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Premiers poèmes/Les Palais nomades/Voix au parc

La bibliothèque libre.
Mercure de France (Premiers poèmesp. 91-99).

VOIX AU PARC

L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
Paul Verlaine.

Fugaces sont les temps d’aimer ; pertinaces les sautillements de petite serve de qui tu ennoblis le regard.

Le long ennui des esclavages, et des luttes sourdes et de la faiblesse. Sa pauvre ironie mauvaise est sans sourire ; un peu de pitié pour l’éternelle captive, la vouée aux chutes mal élues.

Après la crise et le calme, dans le silence momentané, écoute ses voix, les voix de ton autrefois, en toute sérénité.

I

Au détour, au détour, des allées, des allées
Ondulant et glissant et diaprant, en allées
Le masque se recule aux blancheurs reculées.
Et ses fronts bizarrés de langueurs étoilées.

Et ses fronts reculés, et ses yeux où sont peints
La cime sourcilleuse et l’orgueil des grands pins
Le calme où va le cygne aux lignes curves — vignes
Aux grappes éclatées d’inconsolés désirs —
Et les rossignols pâmés viennent gésir
Aux calmes reculés des yeux épars sans ligne.

Au détour onduleux des guirlandes des sens,
Et venir au fugace vague les mains tendues.
Les yeux se sont figés de mortelles étendues
Aux détours onduleux et glissants, route des sens.

II

Qu’importe ta douleur à ma douleur
Ta pâleur à mes languides couleurs
Et ta seconde trépidante à ma mort essentielle.

La phtisie des soirs est le frêle encensoir
De tes rythmes hâtifs et des bras étendus,
Tes infinis sont en mes ciels,
Tes insomnies aux moments de mes soirs,
Où tes sens flocons appendus.

III

Solitude d’éponge endormie
Et silence des momies
Et paix vaste des accalmies —
Aux ongles déchireurs de mes flancs introuvables.

Murmure étoffé des chuchotements
Et des diserts pleurs et frissons bramants
Et douce mort, ruisselet aux flots calmants —
Aux conques de mes oreilles le fracas des Océans.

Les voix qui sont passées en langues périssables
Les désirs amoncelés en ondes de sable
Aux socles de mes pieds au derme raffermi
Que vous baisez impatients et futiles — amants.

IV

Tes yeux qui passez indifférents —
Et des soirs aux grands arbres où naquit
Le doux, le triste, et l’amour pour qui
En ton vague cœur qui point ne naquit.
Les soirs caressés de tes yeux indifférents.

Tes yeux, ces yeux épars aux routes de mes lèvres
Et puis si tes saveurs soyeuses ont caressé —
Mes lèvres s’appuyaient aux douceurs qu’ont tressé
Ébène et neige aux lèvres hantées de fièvres —
Tu t’en allais aux décors bruissés.

Et puis encore petite enfant aux petites mains
Effeuillant à tout jamais les pétales de mes demains
Berce mes âmes murmurantes —
Et toi dans l’errance de mes ombres demeurantes.

V

Oh ! Je souffre vivante et je geins éternelle !
À ma barque venez embarquer les caprices
Venez au lent sourire, aux yeux clos, à la lice
Ouverte des tournois sous mes lampes éternelles.

Tempêtes aux rades, et flots qui mugissent
Et solitude éparse au fréquent de mes voix,
Et mornes passagers et futiles envois,
Côtoyant les trompeurs phares qui surgissent.

Et de l’or épandu dans les levers, dans les matins
Dans les cheveux — et le grêle sillage de satin
Qu’autour des larges yeux neigea ma chair pour tes faims.

Toi qui vas solitaire aux carrefours, entends.
Voici venir en moi tout le fané des temps


Voici dans le limpide et le blanc, fleur d’étangs ;
Recèlent mes appels le mensonge de tes enfins.

Et si de la pitié te vient de mon hagard
Marche dans mes déserts inconnus des Agars,
Peut-être trouveras l’onde consolatrice
Au seuil en fête, au seuil en fleurs de ma matrice,
Ou tu boiras la soif au non de mes regards.

La chimère est en moi, mais molle est ma ceinture,
Ô chercheur des toisons perlées de l’aventure
Ne sais plus mes baisers partis en aventures.

Au plus loin du palais souillé, vers mes étangs !
Et les paons du désir et ses lions qui rugissent
Et les fronts inclinés câlinant aux tentures —
Et tu seras celui qui dort aux dictatures.

Ou berceuse je serai ton antienne
Ou nocturne l’étoile ancienne
Ou les soirs aux féeries musiciennes,
À mon orgue joueront les profonds du gésir.

Oh ! qui galopera dans mes plaines arides ?
Quelle main passera son frisson à mes rides ?


Qui se lancera, le cheval sans bride
Au mirage fugace de mes brefs désirs ?
Qui viendra s’oublier, fauteur des pardons
Qui résurgera l’oubli des faux pardons ?

Et je souffre vivante et je geins éternelle —
S’éveiller ! Oh ! l’instant perdu de cet éclair !
Mais marcher dans le sapide et monotone clair
Qu’allument aux humains mes inscientes prunelles.

VI

Aux bruits s’étoilant en fusées de murmures
Aux passants des ramures
Écoute — et laisse aller le rêve au bois
Et flotter se dispersant — plus aux abois

Et vers l’ample blancheur mène tes incertains
Et tristes pas. — Laisse vers les matins
S’imposer la trêve obscure du loisir —

Et va, je suis le peu qui fatigue à dormir.