Pour une mascarade

La bibliothèque libre.
Œuvres poétiques de Malherbe, Texte établi par Prosper BlanchemainE. Flammarion (Librairie des Bibliophiles) (p. 193-194).


XXXVII

POUR UNE MASCARADE


Ceux-cy de qui vos yeux admirent la venue,
Pour un fameux honneur qu’ils bruslent d’acquérir,
Partis des bords lointains d’une terre incognuë,
S’en vont au gré d’Amour tout le monde courir.
Ce grand démon, qui se déplaist
D’estre profané comme il est,
Par eux veut repurger son temple ;
Et croy qu’ils auront ce pouvoir.
Que ce qu’on ne fait par devoir,
On le fera par leur exemple.

Ce ne sont point esprits qu’une vague licence
Porte inconsiderez à leurs contentemens :
L’or de cet âge vieil où regnoit l’ínnocence,
N’est pas moins en leurs moeurs qu’en leurs accoustremecs
La foy, l’honneur et la raison
Gardent la clef de leur prison ;

Penser au change leur est crime ;
Leurs paroles n’ont point de fart,
Et faire les choses sans art
Est l’art dont ils font plus d’estime.

Composez-vous sur eux, âmes belles et hautes ;
Retirez vostre humeur de l’infidelité ;
Lassez-vous d’abuser les jeunesses peu cautes,
Et de vous prévaloir de leur crédulité.
N’ayez jamais impression
Que d’une seule passion,
À quoy que l’espoir vous convie.
Bien aimer soit vostre vray bien,
Et, bien aimez, n’estimez rien
Si doux qu’une si douce vie.

On tient que ce plaisir est fertile de peines,
Et qu’un mauvais succez l’accompagne souvent ;
Mais n’est-ce pas la loy des fortunes humaines,
Qu’elles n’ont point de havre à l’abry de tout vent ?
Puis cela n’avient qu’aux amours
Où les désirs, comme vautours,
Se paissent de sales rapines :
Ce qui les forme les détruit ;
Celles que la vertu produit
Sont roses qui n’ont point d’épines.