément aux demandes qui lui ont été adressées.

Pour éviter toute erreur ou double emploi dans un service à la fois aussi vaste et aussi minutieux, voici comment on procède. Le général commandant chaque armée, — en fait, l’intendant militaire qui lui est adjoint, — indique chaque jour au directeur des étapes et services les besoins pour le jour suivant, un ravitaillement éventuel par exemple, ou bien une modification au ravitaillement quotidien. Ces demandes sont par lui transmises aux intéressés, notamment au commissaire de la gare régulatrice. Ce dernier dirige les quantités demandées, soit sur les gares de ravitaillement, où les corps viennent se ravitailler directement par le moyen de leurs trains réglementaires, soit, s’il a fallu former des routes d’étapes, à la gare ou aux gares origines d’étapes de l’armée, d’où partent les convois administratifs chargés de ravitailler les troupes.

La gare régulatrice est créée, comme l’indique son nom, pour régulariser les mouvemens, empêcher ou amortir les à-coups ; elle peut aussi, grâce à son stock de denrées sur rails, donner immédiatement satisfaction aux demandes urgentes » sauf à se faire dès le lendemain expédier une quantité équivalente par la station-magasin chargée de la ravitailler, ou par l’une de celles-ci, si elles sont plusieurs ; aussitôt le télégramme reçu, le personnel de la station-magasin se met au travail pour effectuer l’expédition des denrées réclamées.

A cet effet, ses principaux magasins sont toujours reliés à la gare par voie ferrée ; en un cas même, ces magasins ne furent autres qu’une partie des bâtimens de la gare, ceux de la gare des marchandises, qui dut alors cesser le trafic commercial. Chaque soir, à la station-magasin, le bureau du mouvement calcule le nombre de wagons vides nécessaires pour assurer les expéditions du lendemain et indique les voies sur lesquelles ils devront être amenés, et cette note de service est transmise, par l’intermédiaire du commissaire militaire, au chef de gare qui fait effectuer ces mouvemens pendant la nuit.

Chaque jour, — les dimanches et les jours de fête comme les autres, — il y a tout au moins à préparer le ravitaillement quotidien, qui doit être expédié sans nouvel ordre ; presque tous les jours aussi, il y a en outre à préparer un ravitaillement éventuel plus ou moins considérable. Or, un seul jour de vivres pour un corps d’armée à deux divisions représente environ vingt-deux wagons, dont huit de pain, douze d’avoine et deux de petits vivres ; s’il y a un ravitaillement en bétail, ce qui se produit presque tous les jours, lorsque les troupes stationnent, on doit compter en plus seize wagons de bétail. Pour une armée, il faut multiplier ces chiffres par un nombre égal à celui des corps qui la constituent, quatre par exemple ; si bien qu’en ajoutant les ravitaillemens éventuels, on arrive vite à la mise en route de plusieurs trains chaque jour, soit quatre ou cinq trains de vingt à trente wagons chargés chacun de six à sept tonnes en moyenne. Il est difficile d’obtenir une moyenne plus élevée, à cause des denrées encombrantes ou légères.

On se rend compte maintenant du nombre de trains militaires mis en marche dans une station-magasin au cours d’un fonctionnement de quelques mois. Une grande station-magasin peut ravitailler une armée à elle seule. Ce sera donc une centaine de wagons environ qu’elle devra faire partir chaque jour, et certains jours ce chiffre sera doublé ou même triplé, ce qui peut donner une moyenne de quatre à six mille wagons expédiés par mois. Et comme il lui faut, bien entendu, en recevoir, pour son réapprovisionnement à elle-même, un nombre presque aussi considérable, surtout si cette station, comme c’est le cas général, est située dans une ville qui n’est pas en même temps un grand port maritime, on peut juger par ces chiffres de l’importance du mouvement des trains dans une stationmagasin.

Il arrivera parfois que la besogne matérielle du chargement se trouvera facilitée par des circonstances favorables. S’il s’agit de denrées pour lesquelles la date d’entrée en magasin importe peu et qui n’exigent aucune manutention, on pourra faire repartir pour l’expédition du jour, sans leur faire rompre charge, une partie des wagons qui viennent d’arriver. Mais ce cas est relativement rare. Il faut d’abord supposer la réception par chemins de fer à voie normale, non par chemins de fer à voie étroite, voitures ou bateaux. La question ne peut, évidemment, se poser non plus pour les denrées préparées au fur et à mesure des besoins, et ce sont les plus nombreuses, pain, mélange d’avoine et de grains concassés, ni même pour celles qui doivent être l’objet, avant leur réexpédition, d’une manutention spéciale, triage, criblage ou vannage, par exemple. Il faut encore supposer des denrées de longue conservation, pour lesquelles il n’est pas nécessaire de renouveler fréquemment le stock en magasin ; autrement, on devra, bien entendu, expédier en premier lieu celles qui sont déjà emmagasinées depuis un certain temps et décharger les nouvelles arrivées, qu’on ne peut songer à conserver sur roues ; sinon, tous les wagons du réseau se trouveraient bientôt immobilisés dans les gares.

Il faut enfin qu’il n’y ait pas de vérification ou de réglage à faire, et c’est malheureusement le cas le moins fréquent. Pour faciliter la distribution au front, les sacs d’une même denrée doivent toujours être réglés au même poids, par exemple 40 kilogrammes pour le café, 50 pour le son, 75 pour l’avoine, 100 pour le sucre. Cela est très naturel et simplifie beaucoup la tâche des services de l’avant, mal outillés et manquant de temps pour vérifier le poids de chaque sac. Mais, comme fréquemment les expéditions de l’étranger ou celles des commissions de réception sont faites en sacs de poids variable, ou de poids uniforme, mais différent de celui qui est fixé pour l’envoi à l’armée, ou même en vrac, pour les pommes de terre par exemple, il faut donc de toute nécessité décharger le tout, soit, en cas d’envoi en vrac, pour ensacher les denrées reçues, soit, dans les autres cas, pour vérifier le réglage des sacs.

On en profite souvent pour contrôler la qualité de la denrée, ou l’améliorer, la passer au tarare, par exemple, s’il s’agit d’avoine, pour enlever la poussière et les pierres, et c’est fort utile à coup sûr. Mais on ne se figure pas, avant de l’avoir expérimenté, ce qu’une simple note de ce genre, si facile à rédiger dans un bureau ou à expédier du front : « Tous les sacs d’avoine devront désormais être réglés à 75 kilos, toutes les balles de foin pressé devront être pesées et étiquetées, » coûte de peine au personnel de la station-magasin : il faut descendre un à un chaque sac ou chaque balle, le faire passer sur la bascule, l’ouvrir pour en compléter ou en diminuer le poids, s’il y a lieu, le changer même, s’il se trouve trop petit, pour l’adjonction à faire, enfin le recharger. Pour peu qu’il s’agisse d’expédier chaque jour deux trains d’avoine, chacun de trente wagons d’une dizaine de tonnes comprenant 133 sacs de 75 kilos, c’est une nombreuse équipe d’hommes qui devra consacrer la journée entière à ce travail pénible et ingrat.

Souvent aussi, un travail de chargement et de déchargement se présente avec un caractère d’urgence absolue ; les hommes auront alors à accomplir un effort énorme en très peu de temps. Les grands transports de troupes qui ont été faits d’un point à un autre du front par autobus ou automobiles de tout genre, exigeaient d’énormes quantités d’essence et d’huile ; c’étaient 1 500 ou 2 000 hectolitres demandés d’urgence à une station-magasin, qu’il fallait faire partir parfois même par marche ou train spécial, pour gagner du temps ; car, bien entendu, en temps de guerre, un train militaire complet et convoyé va trois ou quatre fois plus vite que des wagons ajoutés, à un train quelconque. Il faut alors qu’une équipe d’hommes solides passe la journée entière à charger les bidons de 50 litres, ou les caisses de bidons de cinq à dix litres, pesant chacune dans les soixante kilos avec l’emballage ; ces hommes auront le soir les épaules toutes meurtries, et ils n’en reprendront pas moins leur travail le lendemain.

D’autres fois, c’est un grand navire qui arrive, ou même plusieurs à la fois, de cinq ou six mille tonnes chacun. Il faut les décharger rapidement ; sinon, une fois le délai écoulé, les surestaries monteront à plusieurs milliers de francs chaque jour. Le grain, élevé dans des bennes par les grues du port, est pesé et mis en sac et les sacs empilés à la hâte sur les quais ou dans un hangar, sur une hauteur de 10, 12 ou 15 sacs ; or, il n’y a plus guère de dockers de profession pour accomplir ce travail très dur ; la plupart sont mobilisés, et ceux qui restent sont les moins forts ; on aura donc recours à la main-d’œuvre militaire, et il arrivera parfois que cette main-d’œuvre, si décriée en temps ordinaire, donnera un rendement aussi élevé que celui auquel on atteint avec des professionnels.

Quant aux chargemens ou déchargemens en gare, ils sont faits exclusivement par des soldats. Rien que le chargement d’un wagon de pain exige en moyenne deux heures avec une équipe de cinq hommes. Comme c’est plusieurs dizaines de wagons qu’il faut charger chaque jour, ici encore il faudra une nombreuse équipe qui travaillera toute la journée à cette besogne ; et sa longueur est doublée quand, la boulangerie de guerre étant située à quelque distance de la gare, un chargement sur voitures ou camions et un déchargement supplémentaire se trouvent de ce fait rendus nécessaires.

Souvent enfin, ce ne sont pas les chargemens ou déchargemens de denrées, mais aussi les mouvemens mêmes des wagons dans la gare, ou tout au moins une bonne partie d’entre eux, qui sont exécutés par les soldats. Ce sont les wagons vides qui manquent, la gare n’ayant pu en passer dans la nuit la quantité demandée et, pour les trouver, il faut se livrer dans toute la gare, — qui compte parfois plusieurs kilomètres de voies, — à une chasse fatigante ; il faut former à l’avance pour le train du lendemain les rames de wagons chargés d’une même denrée, puis plomber tous ces wagons, car pour éviter des soustractions en cours de route, chaque station-magasin plombe soigneusement tous ses wagons avec un plomb à elle. Plus d’une fois, au moment du départ, il faudra décharger à la hâte et recharger sur un autre wagon amené à cette intention, un wagon dont un coup de tampon trop rude, au cours de la formation du train, aura endommagé le contenu, défoncé un fût, par exemple, ou détruit l’équilibre d’un chargement de sacs ou de balles. D’autres fois, ce sont des wagons à peser, et il faut, pour cela, les faire passer, après une manœuvre plus ou moins compliquée, sur un des ponts-bascules de la gare, soit pleins, soit parfois même successivement vides et pleins, car la tare inscrite sur les wagons n’est exacte qu’à 200 ou 300 kilos près, suivant l’âge du wagon, le temps sec ou pluvieux, etc. Dans la plupart des cas, tous ces mouvemens nécessitent de fréquens passages sur les plaques tournantes, ce qui cause toujours une grande perte de temps, puisqu’ils doivent se faire pour chaque wagon pris isolément, et non par rames entières de wagons, comme les manœuvres par aiguillage.

Certes, les employés de la gare ne restent pas inactifs : ce sont eux qui effectuent, avec les machines de manœuvres, les mouvemens importans, ceux qui portent sur un grand, nombre de wagons. Mais ces employés, en partie mobilisés, surtout sur le réseau de l’État, sont aujourd’hui peu nombreux ; depuis la reprise des transports commerciaux, ils sont parfois surmenés ; souvent, les mouvemens demandés ne se font pas ou se font mal, de sorte qu’alors il faut bien que ce soient les soldats de la station-magasin, dirigés par leurs officiers ou sous-officiers, qui se préoccupent d’assurer le service. En tout cas, ils l’assurent presque exclusivement pour les mouvemens de wagons isolés. Et cela peut être dangereux avec des hommes dont la plupart, jusque là, ne s’étaient jamais approchés d’un wagon autrement que pour s’y faire eux-mêmes transporter. Aussi arrive-t-il de temps en temps des accidens, quelquefois mortels : des hommes sont écrasés par un coup de tampon ou renversés par des machines en manœuvre. Leur mort, comme celle des boulangers mourant à l’hôpital d’une broncho-pneumonie pour être passés, à peine vêtus, de leur tente surchauffée aux courans d’air de la paneterie, est moins glorieuse assurément que celle du soldat frappé en se lançant à l’assaut d’une position ennemie, mais ils n’en sont pas moins morts au service du pays, et n’ont pas droit à une moindre reconnaissance.

Une fois le train formé et parti, le rôle du personnel de la station-magasin n’est pas encore terminé : chaque train, et même en principe chaque wagon complet, quand il n’est pas attelé à un train militaire, doit être accompagné d’un ou de plusieurs convoyeurs. Un train complet doit en avoir au moins deux ; de cette façon, en cas de wagons différés, c’est-à-dire laissés en cours de route, régulièrement ou par suite d’accident, l’un d’eux pourra s’occuper de ces wagons, alors que l’autre poursuit sa route avec le reste du train. Souvent, les convoyeurs en question, après livraison de leur train à la gare régulatrice et vérification de son contenu, doivent faire retour à leur gare de départ avec un nouveau convoi : emballages vides, sacs, fûts, bidons ou caisses d’essence ; car, avec l’importance des envois sur le front, si ces emballages vides n’étaient pas réexpédiés, on courrait risque souvent de se voir obligé de cesser les expéditions, faute de pouvoir s’en procurer de nouveaux.

Les trains de ravitaillement envoyés par la station-magasin partent suivant des horaires établis à l’avance ; un certain nombre de « marches » sont réservées pour le service de la station-magasin, et ce nombre peut être augmenté en cas de nécessité. Quant au commerce et à l’industrie, malgré leur importance pour la vie économique du pays, en temps de guerre, ils ne viennent évidemment qu’en seconde ligne.

C’est seulement à l’arrivée à la gare régulatrice que prend fin le rôle de la station-magasin. A ce moment, en effet, l’officier gestionnaire de la gare régulatrice prend en charge les denrées reçues, dont il donne décharge au convoyeur. De là, elles seront dirigées sur l’armée à desservir, par chemin de fer toujours, jusqu’à la gare la plus proche du front, où elles seront livrées aux convois administratifs ou même aux corps directement, C’est alors la distribution finale, et avec elle cesse la mission de l’intendance militaire.


Ce que j’ai essayé d’esquisser dans ces quelques pages, c’est le tableau du fonctionnement normal d’une station-magasin. Mais ce cas d’un travail normal n’est pas toujours réalisé, et ce sont alors des efforts formidables qui deviennent nécessaires pour éviter ou atténuer les à-coups dans un service qui ne peut souffrir d’interruption. C’est déjà ce qui se produit sur une plus ou moins grande échelle chaque fois qu’une denrée importante, demandée d’urgence, manque ou se trouve en quantité insuffisante ; il faut savoir faire l’impossible pour se la procurer et l’envoyer dans le plus bref délai. Mais c’est surtout lors de la retraite du mois d’août que des circonstances, qu’on ne reverra heureusement plus, nécessitèrent parfois des efforts inouïs de la part du personnel des stations-magasins. Une retraite est toujours un moment terrible pour l’intendance ; il devient extrêmement difficile d’assurer à l’avant le ravitaillement régulier des troupes, qui ne peuvent même pas toujours savoir le point précis où s’arrêtera le mouvement de recul ; et, si la retraite prend de fortes proportions, les services de l’arrière peuvent se trouver eux-mêmes gravement éprouvés. C’est ainsi que, bien qu’on ait évité de placer les stations-magasins trop près de l’ennemi, lors de la marche foudroyante des Allemands en août, plusieurs se trouvèrent dans la zone occupée ou sur le point d’y tomber.

Or, avec leurs immenses approvisionnemens, l’évacuation des stations-magasins ne peut se faire en vingt-quatre ni même en quarante-huit heures, sans compter qu’il faut pour l’effectuer des dizaines de trains, qu’on ne peut, surtout dans de tels momens, réunir instantanément sur un même point. Sous aucun prétexte cependant on ne peut laisser l’ennemi s’emparer de semblables approvisionnemens. D’un autre côté, la destruction de ces milliers de tonnes de denrées coûteuses ne doit être décidée qu’à la dernière extrémité. Il ne reste donc qu’une solution admissible, c’est l’évacuation ordonnée au dernier moment, mais en temps utile cependant. Aussi, dans les derniers jours qui ont précédé immédiatement la bataille de la Marne, et pendant cette bataille même, certaines stations-magasins menacées ont-elles travaillé jour et nuit à leur évacuation. On a pu la regretter après la victoire, mais la prudence paraissait alors l’imposer : la meilleure preuve en est que, dans certaines d’entre elles, les derniers départs s’effectuèrent sous les obus ennemis qui commençaient à pleuvoir sur la gare. Dans l’une d’elles, la réserve d’essence chargée sur un bateau que des formalités administratives, — en temps de guerre ! — empêchèrent de partir à temps, fut atteinte par un obus et prit feu tout entière. Et cependant, pour permettre d’achever l’évacuation, le « service de garde » que la compagnie spéciale d’infanterie était chargée d’assurer consista, le dernier jour, à arrêter pendant seize heures, avec les fusils de ses 240 territoriaux, la poussée des forces allemandes qui arrivaient avec des mitrailleuses et des canons.

Pendant cette angoissante période, ç’a été dans les stations-magasins menacées un travail forcené, prolongé pendant quatre jours et quatre nuits sans interruption, et sans établissement de relais possibles, puisque tout le personnel était occupé à la fois ; ce personnel a donné là le maximum d’effort qu’on puisse demander à des hommes, surtout d’un certain âge et non entraînés. Dans la plupart des stations-magasins tout a été sauvé, depuis les denrées jusqu’aux fours démontables ; les machines mêmes, dynamos, torréfacteurs, tout ce qui était transportable ou démontable a été enlevé.

Quelques jours plus tard, tout se trouvait remonté et reformé à l’arrière, à l’Ouest ou au Midi, — en attendant la reprise de la marche en avant, bien lente au gré de tous. Et de nouveau le fonctionnement intense reprenait, mais cette fois avec une installation de fortune, fours montés à la hâte et provisoirement non abrités, hangars et magasins insuffisans ou dispersés aux quatre coins de la ville, comme parfois les hommes eux-mêmes ; sous peine d’affamer l’armée, il fallait arriver à produire et expédier sans délai son ravitaillement normal.


On voit que, loin d’être le simple magasin ou entrepôt que se figurent quelques-uns, les stations-magasins doivent, avec leurs diverses fabrications et les multiples manutentions nécessaires, fournir sans arrêt un travail énorme, et cela avec un nombre relativement restreint d’hommes et d’officiers.

Il n’est pas inutile de le redire, alors surtout qu’à la suite d’une campagne utile à ses débuts, mais qui tombe aujourd’hui dans une exagération regrettable, on tend trop souvent à voir des embusqués dans tous les hommes affectés aux services de l’arrière, même les plus indispensables. C’est là une vue bien superficielle, car si leur rôle, moins dangereux, est moins brillant que celui des services de l’avant, il est souvent aussi pénible et parfois davantage, à raison de la continuité de l’effort. Et ceux qui l’accomplissent ne sont pas soutenus par l’entraînement de la lutte ; ils ne connaissent ni la griserie du succès âprement disputé, ni la joie de ces récompenses honorifiques, croix, médailles, citations à l’ordre du jour, auxquelles les Français sont toujours si sensibles.

Pourtant, ils sont loin d’être sans mérite, car maintenant surtout que la plupart des hommes jeunes et valides ont été pris pour le front, ce sont de durs travaux qu’il faut demander à l’arrière à des hommes dont beaucoup sont malingres ou déjà âgés. Leur constante bonne volonté a suppléé au défaut de force. Par tous les temps ils ont travaillé des dix et onze heures par jour, ruisselans de sueur l’été sous un soleil brûlant, ou transis l’hiver par les averses glaciales. C’est grâce à leurs efforts couronnés de succès qu’ont pu être obtenus ces résultats que constatait récemment un brillant écrivain espagnol autorisé à visiter nos lignes ; il ne cachait pas son étonnement de ne rencontrer partout, — on n’en pourrait sans doute pas dire autant de l’autre côté des tranchées, — que des hommes bien portans, ayant « une mine de chanoines, » grâce « au zèle d’une intendance sans rivale. » C’est là un hommage qu’il est bon d’enregistrer ; il faut le joindre à ces témoignages venus du front, proclamant tous bien haut que, grâce à la perfection des services d’intendance, ceux qui se battent là-bas ne manquent jamais du nécessaire.

C’est aussi, pour tous ceux qui se livrent à cette tâche, un encouragement à continuer sans trêve leur dur labeur. Pour humble qu’il est, il n’est pas méprisable à coup sûr ; il est, en son genre, aussi indispensable que celui même des combattans, aussi longtemps qu’on n’aura pas trouvé le moyen d’avoir des soldats qui puissent vivre sans manger et se battre sans munitions. On peut dire sans exagération que l’excellence de nos services de l’arrière a été la condition matérielle des succès de notre héroïque armée ; il est donc juste qu’une petite part de la reconnaissance du pays aille à ces prétendus embusqués auxquels nous devons, non certes nos succès mêmes, mais du moins la possibilité de ces succès.


LOUIS LE FUR.