Première Introduction à la philosophie économique/3

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Première Introduction à la philosophie économique
ou analyse des États policés (1767)
Texte établi par Auguste DuboisPaul Geuthner (p. 16-41).

CHAPITRE III.

Analyse particuliere de la premiere Classe.

C’est l’art social qui caractérise cette premiere classe. Elle renferme donc tous les hommes dévoués à l’exercice de l’autorité publique, et même tous ceux qui remplissent les fonctions de l’administration privée, ou qui font les avances foncieres. Ce qui forme deux divisions de cette premiere classe. Savoir, 1o  celle du souverain, et 2o  celle des propriétaires fonciers.

On l’appelle en général classe des nobles ou des propriétaires, et pour abréger, classe propriétaire. En effet, la seconde division de cette classe est totalement composée des hommes qui possédent les héritages privés, et qui sont chargés des avances foncieres ; ainsi cette seconde division forme proprement une classe propriétaire.

Mais puisque la premiere division est composée de tous ceux qui exercent l’autorité souveraine ; et puisque l’une des principales fonctions de cette autorité est de former, de maintenir, de perfectionner les grandes propriétés publiques, qui rendent plus immédiatement le sol de l’État susceptible des travaux de l’art productif, et par conséquent de l’art stérile : on regarde encore avec raison l’autorité souveraine comme la premiere et la plus grande propriétaire d’une société policée. Ses propriétés étant réellement étendues sur toute la surface de l’État.

Le nom de propriétaire convient donc à l’une et à l’autre division de la premiere classe ; mais la nature même de ses fonctions et de ses droits la peut faire nommer aussi classe des nobles, et en ce sens, la noblesse bien loin d’être une chimere, ainsi qu’on le dit quelquefois, est une réalité très utile aux Empires civilisés, comme je le ferai voir par l’importance des travaux qui caractérisent cette premiere classe, et par leur influence sur la prospérité générale des États, pour le bien-être de l’humanité.



Article premier.
Analyse de la premiere division en trois Ordres de Mandataires du Souverain.


Tout État policé n’est proprement qu’une grande famille composée de plusieurs petites familles particulieres, et l’autorité publique n’est que le devoir et le droit de pourvoir à l’instruction, à la protection, à l’administration universelle.

Mais le chef d’une famille particuliere a souvent besoin de s’associer des coopérateurs pour l’accomplissement de ses devoirs et l’exercice de ses droits, parce-que la multitude et la variété des soins qu’ils exigent, demandent plus de forces [43] physiques et morales qu’un seul homme n’en peut employer.

À plus forte raison le chef de la grande famille, qui est le souverain, a-t-il besoin de s’associer, ou plutôt de mettre en mouvement une foule d’agents, sans lesquels il ne pourroit ni accomplir ses devoirs, ni exercer le droit qu’il a de pourvoir à l’instruction, à la protection, à l’administration générale.

Ces agents sont les mandataires et les représentants du souverain dans tout ce qui regarde l’exercice de l’autorité publique. Ils lui sont comptables de la maniere dont ils s’acquittent des emplois qui leur sont confiés.

On doit donc distinguer trois ordres de mandataires, suivant les trois fonctions de l’autorité publique. Ordre de l’instruction, ordre de la protection, ordre de l’administration.

[44]

No Premier.

Premier Ordre de Mandataires du Souverain, ou Ordre de l’Instruction.

Dans le premier ordre sont compris non-seulement les instituteurs publics ordonnés par le souverain, pour l’éducation qui forme l’esprit et le cœur, qui développe l’adresse, l’industrie et toutes les qualités utiles ; mais encore les Ministres du culte[1], qui n’est à propre[45]ment parler (quant aux effets civils et par relation à l’État politique comme tel), qu’une continuité d’instruction morale pour les hommes faits. Et aussi les philosophes, les hommes de génie, ceux qui concourrent de quelque maniere que ce soit à instruire les hommes, à perpétuer, étendre et perfectionner les connoissances qui forment et dirigent les trois arts caractéristiques des États policés.

Ce premier devoir de l’autorité publique, ce soin de perpétuer, d’étendre, de perfectionner sans cesse l’instruction, n’en est pas moins le plus important de tous, quoiqu’il soit souvent très négligé. [46] Il n’en est pas moins le fondement de tout le reste.

Un État prétendu policé, dans lequel on croiroit pouvoir établir l’autorité même et ses fonctions, ainsi que l’art productif et l’art stérile, sur une autre base que l’instruction universelle, ne seroit jamais qu’une piramide qu’on voudroit bâtir la pointe en bas.

Au contraire, plus il y aura de principes, de connoissances, d’exercice dans un peuple, plus vous pourrez raisonnablement espérer d’y voir fleurir les trois arts auxquels ces principes, ces connoissances, ces exercices divers sont relatifs, et par conséquent plus vous y devez compter sur la prospérité publique, qui n’est que le résultat des travaux faits par ces trois arts.

Car pour mieux sentir la nécessité de l’instruction universelle, la nécessité de l’étendre et de la perfectionner de plus [47] en plus ; il ne suffit pas de réfléchir qu’on ne fait bien que ce qu’on sait. Il faut encore considérer que plus des trois quarts des hommes n’apprennent pas le quart de ce qu’on leur enseigne, et qu’ils oublient, ou négligent de pratiquer plus des trois quarts de ce qu’ils ont appris ; ensorte que la pratique réelle est avec l’instruction comme un est à soixante-quatre : c’est en cette partie qu’il faut beaucoup semer pour recueillir.

D’ailleurs l’instruction universelle est le premier, le vrai lien social, comme je l’expliquerai dans la suite, quand je traiterai plus expressément de la liberté et de l’autorité.

Les objets de cette instruction universelle sont les trois arts caractéristiques des États policés. L’art social, l’art productif, l’art stérile. Son but est d’apprendre le mieux possible à tous les hommes à être justes, et même bien[48]faisants, non usurpateurs ou criminels.

À être justes, c’est à-dire, à mériter chacun sa portion de la masse des biens actuellement existante. Ce qu’on ne peut faire qu’en remplissant quelque devoir, et en faisant quelque travail d’un des trois arts.

C’est pourquoi la morale économique est la connoissance fondamentale, qui devroit diriger l’instruction universelle, il faudroit que tous les hommes réunis en société eussent une idée claire et bien inculquée des trois arts, des trois classes, et de leurs relations, c’est-à-dire, de leurs devoirs et de leurs droits respectifs.

Il n’est point de nation, même à demi-policée, dont l’universalité ne reçoive par une instruction semi-barbare, plus d’idées plus difficiles et mille fois plus confuses, que celles qui entreroient dans une bonne instruction morale économique.

[49] Les idées dont je parle forment dans chaque nation le corps de toutes ces erreurs dont les hommes ont infecté le droit des gens, la législation, la morale, et quelquefois jusqu’à la religion ; elles forment un amas de préjugés faux, inutiles, souvent destructifs de l’humanité, opposés à sa propagation et à son bien-être.

On l’inculque cependant dans toutes les têtes ce ramas d’idées monstrueuses et désolatrices. On le sur-ajoute aux sentiments et aux idées de la nature, qu’il contredit presque toujours de la maniere la plus étrange.

Comment pourroit-on croire que l’instruction morale économique, si simple, si claire, si naturelle, si satisfaisante pour l’esprit et pour le cœur, ne pourroit pas être inculquée aussi universellement que les préjugés et les superstitions populaires ?

Cette premiere instruction, uniforme [50] dans son universalité, dont l’objet seroit la morale économique, est la base de tout État policé. Elle doit être accompagnée des connoissances qui sont nécessaires, ou du moins très utiles à toutes les divisions des trois arts, telles sont la lecture, l’écriture, les premiers éléments du calcul et de la géométrie la plus simple.

C’est dans cette premiere instruction que les hommes deviennent capables de se procurer de plus en plus leur bien-être : non-seulement en observant toute justice, mais même en perfectionnant de plus en plus quelque portion de l’un des trois arts, en ajoutant ainsi le mérite de la bienfaisance à l’accomplissement du devoir de ne pas détruire, de ne pas usurper, de ne pas empêcher.

Perfection progressive et continuelle, qui suppose, outre l’instruction la plus commune, la plus universelle, la plus uniforme, diverses instructions particulieres relatives à chaque partie diverse [51] des trois arts, aux divers talents des hommes et à leurs diverses positions. Instructions particulieres, qui doivent elles mêmes aller de plus en plus en se perfectionnant.

J’insiste sur l’utilité principale de ce premier devoir de l’autorité, et je prie qu’on y fasse bien attention, pour concevoir le motif qui fait donner, à l’ordre de l’instruction, le premier rang dans la premiere classe des hommes qui composent un État policé.

C’est qu’en effet tout le reste de l’art social, tout l’art productif, tout l’art stérile dépendent de l’instruction. J’entends de la bonne et véritable instruction morale économique, dont les objets sont les trois arts caractéristiques des sociétés, leurs principes de théorie, la pratique de leurs travaux plus ou moins développés, suivant les personnes et les circonstances.


[52]
No II.
Second Ordre de Mandataires du Souverain, ou Ordre de Protection.


L’instruction morale-économique, prévient beaucoup d’usurpations, mais elle ne les rend pas impossibles, elle ne les empêche pas toutes ; il faut donc y ajouter la protection ou la puissance tutélaire.

J’ai déja dit qu’elle étoit de deux sortes. Protection civile ou judiciaire, qui garantit à chacun ses propriétés et sa liberté contre les usurpations particulieres, qu’il pourroit souffrir au dedans de l’État. Protection politique ou militaire, qui garantit les mêmes propriétés, les mêmes libertés contre les usurpations générales qu’on auroit à redouter du dehors de la société.

La seconde puissance est le rempart et le soutien de la premiere ; c’est à-dire, que la justice souveraine a besoin [53] d’être appuyée par une force militaire capable d’en imposer même aux nations voisines en corps, à plus forte raison aux particuliers de la société, ou même aux confédérations intérieures, plus ou moins nombreuses que pourroient y faire des usurpateurs.

Ce n’est pas ici que je puis m’étendre beaucoup sur les principes constitutifs de la puissance judiciaire ou politique, mais je dois les faire sentir, en même-tems que j’assignerai aux magistrats, aux membres du corps militaire, aux ministres de l’art politique, le rang qu’ils doivent occuper dans l’analyse économique des États.

Une bonne législation est donc celle qui atteint le vrai but de puissance protectrice, c’est-à-dire, qui garantit à chacun ses propriétés, sa liberté.

Propriété, c’est le fruit de votre travail, c’est un bien qui vous est propre, parceque vous l’avez crée ou mérité en [54] remplissant quelque fonction d’un des trois arts caractéristiques des sociétés policées, ou parceque vous représentez le légitime acquéreur par son choix et sa volonté. La liberté sociale est relative à ces propriétés. Être libre, c’est « n’être empêché en nulle maniere d’acquérir des propriétés, ni de jouir de celles qu’on s’est acquises, je dis, acquérir, c’est-à-dire mériter à juste titre, non par usurpation. »

La loi naturelle étant de se faire à soi-même le meilleur sort possible, sans attenter à la propriété d’autrui, comme je crois l’avoir prouvé dans un ouvrage à part, (ou pour mieux dire, comme tout le monde le sent au fonds de son ame sans nulle preuve). La liberté sociale, que la justice doit garantir à tous, n’est pas autre chose, quoi qu’en aient écrit de grands Philosophes.

On a dit que cette liberté sociale consistoit « à ne pouvoir être forcé de faire [55] une chose que la loi n’ordonne pas » : cette définition, pour être bonne, exige qu’on y ajoute le principe fondamental de toute loi, sans aucune exception, et le voici.

Le premier objet de la loi est la propriété, la liberté d’un chacun ; c’est à vous conserver, à vous garantir propriété et liberté, que le souverain doit pourvoir par la loi.

Le second objet est l’usurpation et l’usurpateur ; c’est ce qu’il faut empêcher et réprimer.

Quel est le propriétaire ? Quel est l’usurpateur ? C’est la premiere question qui se présente à résoudre dans tout jugement.

Or l’attribution des propriétés n’est jamais arbitraire ; elle a un titre naturel, c’est ou le travail qui a mérité le bien dont la jouissance est réclamée, ou la transmission du légitime acquéreur.

On croit trop souvent que les loix [56] civiles sont attributives des propriétés, et qu’elles ont de même la force de donner aux actions des hommes leur caractere moral de bien ou de mal : ce sont deux erreurs très fécondes en conséquences pernicieuses.

Delà ces prétendues loix si nombreuses, si compliquées, si contradictoires, si mobiles, qui ont tant couté à faire et à maintenir, et qui ont passé rapidement d’âge en âge, malgré tous les efforts de l’autorité trompée.

Nul homme quelconque ne peut rendre bien ce qui est mal, ne peut faire propriétaire celui qui ne l’est pas légitimement suivant la loi naturelle, par lui même ou par représentation[2]. [57] Nul assemblage d’hommes n’a ce pouvoir.

Ce sera toujours un délit d’usurper, un mal de concourir à la diminution de la masse des jouissances. Ce sera toujours une justice de contribuer au maintien, à la conservation de cette masse ; on sera toujours propriétaire en vertu de la loi naturelle, des biens qu’on se sera procurés (immédiatement ou par échange) en remplissant ce devoir ; à plus forte raison de ceux qu’on auroit créés ou surajoutés par bienfaisance à la masse générale.

Cette loi est universelle, et tôt ou tard les hommes reconnoîtront l’injustice et les inconvénients des exceptions qu’elle a reçues ; elle est la raison [58] de toutes les bonnes loix civiles ; et s’il étoit des volontés qui fussent directement contraires à cette maxime, en vain leur donneroit-on le nom de loix ; le tems et l’expérience les réduiroient bientôt à leur juste valeur.

Si en faisant telle ou telle action j’usurpe sur la propriété légitimement dévolue à autrui par la loi naturelle vraiement attributive des propriétés, il n’y a pas besoin d’autre loi[3] pour me condamner. Si je n’usurpe pas, quiconque m’empêcheroit ne garantiroit la propriété de nul autre. Mais il usurperoit ma liberté personnelle, la premiere, la plus chere de mes propriétés. Il feroit donc précisément le contraire de la loi qui me l’attribue, et de la justice qui [59] doit me la garantir envers et contre tous.

Si j’ai un peu insisté sur ce principe fondamental, c’est qu’il a été fort oublié, fort embrouillé et même fort combattu par des systêmes très ingénieux ; c’est qu’on a trop paru vouloir justifier par des raisons d’utilité apparente, des millions de commandements arbitraires opposés les uns aux autres, qui se sont combattus et détruits dans la plupart des sociétés, qui les ont détruites elles-mêmes, et qui ne pouvoient manquer d’opérer cet effet dès qu’elles contredisoient la loi naturelle.

Car il n’y a qu’un mot qui serve. « En tout et par tout, c’est le devoir rempli ou le travail accompli, qui donne la propriété en vertu de la loi naturelle ». Or, garantir la propriété, la défendre contre les usurpateurs, assurer la liberté, c’est-à-dire, le libre usage du droit d’acquérir par son travail, ou de [60] jouir après avoir acquis, c’est l’objet de la puissance protectrice, c’est ce qu’elle doit opérer par la justice distributive, et par la puissance politique ou militaire.

Si les commandements qui attribuent de prétendues propriétés (fondées sur tout autre droit que le travail, qui est le seul titre naturel ou légitime) ; si les commandements qui gênent les libertés par toute autre restriction que les propriétés d’autrui légitimement acquises ne sont pas regardées comme des loix[4] ; c’est alors qu’on pourra définir la liberté civile comme l’a fait le célèbre Montesquieu : l’avantage « de ne pouvoir être forcé à faire une chose que la loi n’or[61]donne pas », parcequ’alors on dira réellement en d’autres termes, que la liberté consiste « à ne pouvoir être empêché, ni d’acquérir légitimement des propriétés par son travail, ni de jouir de celles qu’on s’est acquises ».

Cette derniere définition plus claire et plus facile à retenir, ce me semble, ayant simplifié l’idée de la liberté civile, on conçoit tout d’un coup en quoi doit consister l’exercice de la justice ou de la puissance protectrice intérieure civile et criminelle.

1o dans des cas où l’on doute de bonne foi (chose très rare), et dans ceux où l’on feint de douter quel est le vrai propriétaire, quel seroit l’usurpateur : les dépositaires de l’autorité souveraine décident le doute : voilà la justice civile rendue entre les parties contendantes.

Elle est bien administrée cette justice, quand le magistrat a démêlé par le principe de la loi naturelle, le vrai propriétaire ; c’est-à-dire celui qui s’est légiti[62]mement acquis par son travail le droit de jouir, ou le vrai représentant du premier acquéreur.

Elle est mal administrée, quand le magistrat par sa faute ou par celle de tout autre, attribue des propriétés à ceux qui ne les ont pas acquises par le titre naturel, et gêne les libertés.

2o la justice criminelle punit les délits commis, pour empêcher par la crainte des châtiments, ceux qui pourroient se commettre sans cette crainte. L’idée puérile de la vengeance ne doit jamais entrer dans le systême des loix pénales, autrement elle les rendroit déreglées, atroces, et par-là même inutiles : c’est ce que l’expérience a prouvé désormais aux peuples de l’Europe.

Un Empire qui servira sans doute de modele en cette partie très importante, mais non dans plusieurs autres, a pris pour base de sa justice criminelle, que le sang des hommes doit toujours être respecté par les hommes dans tous les [63] cas. On a lieu d’espérer que ce principe de la loi naturelle deviendra la regle générale des nations qui l’ont tant oublié.

Vous voulez empêcher les meurtres, en inspirer de l’horreur ? Et vous en faites commettre de sang froid par milliers pour le moindre sujet, quelle inconséquence ! C’est ce qu’on auroit pû dire aux législateurs sanguinaires, anciens et modernes. Vous inspireriez bien mieux cette horreur, en regardant vous-même comme sacrée, la vie même des plus grands criminels que vous puniriez du délit commis, et que vous empêcheriez d’en commettre de nouveaux.

« Mais, dit-on, la peine de mort en impose, elle contient ; les autres châtiments ne répriment pas » ; double erreur. La peine de mort rendue commune n’empêche rien, témoins tous les peuples et tous les siécles où l’on a prodigué la vie des criminels. Les peines [64] moins atroces répriment bien mieux quand elles sont inévitables par le bon ordre de l’état et par la juste sévérité des magistrats.

Résumons donc. Que résulte-t-il dans un État policé de la justice civile et criminelle bien administrée ? Il en résulte : « que quiconque fait, peut et veut, accomplir un travail quelconque de l’un des trois arts, n’en est empêché par qui que ce soit ; il en résulte que quiconque s’est acquis une propriété par son travail, peut en jouir par lui ou par ses représentants à son choix, sans en être empêché par qui que ce soit. Liberté d’acquérir, liberté de jouir. »

Mais que résulte-t-il de ces libertés ? Il en résulte le travail, qui opere le maintien, la perfection progressive des trois arts caractéristiques des sociétés policées, et par conséquent la prospérité générale de l’État.

L’instruction fait savoir, la justice fait [65] vouloir, car elle donne la certitude de jouir ; certitude sans laquelle on ne voudroit jamais se donner la peine d’apprendre ni d’opérer, en faisant des avances qui coutent du temps, des soins, des peines, des dépenses de toutes especes.

Nous avons ajouté que la justice est nulle dans l’etat, sans la puissance militaire, et que celle ci tire pour l’ordinaire une plus grande efficacité des alliances ou des relations politiques.

Or le principe universel qui doit guider l’usage de la force militaire, et diriger toutes les relations politiques, n’est pas un principe différent de celui qui décide de la moralité des actions particulieres ; car les peuples considérés comme tels, n’ont pas d’autre intérêt que les hommes pris en particulier : c’est une vérité claire, précieuse et trop oubliée ; ne pas diminuer la masse des biens, mais l’accroître de plus en plus, voilà le [66] seul, le véritable intérêt continuel de tous.

Si vous employez votre savoir, votre émulation, vos moyens uniquement à maintenir, ou à augmenter cette masse générale des biens, cette somme totale des jouissances : vous ne faites mal à personne, vous opérez votre bien-être, celui de plusieurs autres, le bien général de l’humanité.

Si vous les employez à détruire, à usurper ou empêcher l’accroissement de la masse générale des biens, la somme totale des jouissances ; vous faites votre propre mal, celui de plusieurs hommes, le mal général de l’humanité.

La puissance tutélaire, soit politique, soit militaire, n’a donc pas d’autre but que la justice civile et criminelle. Son objet est d’empêcher les usurpations, de conserver les propriétés et les libertés, afin de maintenir ou même d’augmenter de plus en plus la somme des biens qui font la prospérité du genre humain.

[67] C’est pour cela qu’on range dans le même ordre tous les hommes qui sont employés à ces fonctions de l’autorité garantissante, c’est-à-dire les Magistrats, les Militaires, les Ministres politiques, depuis le premier grade jusqu’au dernier, dans chacune de ces trois especes de mandataires du souverain, qui forment tous ensemble le second ordre, qu’on appelle de protection.


No III.
Troisième Ordre de Mandataires du Souverain, ou Ordre d’Administration publique.


Outre l’instruction qui donne le savoir, et la protection qui fait naître le vouloir, j’ai dit que l’autorité souveraine communiquoit encore aux hommes réunis en société le pouvoir de cultiver avec succès tous les arts caractéristiques des États policés.

C’est par la bonne administration g[68]énérale que le Souverain opere ce pouvoir universel, source de la prospérité des Empires, et, par une juste récompense, source de richesses et de grandeur pour les princes.

L’administration publique a deux branches principales, savoir la dépense du Souverain et sa recette. Les hommes dévoués à ces deux fonctions très importantes, forment donc le troisieme ordre de ses mandataires ou coopérateurs.


No IV.
De la dépense du Souverain.


Ce n’est pas ici le lieu d’expliquer dans le plus grand détail les vrais principes économiques de cette administration : on y viendra quand il en sera temps, après avoir fait des observations préliminaires qui les rendront plus faciles à concevoir et à retenir.

Mais je dois remarquer ici 1o  que [69] la dépense du Souverain comprend non-seulement la solde de tous les hommes employés à l’instruction publique, telle que je l’ai définie, à la Puissance tutélaire, civile, militaire ou politique, et même à la dépense ou à la recette des revenus du Souverain ; non-seulement encore l’entretien de tous les objets relatifs aux fonctions de ces mandataires, mais encore les frais que coutent les grandes propriétés publiques, dont la formation, l’entretien, la perfection progressive et continuelle caractérisent particulierement l’administration.

Ces grandes propriétés communes ou publiques, sont dans les États policés le vrai patrimoine de la souveraineté. Tels sont les chemins, les eaux navigables, les ponts, les ports, les villes, les édifices publics de toutes sortes.

Si les revenus des personnes privées dépendent immédiatement du bon état de leurs héritages particuliers, les re[70]venus de la souveraineté dépendent du bon état des propriétés communes ou publiques.

C’est sur-tout de cette partie de l’administration que résulte la prospérité générale des Empires ; car les travaux que fait sur le sol de l’État une administration éclairée, sont les causes les plus prochaines et les plus efficaces de l’opulence publique et privée, puisque c’est par ces moyens (réunis avec l’instruction et la protection) que l’autorité souveraine fait fleurir l’agriculture, le commerce et tous les arts.

En effet, pour que les citoyens propriétaires puissent tirer le meilleur profit possible des travaux particuliers qu’ils font sur leur héritage privé, à l’effet d’en rendre le sol plus productif ; et pour que les hommes occupés aux travaux quelconques de l’art stérile puissent trouver de même le plus grand avantage possible dans leurs fabrications ou leurs [71] commerces ; il faut que l’autorité souveraine étende comme un réseau sur toute la surface de l’État, les grandes propriétés communes, qui font valoir toutes les propriétés privées. Il faut qu’elle les entretienne avec le plus grand soin, qu’elle les perfectionne de plus en plus.

Sans se former des idées chimériques, on peut se représenter l’Égypte, par exemple, et la Mésopotamie, telles qu’elles ont existé dans le temps de leur vraie splendeur, dont il nous reste tant de monuments presque inconcevables pour les hommes qui ne connoissent que l’état actuel de nos sociétés.

Qu’on se figure donc un Pays tout couvert de canaux navigables en tout temps, de canaux qui fournissoient sans cesse aux arrosements de toutes les terres, de canaux accompagnés sur les deux rives, de chemins superbes élevés au-dessus de la plus grande inondation possible.

[72] Tout du long de ces canaux et de ces chemins, une foule presque innombrable de villages, préservés avec le même soin, du danger d’être submergés, entretenus dans la plus grande propreté, dans la plus grande sureté : et parmi ces villages multipliés, des milliers de villes vastes, superbes et opulentes.

Les uns et les autres entourés de campagnes florissantes que les arrosements réguliers rendoient fécondes, presque au-delà de l’imagination.

C’est par cette fécondité des héritages privés, que les villes et les villages étoient devenus si nombreux, si prosperes ; mais cette fécondité merveilleuse étoit la suite de la régularité des arrosements, et de la facilité des communications.

Or, c’étoit la bonne et sage administration des Souverains qui les avoient opérées l’une et l’autre, en élevant les digues, en creusant les canaux et les [73] lacs. Sans ces travaux, le Nil, le Tigre, l’Euphrate, tantôt eussent tout inondé, tantôt eussent refusé le moindre rafraîchissement aux campagnes ; mais les eaux de ces fleuves saisies dans une juste proportion et au niveau convenable, se déposoient pour l’entretien continuel de la navigation et des arrosements dans les lacs immenses, et n’en sortoient que par poids et par mesure, pour les besoins de l’agriculture et du commerce.

Delà ce peuple innombrable vivant dans une prospérité qui paroît quelquefois presque fabuleuse, ainsi que sa multiplication elle-même ; et cependant les monuments qui restent-là depuis plusieurs milliers d’années (je ne dis pas les pyramides énormes et les édifices immenses qui les accompagnent, ce n’est là qu’un petit accessoire aux yeux du spectateur philosophe), je dis les lacs, les digues, les canaux, les restes majestueux des villes et des villages, les ca[74]davres mêmes si précieusement conservés, si richement ornés, et qui se tirent depuis si long-tems de leurs tombeaux inépuisables : ce sont là des preuves subsistantes, des preuves invincibles, qui confirment le rapport des ecrivains, d’ailleurs unanimes entr’eux et témoins oculaires, qui ont décrit l’état de l’Égypte dans des temps ou dans des lieux différents ; mais qui parloient tous à des contemporains capables de vérifier chaque jour la justesse ou la fausseté de leurs descriptions.

Cet État de l’Égypte et de ses travaux publics, dont une partie considérable subsiste encore après tant de siécles de la plus destructive barbarie, n’est donc rien moins qu’une fable, malgré quelques épigrammes d’un philosophe, très bel esprit, qui pourroient la faire croire à certains lecteurs.

C’est cet État qu’il faut bien méditer, pour [75] concevoir à quelle perfection peut être portée la bonne administration, et quels effets surprenants en résultent infailliblement pour la multiplication et le bien-être de l’espèce humaine.

D’ailleurs, outre qu’il nous reste des Caldéens et même des Incas du Pérou, des monuments à-peu-près pareils, la Chine nous offre encore la réalité toujours subsistante de ces mêmes travaux, et la preuve très incontestable de leur efficacité. Outre sa muraille, son grand canal de 1200 lieues, ses digues, ses ponts, ses grands chemins, objets qu’on ne peut pas raisonnablement regarder comme des fables ; cent et cent témoins oculaires attestent qu’en plusieurs provinces les plus hautes montagnes y sont arrosées au gré du cultivateur, par les eaux mêmes des rivieres ou des canaux qui passent au bas, et qu’on éleve par des machines jusqu’au sommet.

Ensorte que dans ces provinces, le simple laboureur a pour féconder son [76] champ, des machines telles qu’on a regardé comme un très grand luxe dans un des plus puissants et des plus fastueux souverains de ce siécle, d’en avoir fait construire une seule à-peu-près de ce genre pour le service et la décoration d’un des plus beaux palais de l’Europe.

L’idée de cette administration, de la grandeur et de l’utilité des travaux publics qu’elle ordonne, qu’elle perfectionne de plus en plus, est une idée fondamentale qu’il faut imprimer fortement dans la tête de tous ceux qui veulent s’occuper de philosophie économique ; c’est sur-tout dans ces quatre nations vraiement illustres qu’on la trouve florissante, chez les Caldéens, les Égyptiens, les Péruviens et les Chinois. Les peuples plus modernes, tels que les Grecs et les Romains, que le pédantisme des colléges nous rend si vénérables, ne nous en offrent que de très foibles traces, et cela dans le tems très court [77] de leur plus grande prospérité, qui fut celui de leur respect pour la justice, et du zèle pour la culture de leurs propriétés foncieres.

Les nations plus que semi-barbares de notre Europe moderne, sont encore dans un éloignement prodigieux du point de perfection de ces quatre grands peuples. L’idée d’une administration vraiement royale, de la majesté de ses œuvres et de leur influence nécessaire sur le bien-être de l’humanité, ne vient que d’éclore parmi nous.

Il n’en est pas moins vrai qu’en jettant les yeux sur les États qui nous environnent, on y trouvera la prospérité des sujets dans une proportion exacte avec la sagesse de l’administration, avec la grandeur des travaux par elle consacrés à ce grand et unique objet de vivifier son territoire.

On verra, par exemple, que la Hollande est de toute l’Europe le pays le [78] plus riche en production territoriale, et les Hollandois le Peuple le plus prospere, uniquement parce que l’administration publique de Hollande est celle qui s’est le plus approchée de la magnificence utile des quatre grandes nations qui nous ont donné de si beaux modèles.

Le vulgaire des raisonneurs, qui cherche ailleurs la source du bien-être Hollandois, prend les effets pour la cause, et risque d’attribuer, ce qui seroit beaucoup pis, l’accroissement de la prospérité à des obstacles qui l’arrêtent, bien loin de l’accélérer.

La fécondité de son territoire, comparée avec celle de tout autre territoire européen, étendue pour étendue, à égalité de mesure, se trouve au moins comme cent, et même vis-à-vis de plusieurs autres cantons de pareille grandeur, comme mille est à un.

Car, en faisant un résultat total, on trouveroit que par la culture, par le [79] pâturage, par la pêche, il se récolte annuellement en Hollande la subsistance de plusieurs centaines de familles, par chaque mesure de telle ou telle étendue géometriquement prise, (tous les territoires compris, et les uns portant les autres). Or, en faisant un même résultat sur tels ou tels autres empires, on trouveroit que dans pareil espace géométriquement mesuré, (tous les territoires étant aussi compris, et l’un portant l’autre,) il ne se récolte pas annuellement la subsistance d’une famille en culture, pêche ou pâturage.

La cause effective de cette ample récolte de subsistances est la grandeur des bonnes dépenses faites par l’administration pour vivifier l’universalité du territoire, beaucoup mieux que ne le sont dans les autres États certaines portions privilégiés, qui sont à peine la millieme partie de leur étendue.

Tout le reste de ce qu’on admire communément en Hollande ; savoir, l’étonnante population, l’aisance générale, l’activité et l’industrie sont les effets de cette ample récolte de subsistances, ce sont les secondes conséquences dérivées de la bonne administration des grandes propriétés publiques.

C’est-là ce qu’on doit appeller principalement dépense du Souverain ; c’est-là le premier patrimoine de la souveraineté ; c’est la premiere source de son revenu à elle en particulier, et celle de tout autre bien public ou privé. J’insiste encore sur cet article, parcequ’il est trop oublié.

Résumons maintenant. L’Instruction, la protection, les grandes propriétés communes, voilà donc les trois objets des dépenses publiques. Dans tout ce qui n’a pas rapport à ces portions patrimoniales de l’autorité suprême, c’est l’homme qui dépense, ce n’est pas le Souverain.

[81] Multiplier même dans les meilleures et les plus utiles opérations, le nombre des agents au-dela du nécessaire, et surpayer ceux qu’on employe, c’est une dépense de dupe pour les particuliers, c’est pis encore pour les Souverains, car leur dépense est si fructifiante quand elle est bien dirigée, que c’est un grand crime de leze humanité quand elle est dévoyée.


No V.
De la recette du Souverain.


Le devoir d’établir, d’étendre, de perfectionner de plus en plus l’instruction, la protection, l’administration universelles, suppose, comme on vient de le voir, une multitude étonnante de travaux assidus et dispendieux, une surveillance continuelle et générale, par conséquent une foule très considérable de mandataires de la souveraineté.

Il est donc de toute nécessité que le [82] Souverain fasse une forte dépense dans les sociétés policées ; il est donc de toute nécessité qu’il y jouisse d’un grand revenu.

Si les Nations sont assez mal éclairées sur leurs intérêts, pour retrancher par une avidité mal entendue à la souveraineté les moyens de remplir les devoirs de son autorité, alors l’instruction publique, la distribution de la justice, la puissance militaire, les relations politiques, les grandes propriétés communes tombent dans la langueur, dans le désordre, alors il est impossible que les propriétés foncieres, que les arts productifs et les arts stériles ne soient pas jettés dans la confusion et dans le dépérissement.

Tel est le sort des États où l’autorité souveraine n’a pas toute l’activité, tous les revenus dont elle devroit jouir ; de la Pologne, par exemple, où regne l’anarchie la plus complette, et qui four[83]nit une preuve mémorable des maux qu’entraîne nécessairement l’anéantissement de presque toute autorité.

Or, le revenu du Souverain n’est en derniere analyse qu’une portion des subsistances et des matieres premieres annuellement renaissantes, attribuée à ses jouissances personelles et à celles de tous ses coopérateurs, ou mandataires de tous les ordres.

L’argent monnoyé qui circule dans les États policés, fait oublier souvent cette définition des revenus du Souverain et de leur recette journaliere, mais elle n’en reste pas moins vraie pour être perdue de vue dans la plupart des raisonnements soi-disant politiques.

Cet argent monnoyé n’est dans la circulation, comme je l’ai dit autrefois, qu’un titre efficace sur la masse générale des jouissances utiles ou agréables qui font le bien être et la propagation de l’espece humaine.

C’est une espece de lettres de change [84] ou de mandats acquittables à la volonté du porteur.

Au lieu de prélever sa portion en nature sur toutes les subsistances et sur toutes les matieres premieres annuellement renaissantes ; le souverain en exige en monnoies le titre efficace, le mandat, la lettre de change ; il distribue ces titres à ses coopérateurs, et ceux-ci les appliquent à leur destination, en se procurant des subsistances et des matieres plus ou moins façonnées, dont ils jouissent par eux mêmes ou par des salariés qui leur rendent quelques services personnels, ou qui accomplissent pour eux quelque devoir de l’autorité.

Les mandataires du souverain revendent ainsi l’argent du revenu public à la nation qui a commencé par l’avancer l’année derniere, comme gage des jouissances appartenantes à tous les coopérateurs de la souveraineté ; et la Nation dans la nécessité de le réavancer de nou[85]veau, pendant l’année courante, le rachette, en fournissant à ces mandataires les objets nécessaires à leurs travaux ou à leurs jouissances.

Dans quelques Empires mêmes très policés ; tels, par exemple, que celui des Péruviens, et quelques autres, comme l’Égypte et la Chine, les grandes institutions sociales s’étoient établies avant qu’on eut conçu l’idée des monnoies, de leurs usages et des facilités qu’elles procurent ; alors le souverain et ses coopérateurs, recevoient immédiatement et en nature les subsistances et les matieres premieres utiles à leurs travaux ou à leur jouissance.

Depuis l’invention des monnoies, la circulation de l’argent qui forme dans toutes les Nations modernes le revenu de la souveraineté, n’est qu’un moyen d’opérer médiatement cette recette en nature d’une portion des subsistances et des matieres premieres.

[86] Cette observation si simple et si naturelle, conduit par le chemin le plus court à une regle fondamentale d’où dérivent toutes les autres.

L’intérêt universel des hommes consiste à conserver et multiplier sans cesse les objets propres aux jouissances utiles et agréables, qui font le bien être et la propagation de l’espece humaine ; le but des arts productifs et des arts stériles, est cette multiplication progressive des jouissances ou des objets qui les procurent : c’est dans la vue d’assurer et de varier ces jouissances qu’on fait naître et qu’on façonne les productions.

C’est pour écarter tous les obstacles factices que l’ignorance et la cupidité des hommes pourroient opposer à cette conservation, à cette multiplication progressive et continuelle, par l’inertie, les violences et les usurpations ; c’est pour vaincre plus facilement les obstacles naturels qu’un sol inculte et sauvage [87] oppose à cette même multiplication, que l’autorité souveraine a besoin d’établir, de confirmer, de perfectionner sans cesse l’art social ou l’instruction, la protection, l’administration universelles.

C’est dans cette conservation, dans cette multiplication progressive et continuelle, que tous les hommes quelconques trouvent la récompense des travaux qu’ils ont faits pour maintenir ou pour accroître la masse générale des jouissances, de quelque espece que soient ces travaux, dans le district d’un des arts qui caractérisent les sociétés policées.

Empêcher l’accroissement continuel et progressif de la somme totale des jouissances, c’est-à-dire la production, le façonnement des objets qui les procurent ; c’est donc précisément le contraire du but général auquel doit tendre l’art social ou l’autorité qui l’exerce ; [88] c’est donc précisément le contraire de son intérêt.

Donc dans la recette des revenus de la souveraineté, toute perception, qui par son excès ou par sa forme, empêcheroit l’accroissement de la somme totale des jouissances et de la masse générale des objets propres à ces jouissances, ou qui opéreroit par les mêmes causes la diminution de cette masse actuelle, ce qui est bien pis encore, seroit un délit évident, le plus grand et le plus funeste de tous les délits.

Voilà ce qu’on a profondément ignoré très long tems dans les États plus qu’à demi barbares, qui se sont vantés de former des sociétés policées.

Uniquement occupés du désir d’attribuer à la souveraineté une grande portion des objets propres aux jouissances utiles ou agréables, qu’on pût partager entre ses coopérateurs, on a trop sou[89]vent fait comme le Sauvage qui jette l’arbre par terre pour cueillir un seul fruit.

C’est-à-dire, qu’on ne s’est pas embarrassé d’empêcher l’accroissement de la masse, ni même de la diminuer : bien loin de faire une attention continuelle à cette vérité salutaire, évidente et fondamentale, «  que le but de l’art social ou de l’autorité, n’est que de la maintenir et de la faire augmenter de plus en plus ; que le souverain trouve tout le premier son intérêt à cet accroissement, et un très grand intérêt supérieur à celui de tous les individus » ; on a cru, on a dit, sans le savoir, que l’autorité étoit le droit de détruire arbitrairement cette masse, en sacrifiant l’intérêt universel, et par une conséquence infaillible, la portion afférante à la souveraineté même. Malheureusement on n’a que trop agi en conséquence des systêmes qui sont tacitement fondés sur ces erreurs aussi absurdes que détestables.

[90] Si on disoit à des hommes raisonnables : «  la médecine ayant été établie comme l’art de guérir les hommes et de leur procurer une santé florissante ; il s’ensuit nécessairement et logiquement, que les Médecins, qui doivent être payés, comme de raison, pour exercer cet art de guérir les maladies, et d’entretenir la santé, ont droit et intérêt à tuer les hommes, en leur vendant, pour tirer le paiement de leurs salaires, un poison infailliblement mortel  » …

Si on disoit, « l’art des vêtements ayant été établi pour préserver les hommes du froid et de l’humidité, il s’ensuit nécessairement et logiquement, que les ouvriers qui doivent être payés, comme de raison, pour ce service, ont droit et intérêt à faire aller les hommes nuds, en nous dépouillant pour se faire payer de leurs salaires, et en nous empêchant de nous vêtir, on regarderoit ce propos-là comme le comble du délire.

[91] Ce seroit bien pis, si on trouvoit de pareilles spéculations mises en pratique chez quelque Peuple.

Dans le vrai, cependant, qu’on examine le systême universel de la fiscalité ancienne et moderne, on trouvera qu’il est fondé par-tout sur le même anti-raisonnement.

L’autorité ou l’art social est utile et même nécessaire pour la conservation et l’accroissement de la masse des jouissances. Donc les mandataires de la souveraineté, qui doivent être payés pour tous les travaux indispensables de cet art social, ont droit et intérêt d’empêcher ces jouissances, et d’en détruire les objets.

Voilà le principe tacite des taxes ou accises qui désolent depuis vingt siécles toute notre Europe.

Donc au contraire ces coopérateurs de la souveraineté devroient s’attribuer une portion de ces objets, sans altérer [92] la masse, sans la détruire, sans l’empêcher de croître : c’est la conséquence bien naturelle et bien légitime de ce principe incontestable, c’est celle qu’en tire la philosophie économique.

Donc toute perception, qui par son excès ou par sa mauvaise forme, empêche, détruit, anneantit les jouissances, est un délit[5], c’est-à-dire, une folie, une injustice, et tôt ou tard une cause de préjudices énormes pour celui même qui le commet.

C’est la conséquence ultérieure du même principe, elle emporte évidemment la réprobation de toutes les taxes, accises et autres perceptions de cette [93] sorte empêchante et destructive, qui prive les individus et le général même, d’une certaine somme de jouissances.

L’oubli trop long, trop universel de ces verités salutaires a multiplié dans l’Europe moderne les formes les plus pernicieuses de percevoir la portion de subsistances et de matieres premieres, attribuée aux coopérateurs de l’autorité souveraine, ou ce qui revient au même, de percevoir l’argent, qui est le titre et le gage de cette recette ou de cette attribution.

C’est delà qu’est né cet art si compliqué de la fiscalité, art que les nations modernes ont emprunté, comme beaucoup d’autres erreurs, de deux petits peuples, que le talent d’écrire des livres élégants, a rendu célebres pour le malheur de l’humanité ; c’est-à-dire, des bourgeois d’Athenes et de Rome, déprédateurs avides et cruels de cent Provinces, qu’ils ravagerent moins par leurs [94] armes quand ils voulurent les conquérir, que par leurs publicains quand ils les eurent usurpées ; art dont les principes constitutifs et fondamentaux sont profondément ignorés par ceux qui l’approuvent, qui l’enseignent et qui le pratiquent, ignorance qui fait peut-être leur excuse personnelle, mais qui n’en excite que de plus grands regrets dans le petit nombre de ceux qui les connoissent.

Art qui constitue par-tout les hommes prétendus réunis en société, dans un État de guerre contre l’autorité souveraine, et qui réduit une portion des mandataires de la Souveraineté à la triste nécessité d’espionner, d’envahir, d’attaquer les autres hommes, de gêner leur liberté, d’empêcher leurs jouissances. C’est ce coup d’œil évidemment contraire à la société, qui révoltera toujours le bon sens et l’équité naturelle des Peuples : c’est lui qui a rendu totalement inutiles [95] les sophismes de quelques beaux esprits assez hardis et assez vils pour se déclarer contre cette répugnance universelle, inspirée par la saine raison et par l’évidence de l’intérêt général des hommes.

Les salariés d’un fisc dévastateur, comme celui d’Athenes et de Rome, par exemple, dont les opérations empêcheroient les jouissances, et détruiroient sans cesse la masse des objets propres à nous les procurer, rempliroient donc un ministere, malheureusement tout contraire aux fonctions de la Souveraineté ; car ils feroient précisément la même chose que les usurpateurs du dedans ou du dehors, dont le délit ne consiste qu’à gêner les libertés des autres, et à les priver de quelques jouissances, et par conséquent ils feroient précisément ce que l’autorité doit empêcher.

Il ne faudroit donc pas comprendre ces agents d’une fiscalité si pernicieuse[96]ment erronnée dans l’analyse des États vraiement policés ; ils n’existeroient pas dans un Empire organisé selon les principes économiques.

J’expliquerai bien-tôt le principe de la vraie société qui réunit évidemment les intérêts de la Souveraineté avec ceux de tous les Citoyens, qui détermine l’étendue des droits respectifs, qui fixe une regle de partage dictée par la justice, par la raison éclairée.

Les mandataires du Souverain, qui veilleroient de sa part à cet intérêt précieux, qui seroient chargés d’exercer ce droit saint et légitime, qui réclameroient sa portion dans le juste partage, forment la seconde division des coopérateurs de l’administration.

Dépenser utilement les revenus de la Souveraineté au maintien, à la perfection progressive et continuelle de l’art social, c’est l’emploi de la premiere di[97]vision ; recevoir les revenus en observant toute justice, c’est l’emploi de la seconde.

En observant toute justice, voilà le mot sacramentel ; c’est-à-dire, sans jamais empêcher aucun homme d’acquérir à son gré des propriétés, sans jamais empêcher aucun homme de jouir à son gré de celles qu’il s’est acquises ; car c’est en cela que consiste la justice, ou l’accomplissement de la loi universelle, que nul homme ne doit jamais violer, que l’autorité souveraine doit faire accomplir, qu’elle doit à plus forte raison accomplir elle-même.

No. VI.

Résumé des trois Ordres de Mandataires du Souverain.

Premier ordre d’instruction générale, dont la base fondamentale, uniforme et universelle, doit être la morale économique, dont les objets ultérieurs sont les trois arts caractéristiques des États policés, l’art social, l’art productif, l’art stérile, et leurs principes de théorie plus ou moins détaillés, leur pratique plus ou moins développée, suivant les lieux et les personnes, suivant leur qualité, leurs talents et leur condition.

Second ordre, celui de la protection judicielle, militaire et politique, qui garantit à chacun des hommes toute liberté d’acquérir des propriétés légitimes, et toute liberté de jouir de celles qu’on s’est acquises, c’est-à-dire, qui repousse, prévient ou punit toute violence, toute usurpation, soit du dehors soit du dedans, par la force publique de l’autorité souveraine, par tout présente, par-tout surveillante, par-tout imposante.

Troisieme ordre, celui de l’administration, qui reçoit les revenus de la Souveraineté sans délit, sans gênes des libertés sans violation des propriétés, sans destruction de la masse des jouissan[99]ces ; mais au contraire, qui dépense ces revenus pour le maintien et l’accroissement progressif de cette masse, en assurant aux hommes de mieux en mieux l’enseignement qui les fait savoir, la sureté qui les fait vouloir, et les grands moyens d’utilité publique qui les font pouvoir, d’où résulte le perfectionnement continuel et progressif des trois arts, et par une suite nécessaire, la plus grande prospérité de l’État, la propagation, le plus grand bien-être de l’espèce humaine.

Tous les hommes dévoués à ces fonctions augustes et bienfaisantes de l’autorité publique et suprême, enseignante, protégeante, administrante, forment dans la premiere classe des Citoyens la premiere division, que j’appelle de la Souveraineté.

ARTICLE II.

Seconde division de la première Classe.

No. Premier.

Des fonctions de l’Administration privée.

L’administration publique et souveraine dispose la totalité du sol de l’État à la plus grande prospérité progressive des arts qui caractérisent les États policés, en y formant les grandes propriétés communes, les rivieres navigables, les ports, les villes et les autres édifices publics, en les entretenant et les perfectionnant de plus en plus.

L’administration privée des peres de familles dispose d’une maniere plus prochaine chaque partie du même sol à cette prospérité, en y formant des propriétés particulieres, des domaines cultivables, des fonds productifs, tels que les terres, les bois, les prés, les vignes, [101] les pêcheries, les mines, les carrieres, et autres semblables héritages privés, qu’on appelle propriétés foncieres.

Sur la surface du sol le plus fécond en lui-même, la nature seule n’offre à l’industrie de l’homme cultivateur, que des obstacles à vaincre. Les terres incultes et sauvages, sur lesquelles on n’a point fait de grands travaux pour extirper les pierres, les plantes, les racines, pour bien mélanger les diverses couches, pour les rendre accessibles aux influences de l’air, pour y procurer l’écoulement des eaux par une pente convenable, par des fossés et des rigoles, pour les entretenir dans un état de fraîcheur et de température par de bons abris, tels que les hayes, les plantations bien entendues d’arbres fruitiers ou d’autres : ces terres quoique cultivées péniblement avec des soins assidus, par un grand nombre de Colons, ne produiroient qu’une petite quantité de [102] fruits, dont la récolte seroit difficile, et la qualité médiocre.

Au contraire, sur un sol naturellement pareil, mais préparé par de grands travaux fonciers, et bien pourvu des édifices nécessaires à son exploitation, un très petit nombre d’hommes peut faire naître et recueillir une récolte infiniment meilleure et plus abondante.

Il est donc évident que tous les arts productifs et tous les arts stériles se fixent et prosperent de plus en plus, à proportion que la récolte annuelle des terres bien préparées par de grands travaux fonciers fournit une si grande abondance des productions les plus propres aux jouissances des hommes, (soit subsistances, soit matieres premieres), qu’il y a beaucoup à jouir pour chacun de ceux qui peuvent avoir concouru à la naissance de ces productions, et encore pour ceux qui concourent à leur donner après la naissance, les différentes formes d’où [103] dépendent l’agrément et l’utilité des jouissances.

Les arts productifs ou non productifs, leur développement, leur perfection progressive dépendent donc immédiatement des avances foncieres ou des travaux que font l’émulation et l’industrie privée sur un sol déterminé, pour le rendre plus aisé à cultiver, plus abondant en meilleures productions, plus commode à récolter.

No. II.

Droits de la propriété fonciere.

C’est l’utilité très évidente des avances foncieres, c’est leur efficacité ou leur influence sur les travaux des autres arts, c’est la durée de cette efficacité pendant plusieurs années et même pendant plusieurs siécles, qui fonde la prééminence de la classe propriétaire, la légitimité de ses droits, même de celui d’hé[104]rédité, c’est-à-dire, de transmission à ses représentants.

Car la surabondance de productions annuellement récoltées, qui est l’effet des avances foncieres, forme sans cesse un titre incontestable aux représentants de l’homme qui les a faites, et qui les a fait telles, précisément en vue de mériter, de recueillir à l’avenir par lui-même ou par les siens, une portion dans cette récolte devenue surabondante uniquement par son travail ou par sa dépense.

Quel seroit en effet la raison, le droit ou l’intérêt de disputer à lui ou à ses représentants, cette portion si légitimement et si utilement acquise ? Faire des avances foncieres, n’est-ce pas consacrer des biens dont vous pourriez jouir actuellement en toute autre maniere, à préparer un sol, à le rendre plus productif, plus utile aux arts de toute espece pendant un long espace de [105] tems ? L’effet de ces avances foncieres ne dure-t-il pas à proportion de la grandeur et de la solidité des travaux, c’est-à-dire, à proportion de la dépense et de l’industrie qu’on y emploie ?

Un homme qui incorpore ses biens à la terre, pour la rendre plus fructifiante, s’incorpore donc lui-même à ce sol, il prend racine dans l’État, s’il est permis de parler ainsi : son existence, ses jouissances sont attachées intimement au territoire.

Les propriétaires fonciers appartiennent donc plus spécialement et plus intimement à chacun des Empires policés, par le titre même de leur propriété.

Dans les grandes sociétés, le Souverain choisit naturellement ses coopérateurs ou mandataires dans la Classe des propriétaires fonciers, parcequ’ils ont plus de loisir, plus d’instruction, plus d’union fixe et immédiate, avec les intérêts et les devoirs de la Souveraineté.

[106] C’est de-là qu’est née l’idée de la Noblesse et de sa destination, idée que l’ignorance et les préjugés ont souvent trop défigurée.

Sans remplir aucune des fonctions de l’autorité souveraine, un propriétaire qui fait, qui entretient, qui améliore sans cesse les avances foncieres sur son héritage particulier, travaille essentiellement et infailliblement à la perfection progressive des arts caractéristiques de la société. Ses travaux et ses avances font nécessairement prospérer de plus en plus l’art productif, par conséquent tous les arts stériles, c’est un acte de sagesse et de bienfaisance ; c’est le plus louable, c’est-à-dire, le plus utile dont l’homme privé soit capable sur la terre.

Le Propriétaire n’a au-dessus de lui que la Souveraineté, dont les travaux continuels font naître les siens, en lui procurant l’instruction par laquelle il sait incorporer utilement au sol ses biens [107] actuels, et s’en faire par ce moyen une source d’autres biens sans cesse renaissants pour lui-même et pour sa postérité : en lui procurant la certitude de jouir lui et les siens, certitude sans laquelle il ne voudroit pas faire le sacrifice de ses biens actuels, et d’une jouissance toute prête, à l’espoir incertain de jouir plus dans un tems futur et dans sa postérité : en lui procurant enfin le pouvoir de recueillir les fruits de ce sacrifice, dont l’utilité plus ou moins grande, dépendra toujours de l’autorité souveraine, de ses succès ou de ses erreurs.

Mais au-dessous des Propriétaires fonciers est immédiatement la Classe productive, dont les travaux supposent les avances foncieres, et dépendent évidemment de ces travaux.

À plus forte raison toute la Classe des arts stériles qui attend elle-même ses matieres premieres et ses subsistances de la Classe productive.

[108] La propriété fonciere est donc le caractere général et distinctif de la Noblesse dans les États policés[6]. En ce sens, tous les nobles sont égaux entr’eux, et la richesse fait la seule différence.

Les fonctions plus ou moins importantes de l’autorité souveraine instruisante, protégeante, administrante, forment une seconde distinction parmi les mandataires du Souverain ; et ceux qui les ont remplies avec une grande utilité publique, laissent en héritage à leur postérité, comme fruits de leurs grands travaux et de leurs grands succès, une illustration qui les rend plus chers à la société ; c’est-à-dire, qu’on prend un double plaisir à les voir justes, bienfaisants et prosperes, qu’on a une double [109] indignation, un double chagrin à les voir méchants et malheureux.


Résumé général de la Classe noble ou propriétaire.


1o Le Souverain et tous ses représentants mandataires ou coopérateurs dans l’ordre de l’instruction, dans l’ordre de la protection et dans l’ordre de l’administration.

2o Les Propriétaires particuliers dont l’administration privée fait, entretient et perfectionne les avances foncieres, les édifices, les préparations de toutes sortes, qui précédent et qui rendent plus fructifiants les travaux de l’art productif.

Telles sont les deux divisions qui forment la premiere Classe d’hommes dans les sociétés policées.


  1. Les Ministres de la Religion, comme dépositaires et dispensateurs de la Doctrine révélée, ne sont ni mandataires, ni représentants du Souverain. Ils tiennent leur pouvoir et leur mission de Dieu, qui a voulu que l’homme n’apprît immédiatement que de lui les moyens d’être heureux dans l’autre vie. Mais tout ce qui peut contribuer à son bonheur dans celle-ci, est, et du ressort et de la raison, et soumis à l’autorité publique, dont elle doit guider la marche. Tous ceux qui peuvent hâter les progrès de la raison, deviennent donc aussi, sous ce point de vue, ministres et agents du Souverain. Ils servent son pouvoir. Il les surveille et doit les encourager.
  2. Les Loix civiles qui ont réglé la transmission des propriétés, n’ont fait qu’indiquer la suite de ces représentations successives. Cette chaine, si elle n’avoit point été coupée par des usurpations, et si l’ordre naturel avoit toujours été suivi, nous feroit remonter jusqu’à celui qui le premier a défriché et mis en valeur ce terrain. Les Loix qui, à la suite d’une invasion injuste, ont changé en propriété la très longue possession, ont eu également leur motif dans les travaux du possesseur de bonne foi.
  3. Qu’on ne conclut point de tout ceci que je nie la nécessité des Loix civiles positives : j’indique la premiere de toutes les regles, à laquelle les hommes auront souvent malheureusement besoin d’être ramené.
  4. Encore une fois. Je n’entends pas ici affranchir les hommes soumis à un Gouvernement civil quelconque de la nécessité d’obéir même à des loix dont ils sentiroient les inconvénients : mais comme je cherche ici quel est l’ordre prescrit par la nature elle-même, qu’il me soit permis de n’appeler loix, que les regles qu’elle nous a tracées.
  5. Que l’on se rappelle la définition du mot de délit, que nous avons donné plus haut, nos Lecteurs ne perdront point de vue que nous envisageons ici l’ordre naturel, et que par conséquent nous devons inculper sans façon comme faute tout ce qui l’altère comme obstacle ou préjudice.
  6. Que l’on fasse toujours attention que l’État dont je cherche ici à crayonner l’esquisse ne ressemble nullement aux États que nous voyons.