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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Lieds

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Mercure de France (Premiers poèmesp. 107-115).

LIEDS

Et puisque tout est semblable, tous les soleils des années, toutes les souffrances des jours, écoute flotter et bruire l’âme de la légende.

Le vieux rêve se meut dans une atmosphère aimante, aux douleurs lointaines les pardons faciles ; écoute dans le temps sourire tes frères morts.

Regarde au jardin de la légende, et les yeux profonds, vite entrevus, et les nefs éternelles errantes, et la chanson qui s’écoute à toutes routes. Regarde aux bariolures de passants, et sous tant de robes, tant de semblables cœurs.

I

File à ton rouet, file à ton rouet, file et pleure
Ou dors au moutier de tes indifférences
Ou marche somnambule aux nuits des récurrences
Seule à ton rouet, seule file et pleure.

Sur la route, les cavaliers fringants
Poussent les chevaux envolés dans le vent,
Souriants et chanteurs s’en vont vers les levants
Sur la route ensoleillée les cavaliers fringants.

File à ton rouet, seule à ton rouet, file, et pleure.
Seule à ton rouet, file, crains, pleure.

Et celui dont la tendresse épanouie
Souffre aux nerfs, aux soucis, à l'ouïe,


Celui-là s’en ira pour consoler ses doutes
Aux refuges semés le long des âpres routes ;
Suspends aux greniers les chanvres rouis.

File à ton rouet, les chansons sont légères,
Les images redisent les gloires des marins,
Les chansons s’évident aux heures plus légères,
Proches du retour sonore des marins.

Et voici, las des autans et des automnes
Au ciel noir des flots qui tonnent,
Le voici passer qui vient du fond des âges,
Noir et brun, et si triste : et les lents marécages
De ses yeux où demeurent stagnantes les douleurs
S’arrêteront épars sur tes yeux de douleurs.

Seule à ton rouet, file et pleure
Tes candeurs nubiles s’en iraient au gouffre
Au gouffre lamé de passé qui souffre
Depuis les temps, les temps, les leurres et les leurres.
File à ton rouet, seule file et pleure.

II

Ah la fillette aux fols palais
Quels chemins de croix as-tu faits
Pour t’en venir à la chaumine
Où la huche crie famine
Et l’âtre au seuil désert poudroie
Cette nuit de pluie où le vent guerroie ?

Je suis partie de grand matin
Avec ma mante de satin
Le long des trilles et des rondes
Et les ruisselets tant abondent
D’odeurs éparses en pâleurs
Que j’en suis restée tout en pleurs.

Toi des temps, que n’es-tu venue
Lorsque j’attendais ta venue

Anxieux des pas et douloureux
Des prunelles des amoureux,
Quand je façonnais aux jardins
Des divans d’ombre à tes destins ?

Des cavaliers qui sont passés
Si las de lointaines déroutes,
Et je voyais leur capitaine
Si fier soldat et tant blessé
Qu’à l’ouïr me suis arrêtée
Contant les contrées incertaines.

Fille frêle, le froid se gîte
À la masure qui s’effrite ;
Retourne-t’en vers tes palais
Blancs de cygnes, aux parcs violets.

Je m’en irai de grand matin
Vers la route où passent les trouvères
Avec ma mante de satin
Et te laisserai le levain
Le levain des attentes amères.

III

C’est vers ta chimère
Vers les gonfalons et les pennons de ta chimère
Que vont les désirs en pieux pèlerins, —
Pèlerins fatigués des rythmes obsesseurs
Reposez-vous à l’ombre acquise
À l’ombre apaisée dormez les sommeils berceurs des haltes.

À l’ombre de l’arbre des désirs
Endormez vos inquiétudes, endormez
Vos chansons et vos frissons des antans
Et les pennons brodés d’Orient, glacés de lacs, les pennons mauves

Dômeront en flots d’apothéoses, dômeront vos fallaces, vos visionnaires trêves


L’or de tes cheveux s’ébroue
À tous les matins des grèves
Et ta caresse qui s’achève
En lents retours, en lents caprices, en lentes morsures si sûres.

Dormir comme on s’étend blessé,
Comme on s’en va glisser vers les mirages
Les mirages du rêve, les mirages des espérées,
Dormir hors le réel
Vers tes lacs bleus, tes plaines blanches, tes jardins rouges.

Et puis finir — (Oh si lointain
Le son d’antiques mandolines)
Et puis finir,
Le château sans trêve et sans paix croule et meurt.

IV

Les soirs d’automne au bois des peurs
La cabane tremblotante et la chapelle illuminée,
Les soirs d’automne parés de lune.

Tête basse attend le destrier le cavalier tueur de mâles.
Qui bondirait dans les mêlées,
Et dont la rapière serait
Un ouragan aux nuits des consciences

Et dame Bertrade prie
Pour le retour du cavalier
Du cavalier qui n’est point venu
Las ! et ne viendra jamais

Cependant qu’un rire moqueur
Éclate sans lèvres dans les branches.

V

Ce rêve de ta vie qu’elle fût mienne, sitôt enfui
Et les minutes de nos mains se serrant, sitôt enfuies
Vers les astres de mâle aventure qui de cette heure dans ma nuit ont lui

Dans la démence d’un rêve éveillé marchent mes sens
Dans la logique léthargique d’un rêve éveillé maléfique
Mes sens sont en partance vers l’inconnu des passés évanouis.

Mon âme assiste à tes apparences passantes,
Mon âme assiste à tes baisers magnifiés et caressés
D’ondoyantes rumeurs d’unanimes consentements.

Ce rêve de ta vie, familier des heures, des lentes heures, plus lentes
Depuis que se sont les minutes enlacées, évanouies —
Ton rêve perpétue les lentes traînes de tes regards aimants.