Preface telle quelle

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Les Libertinage au XVIIe siècle
Texte établi par Frédéric Lachèvre (Les Œuvres libertines de Claude Le Petitp. 51-53).


PREFACE TELLE QUELLE,

ET AUSSI ENNUIEUSE QUE LONGUE TOUT AU MOINS.

J’avois fait mon Livre assez bien, je l’avois fait décrire assez mal ; je l’avois donné au Libraire assez généreusement ; dédié à un gros Milour assez avantageusement ; corrigé chez l’Imprimeur assez exactement, et prié mesme assez instamment quelques-uns de mes amis de faire des Vers à ma loüange (plus par coustume que vaine gloire toutesfois) afin d’alonger le papier, et de rendre le Volume plus considérable. Enfin j’avois fait sans reproche ponctuellement toutes les fonctions de ma nouvelle Charge d’Autheur. Je croyois que ce fut une affaire faite que celle-là ; toutes les fois qu’on heurtoit à ma Porte, je m’imaginois que c’estoit Robinot qui m’apportoit mes trois douzaines d’exemplaires, etc. (comme il est plus amplement porté dans l’accord fait entre nous) et je n’attendois plus qu’après luy et mon habit neuf pour aller faire en bonne conche mes presens à mon Mecène Généreux : Mais helas ! qu’il est bien vray que l’Homme propose et que Dieu dispose, et qu’on n’est pas au bout de ses maux quand on achève de faire un troisième Livre, et qu’on n’a pas encore commencé à faire la Preface du second. Ha Ciel ! qu’un honneste homme a de mal en ce monde pour gaigner sa chienne de vie ; que le mestier de l’Escritoire est un mestier incommode, et que c’en est un agréable de vivre de ses rentes. Mais j’ay beau pindariser ; j’ay beau crier ô Temps ! ô Siècle ! ô Mœurs ! ou plustost ô Libraire, ô Typographe ! ô Lecteur ! Point de nouvelles, c’est Philosophie perdue, c’est Morale inutile. Autant eu emporte le vent, ils ont des yeux et ne voyent goutte, ils ont des oreilles et ne m’entendent point ; il faut avaler ce Calice, et, bon gré mal gré que j’en aye, faire une corvée, je veux dire une Preface. Mais quoy ? n’y a-t-il pas moyen de s’accommoder ensemble, suis-je jugé Prevotablement ? Ne puis-je appeller de cette Sentence ? Est-ce une chose si nécessaire qu’un Avant-propos dans un Livre, que les Lecteurs ne s’en puissent passer une fois ? Hé de grâce Messieurs ! Je donne cent Vers de bon cœur au commencement de tous mes Livres et, pour la sainte amour de Dieu, qu’on ne me parle point de Prose, et qu’on ne me demande jamais de Preface : Qu’on ne m’oblige point à me desobliger, et qu’on ne fasse point consister mon honneur à faire une sottise : J’ayme mieux ?… Qu’aymay-je mieux ? Attendez que je songe un peu, et ne promettons rien que nous ne puissions tenir. Ouy j’ayme mieux (et je le dis haut et clair) faire le Demy-Roman tout entier, et n’en parlons jamais. Est-ce me mettre à la raison ? Est-ce en agir de la belle manière ? Eh ! point de quartier, dites-vous, impitoyables et inhumains que vous êtes :


Bonne ou mauvaise il faut une Preface,
Soit que l’Autheur ou le Diable la fasse,
Point de raisons la Raison ne reçoit ;
Tout sens commun suit la règle commune,
Bref à quelque prix que ce soit,
N’en fut-il point, il en faut une.


Où sommes-nous ma Muse ? Comment il en faut une ? C’est discourir bien impérieusement ! Quoy ! vous me prendrez à la gorge, et vous me ferez faire un Prologue malgré mes dents ? N’en déplaise à la Mode et au Sixain, il n’en sera que ce qui me plaira. Que dis-je, il n’en sera rien du tout. Et comme on ne scauroit faire boire un Asne s’il n’a soif, on ne sçauroit (sans comparaison) faire escrire un Autheur s’il n’en a envie. J’ay une teste aussi bien qu’un autre ; et c’est mal débuter pour obtenir quelque chose de moy de me rompre en visière par un Il faut ou un Je veux : La civilité passe par tout et belles paroles n’écorchent point la langue. Si l’on s’y estoit pris d’un autre biais, je ne sçay pas ce que j’aurois fait ? Qui sait si je n’en aurois pas peut-estre desjà fait une, et si un poco di buona creanza ne m’auroit pas fait accorder à la Complaisance, ce que je ne donneray qu’au Dépit (supposé que j’en donne une). Par Pegaze, cheval de main de Phœbus, vous estes de bons Chevaux de carrosse ; je ne sçaurois m’empescher de songer à cette plaisante incartade. Sçavez-vous bien que quand on me met en colère, je me fâche ? que quand je suis fâché, il y paroist ? Si la vengeance est le plaisir des Grands Seigneurs, c’est aussi quelquefois celuy des pauvres gens (et particulièrement de moy indigne). Et si je prends le Livre, le Libraire et l’Imprimeur, par la mort non pas de ma vie, je…, mais halte à la colère, ce n’est qu’une chaleur de foye, il y a desjà un quart d’heure que j’escris, et ce n’est pas en vain ; faisons un coup de partie, et à tout hazard, habillons ce discours en Preface ; qu’on en dise tout ce qu’on voudra, nous n’en écouterons que ce que nous voudrons,

Dans ce Siècle où Justice sèche
Voit le pauvre droit tout tortu,
Il faut faire de tout bois flèche,
Et de necessité vertu !
Ma foy, ce n’est pas mal pensé,
Et je suis plus heureux que sage,
Tout sert en escriture aussi bien qu’en ménage,
Et quand j’auray finy comme j’ay commencé,
Et dit trois mots de mon Ouvrage,
Je crois que le Labeur sera bien avancé,
Et le lecteur, bien content, ou peu sage.


Je vous diray donc que mon Demy-Roman est le travail de deux jours et demi (et j’en prens à temoin mon Frère[1], mon Libraire, et nostre Servante, qui sont tous gens irréprochables), que j’en ay pris le Nom dans mon caprice, et l’invention dans mon esprit[2], et, pour me justifier de quelque infidelité qu’on me pourroit reprocher, que je ne l’ay fait que pour servir de Plan à un de mes Amis qui a dessein de s’y divertir plus à loisir. Voilà qui va bien, j’en suis quitte à meilleur marché que je ne croyais, Dieu soit loüé dans tous les Siècles des Siècles. Il n’y a personne qui ne prenne cecy pour une Preface, ou je n’y entends rien, quand j’auray dit (Adieu Lecteur)[3].




  1. Sébastien Petit, voir p. xiii.
  2. L’insistance bien explicable que mot Claude à affirmer que l’aventure qu’il raconte est « une invention de son esprit » nous parait, au contraire, une preuve de sa réalité et qu’il en est bien le héros ; il ne l’a pas appelée, sans raison, demy-roman : il a même eu le soin de préciser le nom de la belle : Madeleine Boclois.
  3. Le texte imprimé en italique, à partir de « mon esprit », ne figure ni dans la seconde ni dans la troisième édition de l’Heure du Berger.