Pour lire en automobile/Comment on meurt aux Colonies/11

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XI

Étranges trépas. — Révélations surprenantes des explorateurs. — Un mois sous terre. — Étranges pratiques des Youdhis

Et comme nous étions dans les environs de Tarascon, il fut décidé, pour ne pas perdre de temps, que la parole serait donnée de suite à Castebide pour en raconter une bien bonne.

— Il n’y a pas à dire mon bel ami, il faut que l’air ambiant t’inspire, mon bon.

— On tâchera, répondit simplement Castebide, qui commença en ces termes :

— C’est au temps où je m’étais établi aux Indes, après mon congé, comme marsouin, au 3e Mathurin, en qualité de professeur de Belge, de Suisse et de Javanais que je savais parfaitement, sans compter le français de notre belle langue du midi, en tout cinq langues auxquelles je ne devais pas tarder à joindre le Luxembourgeois ; de la sorte, j’eus rapidement une brillante clientèle d’élèves et toutes les jeunes miss et tous les fils de Rajahs venaient prendre des leçons chez moi, où j’allais chez eux.

Or, un jour, un prince indien m’invita ainsi à assister dans ses États à une cérémonie bien curieuse. Il s’agissait de voir enterrer vivants deux prêtres, deux youdhis qui, au bout d’un mois, seraient retirés… encore en vie.

Le jour dit, leurs compagnons les endormirent, avec les passes magnétiques ordinaires, puis on les descendit dans deux cercueils, au fond de deux tombeaux, on remit la pierre dessus, on la scella, on la recouvrit d’un pied de terre : on y ensemença du blé que l’on arrosait tous les jours religieusement, c’est bien le cas de le dire, et, au bout d’un mois, jour pour jour on fauchait le blé, jaune et doré à point, on enlevait la terre, on levait la pierre du tombeau, on retirait les deux youdhis de leur cercueil et après les avoir mis sur une table, tout nus et frictionné énergiquement sur tout le corps avec des huiles parfumées et des aromates, le grand chef religieux commençait la traction rhythmique de la langue des deux endormis, l’un après l’autre, avec accompagnement d’une étrange mélopée et, au bout de vingt-deux à vingt-trois minutes, les bons ÿoudhis rouvraient les yeux lentement et revenaient petit à petit à la vie. Un grand miracle religieux venait de s’accomplir dans les Indes et toutes les populations, délirantes de fanatisme et ivres de joie, s’en allaient répandre la bonne nouvelle par les rues de la ville, par les routes, par les villages voisins, et jusque dans l’intérieur des montagnes de l’Himalaya, avec la rapidité de la foudre.

Six mois plus tard, je me trouvais invité par un autre prince Indien à une cérémonie du même genre et cette fois je m’empressai de m’y rendre, accompagné d’un camarade à moi, de France, qui avait été longtemps masseur-magnétiseur à Paris et qui partait s’établir photographe au Japon ; il cultivait la plaque sensible, après avoir eu l’âme trop sensible et il fuyait les rivages de l’Adour à la suite d’une grande peine de cœur.

Mon pauvre ami n’eût pas plus tôt vu de quoi il retournait, lui qui était familiarisé depuis longtemps avec tous les secrets du magnétisme, qu’il demanda à être enterré à côté de l’unique youdhi que l’on allait endormir. Sur la prière du prince et malgré les miennes, les prêtres lui avaient parlé longuement à l’oreille, mais comme il ne savait pas six langues, comme moi, hélas ! le pauvre avait mal compris les recommandations suprêmes des prêtres.

Au bout d’un mois, on le déterra avec l’autre youdhi : ce dernier fut rappelé à la vie, à la suite de la traction rhythmique de la langue ; quant à mon malheureux ami, il était bien mort, et même, il commençait à ne pas sentir bon.

— Explique-nous donc comment ces diables de youdhis peuvent ainsi rester endormis un mois sous terre, sans mourir, fit Marius.

— C’est bien simple ; une fois couchés dans le cercueil, ils font jouer un ressort, en appuyant sur un bouton, une paroi de la muraille s’ouvre sur un passage souterrain par lequel ils retournent à leur couvent, à leur bonzerie, et, au bout d’un mois, le matin du jour où l’on doit ouvrir leur tombeau, ils viennent se recoucher dans leur cercueil et le tour est joué et le grand miracle de la résurrection des youdhis est accompli et le peuple est content !

Malheureusement mon photographe qui ne savait pas dix langues… comme moi…

— Tu l’as déjà dit…

… ne comprit pas bien les explications des moines de Çakya-Mouni et il ne put trouver le bouton sauveur et puis, vous savez, malgré la prière du prince, ces derniers l’oublièrent et n’allèrent pas le chercher parce qu’ils n’étaient pas fâchés, à tout prendre, de montrer comment un occidental, un européen, — un vilain diable rouge pour eux — ne pouvait pas devenir comme cela subitement assez saint pour vivre un mois sous terre, sans mourir, comme un vrai youdhi.

Et le train roulait et il fut convenu que l’on allait se reposer après cette curieuse narration de certaines mœurs religieuses aux Indes, lorsque le terrible Boucairol — junior — professeur d’escrime à Marseille, demanda la parole.

— C’est entendu mais tu seras le dernier, le balai, comme disent les conducteurs d’omnibus à Paris, car nous descendons tous à Avignon et d’ici là il ne faut pas abuser de notre hôte.

…Je fis un geste de protestation…