Pour la rentrée des classes
Pour la rentrée des classes[1].
Mes Enfants,
Mes Amis,
Il y a quarante-quatre ans, au mois d’octobre 1870, la rentrée des classes s’est faite à Nancy, comme aujourd’hui, en pleine guerre. Mais quelle différente ! L’ennemi occupait alors la ville ; et c’est la tête basse que nos maîtres reprenaient leur travail scolaire, et les élèves ressentaient vivement, comme on sent à leur âge, la grande détresse et l’humiliation de la Patrie. Aujourd’hui, chacun de nous, en traversant la place Stanislas, n’a qu’à lever les yeux pour voir, sur l’Hôtel de Ville, claquer toujours au vent le drapeau de la France ; et si l’on a entendu, et si l’on entend encore non loin d’ici le canon, c’est le canon français, qui a contenu d’abord, et finalement repoussé, durant trois semaines, dans ses attaques acharnées l’envahisseur, c’était surtout le canon de notre 20e Corps, qui a sauvé la capitale de la Lorraine. Aussi respire-t-elle librement en ce jour ; et c’est le front haut, et le cœur plein d’espoir, que nous rouvrons toutes grandes les portes de nos écoles, à la date réglementaire, comme en temps de paix.
Et puis, les nouvelles que nous recevons chaque matin, et qu’on ne manquera pas de vous lire, car vous avez droit aussi de les connaître, vous dont l’enfance et la Jeunesse tiennent tant de place dans notre grande famille française, ces nouvelles sont bien différentes de celles qui nous accablaient coup sur coup, hélas ! le lugubre hiver de 70-71 : défaites sur défaites, jusqu’au désastre final, dont la France devait cependant si vite se relever. Vous avez, vous, le réconfort de ces bulletins plus d’une fois victorieux déjà, et dans l’intervalle des victoires, glorieux toujours : vigoureuse riposte de nos armées à la plus injuste, la plus brutale et la plus sauvage des agressions. Car ce n’est pas dans cette région-frontière qu’on peut donner le change sur qui fut l’agresseur : si quelqu’un osait en douter, nous n’aurions qu’à lui faire voir, dans les petits cimetières de nos villages lorrains, comme fit cette institutrice d’Einville à un Allemand incrédule, des tombes d’ennemis tués sur le territoire français qu’ils avaient violé — à quelle date ? le 30 juillet, plus de quatre jours avant que l’empire d’Allemagne ne nous eût déclaré la guerre.
Et vous avez aussi ce réconfort qui nous manquait en 70, de sentir que la France n’est plus seule aujourd’hui : jamais, au contraire, à aucun moment de son histoire, elle n’a compté dans les deux mondes autant d’amitiés fidèles, dans la vieille Europe et jusqu’en Asie même, ou tout au moins de vives sympathies, là-bas à l’extrémité lointaine de l’Afrique, et dans les deux Amériques, surtout au Canada. Quelle différence avec ce douloureux voyage que fit à travers l’Europe, soutenu par son ardent patriotisme, l’intrépide vieillard, à qui notre ville devait dans la suite élever une statue comme au « Libérateur du territoire », Adolphe Thiers, s’en allant implorer l’un après l’autre ministres et souverains, sans recueillir de chacun d’eux autre chose que des paroles de dédaigneuse pitié, tant notre politique avait alors excité partout la méfiance et un secret désir de notre abaissement ! Aujourd’hui, depuis la Grande et la Plus-Grande-Bretagne, et le colosse Russe, jusqu’à de petits États-frères, comme l’héroïque Belgique, ont dès le premier jour spontanément mobilisé leurs forces ; et vous voyez sur les cartes postales de nos soldats jusqu’à six drapeaux fraternellement unis. Si bien que, mes amis, non seulement vous avez sous les yeux, dans notre chère France, le beau spectacle d’une réconciliation nationale, face à l’ennemi, ce qui est bien naturel entre enfants de la même patrie ; mais vous assistez à cet autre spectacle sublime d’une réconciliation de presque tout l’univers dans un même sentiment d’horreur pour une prétendue « culture » qui révolte les consciences. La fraternité des peuples, ce beau rêve des philosophes, se réalise aujourd’hui entre tous les peuples, sauf un seul, et précisément contre celui-là.
À côté de cette grande et magnifique leçon, combien d’autres, plus proches de vous, le spectacle journalier de la rue ne vous a-t-il pas offertes, dès les premiers jours de la mobilisation ! Et ce sont toujours, — tendres fleurs de France qui éclosent d’elles-mêmes au souffle meurtrier de la guerre, — de belles manifestations de fraternité.
Nous savions déjà que l’armée en est peut-être la meilleure école, en particulier notre armée française. Nous en avons eu, à chaque instant, sous les yeux, la touchante confirmation. Souvenez-vous de cette première quinzaine d’août, lorsque, par la grande chaleur, les régiments défilaient dans nos rues, marchant à la frontière. Comme on avait soif ! Et toute la population de Nancy, vos mamans et vos sœurs, de donner à boire à ces pauvres soldats. Alors vous avez entendu des artilleurs à cheval ou bien assis sur leurs caissons, qui acceptaient, certes, le verre qu’on leur tendait, en ajoutant bien vite : « Gardez-en pour les camarades de l’infanterie qui viennent derrière : ils vont à pied, ils ont plus que nous besoin de vos rafraîchissements. » Fraternité d’armes, que vous retrouverez plus tard entre blessés : parfois on en apportait de nouveaux tout meurtris dans un hôpital au milieu de la nuit ; et les anciens aussitôt, oubliant leurs souffrances, cédaient leurs lits aux camarades, pour s’étendre eux-mêmes sur le plancher : « Nous avons fini notre somme, disaient-ils, nous n’avons plus autant besoin de repos. » Ils ont même fait cela, une fois, pour un blessé ennemi.
Et cette fraternité ne se fait pas sentir seulement entre troupiers : elle attache aussi et unit, par un lien naturel chez nous, les chefs eux-mêmes aux simples soldats. Vous en avez vu, n’est-ce pas ? de ces capitaines, pendant ce mème défilé, veillant à ce qu on donne à boire (pas trop. comme il convient) à toute leur compagnie, sans rien prendre eux-mêmes, sinon les derniers, et pas toujours encore. Un officier supérieur à cinq galons attendit que tout son régiment fût passé, et seulement alors, comme lui aussi mourait de soif, il demanda en souriant à une Jeune fille toute confuse s’il restait quelque chose « pour le colonel ».
La fraternité qui sait ainsi descendre des chefs aux soldats, remonte au moins naturellement des soldats aux chefs. Cette guerre, vous le savez, fait, comme le disait l’un d’eux, une consommation terrible de capitaines, de commandants, de colonels. « C’est aussi leur faute, disent avec admiration les hommes : ils sont trop braves, nos officiers ! Ils veulent rester debout, au lieu de se terrer, comme nous ; ils s’élancent en avant, la poitrine offerte aux boulets… » Et tel sergent, qui pouvait espérer de monter en grade, tous ceux qui commandaient sa compagnie ayant été tués : « J’aimerais bien mieux, dit-il en secouant la tête, rester comme je suis, et conserver nos officiers ».
— « Vous aimez bien votre lieutenant ? » demandait une brave femme à un caporal et à deux soldats. — « Notre lieutenant ? Il peut compter sur nous : on ne le quittera jamais, même mort », fut la réponse. Et deux jours après, au feu d’un combat des plus meurtriers, ils le ramenèrent, en effet, blessé grièvement au pied (et qui avait même failli être achevé), tous trois rampant ct le traînant sur le dos avec des courroies, sous les balles. Un moment il fallut le laisser, pour aller, l’un après l’autre, chercher au poste de secours une voiture d’ambulance, qu’on ne trouvait pas. Comme aucun ne revenait, le lieutenant se crut abandonné, et s’efforça de se sauver tout seul, se traînant « à quatre pattes » la distance de quelques cents mètres. Mais ils revinrent, fort en peine de ne plus le retrouver à la même place. Lui les aperçut, et d’un léger coup de sifflet leur indiqua où il était. Le lieutenant avait eu tort, et il l’avouait ; 1l n’aurait pas dû bouger : n’était-ce pas douter de ses hommes ?
Retenez bien de tels exemples, mes amis, et cent autres du même genre ; et vous n’oublierez jamais que le régiment, ainsi que l’école, est une grande famille, où tous, avec ou sans galons, vivent vraiment comme frères, unis dans l’amour sacré de la Patrie.
Le patriotisme sera toujours, chez nous, synonyme de dévouement à la chose publique et de dévouement à l’humanité. La population civile rougirait de n’en point faire preuve, lorsque tant de héros bravent la mort sous les drapeaux. C’est bien le moins qu’on puisse faire, disent modestement à Lunéville, à Pont-à-Mousson, et dans nombre de bourgades lorraines, tels et tels qui, comme otages, ont couru le risque de leur vie : combien en ont même fait le sacrifice, parce qu'ils avaient voulu rester fidèles à leur poste, devenu pour eux un poste de danger, donc un poste d’honneur ! À ce moment où la France traverse la crise la plus grave de toute son histoire, rien n’est pénible pour un bon Français comme de demeurer inutile, sans rien faire pour son pays. Aussi la plupart ont cherché et trouvé de quoi s'occuper ; et jamais aucune tâche n’a été mieux remplie, que celle qu’ils se sont ainsi volontairement donnée : — tous, jusqu’à ces jeunes garçons de douze à quatorze ans, les boy-scouts, formés en un petit bataillon cycliste, et qu’on a vu dès le premier jour pédaler, infatigables, à travers nos rues, assurant la liaison entre les services : tels, dans une flotte de guerre, filent d’un navire à l’autre les petits bateaux-mouches.
Donc si, pendant ces dernières semaines, mes enfants, vous n’avez pas cessé de manger du pain blanc comme en temps ordinaire, si vous avez toujours eu chaque matin un bon morceau de sucre à faire fondre dans votre café au lait, et si le lait ne vous a jamais fait défaut non plus que le café, vous le devez à la prévoyance active de quelques bons citoyens à qui vos parents ont confié l’administration de la cité, et qui ont su résoudre cette question angoissante des vivres et des subsistances en temps de guerre. Si les familles nécessiteuses, et celles que le père ou le fils aîné ne soutenaient plus de leur travail parce qu’ils étaient partis à l’appel de la Patrie en danger, ont reçu chaque jour une bonne soupe avec une large portion de viande et de légumes, bref un repas complet, si l’on n’a pas eu faim autour de vous, on le doit à la vigilance non moins active d’autres bons citoyens, parmi lesquels se sont offerts les premiers vos maîtres, les directeurs de nos Écoles, et tout heureux de travailler avec eux en une large confraternité universitaire, les professeurs de nos Lycées et aussi de nos Facultés.
Mais des misères nouvelles, inattendues, lamentables, allaient bientôt accourir de toutes parts. On n’aura plus besoin, mes enfants, d’illustrer vos livres d’histoire d’images qui représentent les horreurs de la guerre : de pauvres gens des campagnes, qui s’enfuient éperdus devant les hordes d’Attila au temps de sainte Geneviève. La réalité d’aujourd’hui fait pâlir tous les récits d’autrefois. Vous avez vu ces malheureuses familles, réfugiées dans notre ville, après avoir abandonné précipitamment leurs villages livrés aux flammes, sans pouvoir rien emporter que les quelques vêtements que chacun avait sur soi ; elles ont tout perdu, la grange avec la récolte, et l’écurie et l’étable avec attelage et bétail, et la basse-cour, et tout le matériel de ferme, et la maison, avec ses meubles et ses souvenirs, vieux lits des aïeux, berceaux des enfants. Pour secourir tant d’infortunes, ce n’était pas trop du concours de tout le monde à Nancy ; et tout le monde, en effet, s’est mis à l’œuvre, dans une parfaite union, dans un généreux élan de charité. Ainsi des enfants comme vous, plus petits encore, ont été vêtus, abrités, nourris ; et sur eux et leurs mères se sont penchées avec sollicitude la pitié et la bienfaisance des dames et des messieurs de la ville hospitalière.
C’est que nous avons tous, en regardant chaque jour les troupeaux misérables de ces femmes qui attendent dans nos rues aux portes indiquées une distribution de vêtements, de lait ou d’argent, l’affreuse vision de ces villages de Lorraine, devenus autant de brasiers éteints, avec des pans de murs calcinés et noircis, des poutres carbonisées, et des amas de cendres, et la solitude pire que tout le reste. Puis, vision non moins affreuse, sur l’horizon plat de la Champagne envahie, dominant toutes ces ruines, s’est dressé tout à coup comme un colossal bûcher, où sans doute l’ennemi se flattait de brûler un peu de l’âme de la vieille France : la cathédrale de Reims. Sanctuaire où la jeunesse française venait, comme en pèlerinage, s’initier au culte de notre passé national ! Cet été encore, vos camarades de l’École primaire supérieure, revenant des examens de Châlons-sur-Marne, ont fait avec leur maître un détour par Reims, pour s’incliner, en bons écoliers Lorrains, sous ces voûtes qui avaient vu Jeanne d’Arc et sa bannière victorieuse. Qu’elle garde à jamais, l’antique cathédrale, les stigmates de cet incendie criminel ! Elle n’en sera que plus vénérable à nos cœurs. Et cet abominable attentat, commis sous le couvert de la guerre, resserrera davantage encore, dans une indignation commune, l’union sacrée de tous les Français, l’union de tout le monde civilisé.
Mais où cette union vivante de tous les Français et de toutes les Françaises apparaît le mieux, c’est dans nos hôpitaux de blessés. Vos maîtresses vous rediront, mes enfants, car elles y étaient toutes, en blouse de toile blanche et la croix rouge au bras (ce fut l’emploi de leurs vacances), elles vous rediront ce qu’elles ont vu et entendu là : ce ne seront pas les moins belles de leurs leçons.
Elles vous raconteront que nos médecins ont rivalisé de zèle et de dévouement, redevenus tous chirurgiens, et bons chirurgiens, même lorsqu’ils avaient atteint l’âge du repos, pour courir chaque matin, d’un hôpital à l’autre (car chacun en avait au moins deux pour sa part), souvent à d’assez grandes distances, et recommencer le soir pour les opérations encore, certains jours même à pied, lorsqu’on ne pouvait se servir d’autos. L’un d’eux, des plus anciens, presque le doyen d’âge, apprend que son fils, un civil resté officier de réserve et qui avait voulu servir dans l’active, vient d’être tué à l’ennemi : il n’interrompt pas pour cela sa besogne salutaire, il fait quand même la tournée de ses salles, ferme, résigné, regrettant surtout de n’avoir pas eu jadis à se battre lui-même, lorsqu’il avait encore l’âge, comme il s’était battu déjà en 1870.
Elles vous diront aussi, vos maîtresses, l’héroïsme de leurs blessés. L’un d’eux, n’ayant pu retenir, au cours d’une opération douloureuse, un gémissement, un seul, et qu’il étouffait, ne veut pas qu’on lui parle ensuite de son courage : « Non, dit-il, je n’aurais pas dû me plaindre. » Et il ne s’était plaint qu’une fois, et si peu ! Elles vous diront la reconnaissance de ces chers soldats. Dès qu’ils sont évacués, ils écrivent bien vite à leurs bienfaitrices, et leur témoignent en termes si touchants quel souvenir ils gardent d’elles. Ils n’attendent même pas jusque-là : un malheureux, qui avait la mâchoire fracassée et la langue hors d’usage, aussitôt le pansement terminé et à peine étendu sur son lit de douleur, sans prendre de repos, fait signe à sa jeune infirmière qu’il veut écrire ; voici ses paroles, tracées d’une main qui s’efforce de ne pas trembler : « Je suis bien content, je vous remercie de tout mon cœur. »
Mais ce que vos maîtresses, mes enfants, ne vous diront pas, et ce que Je veux vous dire, c’est ce qu’elles ont fait elles-mêmes : combien elles ont été bonnes, et douces, et gaies, souriantes toujours auprès de leurs blessés. Ce sourire certains jours était mouillé de larmes : elles avaient le cœur gros, pour une inquiétante nouvelle reçue d’un des leurs, une nouvelle fatale parfois ; mais elles savaient refouler leurs larmes, et ne laisser voir que leur sourire. Aussi donnaient-elles à nos défenseurs, dont beaucoup s’étaient arrachés sans faiblesse à leur foyer, laissant derrière eux une femme, des enfants, l’illusion vraie de la famille. Pour ces hommes faits, pour ces jeunes hommes, redevenus tous, comme lorsqu’on souffre, des enfants, elles devenaient elles-mêmes des mamans, quelques-unes des grand’mamans, car l’âge n’a pas arrêté le zèle, ou bien de grandes sœurs, et parfois de petites, les plus jeunes, agiles, empressées, et qui apportaient, avec ces bouquets dont elles aimaient à réjouir les yeux des pauvres souffrants, comme le gracieux épanouissement de nos vertus françaises.
Et maintenant qu’elles sont rentrées dans leurs écoles, si parfois elles ont une distraction, c’est qu’elles seront là-bas en esprit auprès des chers blessés ; si elles ont avec vous quelque impatience, prenez garde, c’est que leurs blessés étaient plus dociles, et leur donnaient moins de peine que maintenant leurs élèves. Ou plutôt non : dès le premier jour, j’ai visité vos classes, et j’ai constaté avec quel sérieux s’est faite votre rentrée, avec quel sentiment profond de la gravité de l’heure présente vous vous remettiez au travail scolaire, comme à l’accomplissement d’un devoir patriotique, le seul, en effet, dont on soit capable quand on n’a, comme vous, que l’âge des écoliers. Et avec quel empressement on prélevait sur les heures de travail, on y ajoutait même, dans nos écoles, le temps de confectionner des vêtements chauds pour nos soldats pendant ce rude hiver ; avec quelle agilité les petits doigts effilaient de la charpie, jusque chez les plus jeunes, petites filles et petits garçons !
Chers enfants, et vous tous, jeunes gens, mes amis, je savais déjà que c’est pour vous que nous vivons ; vous êtes, en effet, notre principale raison de vivre. Mais je n’ai jamais si bien compris que c’est pour vous aussi qu’en ce moment on meurt : pour la France d’aujourd’hui, certes, mais encore bien plus pour la France de demain et des siècles à venir, pour qu’elle soit maintenue dans sa liberté, rétablie dans son intégrité, pour qu’elle vive heureuse et glorieuse enfin, telle que l’ont souhaitée et ne l’ont pas connue les générations dont nous sommes, et telle que vous devez la connaître un jour. Jamais je n’ai mieux senti qu’en vous voyant rentrer en classe la belle continuité de notre race, ni combien par les vertus qu’elle tire de son fonds comme d’une source abondante, inépuisable, elle mérite vraiment d’être immortelle, — éternelle même, suivant la grande parole de Victor Hugo : « Gloire à notre France éternelle ! »
C’est aussi la parole qui est venue naturellement aux lèvres du chef de l’État, dès le début de la guerre, dans son émouvant appel à la Nation française : « À cette heure, il n’y a plus de partis. Il y a la France — éternelle. » Qu’est-ce à dire ? Que notre nation représente réellement, et c’est sa mission en ce monde, un idéal supérieur à tous les temps, et qui ne saurait périr. Elle a su l’exprimer dans sa triple devise, qu’aujourd’hui elle ne borne pas seulement à l’homme et au citoyen, mais que, en plein accord avec ses nobles alliés, elle étend à tous les peuples eux-mêmes : Liberté, Égalité, Fraternité.
Oui, Liberté de tous les peuples opprimés, de tous ceux qu’a trop longtemps courbés un joug imposé par la force, et qui aspirent enfin après la délivrance.
Égalité de ces mêmes peuples, tous ayant un droit égal à vivre dans la paix et dans l’honneur, même les plus petits, qui par l’héroïsme, voyez la Belgique, peuvent s’égaler aux plus grands, disons mieux : les surpasser.
Fraternité des peuples enfin, à condition toutefois de réduire et d’évincer, jusqu’à ce qu’il vienne à résipiscence, celui qui n’a pas l’âme fraternelle, et qui dans la grande famille humaine, pour emprunter aussi une comparaison à la Bible, voudrait renouveler le fratricide de Caïn.
Ce triple idéal n’est-il pas la Justice, et partant, la Vérité même ? Or la violence ne prévaudra pas contre elle, parce que, comme l’a dit Pascal en son religieux langage, qui exprime si bien aussi l’idéalisme de la France : « La violence n’a qu’un cours borné par l’ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu’elle attaque ; au lieu que la vérité subsiste éternellement et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu’elle est éternelle et puissante comme Dieu même. »
- ↑ Discours de M. Charles Adam, membre de l’Institut, recteur de l’Académie de Nancy.