Pour lire en automobile/Comme quoi la planète Mars est habitée/03

La bibliothèque libre.

III

Comment on est arrivé à faire de la photographie entre Mars et la Terre. — Le portrait d’une jolie martienne. — Curieux détails.

Grâce à la longue et persévérante campagne de la mission russe, les communications existaient déjà régulièrement depuis près de deux ans entre les deux planètes et l’on ne communiquait plus avec Mars que par l’intermédiaire très simplifié de la langue hébraïque, sans les signes diacritiques, comme je l’ai déjà fait remarquer, lorsque les hasards d’une mission me firent rencontrer les savants russes sur le champ même de leurs travaux.

Ils savaient comment je m’étais déjà occupé de la photographie à grande distance et comment j’avais eu l’occasion d’en informer Edison. Enfin ils n’ignoraient pas ma conviction profonde que l’électricité, sous sa triple forme de lumière, de chaleur et de fluide, invisible et impondérable, était bien le seul et unique agent de toutes les forces de l’univers.

Aussi tout à coup, à brûle-pourpoint, trop aimablement, ils me dirent :

— Si vous tentiez de faire de la photographie à grande distance avec Mars ?

— Oui, mais il faudrait un point fixe, nettement déterminé et comment prévenir les habitants de Mars ?

— Rien de plus simple ; ça sera long, mais laissez-nous faire, nous nous chargerons de tout et nous vous préviendrons quand vous n’aurez plus qu’à opérer, c’est-à-dire à tenter l’aventure.

Qui fut dit fut fait et ces infatigables savants commencèrent la conversation avec les Martiens sur ce sujet. Enfin au bout de quelques mois, ils me dirent que tout était prêt et qu’ils étaient convenus des dispositions suivantes avec leurs collègues de l’autre planète.

Aussitôt que ceux-ci auraient une belle nuit, ils inscriraient leur mot colossal

KHÊU — כֵּן

oui, c’est ainsi ! une jeune fille Martienne se tiendrait juste au centre de la lettre immense de feu, à la place du signe diacritique marqué par un point au ventre de la lettre. De la sorte ça devait fixer et restreindre mon point d’observation. Si l’électricité nous arrivait vraiment sous forme de lumière obscure à travers l’espace et seulement visible au contact de notre atmosphère, il n’y avait pas de raison pour que mon expérience ne réussit point. Du moins ils cherchaient ainsi à me donner une confiance que, très certainement ils n’avaient pas eux-mêmes, mais ça ne m’empêchait pas d’avoir de fameuses inquiétudes et de me trouver dans un état de perplexité fort difficile à décrire.

Cependant, de mon côté, pendant qu’ils causaient et négociaient mon opération avec les Martiens, je n’avais pas perdu mon temps et, grâce à quelques amis personnels de l’Ukraine, puissamment riches, qui mirent à ma disposition un crédit illimité, je pus faire construire sur place en plusieurs morceaux géants, parfaitement fondus et soudés ensemble au chalumeau, une ampoule de Croockes géante, selon la formule de Rœntgen et dans laquelle aurait pu danser l’Arc de Triomphe.

Pour qu’elle ne se brisât pas sous la poussée de la pesanteur de l’atmosphère — moins lourde cependant à ces hautes altitudes — je la fis entourer d’une puissante armature en fer sur les côtés et enfin avec une série de machines, qui représentaient plus de sept mille cinq cents chevaux-vapeur de force, je parvins à y faire le vide complet — ou à peu près — après de bien longs efforts.

Dès lors j’étais prêt et je n’avais plus qu’à opérer suivant la méthode Rœntgen, bien connue maintenant, pour arriver à recueillir, si possible, les rayons X, c’est-à-dire le fluide invisible qui devait me transmettre les images de Mars.

La nuit même, par un temps clair, Mars au bout des télescopes, nous montra le colossal :

KHÊU — כֵּן

sans le point central, je pris plus de dix épreuves successives de différentes longueurs de pose, après des mesures astronomiques préalables, absolument rigoureuses et qui me permettaient, avec un mouvement d’une précision extrêmement exacte, comme un chronomètre, mais produit par une puissante machine à vapeur, de tenir compte des divers mouvements des deux planètes pendant l’opération et d’en tenir compte dans leurs rapports directs, de façon à ce que mon appareil se trouvât toujours très exactement dans l’axe central du rayon visuel, dans la parallaxe entre le centre de mon appareil et le centre de la lettre lumineuse tracée dans les steppes immenses de la Lybie, la province des grands canaux de Mars, comme on ne l’a pas oublié.

Ces calculs m’avaient demandé de longs mois et la collaboration assidue de trois astronomes que j’avais dû faire venir de France. Je croyais donc avoir pris humainement toutes mes précautions et avoir pensé à tout, mais mon inquiétude n’en était pas moins grande.

Je passe sous silence les jours de labeurs et d’angoisse qui suivirent.

Ô miracle, ô joie sans seconde, j’avais bien une image, mais c’était un point et il s’agissait de le grossir quelques millions de fois.

Alors deux problèmes se posaient, cruels et obsédants :

Allais-je pouvoir obtenir ce grossissement insensé et, en l’obtenant, n’allais-je pas détériorer, abimer ou détruire tous les détails de la photographie ?

Je connaissais bien les cartes du ciel, si nettes il est vrai, mais jamais semblable opération n’avait été tentée.

Je passerai encore sous silence les opérations successives, délicates et longues, auxquelles mes collaborateurs et moi avons dû nous livrer pendant plus d’un an. Tout ce que je puis dire, c’est que le succès fut complet et qu’après toutes les opérations de grossissement achevé, juste au point central, où devait apparaître le signe diacritique au ventre de la première lettre hébraïque du mot khêu — כֵּןoui, c’est ainsi ! apparut une délicieuse tête de jeune Martienne, belle comme la Vénus de Milo et Vénus-Aphrodite tout à la fois.

Cette photographie stellaire, ce portrait planétaire, supranaturel, je suis heureux de le faire voir à tous ceux qui m’en témoignent le désir.

Maintenant, s’il se trouve un jour quelqu’un qui veuille demander la main de cette jeune beauté, je ne m’en charge pas et je le renverrai simplement à la mission des astronomes russes auxquels je dois d’avoir pu réaliser cette merveille ![1]



  1. Depuis que j’ai écrit cette succincte et fidèle relation, les découvertes des savants et les progrès de la science sont venus me donner pleinement raison et populariser en quelque sorte mes premiers travaux.

    Pour n’en citer que les principaux exemples, c’est ainsi que dès le mois de juin 1900, M. Mercier entreprenait une campagne opiniâtre pour arriver à établir des rapports réguliers entre Mars et la Terre.

    C’est ainsi qu’à la fin de la même année, les journaux scientifiques publiaient la note suivante :

    « On parle d’un nouvel instrument, le téléphote. qui permettra de voir au loin, très loin. Un journal placé sur une colonne pupitre, d’une hauteur calculée et érigée à Paris pourra être lu de Tours par un individu muni du nouvel appareil. Une photographie pourra être prise de cette distance. Il y a, on le sait, de Tours à Paris, soixante lieues. »

    C’est ainsi qu’à la séance plénière de l’Institut, le 25 octobre 1900, Mme  Cognet était solennellement remerciée pour le prix de 100 000 francs qu’elle mettait à la disposition de l’inventeur des communications interplanétaires et c’est ainsi enfin que le 27 décembre de la même année. Ch. Malato constatait le grand mouvement scientifique qui se dessinait enfin, à la suite de mes articles, en faveur des recherches à faire pour arriver à communiquer avec Mars.

    Que tous ces amis connus ou inconnus reçoivent ici mes sincères remercîments, trop heureux et trop fier d’avoir eu la bonne fortune de pouvoir provoquer ce grand mouvement scientifique.

    Ceci dit, voici la note de mon excellent confrère :

    « Il y a longtemps que les esprits réellement scientifiques ont répudié la vieille fable de la vie limitée à notre seul et infime globe terrestre. Il n’y a plus que les pauvres gens, irrémédiablement abrutis par la croyance au mystère de la sainte Trinité, qui en soient encore à considérer les mondes sidéraux comme de mauvais lampions allumés à notre intention par le père Sabaoth.

    « Depuis que l’analyse spectrale nous a montré l’analogie de constitution de ces mondes à la fois entre eux et avec le nôtre, on n’envisage plus leur habitabilité comme un rêve. Ce serait faire injure aux lecteurs de l’Aurore que de s’attacher à leur démontrer longuement que la vie organique, issue des combinaisons de la matière, peut se manifester partout où il y a matière.

    « On n’ignore pas que Mars et les autres planètes de notre système flottèrent jadis, confondues avec les éléments qui formèrent notre Terre, à l’état de poussière incandescente à travers l’infini des espaces. Jusqu’à ce jour tout a confirmé l’hypothèse de Laplace. Puis ces amas tourbillonnants de poussière, se séparant, se condensant, formèrent les mondes qui peu à peu, solidifiés et refroidis, ont continué sous la double action des forces centrifuge et centripète, à graviter autour du foyer solaire.

    « Mars, plus petit que notre globe, s’est conséquemment refroidi plus vite ; la vie a dû y apparaître plus tôt ; son humanité peut donc être en avance sur la nôtre.

    « Faut-il rappeler les fameux canaux rectilignes qui semblent l’œuvre de volontés conscientes ayant cherché à mettre en communication les mers de la planète ?

    « Depuis plus d’un quart de siècle, des apparitions de lumières intermittentes à la surface de Mars avaient donné à penser qu’on se trouvait en présence d’appels faits au monde terrestre par des êtres probablement beaucoup plus forts que nous. Or, le 8 décembre 1900, date qui, si le fait est confirmé, demeurera immortelle dans les annales scientifiques, l’astronome Douglas, qui n’est pas le premier venu, a enregistré à l’observatoire de Flagstoff (États-Unis), un signal auquel il n’y aurait pas à se méprendre : une série de lignes droites de feu, longues de plusieurs centaines de kilomètres. Ces lumières, après s’être allumées subitement, ont brillé pendant une heure dix, puis se sont éteintes aussi vite qu’elles s’étaient allumées.

    « Or, la nature ne procède jamais ainsi : il n’est donc pas absurde de supposer qu’on se trouve en présence d’un appel fait par des « frères de l’espace ».

    « L’observation de M.  Douglas a été annoncée au bureau central de Kiel par M.  Perkering, directeur de l’observatoire d’Harward-Collège, un savant de premier ordre ; les publications astronomiques Nature, de Londres, et Astronomische Nachrichten l’ont enregistrée.

    « Il semblerait qu’en présence de ce fait, le plus considérable qui se soit produit dans l’histoire de l’humanité et qui devrait être la gloire de notre siècle finissant, la presse entière eut dû n’avoir qu’un cri d’enthousiasme. On eut compris le plus extrême emballement ou alors la réfutation scientifique.

    « Eh bien, rien ! À quelques exceptions près, il n’y a eu que des articles de plaisantins ignares : les brigandages militaires, les clowneries militaresques et les cabotinages de grues en renom, voilà qui est bien plus propre à exciter l’enthousiasme de nos contemporains.

    « Braves Martiens, vous êtes en avance ! Repassez dans quelques siècles : peut-être l’humanité sera-t-elle capable de vous comprendre. Un argument que je n’ai vu signalé nulle part encore en faveur de l’authenticité du signal lumineux serait celui-ci : ledit signal aurait duré une heure dix minutes. Or, en tenant compte du temps mis par la lumière pour parvenir à la terre, ce temps représenterait une division exacte de la journée martienne, une heure de là ou de là-bas, comme ou voudra. »

    Depuis, on a constaté qu’il s’agissait simplement du crépuscule de Mars, lorsque le soleil se couchait à son horizon et dorait ou incendiait le sommet de ses hautes montagnes, mais ces recherches n’en sont pas moins intéressantes et dignes d’être encouragées.

    Cependant, je serais encore impardonnable si je ne rapportais pas ici, malgré la longueur de cette note. les lignes suivantes de Tapernoux du 15 juin 1900 et qui prouvent que chaque jour une découverte nouvelle vient confirmer avec éclat mes propres travaux :

    « M.  et Mme Curie, en étudiant, au laboratoire de l’École municipale de physique et de chimie industrielles, la pechblende, l’un des minerais d’où l’on retire l’uranium, constatèrent que certains échantillons étaient plus actifs que l’uranium lui même. D’où ils conclurent fort logiquement qu’un troisième corps radio-actif donnait ses propriétés au minéral étudié. Ils isolèrent cette substance, par une série d’opérations, et obtinrent un nouveau métal, le polonium, proche voisin du bismuth par ses caractères analytiques, mais qui émettait des rayons Becquerel 400 fois plus actifs que ceux de l’uranium.

    « C’était un résultat superbe. Mais nos chimistes ne s’en tinrent pas là. De longues et patientes recherches leur firent découvrir un quatrième métal, 900 fois plus actif que l’uranium et auquel ils donnèrent le nom assurément mérité de radium.

    « Le radium ressemble beaucoup au baryum comme aspect chimique. Il émet des rayons Becquerel qui permettent d’obtenir de bonnes épreuves photographiques au bout d’une demi-minute de pose. De la sorte, il est pratiquement possible d’obtenir des radiographies, ces belles images de squelettes, sans tubes de Crookes.

    « Les rayons émis par le radium sont assez puissants pour rendre fluorescent le platino-cyanure de baryum, propriété que possèdent à plus forte dose les rayons X.

    « Pendant des siècles, les hommes se sont imaginé que seule la lumière perceptible à leurs yeux existait. Crookes et Rœntgen leur ont prouvé que dans le vide, l’étincelle électrique donnait naissance à des rayons lumineux à la vue, pouvant traverser certains corps, réputés opaques. permettant de projeter la silhouette du squelette humain malgré les chairs qui le recouvrent.

    « M.  et Mme  Curie offrent au monde savant un corps qui possède ces propriétés en propre et toujours. Les rayons X ont révolutionné l’optique. Qu’amèneront les rayons Becquerel du radium ? »

    Il n’y a plus qu’à attendre avec confiance.