Pour lire en automobile/Les Embaumeurs/02

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II

Un métier lucratif. — Les embaumeuses américaines. — Nouvelle industrie ouverte à l’activité féminine. — La joie des familles.

On sait qu’il existe, à l’heure présente, un assez grand nombre d’embaumeuses et d’entrepreneuses de pompes funèbres aux États-Unis, car, plus libéraux que nous, les Yankees n’ont pas voulu réserver le monopole exclusif de ce joli métier aux seules Conseils de fabriques catholiques et cette industrie est absolument libre de l’autre côté de l’Atlantique, même pour les Portugais, qui d’ordinaire, recherchent des occupations plus folâtres.

Mais enfin tous les goûts sont dans la nature et à ce propos, je trouve dans les journaux de pompes funèbres qui n’ont rien à voir avec le corps des pompiers, la curieuse information suivante :

« Une aimable praticienne, Mme  Myrtle Hamon, diplômée du collège d’embaumement de Massachusetts, annonce au public d’Ottawa, par la voie des journaux, qu’elle se charge des funérailles et de l’embaumement des corps à des prix raisonnables.

« Une autre embaumeuse, qui a fait des études spéciales à Paris, à Berlin et à New-York, s’est établie il y a quelques années dans cette dernière ville, et le fait est notoire que son entreprise vaut maintenant plusieurs centaines de mille francs ».

Il y a là, en effet, tout un vaste et charmant horizon ouvert à nos jeunes filles qui, une fois reçues médecines — pardon, médecins — pharmaciennes ou herboristes, ne trouvent pas une clientèle suffisante pour gagner leur vie.

Sans compter qu’avec l’ingéniosité du caractère français, il leur sera facile de perfectionner et d’étendre une profession, exercée probablement avec une certaine lourdeur, avec un manque de grâce manifeste, de la part des Demoiselles américaines !

D’abord nos jeunes embaumeuses pourront aller méditer dans le caveau de la Tour de Saint-Michel, à Bordeaux, et dans les fameux Campo Santo souterrains, qui se trouvent dans des cavernes et qui conservent habillés et frais comme l’œil, tous les macchabées pendant des siècles, en Italie. Il faut les épousseter de temps en temps, à cause de la poussière inévitable, quelquefois les farder un peu, leur mettre un soupçon de poudre de riz sur les joues et c’est tout !

C’est là qu’elles arracheront, au nom de la science pratique, à la bonne nature, ses secrets de conservation indéfinie, ignorés de Madame Vachon elle-même.

Il est même probable que ces découvertes ne manqueront pas de sel ! Qu’en pensez-vous, ô chimistes-géologues de mes amis ?

Enfin elles pourront étendre leur précieuse industrie à toute la faune et embaumer les animaux domestiques adorés, les petits chiens des demi quart de mondaines, avec un soin jaloux.

Je sais bien qu’il y a les empailleurs et même les empailleuses, mais comme ce mot est grossier, brutal et discourtois, comme disaient Mlle  Clairon ou Mlle  Mars — je ne sais plus exactement — à côté de ce joli et gracieux vocable d’embaumeuses.

Embaumeuses ! rien que l’évocation du mot me fait venir l’eau à la bouche et malgré moi, il me semble que je renifle les odeurs les plus suaves et les plus paradisiaques !

Et puis à côté de tous les animaux domestiques et chéris, quel vaste champ ouvert à l’embaumeuse, du moment que les mœurs égyptiennes sont enfin rétablies chez nous, depuis plus de trois mille ans que l’on soupire après et que l’on peut heureusement garder ses chers morts chez soi, sous globe, dans son salon et même les promener de pièce en pièce, comme un simple ne pour les avoir toujours sous ses yeux !…

Ah, rien qu’à cette idée touchante, mes yeux se mouillent de larmes et j’entends distinctement ma plume qui sanglote comme une grande dinde.

Oui cela nous réservera de bien douces consolations dans l’avenir ; je ne veux pas épuiser ici, pour ménager la sensibilité de nos lecteurs, la liste de tous ceux qui auront recours à l’embaumeuse et à ses artifices, aussi conservateurs que magiques ; je ne veux pas parler de la mère éplorée qui voudra ainsi garder sous le globe de sa vieille pendule de famille son cher petit enfant mort en bas âge.

Je ne veux rien dire de la douce fiancée qui tiendra à conserver ainsi son bien-aimé, pour avoir le plaisir de peigner, soigner et parfumer souvent sa belle barbe, soyeuse et fine.

Non, car je sens moi-même l’émotion m’envahir, mais tout au moins qu’il me soit permis de payer ici un juste hommage d’admiration, un équitable tribut de reconnaissance au gendre qui, tous les matins, pleure comme un veau en embrassant sa vieille belle-mère empaillée — pardon, embaumée — sur les deux joues, et mise à la place d’honneur, dans son salon, avant de se rendre au bureau.

Pour peu qu’elle soit un peu de forte corpulence et pas trop desséchée par l’emballeuse, — non, l’embaumeuse — il se figurera facilement, ce gendre modèle, avoir chez lui, comme les anciens, conservé ses Dieux Lares !

Ce sont là des scènes si touchantes que ma plume, impuissante, se refuse à les décrire et à les retracer. Aussi je n’insiste pas.

Si du moins j’avais le bonheur de posséder un fils, j’aurais voulu le donner en justes noces à une jeune et poétique embaumeuse. Il me semble qu’elle serait venue embaumer toute notre existence, tout notre intérieur et puis comme j’aurais été très gentil et très affectueux pour elle ! Il y aurait bien eu là un sentiment d’économie un peu canaille de ma part, car, après ma mort, je suis sûr qu’elle aurait tenu elle-même à embaumer son cher feu beau-père !

Hein ! épatant ce métier ! et si joli et si facile !