Pour lire en bateau-mouche/34

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Les surprises d’un mariage interplanétaire

Mariage de deux veufs dans une autre planète. — comment ils regardent leurs conjoints se remarier ensemble sur la Terre.

Il est évident que, sans croire à toutes les balivernes des somnambules et des braves gens qui évoquent les esprits logés — oh combien à l’étroit ! — dans la quatrième dimension, il est permis de penser, comme Fontenelle, « que la pluralité des mondes n’est pas une blague. »

En effet, nous ne sommes pas entourés, à l’heure actuelle, de 100 ou 120 millions d’étoiles cataloguées, à la suite des admirables travaux de Janssen, par la photographie du ciel, pour être assez naïfs de nous imaginer qu’il n’y a que notre petit grain de sable terrestre dans l’infini du temps et de l’espace qui soit habité ; ceci tombe sous le sens commun.

Cependant le neveu de Corneille, s’il était convaincu de la pluralité des mondes, n’était pas du tout convaincu que l’on y fût mieux logé que dans celui-ci ; c’est pourquoi il fit tout ce qui dépendait de lui pour y aller voir le plus tard possible et mourut tout gentiment à cent ans !

Donc, sans croire au surnaturel et à toutes les « balançoires » du merveilleux, il est admissible, suivant toutes les probabilités scientifiques, qu’il y a dans le monde une foule de planètes habitées tout comme la nôtre.

Les lecteurs de ce chapitre se souviennent très certainement des travaux que j’ai publiés sur la planète Mars et comment je suis arrivé à entrer en relation avec ses habitants, et même à photographier un de ces habitants. Je l’ai écrit tout au long dans mon volume : « Pour lire en automobile ». Et ils se souviennent également et très certainement comment j’ai démontré qu’il n’y avait dans l’univers, dans le grand tout, que deux agents principaux :

1o Le fluide électricité qui, sous ses trois formes : lumière, chaleur et fluide électrique, gouverne le monde physique ;

2o Le fluide-âme, dont chaque homme, dont chaque être animé a une parcelle plus ou moins grande.

Il y a donc des courants et des échanges interplanétaires des deux fluides, et au point de vue de la constitution même des planètes et au point de vue des êtres vivants qui les animent.

— Mais, me direz-vous, cela est tout à fait la théorie de la métempsycose.

Ce à quoi je réponds modestement :

— Pas le moins du monde ; j’observe et je constate une série de phénomènes purement matériels, rien de plus, rien de moins. Et comme je l’ai dit mille fois dans d’autres travaux sur lesquels je n’ai point à revenir aujourd’hui, je les constate scientifiquement à l’aide des rayons Rœntgen et des ballons-sondes, par exemple, et ça me suffit pleinement, heureux si j’ai pu convaincre les personnes qui me font l’honneur de me lire régulièrement et de suivre mes ouvrages depuis des années.

D’un autre côté, j’ai expliqué également en détail comment, grâce à la télégraphie sans fil, je m’étais mis, avec des appareils très perfectionnés, qui sont mon secret, en communication directe avec les astres de mon entourage le plus immédiat, c’est-à-dire dont je puis recevoir une réponse dans les cinq ans, par exemple, car il serait sans intérêt pour moi et pour la science, tout au moins pour le moment, d’échanger des dépêches dont l’éloignement ne permettrait d’avoir une réponse que dans 10, 20, 50 et même cent mille ans.

Cette courte entrée en matière était absolument nécessaire pour vous montrer où nous en étions dans l’état actuel de la science ; mais ce n’est encore que tout nouveau chez nous ; il ne faut pas perdre de vue qu’il y a des astres d’une civilisation beaucoup plus lointaine que la nôtre, et par conséquent, au point de vue des progrès de la science, infiniment plus avancés, infiniment mieux outillés que nous autres, pauvres mortels, surtout.

C’est ainsi que dans ces astres plus vieux, plus anciens, plus civilisés et, par conséquent, plus avancés que nous, les habitants possèdent depuis longtemps ce que chez nous Edison recherche si passionnément, c’est-à-dire la puissance de vision illimitée, sans télescope, par la seule intervention du courant électrique. Ils n’ont pas besoin, les heureux mortels, de s’esquinter à faire des télescopes pour voir, misérable, la lune à un mètre… et même un peu plus.

Ils n’ont qu’à s’asseoir tranquillement devant un dispositif très simple, comme nous nous asseyons devant la petite tablette du téléphone — pour eux, c’est un miroir — et immédiatement, ils voient ce qui se passe à tel endroit de tel astre, absolument comme s’ils y étaient. C’est simple comme tout à comprendre, mais encore est-il qu’il fallait le trouver et domestiquer le fluide électrique physique tel que le soleil nous l’envoie nuit et jour, car il ne nous envoie à travers l’espace que de la lumière obscure et de la chaleur froide qui ne deviennent de la lumière éclairante et de la chaleur chaude, c’est-à-dire tangibles, qu’au contact de notre atmosphère.

Ceci, c’est pour le fluide physique, mais il y a constamment échange de fluide âme ou intelligence, comme vous voudrez, également entre les astres, et toutes les fois qu’une personne, un être animé, meurt sur la terre, sa portion, sa parcelle d’âme universelle retourne dans le grand tout, dans le grand Pan, comme le fait le fluide électrique matériel, suivant les besoins de chaque astre et suivant des lois immuables d’équilibre comme celles qui régissent la météorologie, qui sont identiques à elles-mêmes, parce qu’elles sont logiques, parce qu’elles ne pourraient pas ne pas être, mais qui malheureusement nous échappent encore en partie.

Si mes lecteurs m’ont bien suivi et si j’ai été suffisamment clair, ils doivent commencer à percevoir nettement tous ces grands phénomènes de la nature interplanétaire qui ne sont des mystères que pour les ignorants.

Maintenant tout s’explique et, étant donné que le fluide intellectuel ou le fluide intelligence se rétablit constamment entre les astres, tout comme le fluide électrique physique et que dans certains astres beaucoup plus avancés que le nôtre, on peut voir ce qui se passe sur la Terre comme si l’on y était, comme si l’on regardait ce qui se passe, d’une loge de l’Opéra sur la scène, il ne devait pas tarder à se produire des phénomènes psychologiques ou plutôt psychiques du plus haut intérêt, et dont le premier venu, grâce à mes appareils de transmission de la pensée et de transmissions visuelles par mes appareils de télégraphie sans fil, pouvait être le premier témoin attentif et émerveillé.

C’est ainsi que, dans une planète dont je ne veux pas encore divulguer le nom, pour ne pas risquer de m’attirer un procès en diffamation si un exemplaire de ce volume tombait sous les yeux de leurs habitants, car non seulement ils peuvent lire sur la Terre, mais encore à travers nos murailles, grâce à l’application des rayons X, à travers l’espace, je connais parfaitement de vue et puis échanger avec eux des conversations interplanétaires, deux veufs, un homme et une femme, dont l’enveloppe était autrefois sur la terre, et qui se sont remariés, ou plutôt mariés pour la première fois sous leur nouvelle forme, dans l’autre astre, et qui l’autre jour se tordaient comme de vraies petites folles en voyant précisément leurs anciens conjoints respectifs se remarier ensemble sur la terre.

— Ah bien, disait la femme, je la plains, la malheureuse, avec un mari joueur, fumeur et bambocheur comme Ernest !

— Eh bien et ma femme de l’ancien temps, disait l’homme, qui était coquette, frivole, légère et dépensière, à telle enseigne qu’elle m’aurait mis sur la paille, si… je n’étais pas mort à temps.

— Bast ! Poupoule, à leur âge, ça n’est plus dangereux.

— Qui sait ?

Je ferai remarquer au lecteur que l’expression si douce et si charmante de Poupoule est en train de devenir à la mode dans la plupart des astres, et d’un autre côté le lecteur a déjà compris qu’il s’agissait d’un vieux, très vieux mariage sur la Terre. En effet, il ne pourrait pas en être autrement, le fluide-âme allant toujours se loger dans la peau d’un nouveau-né et non pas d’une personne existante et ayant déjà sa part de fluide ; il fallait donc que mon jeune ménage de l’astre en question ait eu le temps de grandir. C’est ce qui explique l’exclamation de la jeune femme qui dit :

— Ah bien vrai, ils ont eu le temps de se décider avant de se remarier, ceux-là !

C’est vous dire que le couple de l’astre a dans les 25 ans, et celui de la terre, dans les 50, naturellement. Tout s’explique alors et tout est d’une logique admirable dans cette petite histoire aussi simple qu’authentique.

Il est inutile d’ajouter que je cause avec ce jeune ménage, mes amis de cet astre lointain, dans leur langue qui n’est pas le français, que je traduis pour vous, mes chers lecteurs, mais qui se rapporte singulièrement à l’hébreu et s’en rapproche presque mot à mot, comme lettres et comme langue, comme j’ai déjà eu l’occasion de le constater ici pour d’autres langues interplanétaires, tant il est vrai que hébreu est bien la langue unique et initiale de l’univers.

Mais c’est encore là une question très grave sur laquelle je n’ai pas le loisir de m’étendre aujourd’hui…

… Et comme j’allais poser une nouvelle question à la jeune femme relative à son premier mari sur la terre, lors de son passage ici-bas et de son incarnation terrestre, son mari, voyant l’heure de déjeuner, lui cria :

Viens, Poupoule, viens, Poupoule, viens !