Pour la terre/00

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L’Évangéline (p. 5-10).

LETTRE DU PÈRE GILDAS, O. C. R.
à
M. l’ABBÉ ARTHUR MELANSON,

Curé de Balmoral, N. B.

Monsieur l’Abbé,


En me soumettant ces nouvelles pages tombées de votre plume féconde d’apôtre de la colonisation et de l’agriculture, vous m’avez demandé de les présenter au public. C’est un honneur auquel je n’ai assurément d’autre titre que celui d’appartenir à un Ordre religieux dont les travaux agricoles sont une des principales obligations, car, dans la République des Lettres, je ne saurais me prévaloir d’aucune compétence pour apprécier votre œuvre. Cependant, après l’avoir lue avec autant de plaisir que d’intérêt. Je m’estime heureux d’en connaître l’auteur pour le remercier et le féliciter.

Les éloges si honorables que vous a valus et le succès qu’a obtenu du public votre précédent ouvrage : « Retour à la terre », sont la meilleure présentation de ce nouvel opuscule qui aura sa place marquée parmi les livres de propagande que les amis de la cause agricole auront à cœur de répandre autour d’eux, afin d’enrayer de plus en plus le fléau de l’émigration devenu plus que jamais un danger national.

L’émigration, voilà le mal extérieur contre lequel vous vous efforcez de mettre en garde nos jeunes gens en proie à l’esprit d’aventure et tous ceux que décourage l’improductivité de leur terre, qui n’a d’autre cause que l’emploi de méthodes routinières ne répondant plus aux besoins du sol.

Mais il y a un autre mal, que j’appellerai intérieur, non moins préjudiciable à la santé religieuse et nationale de notre peuple, et vous n’avez pas craint de diriger contre lui le feu de vos batteries. Ce mal intérieur, destructeur du foyer, c’est le chantier, dont le grand « foreman » est le pourvoyeur intéressé, le vampire qui, pendant l’été, parcourt, très affairé, nos villages, à la recherche de proies faciles à dévorer pour son hiver. Vous avez mille fois raison de le combattre, Monsieur l’Abbé, car le chantier, loin d’être rémunérateur, est encore moins moralisateur. Dans ces groupements humains de la forêt, nos tout petits jeunes gens surtout ne rencontrent pas que des héros de vertu.

Par contre, on aime à vous suivre dans votre promenade instructive à Saint-Damien de Buckland, où vous nous faites admirer l’œuvre merveilleuse de M. le Chanoine Brousseau et de ses Petits Frères de Notre-Dame des Champs, et avec vous, on salue avec respect ces hommes qui, incarnant le vrai patriotisme, ont entendu le cri de la terre, qui est la voix de Dieu. On sent combien vous seriez heureux de voir se renouveler les mêmes merveilles sur vos belles terres du Restigouche.

Je m’arrête, car qui ne sut se borner… Ces pages volantes que vous avez écrites au courant de l’inspiration et de la plume, et auxquelles ne manque pas le sel gaulois, seront comprises et méditées ; la forme et le style populaire dont vous avez revêtu les plus graves pensées les feront plus facilement pénétrer dans le milieu auquel elles s’adressent. Encore une fois, Monsieur l’Abbé, vous avez fait non-seulement oeuvre de prêtre soucieux du bien spirituel et temporel du peuple, mais oeuvre de patriote ; pour qui la colonisation et l’agriculture sont les principaux facteurs de nos destinées nationales. Ce double apostolat, du reste, convient admirablement au curé d’une paroisse placée sous le patronage de saint Benoît, patriarche et législateur des Moines d’Occident qui ont défriché le sol de la vieille Europe. C’est pourquoi le plus humble de ses fils, en vous félicitant d’avoir fait un bon et beau livre, vous remercie de n’avoir point douté de l’affectueux intérêt qu’il vous porte ainsi qu’à toutes vos oeuvres.

F.-M. Gildas, Ptre, O. C. R.
Rogersville, N. B.
Le 21 mars, 1918.
En la fête de saint Benoit, Abbé