Précis de la mythologie scandinave/Préface

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PRÉFACE.

« Apprends à te connaître toi-même, » voilà le conseil que nous adresse un des sages de l’antiquité ; mais pour bien profiter de ce beau précepte, il faut connaître avant tout son origine, les idées religieuses, le genre de vie et la manière de penser de ses aïeux. Il faut remonter à la source primitive de l’histoire, en poursuivant les traces des glorieux exploits de nos ancêtres, lors même qu’elles se perdent dans la nuit de la fable, qu’elles s’effacent dans les ténèbres du temps passé ou se cachent dans la poésie du mythe. Certes, il faut bien en convenir, c’est dans le mythe que se révèle la première forme de la vérité ; que se trahit l’idée sérieuse qu’avait conçue de la vie cette population primitive du Nord, ainsi que le désir ardent de saisir et de comprendre la divinité ; c’est dans le mythe que pousse le premier germe de l’histoire et de la religion d’un peuple.

Et cette connaissance de la mythologie, où la trouverons-nous ? Dans l’Edda qui est le monument littéraire le plus antique de la poésie scandinave. Cette œuvre immortelle consiste en deux parties dont l’une qui porte le nom de son auteur prétendu, Sæmund Frode le savant, né en Islande au milieu du onzième siècle, s’appelle aussi l’Edda poétique ou l’ancienne Edda. Elle renferme d’abord des fragmens de poèmes religieux dans lesquels on retrouve les doctrines qui faisaient l’objet du culte de nos ancêtres ; ensuite des fragmens de poèmes héroïques appartenant plus ou moins au cycle de chants guerriers communs à la race germanique et à la gothique ; mais nulle-part ces chansons ont conservé autant de leur caractère sauvage ou ont moins été influencées de l’esprit du Christianisme que dans le Nord. Il est hors de toute contestation que Sæmund n’est l’auteur que de quelques-uns des poèmes de ce recueil, dont plusieurs se perdent dans les ténèbres de l’antiquité. L’esprit païen que révèlent ces produits d’une valeur si poétique et d’un style si différent, ainsi que le nom que portent plusieurs d’entre eux, prouvent que Sæmund n’en peut être que le compilateur, et que nous ne pouvons que lui attribuer l’honneur d’avoir transcrit les vieux apographes ou retenu par écrit les traditions à demi oubliées déjà au moyen-âge. Il est encore possible que Sæmund, dans les voyages qu’il entreprit en Allemagne, ait connu la série des poèmes qui chantaient les exploits merveilleux des Giukungers, des Volsungers et des Niflungers, qu’il ait même retrouvé peut-être le cycle des récits historiques que Charlemagne fit rassembler et consigner, mais que le temps nous a malheureusement fait perdre. Cette hypothèse cependant n’affaiblit en rien la supposition selon laquelle Sæmund s’est borné à rédiger les narrations poétiques de l’Edda ; car ce qu’il y a d’incontestable, c’est que plusieurs de ces chants héroïques, sur le même sujet que traite la poésie nationale de la Germanie, étaient connus et répandus dans le Nord longtemps avant que Sæmund ait vu le jour ; aussi tous les savans érudits de l’Allemagne accordent-ils aux poèmes de l’Edda un âge qui surpasse de beaucoup celui qu’ils attribuent à la chanson germanique la plus renommée des Niflunger.

Quant à l’Edda prosaïque, on l’attribue à Snorro Sturleson, illustre historien du treizième siècle. Ce recueil auquel on donne souvent aussi le nom de son auteur supposé, est à regarder en quelque sorte, quant à la partie mythologique, comme une reproduction prosaïque de l’Edda de Sæmund ; mais il contient en outre une prosodie, s’il est permis de donner ce nom à la nomenclature et à l’explication de quelques figures rhétoriques et poétiques, ainsi que quelques dissertations sur l’alphabet islandais.

Ce que nous venons de dire du mérite littéraire de Sæmund, s’applique également à celui de Snorro ; il n’est qu’en partie auteur de cet ouvrage qui révèle la collaboration de plusieurs. Quant à la pureté des idées et à la noble simplicité du récit, l’Edda poétique l’emporte de beaucoup sur l’ouvrage de Snorro, dans lequel se ressent déjà l’influence d’un temps où l’éclat du prestige, qui entourait les dieux et les héros de l’antiquité, pâlit devant l’aube du Christianisme.