Première Introduction à la philosophie économique/7

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Première Introduction à la philosophie économique
ou analyse des États policés (1767)
Texte établi par Auguste DuboisPaul Geuthner (p. 183-187).


RÉSUMÉ GÉNÉRAL



Rassemblons dans l’ordre le plus clair qu’il nous sera possible les principes économiques, dont l’évidence doit être désormais assez frappante pour saisir tous les esprits attentifs.



N° Premier.
Le droit naturel et la philosophie morale.


Desirer sa conservation, son bien-être, c’est l’attrait naturel de tous les hommes.

Pourvoir à cette conservation, à ce bien-être, c’est le devoir naturel de tous les hommes.

3° Pour que tous les hommes puissent suivre cet attrait, et remplir ce devoir naturel de mieux en mieux, autant qu’il est possible, il faut nécessairement deux conditions ; la premiere, que nul homme n’opere jamais sa conservation et son bien-être, en empêchant la conservation et le bien-être d’autres hommes ; la seconde, que tout homme opere le plus qu’il est possible sa conservation et son bien-être, en procurant la conservation et le bien-être de quelques autres hommes.

Ces trois vérités indubitables renferment la loi naturelle, l’ordre social, le droit des gens ; c’est une illusion très absurde et très dangereuse de les chercher ailleurs.

Il est souverainement évident que s’il s’offre à un homme, à plusieurs hommes deux moyens de procurer leur conservation et leur bien-être, que l’un de ces moyens soit destructif de la conservation et du bien-être d’un ou de plusieurs autres hommes, que l’autre soit conservatif et augmentatif de ce bien-être ; s’ils choisissent le premier et rejettent le second, l’attrait naturel sera d’autant moins suivi, le devoir naturel sera d’autant moins rempli, le vœu de la nature pour la prospérité de l’espece sera moins accompli.

De là naissent évidemment les idées de justice, de crime ou délit, et de bienfaisance par essence.

Ne pas empêcher la conservation et le bien-être des autres hommes, c’est justice.

Les empêcher, c’est crime ou délit.

Au contraire, les procurer, c’est bienfaisance.

Et ce, par l’ordre éternel, immuable, irrésistible de la nature et de son auteur suprême, indépendamment de tout ce que les hommes peuvent faire, dire ou penser ; et ce avant toute convention humaine, tout pacte, toute société ; et ce dans tous les cas, dans tous les lieux, dans toutes les circonstances.

Voilà le droit naturel et la philosophie morale, qui sont d’une certitude supérieure à tout.



N° II.
La loi sociale et le droit des gens.


1° La conservation et le bien-être de l’espece humaine et de chacun des individus qui la composent, dépendent des jouissances utiles ou agréables.

2° Ces jouissances utiles ou agréables sont attachées à l’usage des productions naturelles plus ou moins façonnées par l’art.

Donc la bienfaisance consiste à multiplier les productions naturelles, et à perfectionner les arts qui les rendent propres aux jouissances utiles ou agréables, qui font la conservation, le bien-être des individus, la propagation et la prospérité de l’espece.

Donc la justice consiste à ne pas diminuer la masse de ces productions naturelles, à ne pas empêcher son accroissement, à ne pas détériorer l’art qui les rend propres aux jouissances, à ne pas empêcher sa perfection progressive et continuelle.

Donc le crime ou le délit consiste à diminuer cette masse de productions, à empêcher son accroissement, à détériorer l’art, à empêcher sa perfection.

Voilà la loi sociale et le droit des gens

de par la nature, et son ordre évident.


N° III.
La constitution économique des États policés.


1° Pour éviter de mieux en mieux autant qu’il est possible les crimes ou délits, pour accomplir de mieux en mieux toute justice, pour suivre le plus possible l’ordre de bienfaisance, il faut une société économique entre les hommes.

2° Trois arts caractéristiques forment cette société : l’art social, qui fait naître, qui maintient, qui perfectionne le savoir, le vouloir, le pouvoir, par le moyen de l’instruction, de la protection, de l’administration, et qui dispose ainsi la terre et les hommes à conserver et augmenter sans cesse la masse des productions, la somme des jouissances.

L’art productif qui prépare et qui opere les récoltes des productions naturelles dans l’état de simplicité primitive.

L’art stérile qui les façonne, les unit, les incorpore l’une à l’autre pour en former des subsistances qui se consomment subitement, ou des ouvrages de durée qui s’usent lentement.

Tout ce qui maintient et perfectionne ces trois arts est bien, tout ce qui les dégrade est mal, en tout temps, en tout lieu, en toute circonstance de par la nature, soit que les hommes quelconques le sachent et le veulent, soit qu’ils l’ignorent et ne le veulent pas.

Voilà toute la législation économique ; elle est unique, éternelle, invariable, universelle ; elle est évidemment divine et essentielle.


N° IV.
Les règles générales et particulières.


1° Désirer la multiplication des hommes sur la terre, des hommes éclairés, justes et bienfaisants, heureux et dignes de l’être, c’est-à-dire, la perfection des arts sociaux, des arts productifs, des arts stériles ; c’est à dire l’amélioration progressive et continuelle des propriétés, l’extention et la perfection des libertés ; non seulement le désirer, mais y contribuer de son mieux, et ce par sentiment intérieur de respect et d’amour pour l’ordre bienfaisant de la nature.

Sur-tout ne jamais usurper aucune propriété, n’en jamais empêcher l’acquisition, la perfection, la jouissance, c’est-à-dire, ne violer jamais aucune liberté, et ce par obéissance à la loi de justice par essence.

Telle est la règle générale, éternelle et universelle de tous les hommes quelconques, sans nulle exception en tout état et en toute circonstance.

2° Perfectionner de plus en plus principalement et en premier lieu l’instruction morale économique, c’est-à-dire l’enseignement de la loi naturelle de justice par essence, de l’ordre naturel de bienfaisance sociale, et de tout ce qui peut contribuer au maintien et aux progrès continuels des trois arts caractéristiques des sociétés policées : en second lieu, la protection tant intérieure qu’extérieure, contre les usurpateurs des propriétés et les violateurs des libertés ; c’est-à-dire la justice civile et criminelle, les bonnes et sages relations politiques d’alliances défensives, la force militaire contre les invasions et les ravages de la barbarie seulement : en troisième lieu, la bonne et sage administration publique, c’est-à-dire la perception directe des seuls vrais revenus de la souveraineté, qui consistent dans une portion du produit net parfaitement disponible, telle que la classe productive ait toujours prélevé largement ses reprises, et les propriétaires largement la double portion qui leur appartient, sur la valeur de la production totale (perception qui procure sans injustice et sans délits à l’autorité souveraine les moyens de remplir les fonctions augustes et sacrées de son ministère) ; user de ces moyens avec sagesse pour améliorer non seulement l’instruction et la protection, mais encore les grandes propriétés publiques et communes, qui font valoir toutes les propriétés privées.

Telles sont les règles éternelles immuables universelles des dépositaires quelconques de l’Autorité suprême.

3° Améliorer ses propriétés foncières sans attenter à la portion de revenu qui forme le patrimoine de la souveraineté, sans subjuguer, sans dépouiller, sans avilir la classe cultivatrice, sans usurper nulles propriétés, sans violer nulle liberté de nul individu : c’est la règle des propriétaires fonciers.

4° Améliorer les exploitations productives, épargner les hommes, les hommes, travaux, les avances, le sol, en multipliant les productions naturelles, en les bonifiant dans leur espèce, en observant d’ailleurs toute justice et dans l’augmentation de ses avances primitives, et dans la jouissance des fruits qu’on en retire : c’est la règle de la classe productive.

5° Exercer ses talents acquis ou naturels, sans lésion de personne : c’est la règle de la classe stérile.

En un seul mot, être vraiment amis des hommes : voilà toute la Philosophie Morale, et toute l’Économie Politique.