Précaution/Chapitre L

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne (Œuvres, tome premierp. 378-387).



CHAPITRE L.


Le dénouement doit être un mariage.
Thomas Brown.


Les riantes et fertiles vallées de Pendennyss étaient couvertes des plus belles moissons, et le laboureur content, après avoir contemplé les richesses que lui prodiguait la nature, jetait un regard satisfait sur le château qui avait été si longtemps inhabité, et qui était redevenu l’asile du bonheur et de la joie. Toutes les croisées étaient ouvertes pour recevoir les rayons du soleil ; et les vassaux du comte, heureux et surpris, ouvraient de grands yeux en voyant les nombreux domestiques en riches livrées qui allaient et venaient dans les vastes appartements, les chevaux magnifiques que promenaient les palefreniers, et les voitures portant différentes armoiries qui remplissaient les cours.

Pendennyss avait voulu montrer à Émilie la résidence de ses ancêtres, et il avait facilement décidé toute la famille et leurs meilleurs amis à les accompagner.

Dans une longue file de riches et vastes appartements, les maîtres et les hôtes de cette magnifique demeure étaient occupés à admirer toutes les beautés antiques qu’elle renfermait, et à arranger les parties de plaisir qui devaient employer leur journée.

John Moseley examinait avec soin quelques pierres à fusil que venait de lui apporter son domestique, tandis que Grace, assise près de lui, tâchait en plaisantant de les lui prendre l’une après l’autre, en lui disant du ton d’un tendre reproche :

— Vous ne devriez pas vous occuper si exclusivement de la chasse, Moseley ; il est cruel de tuer tant de pauvres oiseaux pour votre seul plaisir.

— Demandez au cuisinier d’Émilie et à l’appétit de M. Haughton, dit John en étendant la main pour reprendre les pierres qu’elle lui avait escamotées, si je ne chasse que pour mon seul plaisir. Je vous l’ai déjà dit, Grace, il est bien rare que je manque mon coup.

— Jolie excuse, en vérité ! dit Grace en riant et en s’efforçant de garder sa prise ; savez-vous, John, que c’est fort mal ? Le massacre que vous faites tous les jours est vraiment affreux.

— Je vois, dit John, que votre cœur sensible aimerait mieux un chasseur comme le ci-devant ex-capitaine Jarvis, qui tirait un mois entier sans même toucher la plume d’un oiseau. Puis, jetant un regard malin sur Jane, qui, étendue sur un sofa, parcourait un volume de poésies nouvelles, il ajouta : — Jane pouvait être bien tranquille avec lui ; la douce fauvette, le tendre rossignol, cette voix de l’amour qui, pendant la nuit sombre, charme les échos de la vallée, tous ces chanteurs emplumés n’avaient rien à craindre de lui.

— Moseley, dit Grace en lui laissant reprendre les pierres, mais en retenant doucement sa main, Pendennyss et Chatterton, comme de bons maris, conduisent leurs femmes voir la belle chute d’eau qu’on trouve dans les montagnes, à quelques milles d’ici. Que deviendrai-je seule pendant cette longue et ennuyeuse matinée ?

John jeta sur sa femme un regard pénétrant pour voir si elle avait un grand désir d’accompagner ses amies, et, remettant dans sa poche avec regret une excellente pierre qu’il venait de choisir, il lui dit :

— Mais vous n’aimez pas beaucoup la promenade, Mrs Moseley ?

— Je préférerais ce plaisir à tous les autres, dit Grace vivement, si…

— Eh bien ! si… ?

— Si nous nous promenions ensemble, dit-elle en rougissant.

— Eh bien ! dit John en la regardant avec tendresse, je veux bien être de la partie projetée, mais à une condition.

— Dites-la bien vite, Moseley, s’écria Grace les yeux brillants de plaisir au seul espoir de faire une longue promenade avec son mari.

— À condition que vous n’exposerez plus votre santé en allant à l’église le dimanche lorsqu’il pleuvra.

— Notre voiture est si bien fermée, Moseley, répondit Grace en baissant tristement les yeux sur le tapis ; il n’y a pas le moindre danger, je vous assure ; vous voyez que Pendennyss, Émilie et ma tante Wilson, ne manquent jamais au service divin, à moins qu’il ne leur soit impossible d’y assister.

— Le comte accompagne sa femme ; mais que voulez-vous que je devienne pendant vos longues absences ? dit John en lui pressant tendrement la main. J’aime à entendre un bon sermon, mais non lorsqu’il faut braver un mauvais temps pour l’aller chercher. Vous devez consentir à me faire ce plaisir, Grace ; vous savez que je ne suis heureux qu’auprès de vous.

Grace fit un léger sourire, et John, la voyant ébranlée, ajouta :

— Eh bien ! que dites-vous de ma condition ?

— Il faut bien l’accepter puisque vous le désirez, répondit Grace d’un air mélancolique, je n’irai plus lorsqu’il pleuvra.

John demanda son phaéton, et Grace se rendit dans sa chambre pour s’habiller, en regrettant d’avoir si peu de caractère et de ne pouvoir rien refuser à son mari.

Dans l’embrasure d’une fenêtre sur laquelle étaient posés de grands vases renfermant des plantes exotiques, lady Marianne jouait avec une rose à peine éclose, et son cousin le duc de Derwent était devant elle, se demandant laquelle était la plus fraîche et la plus jolie.

— Vous avez entendu, lui dit-il, le projet que l’on a fait pendant le déjeuner d’aller voir la chute d’eau des montagnes. Mais je suppose que vous l’avez vue trop souvent pour être du nombre des curieux.

— Pardonnez-moi, répondit Marianne en souriant, j’ai toujours aimé beaucoup cette cascade, et je me fais un vrai plaisir d’être témoin de l’effet qu’elle produira sur Émilie ; je comptais même lui demander une place dans son phaéton.

— Que je serais heureux, s’écria le duc avec vivacité, si lady Marianne voulait en accepter une dans mon tilbury, et me permettre d’être son chevalier !

Marianne consentit à cet arrangement avec un plaisir qu’elle ne chercha point à cacher, et Derwent continua :

— Mais si vous voulez bien me prendre pour chevalier, il est juste que je porte vos couleurs, et sa main se dirigeait vers le bouton de rose. Marianne hésita un moment, jeta les yeux sur le beau point de vue dont on jouissait de la fenêtre, regarda autour de la chambre en demandant où pouvait être son frère ; mais pendant qu’elle cherchait ainsi à dissimuler son trouble, elle rencontra les yeux du duc fixés sur elle avec ardeur ; sa main suppliante était encore étendue vers elle, et elle lui abandonna la rose, dont ses joues éclipsaient en ce moment les plus riches couleurs.

Ils se séparèrent pour se préparer à la promenade, et en revenant de cette petite excursion, le duc paraissait plus gai et plus heureux que jamais ; il ne dit rien qui pût en faire deviner la cause, mais ses yeux brillants de joie tournaient toujours vers sa cousine.

— En vérité, ma chère lady Moseley, dit la douairière en s’asseyant auprès d’elle, après avoir jeté les yeux sur les magnifiques domaines qu’on apercevait de la croisée, et sur le superbe salon où elles se trouvaient, Émilie est vraiment très-bien établie, mais très-bien, mieux même que ma Grace.

— Grace a un bon mari, qui l’aime tendrement et qui la rendra heureuse, je l’espère, répondit lady Moseley d’un air sérieux.

— Oh ! pour heureuse, je n’en doute pas, se hâta de dire la douairière ; mais j’ai entendu dire qu’Émilie à une pension de douze mille livres sterling. À propos, ajouta-t-elle en baissant la voix, quoique personne ne fût à portée de les entendre, dites-moi donc pourquoi le comte ne lui a pas assigné en douaire Lumley-Castle au lieu du Doyenné.

— Les douaires rappellent toujours des idées de veuvage : ne nous occupons pas d’un si triste sujet, dit lady Moseley ; puis elle ajouta d’un air plus gai : — Mais vous avez été à Annerdale-House ; n’est-il pas vrai que c’est une maison magnifique ?

— Magnifique, en vérité, répondit la douairière en soupirant, Le comte n’a-t-il pas dessein d’augmenter le fermage des domaines de Pendennyss ? On m’a dit que les baux étaient près d’expirer et qu’ils avaient été passés à très-bas prix.

— Je ne le crois pas, répondit lady Moseley ; le comte a assez de fortune pour ne pas désirer de l’augmenter, et il veut par-dessus tout le bonheur et la prospérité de ses vassaux. Mais voici Clara et son petit garçon ; n’est-ce pas un charmant enfant ? s’écria la grand-maman en le regardant avec admiration et en le prenant dans les bras.

— Oh ! oui, il est charmant, dit la douairière en promenant autour du salon ses regards distraits ; mais, voyant que Catherine changeait de place pour se rapprocher de sir Henry Stapleton, elle se hâta de l’appeler : — Lady Herriefield, venez ici, ma chère, je désire vous voir près de moi.

Catherine obéit en faisant la moue : elle entra avec sa mère dans une longue discussion sur la couleur et la forme d’un chapeau ; mais ses yeux, errant dans tous les coins du salon, prouvaient qu’elle n’apportait pas toute l’attention nécessaire à un sujet si important.

La douairière avait à combattre les maximes frivoles qu’elle avait données à sa fille, et elle avait plus de peine maintenant à la retenir dans les bornes de la réserve et de la prudence, qu’elle n’en avait eu jadis à lui inspirer le goût de la coquetterie.

— Cher oncle Benfield, dit Émilie en s’approchant de lui un verre à la main, voici le negus[1] que vous désiriez ; je l’ai apprêté moi-même, et j’espère que vous le trouverez bon.

— Ô chère lady Pendennyss ! dit le vieux gentilhomme en se levant avec l’ancienne courtoisie pour prendre le verre qu’elle lui offrait, vous vous donnez trop de peine pour un vieux garçon, comme moi, beaucoup trop, en vérité, beaucoup trop.

— Les vieux garçons sont quelquefois plus recherchés que les jeunes, s’écria gaîment Pendennyss qui l’avait entendu. Voilà mon ami, M. Peter Johnson ; qui sait si nous ne danserons pas bientôt, à ses noces ?

— Milord, milady et mon honorable maître, dit Peter gravement et avec un salut respectueux, sans bouger de la place où il attendait, un plateau à la main, que M. Benfield eût fini de boire, pour emporter son verre, j’ai passé l’âge de penser aux femmes, j’aurai soixante-treize ans, vienne le 1er du mois d’août.

— Que pouvez-vous mieux faire de vos trois cents livres de rente, dit Émilie en souriant, que de les partager avec une bonne femme, qui embellisse le soir de vos jours ?

— Milady… hein… milady, dit l’intendant en rougissant, si votre bonté daignait y consentir, j’ai formé, pour en disposer, un petit plan qui me tient fort à cœur, car je n’ai dans le monde ni enfants ni parents pour recueillir ma succession.

— Je serais charmée de connaître ce plan, dit Émilie voyant que Peter brûlait de s’expliquer.

— Si milord, milady et mon honorable maître, l’avaient pour agréable, j’ajouterais un dernier codicille au testament de mon maître, pour disposer des dons qu’il m’a faits.

— Au testament de votre maître ! dit le comte en riant ; et pourquoi pas au vôtre, mon bon Peter ?

— Honorable lord, dit l’intendant avec une grande humilité, ce n’est pas à un pauvre serviteur comme moi qu’il appartient de faire un testament.

— Vous vous trompez, Peter, dit le comte avec bonté : d’ailleurs un testament n’est valable qu’après la mort du testateur, et deux personnes ne peuvent en faire en commun, puisqu’il est probable qu’elles ne mourront pas le même jour.

— Nos testaments seront cependant ouverts le même jour, dit Peter avec émotion. M. Benfield le regarda d’un air attendri, et le comte et Émilie furent si touchés de son attachement pour son maître, qu’il leur fut impossible de prononcer un mot.

Comme Peter l’avait dit, il avait son plan trop à cœur pour abandonner ce sujet au moment où il venait de rompre la glace. Il désirait vivement que la comtesse agréât son projet, car il n’eût point voulu lui désobéir, même après sa mort.

— Milady, se hâta de dire Peter, mon plan est, si mon honorable maître veut bien me le permettre, d’ajouter un codicille à mon testament, et de léguer ma petite fortune à une petite… lady Émilie Denbigh.

— Ô Peter ! vous et mon oncle Benfield, vous êtes cent fois trop bons, dit Émilie en riant et en rougissant à la fois, tandis qu’elle se tournait vers sa mère et Clara.

— Je vous remercie, je vous remercie, s’écria le comte touché en suivant des yeux sa chère Émilie, et en pressant cordialement la main de Peter. Puissiez-vous jouir longtemps de la petite fortune que vous destinez à notre petite ! et le comte alla rejoindre ses hôtes.

— Peter, lui dit son maître à voix basse, on ne doit jamais parler prématurément de ces choses-là ; ne voyez-vous pas comme elle rougit ? — Ah ! chère Emmy, s’écria-t-il en prenant une des belles pêches qu’elle lui présentait, que vous êtes bonne de penser à votre vieil oncle !

— Milord, dit M. Haughton au comte, Mrs Francis Yves et moi nous avons eu une petite querelle au sujet du bonheur domestique. Elle prétend qu’elle est aussi heureuse au presbytère de Bolton que dans ce superbe château.

— J’espère, dit Francis, que vous n’employez pas votre éloquence à la faire changer d’opinion. Ce ne serait pas lui rendre un grand service.

— Laissez-le faire, mon ami, dit Clara en riant, il aura beau s’évertuer à me convaincre, je connais trop bien mes véritables intérêts pour qu’il puisse jamais y réussir.

— Vous avez raison, dit Pendennyss. Notre bonheur dépend-il donc de la place que nous occupons dans la société ? Lorsque je suis ici, entouré de mes vassaux, il est, je l’avoue, des moments de faiblesse dans lesquels la perte de mon rang et de ma fortune pourrait m’être sensible ; il est si doux de pouvoir faire le bien et d’avoir sous les yeux l’image du bonheur ! Et pourtant, quand je suis à l’armée, soumis à de grandes privations, forcé d’obéir à des hommes qui ont un grade supérieur au mien, entravé dans mes moindres actions, dirigé dans tous mes mouvements, il me semble qu’au fond mes jouissances sont encore les mêmes.

— C’est, dit Francis, que Votre Seigneurie a toujours été habituée à chercher hors des limites de ce monde ses consolations et ses espérances.

— Croyez-vous qu’il soit impossible d’en trouver même ici-bas ? reprit le comte en regardant tendrement Émilie ; chacun peut rencontrer le bonheur dans sa condition ; bien fou qui désire en changer !

— Et croyez-vous que j’aie cette folie ? s’écria M. Haughton ; savez-vous bien que moi qui parle, je ne voudrais pas changer même avec vous… À moins, pourtant, ajouta-t-il en saluant respectueusement la comtesse, que le désir d’avoir une aussi jolie femme…

— Vous êtes bien aimable, dit Émilie en riant ; mais je ne voudrais pas priver Mrs Haughton d’un mari dont elle se trouve si bien depuis vingt ans.

— Depuis trente, Milady, s’il vous plaît.

— Et qui fera son bonheur pendant plus de trente ans encore, je l’espère, dit Émilie au moment où un domestique annonçait que les voitures étaient prêtes. Les jeunes gens se disposèrent à partir pour la promenade projetée. Pendennyss, John et Chatterton conduisirent chacun leur femme dans leur phaéton ; le duc et Marianne partirent les derniers, et eurent soin de rester toujours à quelque distance du reste du cortège.

Comme ils sortaient des cours du château, la comtesse leva les yeux, et vit à une croisée du salon sa tante et le docteur Yves ; elle leur envoya un baiser, et tourna vers eux, aussi longtemps qu’elle put les apercevoir, des yeux où brillaient à la fois l’innocence, la joie et l’amour.

Avant de quitter le parc, la petite caravane rencontra sir Edward, qui se promenait avec sa femme et sa fille. Le baronnet suivit des yeux les voitures, après avoir échangé des regards d’affection avec ses enfants ; et si celui qu’il jeta ensuite sur Jane était moins joyeux, il n’en exprimait que plus de sollicitude et d’amour paternel.

— Vous devez bien vous applaudir de l’heureux fruit de vos soins, dit le docteur Yves à Mrs Wilson. Autant que la prudence humaine peut en juger, Émilie est dans la situation la plus heureuse qu’une femme puisse désirer. Épouse d’un mari pieux, aimé de tous, et méritant de l’être.

— Oui, répondit Mrs Wilson ; ils sont aussi heureux qu’il est possible de l’être dans ce monde, et de plus ils sont préparés à supporter avec courage les revers qui pourraient leur arriver, et à s’acquitter chrétiennement des devoirs que leur nouvel état leur impose. Je ne crois pas, ajouta-t-elle d’un air pensif, que Pendennyss puisse jamais douter des affections d’une femme telle qu’Émilie.

— Et moi, dit le docteur en souriant, je ne conçois pas ce qui peut vous inspirer une pensée si injurieuse au caractère connu de George.

— La seule chose qui m’ait jamais déplu en lui, c’est la défiance qui l’a porté à adopter un faux nom pour s’introduire dans notre famille.

— Il ne l’a pas adopté, Madame ; le hasard et les circonstances accidentelles l’y ont entraîné, et en réfléchissant à l’impression profonde qu’avait faite sur son esprit la conduite de sa mère, à sa grande richesse et à son rang élevé, vous ne vous étonnerez plus qu’il ait cédé à la tentation de se servir d’une supercherie plus innocente qu’injurieuse.

— Docteur Yves, dit Mrs Wilson, je ne m’attendais pas à vous entendre défendre l’imposture.

— Je ne la défends pas, Madame, répondit le docteur Yves en souriant ; j’avoue la faute de George ; ma femme, mon fils et moi nous nous sommes réunis pour lui faire dans le temps des remontrances à ce sujet. Je dis que la réussite même ne justifierait pas les moyens illégitimes qu’on avait employés pour y arriver, et qu’il était toujours dangereux de se départir des règles ordinaires.

— Et vous n’avez pu convaincre votre auditoire, dit Mrs Wilson avec gaieté ; c’était donc la première fois, mon cher docteur ?

— De la flatterie, Mrs Wilson ? Est-ce donc pour me prouver qu’il n’y a personne sans défaut ? Je le convainquis de la vérité du principe ; mais le comte prétendit que le cas où il se trouvait faisait une exception innocente : il avait, je crois, la vanité de penser qu’en cachant son véritable nom il se faisait plus de tort qu’à aucun autre ; enfin il m’exposa tant de raisons différentes, que j’en fus presque étourdi, et il fallut bien capituler. Au reste, il a été assez puni de sa ruse ; il a souffert plus qu’il n’ose en convenir lui-même, et rien de tout cela ne serait arrivé s’il se fût présenté sous son véritable nom.

— S’ils étudient l’histoire de dona Julia et la leur, dit la bonne veuve, ils auront toujours sous les yeux des exemples salutaires qui leur rappelleront l’importance de deux vertus cardinales, l’obéissance et la véracité.

— Julia a beaucoup souffert, reprit le docteur, et, quoiqu’elle soit retournée auprès de son père, les suites de son imprudence subsisteront encore longtemps. Lorsqu’une fois les liens de la confiance et de l’estime ont été brisés, il est bien difficile qu’ils se rétablissent jamais avec la même force. Mais, pour en venir à un sujet qui vous intéresse plus particulièrement, combien ne devez-vous pas vous applaudir de l’heureux succès de vos soins pour l’éducation d’Émilie ! Son bonheur est votre ouvrage.

— Il est certainement bien doux de penser que nous avons rempli notre devoir, dit Mrs Wilson ; et ce devoir est moins difficile à accomplir que nous ne sommes portés à le supposer. Il suffit de poser des bases qui soient capables de soutenir l’édifice. Dans l’âge où l’âme est encore flexible, je me suis appliquée à former celle d’Émilie, et à lui donner des principes qui pussent lui servir de guide dans toute sa vie. Ces principes se sont développés avec les années ; j’en observais les progrès avec une constante sollicitude, prête à lui tendre la main pour la soutenir dès que j’apercevrais la moindre faiblesse. Le ciel a béni mes efforts, et il m’en a bien récompensée en la guidant dans le choix d’un mari.


fin de précaution.

  1. Vin chaud.