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Pour la terre/02

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L’Évangéline (p. 13-16).


Les épis chuchotent.



Paul s’en allait à grands pas, sous le beau soleil de mai, et de sa main calleuse le blé tombait, tombait toujours sur le sillon que le soc avait remué.

— Arrête prodigue. C’est ton meilleur froment. Conserve-le dans tes greniers ou convertis-le en pain pour ta famille, pour tes enfants…

— Non, laisse-moi faire. Rien n’est perdu. Ce grain mourra sans doute, mais de la mort Dieu saura le faire revivre. Il n’est que prêté à la terre. La main divine qui le fera germer saura me le rendre au centuple…

Que craindrai-je encore ? puisque je sème et je prie, je sème et j’espère, je sème et j’attends ?

— Quelle dure corvée tu fais là tout de même ? Labeur ingrat, crois-moi.

— Rien sans peine. Mon travail servira à quelqu’un. Je pense à tous ces petits qui, demain, me demanderont du pain, et je me dis en moi-même : pauvres, indigents et même rois de la terre, c’est pour vous que je sème, voici le pain que je vous donne… et qui sait, ô mon Dieu, si ce froment ne deviendra pas la victime de nos autels, le pain des anges, l’aliment des âmes !

Et Paul continuait… Sa main plongeait plus avant dans le grand sac ouvert devant lui et c’est en belle pluie dorée que le blé tombait maintenant sur le sol.

La terre du guéret recevait tous ces grains avec respect et, l’enveloppant avec vigilance, semblait sourire et dire : Ne crains rien, mon Paul, j’en aurai bien soin. Que Dieu me prête seulement sa rosée et son soleil, je te les rendrai bien à l’automne.

Paul s’arrête ; les sueurs perlent à son front ; son regard embrasse le vaste champ ensemencé. Il est content. J’ai fait ma part, murmure-t-il, que le bon Dieu fasse la sienne.

Puis, à pas lents, il reprend le chemin de sa demeure, rêvant aux vertes plaines, aux herbes épaisses, aux épis fermes, aux gerbes d’or…

À l’automne, je visitai le champ de Paul, un soir, à l’heure où « La voix des épis d’or nous parle d’avenir »…

Que de belles choses se chuchotaient là, dans l’ombre, ces épis de mon cher Paul !

 « J’écoute : Je voudrais bien être,
Murmurait un groupe de voix,

Un gâteau, digne de paraître.
Un jour, sur la table des rois.

D’autres disaient : j’ambitionne,
Uniquement d’être le pain
Qu’un chrétien charitable donne
Au pauvre qui lui tend la main.

J’écoute encor : Je voudrais être
Dit un troisième groupe en chœur,
Hostie entre les mains du prêtre
Et divin aliment du cœur.[1]

  1. F. Gildas, O. C. R. « La Causerie des Épis. »