Preuves de la théorie de la terre/Article XVI

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ARTICLE XVI.

Des volcans et des tremblements de terre.


Les montagnes ardentes qu’on appelle volcans renferment dans leur sein le soufre, le bitume, et les matières qui servent d’aliment à un feu souterrain, dont l’effet, plus violent que celui de la poudre ou du tonnerre, a de tout temps étonné, effrayé les hommes, et désolé la terre. Un volcan est un canon d’un volume immense, dont l’ouverture a souvent plus d’une demi-lieue : cette large bouche à feu vomit des torrents de fumée et de flammes, des fleuves de bitume, de soufre, et de métal fondu, des nuées de cendres et de pierres, et quelquefois elle lance à plusieurs lieues de distance des masses de rochers énormes, et que toutes les forces humaines réunies ne pourroient pas mettre en mouvement. L’embrasement est si terrible, et la quantité des matières ardentes, fondues, calcinées, vitrifiées, que la montagne rejette, est si abondante, qu’elles enterrent les villes, les forêts, couvrent les campagnes de cent et de deux cents pieds d’épaisseur, et forment quelquefois des collines et des montagnes qui ne sont que des monceaux de ces matières entassées. L’action de ce feu est si grande, la force de l’explosion est si violente, qu’elle produit par sa réaction des secousses assez fortes pour ébranler et faire trembler la terre, agiter la mer, renverser les montagnes, détruire les villes et les édifices les plus solides, à des distances même très considérables.

Ces effets, quoique naturels, ont été regardés comme des prodiges ; et quoiqu’on voie en petit des effets du feu assez semblables à ceux des volcans, le grand, de quelque nature qu’il soit, a si fort le droit de nous étonner, que je ne suis pas surpris que quelques auteurs aient pris ces montagnes pour les soupiraux d’un feu central, et le peuple pour les bouches de l’enfer. L’étonnement produit la crainte, et la crainte fait naître la superstition : les habitants de l’île d’Islande croient que les mugissements de leur volcan sont les cris des damnés, et que leurs éruptions sont les effets de la fureur et du désespoir de ces malheureux.

Tout cela n’est cependant que du bruit, du feu, et de la fumée : il se trouve dans une montagne des veines de soufre, de bitume, et d’autres matières inflammables ; il s’y trouve en même temps des minéraux, des pyrites, qui peuvent fermenter, et qui fermentent en effet toutes les fois qu’elles sont exposées à l’air ou à l’humidité ; il s’en trouve ensemble une très grande quantité ; le feu s’y met et cause une explosion proportionnée à la quantité des matières enflammées, et dont les effets sont aussi plus ou moins grands dans la même proportion : voilà ce que c’est qu’un volcan pour un physicien, et il lui est facile d’imiter l’action de ces feux souterrains, en mêlant ensemble une certaine quantité de soufre et de limaille de fer qu’on enterre à une certaine profondeur, et de faire ainsi un petit volcan dont les effets sont les mêmes, proportion gardée, que ceux des grands ; car il s’enflamme par la seule fermentation, il jette la terre et les pierres dont il est couvert, et il fait de la fumée, de la flamme et des explosions.

Il y a en Europe trois fameux volcans, le mont Etna en Sicile, le mont Hécla en Islande, et le mont Vésuve en Italie près de Naples. Le mont Etna brûle depuis un temps immémorial ; ses éruptions sont très violentes, et les matières qu’il rejette si abondantes, qu’on peut y creuser jusqu’à soixante-huit pieds de profondeur, où l’on a trouvé des pavés de marbre et des vestiges d’une ancienne ville qui a été couverte et enterrée sous cette épaisseur de terre rejetée, de la même façon que la ville d’Héraclée a été couverte par les matières rejetées du Vésuve. Il s’est formé de nouvelles bouches de feu dans l’Etna en 1650, 1669, et en d’autres temps. On voit les flammes et les fumées de ce volcan depuis Malte, qui en est à soixante lieues : il s’en élève continuellement de la fumée, et il y a des temps où cette montagne ardente vomit avec impétuosité des flammes et des matières de toute espèce. En 1537, il y eut une éruption de ce volcan qui causa un tremblement de terre dans toute la Sicile pendant douze jours, et qui renversa un très grand nombre de maisons et d’édifices ; il ne cessa que par l’ouverture d’une nouvelle bouche à feu, qui brûla tout à cinq lieues aux environs de la montagne ; les cendres rejetées par le volcan étoient si abondantes et lancées avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’en Italie, et des vaisseaux qui étoient éloignés de la Sicile en furent incommodés. Fazelli décrit fort au long les embrasements de cette montagne, dont il dit que le pied a cent lieues de circuit.

Ce volcan a maintenant deux bouches principales : l’une est plus étroite que l’autre. Ces deux ouvertures fument toujours, mais on n’y voit jamais de feu que dans le temps des éruptions : on prétend qu’on a trouvé des pierres qu’il a lancées jusqu’à soixante mille pas.

En 1683, il arriva un terrible tremblement en Sicile, causé par un violente éruption de ce volcan ; il détruisit entièrement la ville de Catane, et fit périr plus de soixante mille personnes dans cette ville seule, sans compter ceux qui périrent dans les autres villes et villages voisins.

L’Hécla lance ses feux à travers les glaces et les neiges d’une terre gelée ; ses éruptions sont cependant aussi violentes que celles de l’Etna et des autres volcans des pays méridionaux. Il jette beaucoup de cendres, des pierres ponces, et quelquefois, dit-on, de l’eau bouillante ; on ne peut pas habiter à six lieues de distance de ce volcan, et toute l’île d’Islande est fort abondante en soufre. On peut voir l’histoire des violentes éruptions de l’Hécla dans Dithmar Bleffken.

Le mont Vésuve, à ce que disent les historiens, n’a pas toujours brûlé, et il n’a commencé que du temps du septième consulat de Tite Vespasien et de Flavius Domitien : le sommet s’étant ouvert, ce volcan rejeta d’abord des pierres et des rochers, et ensuite du feu et des flammes en si grande abondance, qu’elles brûlèrent deux villes voisines, et des fumées si épaisses qu’elles obscurcissoient la lumière du soleil. Pline, voulant examiner cet incendie de trop près, fut étouffé par la fumée[1]. Dion Cassius rapporte que cette éruption du Vésuve fut si violente, qu’il jeta des cendres et des fumées sulfureuses en si grande quantité et avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’à Rome, et même au delà de la mer Méditerranée en Afrique et en Égypte. L’une des deux villes qui fut couverte des matières rejetées par ce premier incendie du Vésuve, est celle d’Héraclée, qu’on a retrouvée dans ces derniers temps à plus de soixante pieds de profondeur sous ces matières, dont la surface étoit devenue, par la succession du temps, une terre labourable et cultivée. La relation de la découverte d’Héraclée est entre les mains de tout le monde : il seroit seulement à désirer que quelqu’un versé dans l’histoire naturelle et la physique, prit la peine d’examiner les différentes matières qui composent cette épaisseur de terrain de soixante pieds ; qu’il fît en même temps attention à la disposition et à la situation de ces mêmes matières, aux altérations qu’elles ont produites ou souffertes elles-mêmes, à la direction qu’elles ont suivie, à la dureté qu’elles ont acquise, etc.

Il y a apparence que Naples est situé sur un terrain creux et rempli de minéraux brûlants, puisque le Vésuve et la Solfatare semblent avoir des communications intérieures ; car quand le Vésuve brûle, la Solfatare jette des flammes ; et lorsqu’il cesse, la Solfatare cesse aussi. La ville de Naples est à peu près à égale distance entre les deux.

Une des dernières et des plus violentes éruptions du Vésuve a été celle de l’année 1737 ; la montagne vomissoit par plusieurs bouches de gros torrents de matières métalliques fondues et ardentes, qui se répandoient dans la campagne et s’alloient jeter dans la mer. M de Montealègre, qui communiqua cette relation à l’Académie des Sciences, observa avec horreur un de ces fleuves de feu, et vit que son cours étoit de six ou sept milles depuis sa source jusqu’à la mer, sa largeur de cinquante ou soixante pas, sa profondeur de vingt-cinq ou trente palmes, et, dans certains fonds ou vallées, de cent vingt ; la matière qu’il rouloit étoit semblable à l’écume qui sort du fourneau d’une forge, etc.[2].

En Asie, surtout dans les îles de l’Océan Indien, il y a un grand nombre de volcans ; l’un des plus fameux est le mont Albours auprès du mont Taurus, à huit lieues de Hérat : son sommet fume continuellement, et il jette fréquemment des flammes et d’autres matières en si grande abondance, que toute la campagne aux environs est couverte de cendres. Dans l’île de Ternate il y a un volcan qui rejette beaucoup de matière semblable à la pierre ponce. Quelques voyageurs prétendent que ce volcan est plus enflammé et plus furieux dans le temps des équinoxes que dans les autres saisons de l’année, parce qu’il règne alors de certains vents qui contribuent à embraser la matière qui nourrit ce feu depuis tant d’années. L’île de Ternate n’a que sept lieues de tour, et n’est qu’un sommet de montagne ; on monte toujours depuis le rivage jusqu’au milieu de l’île, où le volcan s’élève à une hauteur très considérable et à laquelle il est très difficile de parvenir. Il coule plusieurs ruisseaux d’eau douce qui descendent sur la croupe de cette même montagne ; et lorsque l’air est calme et que la saison est douce, ce gouffre embrasé est dans une moindre agitation que quand il fait de grands vents et des orages. Ceci confirme ce que j’ai dit dans le discours précédent, et semble prouver évidemment que le feu qui consume les volcans ne vient pas de la profondeur de la montagne, mais du sommet, ou du moins d’une profondeur assez petite, et que le foyer de l’embrasement n’est pas éloigné du sommet du volcan ; car si cela n’étoit pas ainsi, les grands vents ne pourroient pas contribuer à leur embrasement. Il y a quelques autres volcans dans les Moluques. Dans l’une des îles Maurices, à soixante-dix lieues des Moluques, il y a un volcan dont les effets sont aussi violents que ceux de la montagne de Ternate. L’île de Sorca, l’une des Moluques, étoit autrefois habitée ; il y avoit au milieu de cette île un volcan, qui étoit une montagne très élevée. En 1693, ce volcan vomit du bitume et des matières enflammées en si grande quantité, qu’il se forma un lac ardent qui s’étendit peu à peu, et toute l’île fut abîmée et disparut. Au Japon, il y a aussi plusieurs volcans, et dans les îles voisines du Japon les navigateurs ont remarqué plusieurs montagnes dont les sommets jettent des flammes pendant la nuit et de la fumée pendant le jour. Aux îles Philippines il y a aussi plusieurs montagnes ardentes. Un des plus fameux volcans des îles de l’Océan Indien, et en même temps un des plus nouveaux, est celui qui est près de la ville de Panarucan dans l’île de Java : il s’est ouvert en 1586 ; on n’avoit pas mémoire qu’il eût brûlé auparavant ; et à la première éruption il poussa une énorme quantité de soufre, de bitume et de pierres. La même année, le mont Gounapi dans l’île de Banda, qui brûloit seulement depuis dix-sept ans, s’ouvrit et vomit avec un bruit affreux des rochers et des matières de toute espèce. Il y a encore quelques autres volcans dans les Indes, comme à Sumatra et dans le nord de l’Asie, au delà du fleuve Jénisca et de la rivière de Pésida : mais ces deux derniers volcans ne sont pas bien reconnus.

En Afrique il y a une montagne, ou plutôt une caverne appelée Beniguazeval, auprès de Fez, qui jette toujours de la fumée, et quelquefois des flammes. L’une des îles du cap Vert, appelée l’ile de Fuogue, n’est qu’une grosse montagne qui brûle continuellement : ce volcan rejette, comme les autres, beaucoup de cendres et de pierres ; et les Portugais, qui ont plusieurs fois tenté de faire des habitations dans cette île, ont été contraints d’abandonner leur projet par la crainte des effets du volcan. Aux Canaries, le pic de Ténériffe, autrement appelé la montagne de Teide, qui passe pour être l’une des plus hautes montagnes de la terre, jette du feu, des cendres et de grosses pierres : du sommet coulent des ruisseaux de soufre fondu du côté du sud à travers les neiges ; ce soufre se coagule bientôt, et forme des veines dans la neige, qu’on peut distinguer de fort loin.

En Amérique il y a un très grand nombre de volcans, et surtout dans les montagnes du Pérou, et du Mexique : celui d’Aréquipa est un des plus fameux ; il cause souvent des tremblements de terre plus communs dans le Pérou que dans aucun autre pays du monde. Le volcan de Carrapa et celui de Malahallo sont, au rapport des voyageurs, les plus considérables après celui d’Aréquipa ; mais il y en a beaucoup d’autres dont on n’a pas une connoissance exacte. M. Bouguer, dans la relation qu’il a donnée de son voyage au Pérou, dans le volume des Mémoires de l’Académie de l’année 1744, fait mention de deux volcans, l’un appelé Cotopaxi, et l’autre Pichincha ; le premier est à quelque distance et l’autre est très voisin de la ville de Quito : il a même été témoin d’un incendie de Cotopaxi en 1742, et de l’ouverture qui se fit dans cette montagne d’une nouvelle bouche à feu ; cette éruption ne fit cependant d’autre mal que celui de fondre les neiges de la montagne et de produire ainsi des torrents d’eau si abondants, qu’en moins de trois heures ils inondèrent un pays de dix-huit lieues d’étendue, et renversèrent tout ce qui se trouva sur leur passage.

Au Mexique il y a plusieurs volcans dont les plus considérables sont Popochampèche et Popocatepec : ce fut auprès de ce dernier volcan que Cortez passa pour aller au Mexique, et il y eut des Espagnols qui montèrent jusqu’au sommet, où ils virent la bouche du volcan qui a environ une demi-lieue de tour. On trouve aussi de ces montagnes de soufre à la Guadeloupe, à Tercère et dans les autres îles des Açores ; et si on vouloit mettre au nombre des volcans toutes les montagnes qui fument ou desquelles il s’élève même des flammes, on pourroit en compter plus de soixante : mais nous n’avons parlé que de ces volcans redoutables auprès desquels on n’ose habiter, et qui rejettent des pierres et des matières minérales à une grande distance.

Ces volcans, qui sont en si grand nombre dans les Cordilières, causent, comme je l’ai dit, des tremblements de terre presque continuels, ce qui empêche qu’on y bâtisse avec de la pierre au dessus du premier étage ; et pour ne pas risquer d’être écrasés, les habitants de ces parties du Pérou ne construisent les étages supérieurs de leurs maisons qu’avec des roseaux et du bois léger. Il y a aussi dans ces montagnes plusieurs précipices et de larges ouvertures dont les parois sont noires et brûlées, comme dans le précipice du mont Ararath en Arménie, qu’on appelle l’Abîme ; ces abîmes sont les bouches des anciens volcans qui se sont éteints.

Il y a eu dernièrement un tremblement de terre à Lima dont les effets ont été terribles ; la ville de Lima et le port de Callao ont été presque entièrement abîmés, mais le mal a encore été plus considérable au Callao. La mer a couvert de ses eaux tous les édifices, et par conséquent noyé tous les habitants ; il n’est resté qu’une tour. De vingt-cinq vaisseaux qu’il y avoit dans ce port, il y en a eu quatre qui ont été portés à une lieue dans les terres, et le reste a été englouti par la mer. À Lima, qui est une très grande ville, il n’est resté que vingt-sept maisons sur pied ; il y a eu un grand nombre de personnes qui ont été écrasées, surtout des moines et des religieuses, parce que leurs édifices sont plus exhaussés, et qu’ils sont construits de matières plus solides que les autres maisons. Ce malheur est arrivé dans le mois d’octobre 1746 pendant la nuit : la secousse a duré quinze minutes.

Il y avoit autrefois près du port de Pisco au Pérou, une ville célèbre située sur le rivage de la mer : mais elle fut presque entièrement ruinée et désolée par le tremblement de terre qui arriva le 19 octobre 1682 ; car la mer, ayant quitté ses bornes ordinaires, engloutit cette ville malheureuse, qu’on a tâché de rétablir un peu plus loin à un bon quart de lieue de la mer.

Si l’on consulte les historiens et les voyageurs, on y trouvera des relations de plusieurs tremblements de terre et d’éruptions de volcans, dont les effets ont été aussi terribles que ceux que nous venons de rapporter. Posidonius, cité par Strabon dans son premier livre, rapporte qu’il y avoit une ville en Phénicie, située auprès de Sidon, qui fut engloutie par un tremblement de terre, et avec elle le territoire voisin et les deux tiers même de la ville de Sidon, et que cet effet ne se fit pas subitement, de sorte qu’il donna le temps à la plupart des habitants de fuir ; que ce tremblement s’étendit presque par toute la Syrie et jusqu’aux îles Cyclades, et en Eubée, où les fontaines d’Aréthuse tarirent tout à coup et ne reparurent que plusieurs jours après par de nouvelles sources éloignées des anciennes ; et ce tremblement ne cessa pas d’agiter l’île, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, jusqu’à ce que la terre se fût ouverte dans la campagne de Lépante et qu’elle eût rejeté une grande quantité de terre et de matières enflammées. Pline, dans son premier livre, chap. 84, rapporte que sous le règne de Tibère il arriva un tremblement de terre qui renversa douze villes d’Asie ; et dans son second livre, chapitre 85, il fait mention dans les termes suivants d’un prodige causé par un tremblement de terre : « Factum est semel (quod equidem in Etruscæ disciplinæ voluminibus inveni) ingens terrarum portentum, Lucio Marcio, Sex. Julio coss. in agro Mutinensi. Namque montes duo inter se concurrerunt, crepitu maximo adsultantes, recendentesque, inter eos flammâ fumoque in cœlum exeunte interdiù, spectante è viâ Æmiliâ magnâ equitum Romanorum, familiarumque et viatorum multitudine. Eo concursu villæ omnes elisæ ; animalia permulta, quæ intrâ fuerant, exanimata sunt, etc. » Saint Augustin (de Miraculis, lib. ii, cap. 3) dit que par un très grand tremblement de terre, il y eut cent villes renversées dans la Libye. Du temps de Trajan, la ville d’Antioche et une grande partie du pays adjacent furent abîmés par un tremblement de terre ; et du temps de Justinien, en 528, cette ville fut une seconde fois détruite par la même cause avec plus de quarante mille de ses habitants ; et soixante ans après, du temps de saint Grégoire, elle essuya un troisième tremblement avec perte de soixante mille de ses habitants. Du temps de Saladin, en 1182, la plupart des villes de Syrie et du royaume de Jérusalem furent détruites par la même cause. Dans la Pouille et dans la Calabre il est arrivé plus de tremblements de terre qu’en aucune autre partie de l’Europe : du temps du pape Pie II, toutes les églises et les palais de Naples furent renversés ; il y eut près de trente mille personnes de tuées, et tous les habitants qui restèrent furent obligés de demeurer sous des tentes jusqu’à ce qu’ils eussent rétabli leurs maisons. En 1629, il y eut des tremblements de terre dans la Pouille, qui firent périr sept mille personnes ; et en 1638, la ville de Sainte-Euphémie fut engloutie, et il n’est resté en sa place qu’un lac de fort mauvaise odeur ; Raguse et Smyrne furent aussi presque entièrement détruites. Il y eut en 1692 un tremblement de terre qui s’étendit en Angleterre, en Hollande, en Flandre, en Allemagne, en France, et qui se fit sentir principalement sur les côtes de la mer et auprès des grandes rivières ; il ébranla au moins deux mille six cents lieues carrées ; il ne dura que deux minutes : le mouvement étoit plus considérable dans les montagnes que dans les vallées. En 1688, le 10 de juillet, il y eut un tremblement de terre à Smyrne qui commença par un mouvement d’occident en orient. Le château fut renversé d’abord, ses quatre murs s’étant entr’ouverts et enfoncés de six pieds dans la mer. Ce château, qui étoit un isthme, est à présent une véritable île éloignée de la terre d’environ cent pas, dans l’endroit où la langue de terre a manqué : les murs qui étoient du couchant au levant sont tombés ; ceux qui alloient du nord au sud sont restés sur pied. La ville, qui est à dix milles du château, fut renversée presque aussitôt ; ont vit en plusieurs endroits des ouvertures à la terre, on entendit divers bruits souterrains : il y eut de cette manière cinq ou six secousses jusqu’à la nuit ; la première dura environ une demi-minute : les vaisseaux qui étoient à la rade furent agités, le terrain de la ville abaissé de deux pieds ; il n’est resté qu’environ le quart de la ville, et principalement les maisons qui étoient sur des rochers : on a compté quinze ou vingt mille personnes accablées par ce tremblement de terre. En 1695, dans un tremblement de terre qui se fit sentir à Bologne en Italie, on remarqua, comme une chose particulière, que les eaux devinrent troubles un jour auparavant.

« Il se fit un si grand tremblement de terre à Tercère, le 4 mai 1614, qu’il renversa en la ville d’Angra onze églises et neuf chapelles, sans les maisons particulières ; et en la ville de Praya il fut si effroyable, qu’il n’y demeura presque pas une maison debout ; et le 16 juin 1628, il y eut un si horrible tremblement dans l’île de Saint-Michel, que proche de là la mer s’ouvrit et fit sortir de son sein, en un lieu où il y avoit plus de cent cinquante toises d’eau, une île qui avoit plus d’une lieue et demie de long et plus de soixante toises de haut[3]. Il s’en étoit fait un autre en 1591, qui commença le 26 de juillet, et dura, dans l’île de Saint-Michel, jusqu’au 21 du mois suivant ; Tercère et Fayal furent agitées le lendemain avec tant de violence, qu’elles paroissoient tourner : mais ces affreuses secousses n’y recommencèrent que quatre fois, au lieu qu’à Saint-Michel elles ne cessèrent point un moment pendant plus de quinze jours ; les insulaires, ayant abandonné leurs maisons qui tomboient d’elles-mêmes à leurs yeux, passèrent tout ce temps exposés aux injures de l’air. Une ville entière, nommée Villa-Franca, fut renversée jusqu’aux fondements, et la plupart de ses habitants écrasés sous les ruines. Dans plusieurs endroits les plaines s’élevèrent en collines, et dans d’autres quelques montagnes s’aplanirent ou changèrent de situation ; il sortit de la terre une source d’eau vive qui coula pendant quatre jours, et qui parut ensuite sécher tout d’un coup ; l’air et la mer, encore plus agités, retentissoient d’un bruit qu’on auroit pris pour le mugissement de quantité de bêtes féroces ; plusieurs personnes mouroient d’effroi ; il n’y eut point de vaisseaux dans les ports mêmes qui ne souffrissent des atteintes dangereuses, et ceux qui étoient à l’ancre ou à la voile à vingt lieues aux environs des îles, furent encore plus maltraités. Les tremblements de terre sont fréquents aux Açores ; vingt ans auparavant il en étoit arrivé un dans l’île de Saint-Michel, qui avoit renversé une montagne fort haute. Il s’en fit un à Manille, au mois de septembre 1627, qui aplanit une des deux montagnes qu’on appelle Carvallos, dans la province de Cagayan. En 1645, la troisième partie de la ville fut ruinée par un pareil accident, et trois cents personnes y périrent ; l’année suivante elle en souffrit encore un autre. Les vieux Indiens disent qu’ils étoient autrefois plus terribles, et qu’à cause de cela on ne bâtissoit les maisons que de bois, ce que font aussi les Espagnols, depuis le premier étage.

» La quantité des volcans qui se trouvent dans l’île confirme ce qu’on a dit jusqu’à présent, parce qu’en certains temps ils vomissent des flammes, ébranlent la terre, et font tout ces effets que Pline attribue à ceux d’Italie, c’est-à-dire de faire changer de lit aux rivières et retirer les mers voisines, de remplir de cendres tous les environs, et d’envoyer des pierres fort loin avec un bruit semblable à celui du canon[4]. »

« L’an 1646, la montagne de l’île de Machian se fendit avec des bruits et un fracas épouvantables, par un terrible tremblement de terre, accident qui est fort ordinaire en ces pays là : il sortit tant de feux par cette fente, qu’ils consumèrent plusieurs nègreries avec les habitants et tout ce qui y étoit. On voyoit encore, l’an 1685, cette prodigieuse fente, et apparemment elle subsiste toujours ; on la nommoit l’ornière de Machian, parce qu’elle descendoit du haut en bas de la montagne, comme un chemin qui y auroit été creusé, mais qui de loin ne paroissoit être qu’une ornière. »

L’Histoire de l’Académie fait mention, dans les termes suivants, des tremblements de terre qui se sont faits en Italie en 1702 et 1703 : « Les tremblements commencèrent en Italie au mois d’octobre 1702, et continuèrent jusqu’au mois de juillet 1703 : les pays qui en ont le plus souffert, et qui sont aussi ceux par où ils commencèrent, sont la ville de Norcia avec ses dépendances dans l’État ecclésiastique, et la province de l’Abruzze. Ces pays sont contigus et situés au pied de l’Apennin, du côté du midi.

» Souvent les tremblements ont été accompagnés de bruits épouvantables dans l’air, et souvent aussi on a entendu ces bruits sans qu’il y ait eu de tremblements, le ciel étant même fort serein. Le tremblement du 2 février 1700, qui fut le plus violent de tous, fut accompagné, du moins à Rome, d’une grande sérénité du ciel et d’un grand calme dans l’air : il dura à Rome une demi-minute, et à Aquila, capitale de l’Abruzze, trois heures. Il ruina toute la ville d’Aquila, ensevelit cinq mille personnes sous les ruines, et fit un grand ravage dans les environs.

» Communément les balancements de la terre ont été du nord au sud, ou à peu près ; ce qui a été remarqué par le mouvement des lampes des églises.

» Il s’est fait dans un champ deux ouvertures, d’où il est sorti avec violence une grande quantité de pierres qui l’ont entièrement couvert et rendu stérile ; après les pierres il s’élança de ces ouvertures deux jets d’eau qui surpassoient beaucoup en hauteur les arbres de cette campagne, qui durèrent un quart d’heure, et inondèrent jusqu’aux campagnes voisines. Cette eau est blanchâtre, semblable à de l’eau de savon, et n’a aucun goût.

» Une montagne qui est près de Sigillo, bourg éloigné d’Aquila de vingt-deux milles, avoit sur son sommet une plaine assez grande, environnée de rochers qui lui servoient comme de murailles. Depuis le tremblement du 2 février, il s’est fait, à la place de cette plaine, un gouffre de largeur inégale, dont le plus grand diamètre est de vingt-cinq toises, et le moindre de vingt : on n’a pu en trouver le fond, quoiqu’on ait été jusqu’à trois cents toises. Dans le temps que se fit cette ouverture, on en vit sortir des flammes, et ensuite une très grosse fumée, qui dura trois jours avec quelques interruptions.

» À Gênes, le 1er et le 2 juillet 1703, il y eut deux petits tremblements ; le dernier ne fut senti que par des gens qui travailloient sur le môle : en même temps la mer dans le port s’abaissa de six pieds, en sorte que les galères touchèrent le fond, et cette basse mer dura près d’un quart d’heure.

» L’eau soufrée qui est dans le chemin de Rome à Tivoli s’est diminuée de deux pieds et demi de hauteur, tant dans le bassin que dans le fossé. En plusieurs endroits de la plaine appelée le Testine, il y avoit des sources et des ruisseaux d’eaux qui formoient des marais impraticables ; tout s’est séché. L’eau du lac appelé l’Enfer a diminué aussi de trois pieds en hauteur : à la place des anciennes sources qui ont tari, il en est sorti de nouvelles environ à une lieue des premières ; en sorte qu’il y a apparence que ce sont les mêmes eaux qui ont changé de route[5]. »

Le même tremblement de terre qui, en 1538, forma le Monte di Cenere auprès de Pouzzol, remplit en même temps le lac Lucrin de pierres, de terres, et de cendres ; de sorte qu’actuellement ce lac est un terrain marécageux.

Il y a des tremblements de terre qui se font sentir au loin dans la mer. M. Shaw rapporte qu’en 1724, étant à bord de la Gazelle, vaisseau algérien de cinquante canons, on sentit trois violentes secousses l’une après l’autre, comme si, à chaque fois, on avoit jeté d’un endroit fort élevé un poids de vingt ou trente tonneaux sur le lest : cela arriva dans un endroit de la Méditerranée où il y avoit plus de deux cents brasses d’eau. Il rapporte aussi que d’autres avoient senti des tremblements de terre bien plus considérables en d’autres endroits, et un entre autres à quarante lieues ouest de Lisbonne.

Schouten, en parlant d’un tremblement de terre qui se fit aux îles Moluques, dit que les montagnes furent ébranlées, et que les vaisseaux qui étoient à l’ancre sur trente et quarante brasses, se tourmentèrent comme s’ils se fussent donné des culées sur le rivage, sur des rochers, ou sur des bancs. « L’expérience, continue-t-il, nous apprend tous les jours que la même chose arrive en pleine mer où l’on ne trouve point de fond, et que quand la terre tremble, les vaisseaux viennent tout d’un coup à se tourmenter jusque dans les endroits où la mer étoit tranquille[6]. » Le Gentil, dans son Voyage autour du monde, parle des tremblements de terre dont il a été témoin, dans les termes suivants : « J’ai, dit-il, fait quelques remarques sur ces tremblements de terre. La première est qu’une demi-heure avant que la terre s’agite, tous les animaux paroissent saisis de frayeur ; les chevaux hennissent, rompent leurs licous, et fuient de l’écurie ; les chiens aboient ; les oiseaux, épouvantés et presque étourdis, entrent dans les maisons ; les rats et les souris sortent de leurs trous, etc. La seconde est que les vaisseaux qui sont à l’ancre sont agités si violemment, qu’il semble que toutes les parties dont ils sont composés vont se désunir ; les canons sautent sur leurs affûts, et les mâts, par cette agitation, rompent leurs haubans : c’est ce que j’aurois eu de la peine à croire, si plusieurs témoignages unanimes ne m’en avoient convaincu. Je conçois bien que le fond de la mer est une continuation de la terre ; que si cette terre est agitée, elle communique son agitation aux eaux qu’elle porte : mais ce que je ne conçois pas, c’est ce mouvement irrégulier du vaisseau, dont tous les membres et les parties prises séparément participent à cette agitation, comme si tout le vaisseau faisoit partie de la terre, et qu’il ne nageât pas dans une matière fluide ; son mouvement devroit être tout au plus semblable à celui qu’il éprouveroit dans une tempête. D’ailleurs, dans l’occasion où je parle, la surface de la mer étoit unie, et ses flots n’étoient point élevés ; toute l’agitation étoit intérieure, parce que le vent ne se mêla point au tremblement de terre. La troisième remarque est que si la caverne de la terre où le feu souterrain est renfermé va du septentrion au midi, et si la ville est pareillement située dans sa longueur du septentrion au midi, toutes les maisons sont renversées, au lieu que si cette veine ou caverne fait son effet en prenant la ville par sa largeur, le tremblement de terre fait moins de ravage, etc.[7]. »

Il arrive que, dans les pays sujets aux tremblements de terre, lorsqu’il se fait un nouveau volcan, les tremblements de terre finissent et ne se font sentir que dans les éruptions violentes du volcan, comme on l’a observé dans l’île Saint-Christophe.

Ces énormes ravages produits par les tremblements de terre ont faire croire à quelques naturalistes que les montagnes et les inégalités de la surface du globe n’étoient que le résultat des effets de l’action des feux souterrains, et que toutes les irrégularités que nous remarquons sur la terre devoient être attribuées à ces secousses violentes et aux bouleversements qu’elles ont produits. C’est, par exemple, le sentiment de Ray ; il croit que toutes les montagnes ont été formées par des tremblements de terre ou par l’explosion des volcans, comme le mont di Cenere, l’île nouvelle près de Santorin, etc. : mais il n’a pas pris garde que ces petites élévations formées par l’éruption d’un volcan, ou par l’action d’un tremblement de terre, ne sont pas intérieurement composées de couches horizontales, comme le sont toutes les autres montagnes ; car en fouillant dans le mont di Cenere, on trouve les pierres calcinées, les cendres, les terres brûlées, le mâchefer, les pierres ponces, tous mêlés et confondus comme dans un monceau de décombres. D’ailleurs, si les tremblements de terre et les feux souterrains eussent produit les grandes montagnes de la terre, comme les Cordilières, le mont Taurus, les Alpes, etc., la force prodigieuse qui auroit élevé ces masses énormes auroit en même temps détruit une grande partie de la surface du globe, et l’effet du tremblement auroit été d’une violence inconcevable, puisque les plus fameux tremblements de terre dont l’histoire fasse mention n’ont pas eu assez de force pour élever des montagnes : par exemple, il y eut, du temps de Valentinien Ier, un tremblement de terre qui se fit sentir dans tout le monde connu, comme le rapporte Ammien Marcellin[8], et cependant il n’y eut aucune montagne élevée par ce grand tremblement.

Il est cependant vrai qu’en calculant on pourroit trouver qu’un tremblement de terre assez violent pour élever les plus hautes montagnes, ne le seroit pas assez pour déplacer le reste du globe.

Car, supposons pour un instant que la chaîne des hautes montagnes qui traverse l’Amérique méridionale, depuis la pointe des terres Magellaniques jusqu’aux montagnes de la Nouvelle-Grenade et au golfe de Darien, ait été élevée tout à la fois et produite par un tremblement de terre, et voyons par le calcul l’effet de cette explosion. Cette chaîne de montagnes a environ dix-sept cents lieues de longueur, et communément quarante lieues de largeur, y compris les Sierras, qui sont des montagnes moins élevées que les Andes ; la surface de ce terrain est donc de soixante-huit mille lieues carrées. Je suppose que l’épaisseur de la matière déplacée par le tremblement est d’une lieue, c’est-à-dire que la hauteur moyenne de ces montagnes, prise du sommet jusqu’au pied, ou plutôt jusqu’aux cavernes qui, dans cette hypothèse, doivent les supporter, n’est que d’une lieue ; ce qu’on m’accordera facilement : alors je dis que la force de l’explosion ou du tremblement de terre aura élevé à une lieue de hauteur une quantité de terre égale à soixante-huit mille lieues cubiques ; or, l’action étant égale à la réaction, cette explosion aura communiqué au reste du globe la même quantité de mouvement : mais le globe entier est de 12,310,523,801 lieues cubiques, dont ôtant 68,000, il reste 12,310,455,801 lieues cubiques, dont la quantité de mouvement aura été égale à celle de 68,000 lieues cubiques élevées à une lieue ; d’où l’on voit que la force qui aura été assez grande pour déplacer 68,000 lieues cubiques et les pousser à une lieue, n’aura pas déplacé d’un pouce le reste du globe.

Il n’y auroit donc pas d’impossibilité absolue à supposer que les montagnes ont été élevées par des tremblements de terre, si leur composition intérieure, aussi bien que leur forme extérieure, n’étoient pas évidemment l’ouvrage des eaux de la mer. L’intérieur est composé de couches régulières et parallèles remplies de coquilles ; l’extérieur a une figure dont les angles sont partout correspondants : est-il croyable que cette composition uniforme et cette forme régulière aient été produites par des secousses irrégulières et des explosions subites ?

Mais comme cette opinion a prévalu chez quelques physiciens, et qu’il nous paroît que la nature et les effets des tremblements de terre ne sont pas bien entendus, nous croyons qu’il est nécessaire de donner sur cela quelques idées qui pourront servir à éclaircir cette matière.

La terre ayant subi de grands changements à sa surface, on trouve, même à des profondeurs considérables, des trous, des cavernes, des ruisseaux souterrains, et des endroits vides qui se communiquent quelquefois par des fentes et des boyaux. Il y a de deux espèces de cavernes. Les premières sont celles qui sont produites par l’action des feux souterrains et des volcans ; l’action du feu soulève, ébranle, et jette au loin les matières supérieures, et en même temps elle divise, fend, et dérange celles qui sont à côté, et produit ainsi des cavernes, des grottes, des trous, et des anfractuosités : mais cela ne se trouve ordinairement qu’aux environs des hautes montagnes où sont les volcans, et ces espèces de cavernes produites par l’action du feu sont plus rares que les cavernes de la seconde espèce, qui sont produites par les eaux. Nous avons vu que les différentes couches qui composent le globe terrestre à sa surface, sont toutes interrompues par des fentes perpendiculaires dont nous expliquerons l’origine dans la suite ; les eaux des pluies et des vapeurs, en descendant par ces fentes perpendiculaires, se rassemblent sur la glaise, et forment des sources et des ruisseaux ; elles cherchent par leur mouvement naturel toutes les petites cavités et les petits vides, et elles tendent toujours à couler et à s’ouvrir des routes, jusqu’à ce qu’elles trouvent une issue ; elles entraînent en même temps les sables, les terres, les graviers, et les autres matières qu’elles peuvent diviser, et peu à peu elles se font des chemins ; elles forment dans l’intérieur de la terre des espèces de petites tranchées ou de canaux qui leur servent de lit ; elles sortent enfin, soit à la surface de la terre, soit dans la mer, en forme de fontaines : les matières qu’elles entraînent laissent des vides dont l’étendue peut être fort considérable, et ces vides forment des grottes et des cavernes dont l’origine est, comme l’on voit, bien différente de celle des cavernes produites par des tremblements de terre.

Il y a deux espèces de tremblements de terre : les uns causés par l’action des feux souterrains et par l’explosion des volcans, qui ne se font sentir qu’à de petites distances et dans les temps que les volcans agissent, ou avant qu’ils s’ouvrent : lorsque les matières qui forment les feux souterrains viennent à fermenter, à s’échauffer, et à s’enflammer, le feu fait effort de tous côtés ; et s’il ne trouve pas naturellement des issues, il soulève la terre et se fait un passage en la rejetant, ce qui produit un volcan dont les effets se répètent et durent à proportion de la quantité des matières inflammables. Si la quantité des matières qui s’enflamment est peu considérable, il peut arriver un soulèvement et une commotion, un tremblement de terre, sans que pour cela il se forme un volcan : l’air produit et raréfié par le feu souterrain peut aussi trouver de petites issues par où il s’échappera, et dans ce cas il n’y aura encore qu’un tremblement sans éruption et sans volcan ; mais lorsque la matière enflammée est en grande quantité, et qu’elle est resserrée par des matières solides et compactes, alors il y a commotion et volcan : mais toutes ces commotions ne font que la première espèce des tremblements de terre, et elles ne peuvent ébranler qu’un petit espace. Une éruption très violente de l’Etna causera, par exemple, un tremblement de terre dans toute l’île de Sicile ; mais il ne s’étendra jamais à des distances de trois ou quatre cents lieues. Lorsque dans le mont Vésuve il s’est formé quelques nouvelles bouches à feu, il s’est fait en même temps des tremblements de terre à Naples et dans le voisinage du volcan : mais ces tremblements n’ont jamais ébranlé les Alpes, et ne se sont pas communiqués en France ou aux autres pays éloignés du Vésuve. Ainsi les tremblements de terre produits par l’action des volcans sont bornés à nn petit espace, c’est proprement l’effet de la réaction du feu ; et ils ébranlent la terre, comme l’explosion d’un magasin à poudre produit une secousse et un tremblement sensible à plusieurs lieues de distance.

Mais il y a une autre espèce de tremblement de terre bien différente pour les effets et peut-être pour les causes : ce sont les tremblements qui se font sentir à de grandes distances, et qui ébranlent une longue suite de terrain sans qu’il paroisse aucun nouveau volcan ni aucune éruption. On a des exemples de tremblements qui se sont fait sentir en même temps en Angleterre, en France, en Allemagne, et jusqu’en Hongrie : ces tremblements s’étendent toujours beaucoup plus en longueur qu’en largeur ; ils ébranlent une bande ou une zone de terrain avec plus ou moins de violence en différents endroits, et ils sont presque toujours accompagnés d’un bruit sourd, semblable à celui d’une grosse voiture qui rouleroit avec rapidité.

Pour bien entendre quelles peuvent être les causes de cette espèce de tremblement, il faut se souvenir que toutes les matières inflammables et capables d’explosion produisent, comme la poudre, par l’inflammation, une grande quantité d’air : que cet air produit par le feu est dans l’état d’une très grande raréfaction, et que par l’état de compression où il se trouve dans le sein de la terre, il doit produire des effets très violents. Supposons donc qu’à une profondeur très considérable, comme à cent ou deux cents toises, il se trouve des pyrites et d’autres matières sulfureuses, et que par la fermentation produite par la filtration des eaux ou par d’autres causes elles viennent à s’enflammer, et voyons ce qui doit arriver : d’abord ces matières ne sont pas disposées régulièrement par couches horizontales, comme le sont les matières anciennes qui ont été formées par le sédiment des eaux ; elles sont au contraire dans les fentes perpendiculaires, dans les cavernes au pied de ces fentes, et dans les autres endroits où les eaux peuvent agir et pénétrer. Ces matières, venant à s’enflammer, produiront une grande quantité d’air, dont le ressort, comprimé dans un petit espace comme celui d’une caverne, non seulement ébranlera le terrain supérieur, mais cherchera des routes pour s’échapper et se mettre en liberté. Les routes qui se présentent sont les cavernes et les tranchées formées par les eaux et par les ruisseaux souterrains ; l’air raréfié se précipitera avec violence dans tous ces passages qui lui sont ouverts, et il formera un vent furieux dans ces routes souterraines, dont le bruit se fera entendre à la surface de la terre, et en accompagnera l’ébranlement et les secousses ; ce vent souterrain produit par le feu s’étendra tout aussi loin que les cavités ou tranchées souterraines, et causera un tremblement plus ou moins grand à mesure qu’il s’éloignera du foyer, et qu’il trouvera des passages plus ou moins étroits ; ce mouvement se faisant en longueur, l’ébranlement se fera de même ; et le tremblement se fera sentir dans une longue zone de terrain ; cet air ne produira aucune éruption, aucun volcan, parce qu’il aura trouvé assez d’espace pour s’étendre, ou bien parce qu’il aura trouvé des issues, et qu’il sera sorti en forme de vent et de vapeur ; et quand même on ne voudroit pas convenir qu’il existe en effet des routes souterraines par lesquelles cet air et ces vapeurs souterraines peuvent passer, on conçoit bien que, dans le lieu même où se fait la première explosion, le terrain étant soulevé à une hauteur considérable, il est nécessaire que celui qui avoisine ce lieu se divise et se fende horizontalement pour suivre le mouvement du premier, ce qui suffit pour faire des routes qui de proche en proche peuvent communiquer le mouvement à une très grande distance. Cette explication s’accorde avec tous les phénomènes. Ce n’est pas dans le même instant ni à la même même heure qu’un tremblement de terre se fait sentir en deux endroits distants, par exemple, de cent ou deux cents lieues ; il n’y a point de feu ni d’éruption au dehors par ces tremblements qui s’étendent au loin, et le bruit qui les accompagne presque toujours marque le mouvement progressif de ce vent souterrain. On peut encore confirmer ce que nous venons de dire, en le liant avec d’autres faits : on sait que les mines exhalent des vapeurs ; indépendamment des vents produits par le courant des eaux, on y remarque souvent des courants d’un air malsain et de vapeurs suffocantes : on sait aussi qu’il y a sur la terre des trous, des abîmes, des lacs profonds qui produisent des vents, comme le lac de Boleslaw en Bohême, dont nous avons parlé.

Tout ceci bien entendu, je ne vois pas trop comment on peut croire que les tremblements de terre ont pu produire des montagnes, puisque la cause même de ces tremblements sont des matières minérales et sulfureuses qui ne se trouvent ordinairement que dans les fentes perpendiculaires des montagnes et dans les autres cavités de la terre, dont le plus grand nombre a été produit par les eaux ; que ces matières en s’enflammant ne produisent qu’une explosion momentanée et des vents violents qui suivent les routes souterraines des eaux ; que la durée des tremblements n’est en effet que momentanée à la surface de la terre, et que par conséquent leur cause n’est qu’une explosion et non pas un incendie durable ; et qu’enfin ces tremblements qui ébranlent un grand espace, et qui s’étendent à des distances très considérables, bien loin d’élever des chaînes de montagnes, ne soulèvent pas la terre d’une quantité sensible, et ne produisent pas la plus petite colline dans toute la longueur de leur cours.

Les tremblements de terre sont, à la vérité, bien plus fréquents dans les endroits où sont les volcans qu’ailleurs, comme en Sicile et à Naples : on sait, par les observations faites en différents temps, que les plus violents tremblements de terre arrivent dans le temps des grandes éruptions des volcans ; mais ces tremblements ne sont pas ceux qui s’étendent le plus loin, et ils ne pourroient jamais produire une chaîne de montagnes.

On a quelquefois observé que les matières rejetées de l’Etna, après avoir été refroidies pendant plusieurs années, et ensuite humectées par l’eau des pluies, se sont rallumées, et ont jeté des flammes avec une explosion assez violente qui produisoit même une espèce de petit tremblement.

En 1669, dans une furieuse éruption de l’Etna, qui commença le 11 mars, le sommet de la montagne baissa considérablement, comme tous ceux qui avoient vu cette montagne avant cette éruption s’en aperçurent ; ce qui prouve que le feu du volcan vient plutôt du sommet que de la profondeur intérieure de la montagne. Borelli est du même sentiment, et dit précisément « que le feu des volcans ne vient pas du centre ni du pied de la montagne, mais qu’au contraire il sort du sommet et ne s’allume qu’à une très petite profondeur[9]. »

Le mont Vésuve a souvent rejeté, dans ses éruptions, une grande quantité d’eau bouillante : M. Ray, dont le sentiment est que le feu des volcans vient d’une très grande profondeur, dit que c’est de l’eau de la mer qui communique aux cavernes intérieures du pied de cette montagne ; il en donne pour preuve la sécheresse et l’aridité du sommet du Vésuve, et le mouvement de la mer, qui, dans le temps de ces violentes éruptions, s’éloigne des côtes, et diminue au point d’avoir laissé quelquefois à sec le port de Naples. Mais quand ces faits seroient bien certains, ils ne prouveroient pas d’une manière solide que le feu des volcans vient d’une grande profondeur ; car l’eau qu’ils rejettent est certainement l’eau des pluies qui pénètre par les fentes, et qui se ramasse dans les cavités de la montagne : on voit découler des eaux vives et des ruisseaux du sommet des volcans, comme il en découle des autres montagnes élevées ; et comme elles sont creuses et qu’elles ont été plus ébranlées que les autres montagnes, il n’est pas étonnant que les eaux se ramassent dans les cavernes qu’elles contiennent dans leur intérieur, et que ces eaux soient rejetées dans le temps des éruptions avec les autres matières : à l’égard du mouvement de la mer, il provient uniquement de la secousse communiquée aux eaux par l’explosion ; ce qui doit les faire affluer ou refluer, suivant les différentes circonstances.

Les matières que rejettent les volcans sortent le plus souvent sous la forme d’un torrent de minéraux fondus, qui inonde tous les environs de ces montagnes : ces fleuves de matières liquéfiées s’étendent même à des distances considérables ; et en se refroidissant, ces matières, qui sont en fusion, forment des couches horizontales ou inclinées, qui, pour la position, sont semblables aux couches formées par les sédiments des eaux. Mais il est fort aisé de distinguer ces couches produites par l’expansion des matières rejetées des volcans, de celles qui ont pour origine les sédiments de la mer : 1o parce que ces couches ne sont pas d’égale épaisseur partout ; 2o parce qu’elles ne contiennent que des matières qu’on reconnoît évidemment avoir été calcinées, vitrifiées, ou fondues ; 3o parce qu’elles ne s’étendent pas à une grande distance. Comme il y a au Pérou un grand nombre de volcans, et que le pied de la plupart des montagnes des Cordilières est recouvert de ces matières rejetées par ces volcans, il n’est pas étonnant qu’on ne trouve pas de coquilles marines dans ces couches de terre ; elles ont été calcinées et détruites par l’action du feu : mais je suis persuadé que si l’on creusoit dans la terre argileuse qui, selon M. Bouguer, est la terre ordinaire de la vallée de Quito, on y trouveroit des coquilles, comme l’on en trouve partout ailleurs ; en supposant que cette terre soit vraiment de l’argile, et qu’elle ne soit pas, comme celle qui est au pied des montagnes, un terrain formé par les matières rejetées des volcans.

On a souvent demandé pourquoi les volcans se trouvent tous dans les hautes montagnes. Je crois avoir satisfait en partie à cette question dans le discours précédent ; mais comme je ne suis pas entré dans un assez grand détail, j’ai cru que je ne devois pas finir cet article sans développer davantage ce que j’ai dit sur ce sujet.

Les pics ou les pointes des montagnes étoient autrefois recouvertes et environnées de sables et de terres que les eaux pluviales ont entraînés dans les vallées ; il n’est resté que les rochers et les pierres qui formoient le noyau de la montagne. Ce noyau, se trouvant à découvert et déchaussé jusqu’au pied, aura encore été dégradé par les injures de l’air ; la gelée en aura détaché de grosses et de petites parties qui auront roulé au bas ; en même temps elle aura fait fendre plusieurs rochers au sommet de la montagne ; ceux qui forment la base de ce sommet se trouvant découverts, et n’étant plus appuyés par les terres qui les environnoient, auront un peu cédé ; et en s’écartant les uns des autres ils auront formé de petits intervalles : cet ébranlement de rochers inférieurs n’aura pu se faire sans communiquer aux rochers supérieurs un mouvement plus grand ; ils se seront fendus ou écartés les uns des autres. Il se sera donc formé dans ce noyau de montagne une infinité de petites et de grandes fentes perpendiculaires, depuis le sommet jusqu’à la base des rochers inférieurs ; les pluies auront pénétré dans toutes ces fentes, et elles auront détaché, dans l’intérieur de la montagne, toutes les parties minérales et toutes les autres matières qu’elles auront pu enlever ou dissoudre ; elles auront formé des pyrites, des soufres et d’autres matières combustibles ; et lorsque, par succession des temps, ces matières se seront accumulées en grande quantité, elles auront fermenté, et en s’enflammant elles auront produit les explosions et les autres effets des volcans. Peut-être aussi y avoit-il, dans l’intérieur de la montagne, des amas de ces matières minérales déjà formées, avant que les pluies pussent y pénétrer ; dès qu’il se sera fait des ouvertures ou des fentes qui auront donné passage à l’eau et à l’air, ces matières se seront enflammées et auront formé un volcan. Aucun de ces mouvements ne pouvant se faire dans les plaines, puisque tout est en repos, et que rien ne peut se déplacer, il n’est pas surprenant qu’il n’y ait aucun volcan dans les plaines, et qu’ils se trouvent tous en effet dans les hautes montagnes.

Lorsqu’on a ouvert des minières de charbon de terre, que l’on trouve ordinairement dans l’argile à une profondeur considérable, il est arrivé quelquefois que le feu s’est mis à ces matières ; il y a même des mines de charbon en Écosse, en Flandre, etc., qui brûlent continuellement depuis plusieurs années : la communication de l’air suffit pour produire cet effet. Mais ces feux qui se sont allumés dans ces mines ne produisent que de légères explosions, et ils ne forment pas des volcans, parce que tout étant solide et plein dans ces endroits, le feu ne peut pas être excité, comme celui des volcans, dans lesquels il y a des cavités et des vides où l’air pénètre ; ce qui doit nécessairement étendre l’embrasement, et peut augmenter l’action du feu au point où nous la voyons lorsqu’elle produit les terribles effets dont nous avons parlé.

Sur les tremblements de terre.

* Il y a deux causes qui produisent les tremblements de terre : la première est l’affaissement subit des cavités de la terre ; et la seconde, encore plus fréquente et plus violente que la première, est l’action des feux souterrains.

Lorsqu’une caverne s’affaisse dans le milieu des continents, elle produit par sa chute une commotion qui s’étend à une plus ou moins grande distance, selon la quantité du mouvement donné par la chute de cette masse à la terre ; et à moins que le volume n’en soit fort grand et ne tombe de très haut, sa chute ne produira pas une secousse assez violente pour qu’elle se fasse ressentir à de grandes distances : l’effet en est borné aux environs de la caverne affaissée ; et si le mouvement se propage plus loin, ce n’est que par de petits trémoussements et de légères trépidations.

Comme la plupart des montagnes primitives reposent sur des cavernes, parce que, dans le moment de la consolidation, ces éminences ne se sont formées que par des boursoufflures, il s’est fait, et il se fait encore de nos jours, des affaissements dans ces montagnes toutes les fois que les voûtes des cavernes minées par les eaux ou ébranlées par quelque tremblement, viennent à s’écrouler : une portion de la montagne s’affaisse en bloc, tantôt perpendiculairement, mais plus souvent en s’inclinant beaucoup, et quelquefois même en culbutant. On en a des exemples frappants dans plusieurs parties des Pyrénées, où les couches de la terre, jadis horizontales, sont souvent inclinées de plus de 45 degrés ; ce qui démontre que la masse entière de chaque portion de montagne dont les bancs sont parallèles entre eux, a penché tout en bloc, et s’est assise, dans le moment de l’affaissement, sur une base inclinée de 45 degrés : c’est la cause la plus générale de l’inclinaison des couches dans les montagnes. C’est par la même raison que l’on trouve souvent entre deux éminences voisines, des couches qui descendent de la première et remontent à la seconde, après avoir traversé le vallon. Ces couches sont horizontales, et gisent à la même hauteur dans les deux collines opposées, entre lesquelles la caverne s’étant écroulée, la terre s’est affaissée, et le vallon s’est formé sans autre dérangement dans les couches de la terre que le plus ou moins d’inclinaison, suivant la profondeur du vallon et la pente des deux coteaux correspondants.

C’est là le seul effet sensible de l’affaissement des cavernes dans les montagnes et dans les autres parties des continents terrestres : mais toutes les fois que cet effet arrive dans le sein de la mer, où les affaissements doivent être plus fréquents que sur la terre, puisque l’eau mine continuellement les voûtes dans tous les endroits où elles soutiennent le fond de la mer, alors ces affaissements non seulement dérangent et font pencher les couches de la terre, mais ils produisent encore un autre effet sensible en faisant baisser le niveau des mers ; sa hauteur s’est déjà déprimée de deux mille toises par ces affaissements successifs depuis la première occupation des eaux ; et comme toutes les cavernes sous-marines ne sont pas encore à beaucoup prés entièrement écroulées, il est plus que probable que l’espace des mers s’approfondissant de plus en plus, se rétrécira par la surface, et que par conséquent l’étendue de tous les continents terrestres continuera toujours d’augmenter par la retraite et rabaissement des eaux.

Une seconde cause, plus puissante que la première, concourt avec elle pour produire le même effet ; c’est la rupture et l’affaissement des cavernes par l’effort des feux sous-marins. Il est certain qu’il ne se fait aucun mouvement, aucun affaissement dans le fond de la mer, que sa surface ne baisse ; et si nous considérons en général les effets des feux souterrains, nous reconnoîtrons que, dès qu’il y a du feu, la commotion de la terre ne se borne point à de simples trépidations, mais que l’effort du feu soulève, entr’ouvre la mer et la terre par des secousses violentes et réitérées, qui non seulement renversent et détruisent les terres voisines, mais encore ébranlent celles qui sont éloignées, et ravagent et bouleversent tout ce qui se trouve sur la route de leur direction.

Ces tremblements de terre, causés par les feux souterrains, précèdent ordinairement les éruptions des volcans et cessent avec elles, et quelquefois même au moment où ce feu renfermé s’ouvre un passage dans les flancs de la terre, et porte sa flamme dans les airs. Souvent aussi ces tremblements épouvantables continuent tant que les éruptions durent : ces deux effets sont intimement liés ensemble ; et jamais il ne se fait une grande éruption dans un volcan, sans qu’elle ait été précédée ou du moins accompagnée d’un tremblement de terre, au lieu que très souvent on ressent des secousses même assez violentes sans éruption de feu. Ces mouvements où le feu n’a point de part, proviennent non seulement de la première cause que nous avons indiquée, c’est-à-dire de l’écroulement des cavernes, mais aussi de l’action des vents et des orages souterrains. On a nombre d’exemples de terres soulevées ou affaissées par la force de ces vents intérieurs. M. le chevalier Hamilton, homme aussi respectable par son caractère, qu’admirable par l’étendue de ses connoissances et de ses recherches en ce genre, m’a dit avoir vu entre Trente et Vérone, près du village de Roveredo, plusieurs monticules composés de grosses masses de pierres calcaires, qui ont été évidemment soulevées par diverses explosions causées par des vents souterrains. Il n’y a pas le moindre indice de l’action du feu sur ces rochers ni sur leurs fragments : tout le pays des deux côtés du grand chemin, dans une longueur de près d’une lieue, a été bouleversé de place en place par ces prodigieux efforts des vents souterrains. Les habitants disent que cela est arrivé tout à coup par l’effet d’un tremblement de terre.

Mais la force du vent, quelque violent qu’on puisse le supposer, ne me paroît pas une cause suffisante pour produire d’aussi grands effets ; et quoiqu’il n’y ait aucune apparence de feu dans ces monticules soulevés par la commotion de la terre, je suis persuadé que ces soulèvements se sont faits par des explosions électriques de la foudre souterraine, et que les vents intérieurs n’y ont contribué qu’en produisant ces orages électriques dans les cavités de la terre. Nous réduirons donc à trois causes tous les mouvements convulsifs de la terre : la première et la plus simple est l’affaissement subit des cavernes ; la seconde, les orages et les coups de foudre souterraine ; et la troisième, l’action et les efforts des feux allumés dans l’intérieur du globe. Il me paroît qu’il est aisé de rapporter à l’une de ces trois causes tous les phénomènes qui accompagnent ou suivent les tremblements de terre.

Si les mouvements de la terre produisent quelquefois des éminences, ils forment encore plus souvent des gouffres. Le 15 octobre 1775, il s’est ouvert un gouffre sur le territoire du bourg Induno, dans les états de Modène, dont la cavité a plus de quatre cents brasses de largeur, sur deux cents de profondeur. En 1726, dans la partie septentrionale de l’Islande, une montagne d’une hauteur considérable s’enfonça en une nuit par un tremblement de terre, et un lac très profond prit sa place : dans la même nuit, à une lieue et demie de distance, un ancien lac, dont on ignoroit la profondeur, fut entièrement desséché et son fond s’éleva de manière à former un monticule assez haut, que l’on voit encore aujourd’hui. Dans les mers voisines de la Nouvelle-Bretagne, les tremblements de terre, dit M. de Bougainville, ont de terribles conséquences pour la navigation. Les 7 juin, 12 et 27 juillet 1766, il y en a eu trois à Boéro, et le 22 de ce même mois un à la Nouvelle-Bretagne. Quelquefois ces tremblements anéantissent des îles et des bancs de sable connus ; quelquefois aussi ils en créent où il n’y en avoit pas.

Il y a des tremblements de terre qui s’étendent très loin, et toujours plus en longueur qu’en largeur : l’un des plus considérables est celui qui se fit ressentir au Canada en 1663 ; il s’étendit sur plus de deux cents lieues de longueur et cent lieues de largeur, c’est-à-dire sur plus de vingt mille lieues superficielles. Les effets du dernier tremblement de terre du Portugal se sont fait de nos jours ressentir encore plus loin : M. le chevalier de Saint-Sauveur, commandant pour le roi à Merueis, a dit à M. de Gensanne qu’en se promenant à la rive gauche de la Jouante, en Languedoc, le ciel devint tout à coup fort noir, et qu’un moment après il aperçut au bas du coteau qui est à la rive droite de cette rivière, un globe de feu qui éclata d’une manière terrible. Il sortit de l’intérieur de la terre un tas de rochers considérables, et toute cette chaîne de montagnes se fendit depuis Merueis jusqu’à Florac, sur près de six lieues de longueur : cette fente a, dans certains endroits, plus de deux pieds de largeur, et elle est en partie comblée. Il y a d’autres tremblements de terre qui semblent se faire sans secousses et sans grande émotion. Kolbe rapporte que, le 24 septembre 1707, depuis huit heures du matin jusqu’à dix heures, la mer monta sur la contrée du cap de Bonne-Espérance, et en descendit sept fois de suite, et avec une telle vitesse, que d’un moment à l’autre la plage étoit alternativement couverte et découverte par les eaux.

Je puis ajouter, au sujet des effets des tremblements de terre et de l’éboulement des montagnes par l’affaissement des cavernes, quelques faits assez récents et qui sont bien constatés. En Norwége, un promontoire appelé Hammers-fields, tomba tout à coup en entier. Une montagne fort élevée, et presque adjacente à celle de Chimboraço, l’une des plus hautes des Cordillères, dans la province de Quito, s’écroula tout à coup. Le fait avec ses circonstances est rapporté dans les Mémoires de MM. de La Condamine et Bouguer. Il arrive souvent de pareils éboulements et de grands affaissements dans les îles des Indes méridionales. À Gamma-canore, où les Hollandois ont un établissement, une haute montagne s’écroula tout à coup en 1675, par un temps calme et fort beau ; ce qui fut suivi d’un tremblement de terre qui renversa les villages d’alentour, où plusieurs milliers de personnes périrent : le 11 août 1772, dans l’ile de Java, province de Cheribou, l’une des plus riches possessions des Hollandois, une montagne d’environ trois lieues de circonférence s’abîma tout à coup, s’enfonçant et se relevant alternativement comme les flots de la mer agitée : en même temps elle laissoit échapper une quantité prodigieuse de globes de feu qu’on apercevoit de très loin, et qui jetoient une lumière aussi vive que celle du jour ; toutes les plantations et trente-neuf nègreries ont été englouties, avec deux mille cent quarante habitants, sans compter les étrangers. Nous pourrions recueillir plusieurs autres exemples de l’affaissement des terres et de l’écroulement des montagnes par la rupture des cavernes, par les secousses des tremblements de terre, et par l’action des volcans : mais nous en avons dit assez pour qu’on ne puisse contester les inductions et les conséquences générales que nous avons tirées de ces faits particuliers. (Add. Buff.)

Des volcans.

* Les anciens nous ont laissé quelques notices des volcans qui leur étoient connus, et particulièrement de l’Etna et du Vésuve. Plusieurs observateurs savants et curieux ont, de nos jours, examiné de plus près la forme et les effets de ces volcans : mais la première chose qui frappe en comparant ces descriptions, c’est qu’on doit renoncer à transmettre à la postérité la topographie exacte et constante de ces montagnes ardentes ; leur forme s’altère et change, pour ainsi dire, chaque jour ; leur surface s’élève ou s’abaisse en différents endroits ; chaque éruption produit de nouveaux gouffres ou des éminences nouvelles : s’attacher à décrire tous ces changements, c’est vouloir suivre et représenter les ruines d’un bâtiment incendié. Le Vésuve de Pline et l’Etna d’Empédocle présentoient une face et des aspects différents de ceux qui nous sont aujourd’hui si bien représentés par MM. Hamilton et Brydone ; et, dans quelques siècles, ces descriptions récentes ne ressembleront plus à leur objet. Après la surface des mers, rien sur le globe n’est plus mobile et inconstant que la surface des volcans : mais de cette inconstance même et de cette variation de mouvements et de formes on peut tirer quelques conséquences générales en réunissant les observations particulières. (Add. Buff.)

Exemples des changements arrivés dans les volcans.

* La base de l’Etna peut avoir soixante lieues de circonférence, et sa hauteur perpendiculaire est d’environ deux mille toises au dessus du niveau de la mer Méditerranée. On peut donc regarder cette énorme montagne comme un cône obtus, dont la superficie n’a guère moins de trois cents lieues carrées : cette superficie conique est partagée en quatre zones placées concentriquement les unes au dessus des autres. La première et la plus large s’étend à plus de six lieues, toujours en montant doucement, depuis le point le plus éloigné de la base de la montagne ; et cette zone de six lieues de largeur est peuplée et cultivée presque partout. La ville de Catane et plusieurs villages se trouvent dans cette première enceinte, dont la superficie est de plus de deux cent vingt lieues carrées. Tout le fond de ce vaste terrain n’est que de la lave ancienne et moderne, qui a coulé des différents endroits de la montagne où se sont faites les explosions des feux souterrains ; et la surface de cette lave, mêlée avec les cendres rejetées par ces différentes bouches à feu, s’est convertie en une bonne terre actuellement semée de grains et plantée de vignobles, à l’exception de quelques endroits où la lave, encore trop récente, ne fait que commencer à changer de nature, et présente quelques espaces dénués de terre. Vers le haut de cette zone, on voit déjà plusieurs cratères ou coupes plus ou moins larges et profondes, d’où sont sorties les matières qui ont formé les terrains au dessous.

La seconde zone commence au dessus de six lieues (depuis le point le plus éloigné dans la circonférence de la montagne). Cette seconde zone a environ deux lieues de largeur en montant : la pente en est plus rapide partout que celle de la première zone ; et cette rapidité augmente à mesure qu’on s’élève et qu’on s’approche du sommet. Cette seconde zone, de deux lieues de largeur, peut avoir en superficie quarante ou quarante-cinq lieues carrées : de magnifiques forêts couvrent toute cette étendue, et semblent former un beau collier de verdure à la tête blanche et chenue de ce respectable mont. Le fond du terrain de ces belles forêts n’est néanmoins que de la lave et des cendres converties par le temps en terres excellentes ; et ce qui est encore plus remarquable, c’est l’inégalité de la surface de cette zone : elle ne présente partout que des collines, ou plutôt des montagnes, toutes produites par les différentes éruptions du sommet de l’Etna et des autres bouches à feu qui sont au dessous de ce sommet, et dont plusieurs ont autrefois agi dans cette zone, actuellement couverte de forêts.

Avant d’arriver au sommet, et après avoir passé les belles forêts qui recouvrent la croupe de cette montagne, on traverse une troisième zone, où il ne croît que de petits végétaux. Cette région est couverte de neige en hiver, qui fond pendant l’été ; mais ensuite on trouve la ligne de neige permanente qui marque le commencement de la quatrième zone, et s’étend jusqu’au sommet de l’Etna. Ces neiges et ces glaces occupent environ deux lieues en hauteur, depuis la région des petits végétaux jusqu’au sommet, lequel est également couvert de neige et de glace : il est exactement d’une figure conique, et l’on voit dans son intérieur le grand cratère du volcan, duquel il sort continuellement des tourbillons de fumée. L’intérieur de ce cratère est en forme de cône renversé, s’élevant également de tous côtés : il n’est composé que de cendres et d’autres matières brûlées, sorties de la bouche du volcan, qui est au centre du cratère. L’extérieur de ce sommet est fort escarpé ; la neige y est couverte de cendres ; et il y fait un très grand froid. Sur le côté septentrional de cette région de neige, il y a plusieurs petits lacs qui ne dégèlent jamais. En général, le terrain de cette dernière zone est assez égal et d’une même pente, excepté dans quelques endroits ; et ce n’est qu’au dessous de cette région de neige qu’il se trouve un grand nombre d’inégalités, d’éminences, et de profondeurs produites par les éruptions, et que l’on voit les collines et les montagnes plus ou moins nouvellement formées, et composées de matières rejetées par ces différentes bouches à feu.

Le cratère du sommet de l’Etna, en 1770, avoit, selon M. Brydone, plus d’une lieue de circonférence, et les auteurs anciens et modernes lui ont donné des dimensions très différentes : néanmoins tous ces auteurs ont raison, parce que toutes les dimensions de cette bouche à feu ont changé ; et tout ce que l’on doit inférer de la comparaison des différentes descriptions qu’on en a faites c’est que le cratère, avec ses bords, s’est éboulé quatre fois depuis six ou sept cents ans. Les matériaux dont il est formé retombent dans les entrailles de la montagne, d’où ils sont ensuite rejetés par de nouvelles éruptions qui forment un autre cratère, lequel s’augmente et s’élève par degrés, jusqu’à ce qu’il retombe de nouveau dans le même gouffre du volcan.

Ce haut sommet de la montagne n’est pas le seul endroit où le feu souterrain ait fait éruption ; on voit, dans tout le terrain qui forme la croupe de l’Etna, et jusqu’à de très grandes distances du sommet, plusieurs autres cratères qui ont donné passage au feu, et qui sont environnés de morceaux de rochers qui en sont sortis dans différentes éruptions. On peut même compter plusieurs collines, toutes formées par l’éruption de ces petits volcans qui environnent le grand ; chacune de ces collines offre à son sommet une coupe ou cratère, au milieu duquel on voit la bouche ou plutôt le gouffre profond de ces volcans particuliers. Chaque éruption de l’Etna a produit une nouvelle montagne ; et peut-être, dit M. Brydone, que leur nombre serviroit mieux que toute autre méthode à déterminer celui des éruptions de ce fameux volcan.

La ville de Catane, qui est au bas de la montagne, a souvent été ruinée par le torrent des laves qui sont sorties du pied de ces nouvelles montagnes, lorsqu’elles se sont formées. En montant de Catane à Nicolosi, on parcourt douze milles de chemin dans un terrain formé d’anciennes laves, et dans lequel on voit des bouches de volcans éteints, qui sont à présent des terres couvertes de blé, de vignobles, et de vergers. Les laves qui forment cette région proviennent de l’éruption de ces petites montagnes qui sont répandues partout sur les flancs de l’Etna : elles sont toutes sans exception d’une figure régulière, soit hémisphérique, soit conique : chaque éruption crée ordinairement une de ces montagnes. Ainsi l’action des feux souterrains ne s’élève pas toujours jusqu’au sommet de l’Etna ; souvent ils ont éclaté sur la croupe, et, pour ainsi dire, jusqu’au pied de cette montagne ardente. Ordinairement chacune de ces éruptions du flanc de l’Etna produit une montagne nouvelle, composée des rochers, des pierres, et des cendres lancées par la force du feu ; et le volume de ces montagnes nouvelles est plus ou moins énorme, à proportion du temps qu’a duré l’éruption : si elle se fait en peu de jours, elle ne produit qu’une colline d’environ une lieue de circonférence à la base, sur trois ou quatre cents pieds de hauteur perpendiculaire ; mais si l’éruption a duré quelques mois, comme celle de 1669, elle produit alors une montagne considérable de deux ou trois lieues de circonférence sur neuf cents ou mille pieds d’élévation ; et toutes ces collines enfantées par l’Etna, qui a douze mille pieds de hauteur, ne paroissent être que de petites éminences faites pour accompagner la majesté de la mère-montagne.

Dans le Vésuve, qui n’est qu’un très petit volcan en comparaison de l’Etna, les éruptions des flancs de la montagne sont rares, et les laves sortent ordinairement du cratère qui est au sommet ; au lieu que dans l’Etna les éruptions se sont faites bien plus souvent par les flancs de la montagne que par son sommet, et les laves sont sorties de chacune de ces montagnes formées par des éruptions sur les côtés de l’Etna. M. Brydone dit, d’après M. Recupero, que les masses de pierres lancées par l’Etna s’élèvent si haut, qu’elles emploient vingt-une secondes de temps à descendre et retomber à terre, tandis que celles du Vésuve tombent en neuf secondes ; ce qui donne douze cent quinze pieds pour la hauteur à laquelle s’élèvent les pierres lancées par le Vésuve, et six mille six cent quinze pieds pour la hauteur à laquelle montent celles qui sont lancées par l’Etna ; d’où l’on pourroit conclure, si les observations sont justes, que la force de l’Etna est à celle du Vésuve comme 441 sont à 81, c’est-à-dire cinq à six fois plus grande. Et ce qui prouve d’une manière démonstrative que le Vésuve n’est qu’un très foible volcan en comparaison de l’Etna, c’est que celui-ci paroît avoir enfanté d’autres volcans plus grands que le Vésuve. « Assez près de la caverne des Chèvres, dit M. Brydone, on voit deux des plus belles montagnes qu’ait enfantées l’Etna ; chacun des cratères de ces deux montagnes est beaucoup plus large que celui du Vésuve : ils sont à présent remplis par des forêts de chênes, et revêtus jusqu’à une grande profondeur d’un sol très fertile ; le fond du sol est composé de laves dans cette région comme dans toutes les autres, depuis le pied de la montagne jusqu’au sommet. La montagne conique qui forme le sommet de l’Etna et contient son cratère a plus de trois lieues de circonférence ; elle est extrêmement rapide, et couverte de neige et de glace en tout temps. Ce grand cratère a plus d’une lieue de circonférence en dedans, et il forme une excavation qui ressemble à un vaste amphithéâtre ; il en sort des nuages de fumée qui ne s’élèvent point en l’air, mais roulent vers le bas de la montagne : le cratère est si chaud, qu’il est très dangereux d’y descendre. La grande bouche du volcan est près du centre du cratère ; quelques uns des rochers lancés par le volcan hors de son cratère sont d’une grandeur incroyable : le plus gros qu’ait vomi le Vésuve est de forme ronde et a environ douze pieds de diamètre ; ceux de l’Etna sont bien plus considérables, et proportionnés à la différence qui se trouve entre les deux volcans. »

Comme toute la partie qui environne le sommet de l’Etna présente un terrain égal, sans collines ni vallées jusqu’à plus de deux lieues de distance en descendant, et qu’on y voit encore aujourd’hui les ruines de la tour du philosophe Empédocle, qui vivoit quatre cents ans avant l’ère chrétienne, il y a toute apparence que depuis ce temps le grand cratère du sommet de l’Etna n’a fait que peu ou point d’éruptions ; la force du feu a donc diminué, puisqu’il n’agit plus avec violence au sommet et que toutes les éruptions modernes se sont faites dans les régions plus basses de la montagne. Cependant, depuis quelques siècles, les dimensions de ce grand cratère du sommet de l’Etna ont souvent changé : on le voit par les mesures qu’en ont données les auteurs siciliens en différents temps. Quelquefois il s’est écroulé, ensuite il s’est reformé en s’élevant peu à peu jusqu’à ce qu’il s’écroulât de nouveau. Le premier de ces écroulements, bien constaté, est arrivé en 1157, un second en 1329, un troisième en 1474, et le dernier en 1669. Mais je ne crois pas qu’on doive en conclure avec M. Brydone, que dans peu le cratère s’écroulera de nouveau ; l’opinion que cet effet doit arriver tous les cent ans ne me paroît pas assez fondée, et je serois au contraire très porté à présumer que le feu n’agissant plus avec la même violence au sommet de ce volcan, ses forces ont diminué et continueront à s’affoiblir à mesure que la mer s’éloignera davantage : il l’a déjà fait reculer de plusieurs milles par ses propres forces, il en a construit les digues et les côtes par ses torrents de laves ; et d’ailleurs, on sait, par la diminution de la rapidité du Charybde et du Scylla, et par plusieurs autres indices, que la mer de Sicile a considérablement baissé depuis deux mille cinq cents ans : ainsi l’on ne peut guère douter qu’elle ne continue à s’abaisser, et que par conséquent l’action des volcans voisins ne se ralentisse, en sorte que le cratère de l’Etna pourra rester très long-temps dans son état actuel, et que, s’il vient à retomber dans ce gouffre, ce sera peut-être pour la dernière fois. Je crois encore pouvoir présumer que quoique l’Etna doive être regardé comme une des montagnes primitives du globe, à cause de sa hauteur et de son immense volume, et que très anciennement il ait commencé d’agir dans le temps de la retraite générale des eaux, son action a néanmoins cessé après cette retraite, et qu’elle ne s’est renouvelée que dans des temps assez modernes, c’est-à-dire lorsque la mer Méditerranée, s’étant élevée par la rupture du Bosphore et de Gibraltar, a inondé les terres entre la Sicile et l’Italie, et s’est approchée de la base de l’Etna. Peut-être la première des éruptions nouvelles de ce fameux volcan est elle encore postérieure à cette époque de la nature. « Il me paroît évident, dit M. Brydone, que l’Etna ne brûloit pas au siècle d’Homère, ni même long-temps auparavant ; autrement il seroit impossible que ce poëte eût tant parlé de la Sicile sans faire mention d’un objet si remarquable. » Cette réflexion de M. Brydone est très juste ; ainsi ce n’est qu’après le siècle d’Homère qu’on doit dater les nouvelles éruptions de l’Etna : mais on peut voir, par les tableaux poétiques de Pindare, de Virgile, et par les descriptions des auteurs anciens et modernes, combien en dix-huit ou dix-neuf cents ans la face entière de cette montagne et des contrées adjacentes a subi de changements et d’altérations par les tremblements de terre, par les éruptions, par les torrents de laves, et enfin par la formation de la plupart des collines et des gouffres produits par tous ces mouvements. Au reste, j’ai tiré les faits que je viens de rapporter de l’excellent ouvrage de M. Brydone, et j’estime assez l’auteur pour croire qu’il ne trouvera pas mauvais que je ne sois pas de son avis sur la puissance de l’aspiration des volcans et sur quelques autres conséquences qu’il a cru devoir tirer des faits ; personne, avant M. Brydone, ne les avoit si bien observés et si clairement présentés, et tous les savants doivent se réunir pour donner à son ouvrage tous les éloges qu’il mérite.

Les torrents de verre en fusion, auxquels on a donné le nom de laves, ne sont pas, comme on pourroit le croire, le premier produit de l’éruption d’un volcan : ces éruptions s’annoncent ordinairement par un tremblement de terre plus ou moins violent, premier effet de l’effort du feu qui cherche à sortir et à s’échapper au dehors ; bientôt il s’échappe en effet, et s’ouvre une route dont il élargit l’issue, en projetant au dehors les rochers et toutes les terres qui s’opposoient à son passage ; ces matériaux, lancés à une grande distance, retombent les uns sur les autres, et forment une éminence plus ou moins considérable, à proportion de la durée et de la violence de l’éruption. Comme toutes les terres rejetées sont pénétrées de feu, et la plupart converties en cendres ardentes, l’éminence qui en est composée est une montagne de feu solide, dans laquelle s’achève la vitrification d’une grande partie de la matière par le fondant des cendres ; dès lors cette matière fondue fait effort pour s’écouler, et la lave éclate et jaillit ordinairement au pied de la nouvelle montagne qui vient de la produire : mais dans les petits volcans, qui n’ont pas assez de force pour lancer au loin les matières qu’ils rejettent, la lave sort du haut de la montagne. On voit cet effet dans les éruptions du Vésuve : la lave semble s’élever jusque dans le cratère ; le volcan vomit auparavant des pierres et des cendres qui, retombant à-plomb sur l’ancien cratère, ne font que l’augmenter ; et c’est à travers cette matière additionnelle nouvellement tombée que la lave s’ouvre une issue. Ces deux effets, quoique différents en apparence, sont néanmoins les mêmes : car, dans un petit volcan qui, comme le Vésuve, n’a pas assez de puissance pour enfanter de nouvelles montagnes en projetant au loin les matières qu’il rejette, toutes tombent sur le sommet ; elles en augmentent la hauteur, et c’est au pied de cette nouvelle couronne de matière que la lave s’ouvre un passage pour s’écouler. Ce dernier effort est ordinairement suivi du calme du volcan ; les secousses de la terre au dedans, les projections au dehors, cessent dès que la lave coule : mais les torrents de ce verre en fusion produisent des effets encore plus étendus, plus désastreux, que ceux du mouvement de la montagne dans son éruption ; ces fleuves de feu ravagent, détruisent, et même dénaturent la surface de la terre. Il est comme impossible de leur opposer une digue ; les malheureux habitants de Catane en ont fait la triste expérience : comme leur ville avoit souvent été détruite en total ou en partie par les torrents de lave, ils ont construit de très fortes murailles de cinquante-cinq pieds de hauteur ; environnés de ces remparts, ils se croyoient en sûreté : les murailles résistèrent en effet au feu et au poids du torrent, mais cette résistance ne servit qu’à le gonfler ; il s’éleva jusqu’au dessus de ces remparts, retomba sur la ville, et détruisit tout ce qui se trouva sur son passage.

Ces torrents de lave ont souvent une demi-lieue et quelquefois jusqu’à deux lieues de largeur. « La dernière lave que nous avons traversée, dit M. Brydone, avant d’arriver à Catane, est d’une si vaste étendue, que je croyois qu’elle ne finiroit jamais ; elle n’a certainement pas moins de six ou sept milles de large, et elle paroît être en plusieurs endroits d’un profondeur énorme : elle a chassé en arrière les eaux de la mer a plus d’un mille, et a formé un large promontoire élevé et noir, devant lequel il y a beaucoup d’eau. Cette lave est stérile et n’est couverte que de très peu de terreau : cependant elle est ancienne ; car au rapport de Diodore de Sicile, cette même lave a été vomie par l’Etna au temps de la seconde guerre punique : lorsque Syracuse étoit assiégée par les Romains, les habitants de Taurominium envoyèrent un détachement pour secourir les assiégés ; les soldats furent arrêtés dans leur marche par ce torrent de lave qui avoit déjà gagné la mer avant leur arrivée au pied de la montagne ; il leur coupa entièrement le passage. Ce fait, confirmé par d’autres auteurs et même par des inscriptions et des monuments, s’est passé il y a deux mille ans ; et cependant cette lave n’est encore couverte que de quelques végétaux parsemés, et elle est absolument incapable de produire du blé et des vins ; il y a seulement quelques gros arbres dans les crevasses qui sont remplies d’un bon terreau. La surface des laves devient avec le temps un sol très fertile.

» En allant en Piémont, continue M. Brydone, nous passâmes sur un large pont construit entièrement de lave. Près de là, la rivière se plonge à travers une autre lave, qui est très remarquable et probablement une des plus anciennes qui soient sorties de l’Etna ; le courant, qui est extrêmement rapide, l’a rongée en plusieurs endroits jusqu’à la profondeur de cinquante ou soixante pieds ; et selon M. Recupero, son cours occupe une longueur d’environ quarante milles : elle est sortie d’une éminence très considérable sur la côte septentrionale de l’Etna ; et comme elle a trouvé quelques vallées qui sont à l’est, elle a pris son cours de ce côté ; elle interrompt la rivière d’Alcantara à diverses reprises, et enfin elle arrive à la mer près de l’embouchure de cette rivière. La ville de Jaci et toutes celles de cette côte sont fondées sur des rochers immenses de laves, entassés les uns sur les autres, et qui sont en quelques endroits d’une hauteur surprenante ; car il paroît que ces torrents enflammés se durcissent en rochers dès qu’ils sont arrivés à la mer… De Jaci à Catane on ne marche que sur la lave ; elle a formé toute cette côte, et, en beaucoup d’endroits, les torrents de lave ont repoussé la mer à plusieurs milles en arrière de ses anciennes limites… À Catane, près d’une voûte qui est à présent à trente pieds de profondeur, on voit un endroit escarpé où l’on distingue plusieurs couches de lave, avec une de terre très épaisse sur la surface de chacune : s’il faut deux mille ans pour former sur la lave une légère couche de terre, il a dû s’écouler un temps plus considérable entre chacune des éruptions qui ont donné naissance à ces couches. On a percé à travers sept laves séparées, placées les unes sur les autres, et dont la plupart sont couvertes d’un lit épais de bon terreau ; ainsi la plus basse de ces couches paroît s’être formée il y a quatorze mille ans… En 1669, la lave forma un promontoire à Catane, dans un endroit où il y avoit plus de cinquante pieds de profondeur d’eau, et ce promontoire est élevé de cinquante autres pieds au dessus du niveau actuel de la mer. Ce torrent de lave sortit au dessous de Montpelieri, vint frapper contre cette montagne, se partagea ensuite en deux branches, et ravagea tout le pays qui est entre Montpelieri et Catane, dont elle escalada les murailles, avant de se verser dans la mer ; elle forma plusieurs collines où il y avoit autrefois des vallées, et combla un lac étendu et profond dont on n’aperçoit pas aujourd’hui le moindre vestige… La côte de Catane à Syracuse est partout éloignée de trente milles au moins du sommet de l’Etna ; et néanmoins cette côte, dans une longueur de près de dix lieues, est formée des laves de ce volcan : la mer a été repoussée fort loin, en laissant des rochers élevés et des promontoires de laves qui défient la fureur des flots, et leur présentent des limites qu’ils ne peuvent franchir. Il y avoit, dans le siècle de Virgile, un beau port au pied de l’Etna ; il n’en reste aucun vestige aujourd’hui : c’est probablement celui qu’on a appelé mal à propos le port d’Ulysse. On montre aujourd’hui le lieu de ce port à trois ou quatre milles dans l’intérieur du pays : ainsi la lave a gagné toute cette étendue sur la mer, et a formé tous ces nouveaux terrains… L’étendue de cette contrée couverte de laves et d’autres matières brûlées est, selon M. Recupero, de cent quatre-vingt-trois milles en circonférence, et ce cercle augmente encore à chaque grande éruption. »

Voilà donc une terre d’environ trois cents lieues superficielles toute couverte ou formée par les projections des volcans, dans laquelle, indépendamment du pic de l’Etna, l’on trouve d’autres montagnes en grand nombre, qui toutes ont leurs cratères propres et nous démontrent autant de volcans particuliers : il ne faut donc pas regarder l’Etna comme un seul volcan, mais comme un assemblage, une gerbe de volcans, dont la plupart sont éteints ou brûlent d’un feu tranquille, et quelques autres, en petit nombre, agissent encore avec violence. Le haut sommet de l’Etna ne jette maintenant que des fumées, et, depuis très long-temps, il n’a fait aucune projection au loin, puisqu’il est partout environné d’un terrain sans inégalités à plus de deux lieues de distance, et qu’au dessous de cette haute région couverte de neige on voit une large zone de grandes forêts, dont le sol est une bonne terre de plusieurs pieds d’épaisseur. Cette zone inférieure est, à la vérité, semée d’inégalités, et présente des éminences, des vallons, des collines, et même d’assez grosses montagnes : mais, comme presque toutes ces inégalités sont couvertes d’une grande épaisseur de terre, et qu’il faut une longue succession de temps pour que les matières volcanisées se convertissent en terre végétale, il me paroît qu’on peut regarder ie sommet de l’Etna et les autres bouches à feu qui l’environnoient jusqu’à quatre ou cinq lieues au dessous comme des volcans presque éteints, ou du moins assoupis depuis nombre de siècles ; car les éruptions dont on peut citer les dates depuis deux mille cinq cents ans se sont faites dans la région plus basse, c’est-à-dire à cinq, six, et sept lieues de distance du sommet. Il me paroît donc qu’il y a eu deux âges différents pour les volcans de la Sicile : le premier très ancien, où le sommet de l’Etna a commencé d’agir, lorsque la mer universelle a laissé ce sommet à découvert et s’est abaissée à quelques centaines de toises au dessous ; c’est dès lors que se sont faites les premières éruptions qui ont produit les laves du sommet et formé les collines qui se trouvent au dessous dans la région des forêts : mais ensuite les eaux, ayant continué de baisser, ont totalement abandonné cette montagne, ainsi que toutes les terres de la Sicile et des continents adjacents ; et, après cette entière retraite des eaux, la Méditerranée n’étoit qu’un lac d’assez médiocre étendue, et ses eaux étoient très éloignées de la Sicile et de toutes les contrées dont elle baigne aujourd’hui les côtes. Pendant tout ce temps, qui a duré plusieurs milliers d’années, la Sicile a été tranquille, l’Etna et les autres anciens volcans qui environnent son sommet ont cessé d’agir ; et ce n’est qu’après l’augmentation de la Méditerranée par les eaux de l’Océan et de la mer Noire, c’est-à-dire après la rupture de Gibraltar et du Bosphore, que les eaux sont venues attaquer de nouveau les montagnes de l’Etna par leur base, et qu’elles ont produit les éruptions modernes et récentes, depuis le siècle de Pindare jusqu’à ce jour ; car ce poëte est le premier qui ait parlé des éruptions des volcans de la Sicile. Il en est de même du Vésuve : il a fait long-temps partie des volcans éteints de l’Italie, qui sont en très grand nombre ; et ce n’est qu’après l’augmentation de la mer Méditerranée que, les eaux s’en étant rapprochées, ses éruptions se sont renouvelées. La mémoire des premières, et même de toutes celles qui avoient précédé le siècle de Pline, étoit entièrement oblitérée ; et l’on ne doit pas en être surpris, puisqu’il s’est passé peut-être plus de dix mille ans depuis la retraite entière des mers jusqu’à l’augmentation de la Méditerranée, et qu’il y a ce même intervalle de temps entre la première action du Vésuve et son renouvellement. Toutes ces considérations semblent prouver que les feux souterrains ne peuvent agir avec violence que quand ils sont assez voisins des mers pour éprouver un choc contre un grand volume d’eau : quelques autres phénomènes particuliers paroissent encore démontrer cette vérité. On a vu quelquefois les volcans rejeter une grande quantité d’eau, et aussi des torrents de bitume. Le P. de La Torre, très habile physicien, rapporte que, le 10 mars 1755, il sortit du pied de la montagne de l’Etna un large torrent d’eau qui inonda les campagnes d’alentour. Ce torrent rouloit une quantité de sable si considérable, qu’elle remplit une plaine très étendue. Ces eaux étoient fort chaudes. Les pierres et les sables laissés dans la campagne ne différoient en rien des pierres et du sable qu’on trouve dans la mer. Ce torrent d’eau fut immédiatement suivi d’un torrent de matière enflammée, qui sortit de la même ouverture.

Cette même éruption de 1755 s’annonça, dit M. d’Arthenay, par un si grand embrasement, qu’il éclairoit plus de vingt-quatre milles de pays du côté de Catane ; les explosions furent bientôt si fréquentes, que, dès le 3 mars, on apercevoit une nouvelle montagne au dessus du sommet de l’ancienne, de la même manière que nous l’avons vu au Vésuve dans ces derniers temps. Enfin les jurats de Mascali ont mandé le 12, que le 9 du même mois les explosions devinrent terribles ; que la fumée augmenta à tel point que tout le ciel en fut obscurci ; qu’à l’entrée de la nuit il commença à pleuvoir un déluge de petites pierres, pesant jusqu’à trois onces, dont tous le pays et les cantons circonvoisins furent inondés ; qu’à cette pluie affreuse, qui dura plus de cinq quarts d’heure, en succéda une autre de cendres noires, qui continua toute la nuit ; que le lendemain, sur les huit heures du matin, le sommet de l’Etna vomit un fleuve d’eau comparable au Nil ; que les anciennes laves les plus impraticables par leurs montuosités, leurs coupures, et leurs pointes, furent en un clin d’œil converties par ce torrent en une vaste plaine de sable ; que l’eau, qui heureusement n’avoit coulé que pendant un demi-quart d’heure, étoit très chaude ; que les pierres et les sables qu’elle avoit charriés avec elle ne différoient en rien des pierres et du sable de la mer ; qu’après l’inondation il étoit sorti de la même bouche un petit ruisseau de feu qui coula pendant vingt-quatre heures ; que le 11, à un mille environ au dessous de cette bouche, il se fit une crevasse par où déboucha une lave qui pouvoit avoir cent toises de largeur et deux milles d’étendue, et qu’elle continuoit son cours au travers de la campagne le jour même que M. d’Arthenay écrivoit cette relation.

Voici ce que dit M. Brydone, au sujet de cette éruption : « Une partie des belles forêts qui composent la seconde région de l’Etna fut détruite en 1755 par un très singulier phénomène. Pendant une éruption du volcan, un immense torrent d’eau bouillante sortit, à ce qu’on imagine, du grand cratère de ! a montagne, en se répandant en un instant sur sa base, en renversant et détruisant tout ce qu’il rencontra dans sa course. Les traces de ce torrent étoient encore visibles (en 1770). Le terrain commençoit à recouvrer sa verdure et sa végétation, qui ont paru quelque temps avoir été anéanties. Le sillon que ce torrent d’eau a laissé semble avoir environ un mille et demi de largeur, et davantage en quelques endroits. Les gens éclairés du pays croient communément que le volcan a quelque communication avec la mer, et qu’il éleva cette eau par une force de succion. Mais, dit M. Brydone, l’absurdité de cette opinion est trop évidente pour avoir besoin d’être réfutée ; la force de succion seule, même en supposant un vide parfait, ne pourroit jamais élever l’eau à plus de trente-trois ou trente-quatre pieds, ce qui est égal au poids d’une colonne d’air dans toute la hauteur de l’atmosphère. » Je dois observer que M. Brydone me paroît se tromper ici, puisqu’il confond la force du poids de l’atmosphère avec la force de succion produite par l’action du feu. Celle de l’air, lorsqu’on fait le vide, est en effet limitée à moins de trente-quatre pieds ; mais la force de succion ou d’aspiration du feu n’a point de bornes ; elle est, dans tous les cas, proportionnelle à l’activité et à la quantité de la chaleur qui l’a produite, comme on le voit dans les fourneaux où l’on adapte des tuyaux aspiratoires. Ainsi l’opinion des gens éclairés du pays, loin d’être absurde, me paroît bien fondée : il est nécessaire que les cavités des volcans communiquent avec la mer ; sans cela ils ne pourroient vomir ces immenses torrents d’eau, ni même faire aucune éruption, puisque aucune puissance, à l’exception de l’eau choquée contre le feu, ne peut produire d’aussi violents effets.

Le volcan Pacayita, nommé volcan de l’eau par les Espagnols, jette des torrents d’eau dans toutes ses éruptions ; la dernière détruisit, en 1773, la ville de Guatimala, et les torrents d’eau et de laves descendirent jusqu’à la mer du Sud.

On a observé sur le Vésuve, qu’il vient de la mer un vent qui pénètre dans la montagne : le bruit qui se fait entendre dans certaines cavités, comme s’il passoit quelque torrent par dessous, cesse aussitôt que les vents de terre soufflent ; et on s’aperçoit en même temps que les exhalaisons de la bouche du Vésuve deviennent beaucoup moins considérables ; au lieu que lorsque le vent vient de la mer, ce bruit semblable à un torrent recommence, ainsi que les exhalaisons de flamme et de fumée, les eaux de la mer s’insinuant aussi dans la montagne, tantôt en grande, tantôt en petite quantité ; et il est arrivé plusieurs fois à ce volcan de rendre en même temps de la cendre et de l’eau.

Un savant, qui a comparé l’état moderne du Vésuve avec son état actuel, rapporte que, pendant l’intervalle qui précéda l’éruption de 1631, l’espèce d’entonnoir que forme l’intérieur du Vésuve s’étoit revêtu d’arbres et de verdure ; que la petite plaine qui le terminoit étoit abondante en excellents pâturages ; qu’en partant du bord supérieur du gouffre, on avoit un mille à descendre pour arriver à cette plaine, et qu’elle avoit, vers son milieu, un autre gouffre dans lequel on descendoit également pendant un mille, par des chemins étroits et tortueux, qui conduisoient dans un espace plus vaste, entouré de cavernes, d’où il sortoit des vents si impétueux et si froids, qu’il était impossible d’y résister. Suivant le même observateur, la sommité du Vésuve avoit alors cinq milles de circonférence. Après cela, on ne doit point être étonné que quelques physiciens aient avancé que ce qui semble former aujourd’hui deux montagnes n’en étoit qu’une autrefois ; que le volcan étoit au centre ; mais que le côté méridional s’étant éboulé par l’effet de quelque éruption, il avoit formé ce vallon, qui sépare le Vésuve du mont Somma.

M. Steller observe que les volcans de l’Asie septentrionale sont presque toujours isolés, qu’ils ont à peu près la même croûte ou surface, et qu’on trouve toujours des lacs sur le sommet et des eaux chaudes au pied des montagnes où les volcans se sont éteints. « C’est, dit-il, une nouvelle preuve de la correspondance que la nature a mise entre la mer, les montagnes, les volcans, et les eaux chaudes. On trouve nombre de ces eaux chaudes dans différents endroits de Kamtschatka. L’île de Sjanw, à quarante lieues de Ternate, a un volcan dont on voit souvent sortir de l’eau, des cendres, etc. Mais il est inutile d’accumuler ici des faits en plus grand nombre pour prouver la communication des volcans avec la mer : la violence de leurs éruptions seroit seule suffisante pour le faire présumer ; et le fait général de la situation près de la mer de tous les volcans actuellement agissants achève de le démontrer. Cependant, comme quelques physiciens ont nié la réalité et même la possibilité de cette communication des volcans à la mer, je ne dois pas laisser échapper un fait que nous devons à feu M. de La Condamine, homme aussi véridique qu’éclairé. Il dit « qu’étant monté au sommet du Vésuve, le 4 juin 1755, et même sur les bords de l’entonnoir qui s’est formé autour de la bouche du volcan depuis sa dernière explosion, il aperçut dans le gouffre, à environ quarante toises de profondeur, une grande cavité en voûte vers le nord de la montagne : il fit jeter de grosses pierres dans cette cavité, et il compta à sa montre douze secondes avant qu’on cessât de les entendre rouler ; à la fin de leur chute, on crut entendre un bruit semblable à celui que feroit une pierre en tombant dans un bourbier ; et quand on n’y jetoit rien, on entendoit un bruit semblable à celui des flots agités. » Si la chute de ces pierres jetées dans le gouffre s’étoit faite perpendiculairement et sans obstacles, on pourroit conclure des douze secondes de temps une profondeur de deux mille cent soixante pieds, ce qui donneroit au gouffre du Vésuve plus de profondeur que le niveau de la mer ; car, selon le P. de La Torre, cette montagne n’avoit, en 1755, que seize cent soixante-dix-sept pieds d’élévation au dessus de la surface de la mer ; et cette élévation est encore diminuée depuis ce temps. Il paroît donc hors de doute que les cavernes de ce volcan descendent au dessous du niveau de la mer, et que par conséquent il peut avoir communication avec elle.

J’ai reçu d’un témoin oculaire et bon observateur une note bien faite et détaillée sur l’état du Vésuve, le 15 juillet de cette même année 1755 : je vais la rapporter, comme pouvant servir à fixer les idées sur ce que l’on doit présumer et craindre des effets de ce volcan, dont la puissance me paroît être bien affoiblie. « Rendu au pied du Vésuve, distant de Naples de deux lieues, on monte pendant une heure et demie sur des ânes, et l’on en emploie autant pour faire le reste du chemin à pied ; c’en est la partie la plus escarpée et la plus fatigante ; on se tient à la ceinture de deux hommes qui précédent, et l’on marche dans les cendres et dans les pierres anciennement élancées.  » Chemin faisant, on voit les laves des différentes éruptions : la plus ancienne qu’on trouve, dont l’âge est incertain, mais à qui la tradition donne deux cents ans, est de couleur gris de fer, et a toutes les apparences d’une pierre ; elle s’emploie actuellement pour le pavé de Naples et pour certains ouvrages de maçonnerie. On en trouve d’autres, qu’on dit être de soixante, de quarante et de vingt ans ; la dernière est de l’année 1752… Ces différentes laves, à l’exception de la plus ancienne, ont de loin l’apparence d’une terre brune, noirâtre, raboteuse, plus ou moins fraîchement labourée. Vue de près, c’est une matière absolument semblable à celle qui reste du fer épuré dans les fonderies ; elle est plus ou moins composée de terre et de minéral ferrugineux, et approche plus ou moins de la pierre.

» Arrivé à la cime qui, avant les éruptions, étoit solide, on trouve un premier bassin, dont la circonférence, dit-on, a deux milles d’Italie, et dont la profondeur paroît avoir quarante pieds, entouré d’une croûte de terre de cette même hauteur, qui va en s’épaississant vers sa base, et dont le bord supérieur a deux pieds de largeur. Le fond de ce premier bassin est couvert d’une matière jaune, verdâtre, sulfureuse, durcie, et chaude, sans être ardente, qui, par différentes crevasses, laisse sortir de la fumée.

» Dans le milieu de ce premier bassin, on en voit un second, qui a moitié de la circonférence du premier, et pareillement la moitié de sa profondeur ; son fond est couvert d’une matière brune, noirâtre, telle que les laves les plus fraîches qui se trouvent sur la route.

» Dans ce second bassin s’élève un monticule creux dans son intérieur, ouvert dans sa cime, et pareillement ouvert depuis sa cime jusqu’à sa base, vers le côté de la montagne où l’on monte. Cette ouverture latérale peut avoir à la cime vingt pieds, et à la base quatre pieds de largeur. La hauteur du monticule est environ de quarante pieds ; le diamètre de sa base peut en avoir autant, et celui de l’ouverture de sa cime la moitié.

» Cette base, élevée au dessus du second bassin d’environ vingt pieds, forme un troisième bassin actuellement rempli d’une matière liquide et ardente, dont le coup d’œil est entièrement semblable au métal fondu qu’on voit dans les fourneaux d’une fonderie. Cette matière bouillonne continuellement avec violence ; son mouvement a l’apparence d’un lac médiocrement agité, et le bruit qu’il produit est semblable à celui des vagues.

» De minute en minute, il se fait de cette matière des élans comme ceux d’un gros jet d’eau ou de plusieurs jets d’eau réunis ensemble. Ces élans produisent une gerbe ardente qui s’élève à la hauteur de trente à quarante pieds, et retombe en différents arcs, partie dans son propre bassin, partie dans le fond du second bassin couvert de la matière noire : c’est la lueur réfléchie de ces jets ardents, quelquefois peut-être l’extrémité supérieure de ces jets mêmes, qu’on voit depuis Naples pendant la nuit. Le bruit que font ces élans dans leur élévation et dans leur chute, paroît composé de celui que fait un feu d’artifice en partant, et de celui que produisent les vagues poussées par un vent violent contre un rocher.

» Ces bouillonnements entremêlés de ces élans produisent un transvasement continuel de cette matière. Par l’ouverture de quatre pieds qui se trouve à la base du monticule, on voit couler, sans discontinuer, un ruisseau ardent de la largeur de l’ouverture, qui, dans un canal incliné et avec un mouvement moyen, descend dans le second bassin, couvert de matière noire, s’y divise en plusieurs ruisselets encore ardents, s’y arrête, et s’y éteint.

» Ce ruisseau ardent est actuellement une nouvelle lave, qui ne coule que depuis huit jours ; et si elle continue et augmente, elle produira avec le temps un nouveau dégorgement dans la plaine, semblable à celui qui se fit il y a deux ans : le tout est accompagné d’une épaisse fumée qui n’a point l’odeur du soufre, mais celle précisément que répand un fourneau où l’on cuit des tuiles.

» On peut, sans aucun danger, faire le tour de la cime sur le bord de la croûte, parce que le monticule creusé d’où partent les jets ardents est assez distant des bords pour ne laisser rien à craindre ; on peut pareillement sans danger descendre dans le premier bassin ; on pourroit même se tenir sur les bords du second, si la réverbération de la matière ardente ne l’empêchoit.

» Voilà l’état actuel du Vésuve, ce 15 juillet 1755 : il change sans cesse de forme et d’aspect ; il ne jette actuellement point de pierres, et l’on n’en voit sortir aucune flamme[10]. »

Cette observation semble prouver évidemment que le siége de l’embrasement de ce volcan, et peut-être de tous les autres volcans, n’est pas à une grande profondeur dans l’intérieur de la montagne, et qu’il n’est pas nécessaire de supposer leur foyer au niveau de la mer ou plus bas, et de faire partir de là l’explosion dans le temps des éruptions ; il suffit d’admettre des cavernes et des fentes perpendiculaires au dessous, ou plutôt à côté du foyer, lesquelles servent de tuyaux d’aspiration et de ventilateurs au fourneau du volcan.

M. de La Condamine, qui a eu plus qu’aucun autre physicien les occasions d’observer un grand nombre de volcans dans les Cordilières, a aussi examiné le mont Vésuve et toutes les terres adjacentes.

« Au mois de juin 1755, le sommet du Vésuve formoit, dit-il, un entonnoir ouvert dans un amas de cendres, de pierres calcaires, et de soufre, qui brûloit encore de distance en distance, qui teignoit le sol de sa couleur, et qui s’exhaloit par diverses crevasses, dans lesquelles la chaleur étoit assez grande pour enflammer en peu de temps un bâton enfoncé à quelques pieds dans ces fentes.

» Les éruptions de ce volcan sont fréquentes depuis plusieurs années ; et chaque fois qu’il lance des flammes et vomit des matières liquides, la forme extérieure de la montagne et sa hauteur reçoivent des changements considérables… Dans une petite plaine à mi-côte, entre la montagne de cendres et de pierres sorties du volcan, est une enceinte demi-circulaire de rochers escarpés de deux cents pieds de haut, qui bordent cette petite plaine du côté du nord. On peut voir d’après les soupiraux récemment ouverts dans les flancs de la montagne, les endroits par où se sont échappés, dans le temps de sa dernière éruption, les torrents de lave dont tout ce vallon est rempli.

» Ce spectacle présente l’apparence de flots métalliques refroidis et congelés ; on peut s’en former une idée imparfaite en imaginant une mer d’une matière épaisse et tenace dont les vagues commenceroient à se calmer. Cette mer avoit ses îles : ce sont des masses isolées, semblables à des rochers creux et spongieux, ouverts en arcades et en grottes bizarrement percées, sous lesquelles la matière ardente et liquide s’étoit fait des dépôts ou des réservoirs qui ressembloient à des fourneaux. Ces grottes, leurs voûtes, et leurs piliers… étoient chargés de scories suspendues en forme de grappes irrégulières de toutes les couleurs et de toutes les nuances.

» Toutes les montagnes ou coteaux des environs de Naples seront visiblement reconnus à l’examen pour des amas de matières vomies par des volcans qui n’existent plus, et dont les éruptions antérieures aux histoires ont vraisemblablement formé les ports de Naples et Pouzzol. Ces mêmes matières se reconnoissent sur toute la route de Naples à Rome, et aux portes de Rome même…

» Tout l’intérieur de la montagne de Frascati… la chaîne de collines qui s’étend de cet endroit à Grotta-Ferrata, à Castel Gandolfo, jusqu’au lac d’Albano, la montagne de Tivoli en grande partie, celle de Caprarola, de Viterbe, etc., sont composées de divers lits de pierres calcinées, de cendres pures, de scories, de matières semblables au mâchefer, à la terre cuite, à la lave proprement dite, enfin toutes pareilles à celles dont est composé le sol de Portici, et à celles qui sont sorties des flancs du Vésuve sous tant de formes différentes… Il faut donc nécessairement que toute cette partie de l’Italie ait été bouleversée par des volcans.

» Le lac d’Albano, dont les bords sont semés de matières calcinées, n’est que la bouche d’un ancien volcan, etc.… La chaîne des volcans d’Italie s’étend jusqu’en Sicile, et offre encore un assez grand nombre de foyers visibles sous différentes formes. En Toscane, les exhalaisons de Firenzuola, les eaux thermales de Pise ; dans l’État ecclésiastique, celles de Viterbe, de Norcia, de Nocera, etc. ; dans le royaume de Naples, celles d’Ischia, la Solfatara, le Vésuve ; en Sicile et dans les îles voisines de l’Etna, les volcans de Lipari, Stromboli, etc., d’autres volcans de la même chaîne éteints ou épuisés de temps immémorial, n’ont laissé que des résidus, qui, bien qu’ils ne frappent pas toujours au premier aspect, n’en sont pas moins reconnoissables aux yeux attentifs.

» Il est vraisemblable, dit M. l’abbé Mecati, que, dans les siècles passés, le royaume de Naples avoit, outre le Vésuve, plusieurs autres volcans…

» Le mont Vésuve, dit le P. de La Torre, semble une partie détachée de cette chaîne de montagnes qui, sous le nom d’Apennins, divise toute l’Italie dans sa longueur… Ce volcan est composé de trois monts différents : l’un est le Vésuve proprement dit ; les deux autres sont les monts Somma et d’Otajano. Ces deux derniers, placée plus occidentalement, forment une espèce de demi-cercle autour du Vésuve, avec lequel ils ont des racines communes.

» Cette montagne étoit autrefois entourée de campagnes fertiles, et couverte elle-même d’arbres et de verdure, excepté sa cime, qui étoit plate et stérile, et où l’on voyoit plusieurs cavernes entr’ouvertes. Elle étoit environnée de quantité de rochers qui en rendoient l’accès difficile, et dont les pointes, qui étoient fort hautes, cachoient le vallon élevé qui se trouve entre le Vésuve et les monts Somma et d’Otajano. La cime du Vésuve, qui s’est abaissée depuis considérablement, se faisant alors beaucoup plus remarquer, il n’est pas étonnant que les anciens aient cru qu’il n’avoit qu’un sommet…

» La largeur du vallon est, dans toute son étendue, de deux mille deux cent vingt pieds de Paris, et sa longueur équivaut à peu près à sa largeur… il entoure la moitié du Vésuve… et il est, ainsi que tous les côtés du Vésuve, rempli de sable brûlé et de petites pierres ponces. Les rochers qui s’étendent des monts Somma et d’Otajano offrent tout au plus quelques brins d’herbes, tandis que ces monts sont extérieurement couverts d’arbres et de verdure. Ces rochers paroissent, au premier coup d’œil, des pierres brûlées ; mais, en les observant attentivement, on voit qu’ils sont, ainsi que les rochers de ces autres montagnes, composés de lits de pierres naturelles, de terre couleur de châtaigne, de craie et de pierres blanches qui ne paroissent nullement avoir été liquéfiées par le feu…

» On voit tout autour du Vésuve les ouvertures qui s’y sont faites en différents temps, et par lesquelles sortent les laves, ces torrents de matières, qui sortent quelquefois des flancs, et qui tantôt courent sur la croupe de la montagne, se répandent dans les campagnes, et quelquefois jusqu’à la mer, et s’endurcissent comme une pierre lorsque la matière vient à se refroidir…

» À la cime du Vésuve on ne voit qu’une espèce d’ourlet ou de rebord de quatre à cinq palmes de large, qui, prolongé autour de la cime, décrit une circonférence de cinq mille six cent vingt-quatre pieds de Paris. On peut marcher commodément sur ce rebord. Il est tout couvert d’un sable brûlé, qui est rouge en quelques endroits, et sous lequel on trouve des pierres partie naturelles, partie calcinées… On remarque, dans deux élévations de ce rebord, des lits de pierres naturelles, arrangées comme dans toutes les montagnes ; ce qui détruit le sentiment de ceux qui regardent le Vésuve comme une montagne qui s’est élevée peu à peu au dessus du plan du vallon…

» La profondeur du gouffre où la matière bouillonne est de cinq cent quarante-trois pieds : pour la hauteur de la montagne depuis sa cime jusqu’au niveau de la mer, elle est de seize cent soixante-dix-sept pieds, qui font le tiers d’un mille d’Italie.

» Cette hauteur a vraisemblablement été plus considérable. Les éruptions qui ont changé la forme extérieure de la montagne en ont aussi diminué l’élévation par les parties qu’elles ont détachées du sommet, et qui ont roulé dans le gouffre. »

D’après tous ces exemples, si nous considérons la forme extérieure que nous présentent la Sicile et les autres terres ravagées par le feu, nous reconnoîtrons évidemment qu’il n’existe aucun volcan simple et purement isolé. La surface de ces contrées offre partout une suite et quelquefois une gerbe de volcans. On vient de le voir au sujet de l’Etna, et nous pouvons en donner un second exemple dans l’Hécla. L’Islande, comme la Sicile, n’est en grande partie qu’un groupe de volcans, et nous allons le prouver par les observations.

L’Islande entière ne doit être regardée que comme une vaste montagne parsemée de cavités profondes, cachant dans son sein des amas de minéraux, de matières vitrifiées et bitumineuses, et s’élevant de tous côtés du milieu de la mer qui la baigne, en forme d’un cône court et écrasé. Sa surface ne présente à l’œil que des sommets de montagnes blanchis par des neiges et des glaces, et plus bas l’image de la confusion et du bouleversement. C’est un énorme monceau de pierres et de rochers brisés, quelquefois poreux et à demi calcinés, effrayants par la noirceur et les traces de feu qui y sont empreintes. Les fentes et les creux de ces rochers ne sont remplis que d’un sable rouge, et quelquefois noir ou blanc ; mais dans les vallées que les montagnes forment entre elles, on trouve des plaines agréables.

La plupart des jokuts, qui sont des montagnes de médiocre hauteur, quoique couvertes de glaces, et qui sont dominées par d’autres montagnes plus élevées, sont des volcans qui, de temps à autre, jettent des flammes, et causent des tremblements de terre ; on en compte une vingtaine dans toute l’île. Les habitants des environs de ces montagnes ont appris, par leurs observations, que lorsque les glaces et la neige s’élèvent à une hauteur considérable, et qu’elles ont bouché les cavités par lesquelles il est anciennement sorti des flammes, on doit s’attendre à des tremblements de terre, qui sont suivis immanquablement d’éruptions de feu. C’est par cette raison qu’à présent les Hollandois craignent que les jokuts qui jetèrent des flammes, en 1728, dans le canton de Skatfield, ne s’enflamment bientôt, la glace et la neige s’étant accumulées sur leur sommet, et paroissant fermer les soupiraux qui favorisent les exhalaisons de ces feux souterrains.

En 1721, le jokut appelé Koëtlegan, à cinq ou six lieues à l’ouest de la mer, auprès de la baie de Portland, s’enflamma après plusieurs secousses de tremblement de terre. Cet incendie fondit des morceaux de glace d’une grosseur énorme, d’où se formèrent des torrents impétueux qui portèrent fort loin l’inondation avec la terreur, et entraînèrent jusqu’à la mer des quantités prodigieuses de terre, de sable, et de pierres. Les masses solides de glace et l’immense quantité de terre, de pierres, et de sable qu’emporta cette inondation, comblèrent tellement la mer, qu’à un demi-mille des côtes il s’en forma une petite montagne qui paroissoit encore au dessus de l’eau en 1750. On peut juger combien cette inondation amena de matières à la mer, puisqu’elle la fit remonter ou plutôt reculer à douze milles au delà de ses anciennes côtes.

La durée entière de cette inondation fut de trois jours, et ce ne fut qu’après ce temps qu’on put passer au pied des montagnes comme auparavant…

L’Hécla, que l’on a toujours regardé comme un des plus fameux volcans de l’univers à cause de ses éruptions terribles, est aujourd’hui un des moins dangereux de l’Islande. Les monts de Koëtlegan dont on vient de parler, et le mont Krafle, ont fait récemment autant de ravages que l’Hécla en faisoit autrefois. On remarque que ce dernier volcan n’a jeté des flammes que dix fois dans l’espace de huit cents ans ; savoir, dans les années 1104, 1157, 1222, 1300, 1341, 1362, 1389, 1558, 1636, et pour la dernière fois en 1693. Cette éruption commença le 13 février, et continua jusqu’au mois d’août suivant. Tous les autres incendies n’ont de même duré que quelques mois. Il faut donc observer que l’Hécla ayant fait les plus grands ravages au quatorzième siècle, à quatre reprises différentes, a été tout-à-fait tranquille pendant le quinzième, et a cessé de jeter du feu pendant cent soixante ans. Depuis cette époque il n’a fait qu’une seule éruption au seizième siècle, et deux au dix-septième. Actuellement on n’aperçoit sur ce volcan ni feu, ni fumée, ni exhalaisons ; on y trouve seulement dans quelques petits creux, ainsi que dans beaucoup d’autres endroits de l’île, de l’eau bouillante, des pierres, du sable, et des cendres.

En 1726, après quelques secousses de tremblements de terre, qui ne furent sensibles que dans les cantons du nord, le mont Krafle commença à vomir, avec un fracas épouvantable, de la fumée, du feu, des cendres, et des pierres. Cette éruption continua pendant deux ou trois ans, sans faire aucun dommage, parce que tout retomboit sur ce volcan ou autour de sa base.

En 1728, le feu s’étant communiqué à quelques montagnes situées près du Krafle, elles brûlèrent pendant plusieurs semaines. Lorsque les matières minérales qu’elles renfermoient furent fondues, il s’en forma un ruisseau de feu qui coula fort doucement vers le sud, dans les terrains qui sont au dessous de ces montagnes. Ce ruisseau brûlant s’alla jeter dans un lac, à trois lieues du mont Krafle, avec un grand bruit, et en formant un bouillonnement et un tourbillon d’écume horrible. La lave ne cessa de couler qu’en 1729, parce qu’alors vraisemblablement la matière qui la formoit étoit épuisée. Ce lac fut rempli d’une grande quantité de pierres calcinées, qui firent considérablement élever ses eaux : il a environ vingt lieues de circuit, et il est situé à une pareille distance de la mer. On ne parlera pas des autres volcans d’Islande ; il suffit d’avoir fait remarquer les plus considérables.

On voit, par cette description, que rien ne ressemble plus aux volcans secondaires de l’Etna que les jokuts de l’Hécla ; que dans tous deux le haut sommet est tranquille ; que celui du Vésuve s’est prodigieusement abaissé, et que probablement ceux de l’Etna et de l’Hécla étoient autrefois beaucoup plus élevés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Quoique la topographie des volcans, dans les autres parties du monde, ne nous soit pas aussi bien connue que celle des volcans d’Europe, nous pouvons néanmoins juger, par analogie et par la conformité de leurs effets, qu’ils se ressemblent à tous égards : tous sont situés dans les îles ou sur le bord des continents ; presque tous sont environnés de volcans secondaires ; les uns sont agissants, les autres éteints ou assoupis ; et ceux-ci sont en bien plus grand nombre, même dans les Cordilières, qui paroissent être le domaine le plus ancien des volcans. Dans l’Asie méridionale, les îles de la Sonde, les Moluques, et les Philippines, ne retracent que destruction par le feu, et sont encore pleines de volcans. Les îles du Japon en contiennent de même un assez grand nombre : c’est le pays de l’univers qui est aussi le plus sujet aux tremblements de terre ; il y a des fontaines chaudes en beaucoup d’endroits. La plupart des îles de l’Océan Indien et de toutes les mers de ces régions orientales ne nous présentent que des pics et des sommets isolés qui vomissent le feu, que des côtes et des rivages tranchés, restes d’anciens continents qui ne sont plus : il arrive même encore souvent aux navigateurs d’y rencontrer des parties qui s’affaissent journellement ; et l’on y a vu des îles entières disparoître ou s’engloutir avec leurs volcans sous les eaux. Les mers de la Chine sont chaudes ; preuve de la forte effervescence des bassins maritimes en cette partie : les ouragans y sont affreux ; on y remarque souvent des trombes ; les tempêtes sont toujours annoncées par un bouillonnement général et sensible des eaux, et par divers météores et autres exhalaisons dont l’atmosphère se charge et se remplit.

Le volcan de Ténériffe a été observé par le docteur Thomas Heberden, qui a résidé plusieurs années au bourg d’Oratava, situé au pied du pic ; il trouva en y allant quelques grosses pierres dispersées de tous côtés à plusieurs lieues du sommet de cette montagne : les unes paroissent entières, d’autres semblent avoir été brûlées et jetées à cette distance par le volcan. En montant la montagne, il vit encore des rochers brûlés qui étoient dispersés en assez grosses masses.

« En avançant, dit-il, nous arrivâmes à la fameuse grotte de Zegds, qui est environnée de tous côtés par des masses énormes de rochers brûlés…

» À un quart de lieue plus haut, nous trouvâmes une plaine sablonneuse, du milieu de laquelle s’élève une pyramide de sable ou de cendres jaunâtres, que l’on appelle le pain de sucre. Autour de sa base, on voit sans cesse transpirer des vapeurs fuligineuses : de là jusqu’au sommet, il peut y avoir un demi-quart de lieue ; mais la montée en est très difficile par sa hauteur escarpée et le peu d’assiette qu’on trouve dans tout ce terrain…

» Cependant nous parvînmes à ce que l’on appelle la Chaudière. Cette ouverture a douze ou quinze pieds de profondeur ; ses côtés, se rétrécissant toujours jusqu’au fond, forment une concavité qui ressemble à un cône tronqué dont la base seroit renversée… La terre en est fort chaude ; et d’environ vingt soupiraux, comme d’autant de cheminées, s’exhale une fumée ou vapeur épaisse, dont l’odeur est très sulfureuse. Il semble que tout le sol soit mêlé ou poudré de soufre ; ce qui lui donne une surface brillante et colorée…

» On aperçoit une couleur verdâtre, mêlée d’un jaune brillant comme de l’or, presque sur toutes les pierres qu’on trouve aux environs : une autre partie peu étendue de ce pain de sucre est blanche comme la chaux ; et une autre, plus basse, ressemble à de l’argile rouge qui seroit couverte de sel.

» Au milieu d’un autre rocher nous découvrîmes un trou qui n’avoit pas plus de deux pouces de diamètre, d’où procédoit un bruit pareil à celui d’un volume considérable d’eau qui bouilliroit sur un grand feu. »

Les Açores, les Canaries, les îles du cap Vert, l’île de l’Ascension, les Antilles, qui paroissent être les restes des anciens continents qui réunissoient nos contrées à l’Amérique, ne nous offrent presque toutes que des pays brûlés ou qui brûlent encore. Les volcans anciennement submergés avec les contrées qui les portoient, excitent sous les eaux des tempêtes si terribles, que, dans une de ces tourmentes arrivées aux Açores, le suif des sondes se fondoit par la chaleur du fond de la mer. (Add. Buff.)

Des volcans éteints.

* Le nombre des volcans éteints est sans comparaison beaucoup plus grand que celui des volcans actuellement agissants ; on peut même assurer qu’il s’en trouve en très grande quantité dans presque toutes les parties de la terre. Je pourrois citer ceux que M. de La Condamine a remarqués dans les Cordilières, ceux que M. Fresnaye a observés à Saint-Domingue, dans le voisinage du Port-au-Prince, ceux du Japon et des autres îles orientales et méridionales de l’Asie, dont presque toutes les contrées habitées ont autrefois été ravagées par le feu ; mais je me bornerai à donner pour exemple ceux de l’Île-de-France et de l’île de Bourbon, que quelques voyageurs instruits ont reconnus d’une manière évidente.

« Le terrain de l’Île-de-France est recouvert, dit M. l’abbé de La Caille, d’une quantité prodigieuse de pierres de toutes sortes de grosseurs, dont la couleur est cendrée noire ; une grande partie est criblée de trous : elles contiennent la plupart beaucoup de fer, et la surface de la terre est couverte de mines de ce métal ; on y trouve aussi beaucoup de pierres ponces, surtout sur la côte nord de l’île, des laves ou espèces de laitier de fer, des grottes profondes, et d’autres vestiges manifestes de volcans éteints…

» L’île de Bourbon, continue M. l’abbé de La Caille, quoique plus grande que l’Île-de-France, n’est cependant qu’une grosse montagne, qui est comme fendue dans toute sa hauteur en trois endroits différents. Son sommet est couvert de bois et inhabité, et sa pente, qui s’étend jusqu’à la mer, est défrichée et cultivée dans les deux tiers de son contour ; le reste est recouvert de laves d’un volcan qui brûle lentement et sans bruit : il ne paroît même un peu ardent que dans la saison des pluies…

» L’île de l’Ascension est visiblement formée et brûlée par un volcan ; elle est couverte d’une terre rouge semblable à de la brique pilée ou à de la glaise brûlée… L’île est composée de plusieurs montagnes d’élévation moyenne, comme de cent à cent cinquante toises : il y en a une plus grosse qui est au sud-est de l’île, haute d’environ quatre cents toises… Son sommet est double et allongé ; mais toutes les autres sont terminées en cône assez parfait, et couvertes de terre rouge : la terre et une partie des montagnes sont jonchées d’une quantité prodigieuse de roches criblées d’une infinité de trous, de pierres calcaires et fort légères, dont un grand nombre ressemble à du laitier ; quelques unes sont recouvertes d’un vernis blanc sale, tirant sur le vert : il y a aussi beaucoup de pierres ponces. »

Le célèbre Cook dit que, dans une excursion que l’on fit dans l’intérieur de l’île d’Otaïti, on trouva que les rochers avoient été brûlés comme ceux de Madère, et que toutes les pierres portoient des marques incontestables du feu ; qu’on aperçoit aussi des traces de feu dans l’argile qui est sur les collines, et que l’on peut supposer qu’Otaïti et nombre d’îles voisines sont les débris d’un continent qui a été englouti par l’explosion d’un feu souterrain. Philippe Carteret dit qu’une des îles de la Reine-Charlotte, située vers le 11° 10′ de latitude sud, est d’une hauteur prodigieuse et d’une figure conique, et que son sommet a la forme d’un entonnoir, dont on voit sortir de la fumée, mais point de flammes ; que sur le côté le plus méridional de la terre de la Nouvelle-Bretagne se trouvent trois montagnes, de l’une desquelles il sort une grosse colonne de fumée.

L’on trouve des basaltes à l’île de Bourbon, où le volcan, quoique affoibli, est encore agissant ; à l’Île-de-France, où tous les feux sont éteints ; à Madagascar, où il y a des volcans agissants et d’autres éteints : mais pour ne parler que des basaltes qui se trouvent en Europe, on sait, à n’en pouvoir douter, qu’il y en a des masses considérables en Irlande, en Angleterre, en Auvergne, en Saxe sur les bords de l’Elbe, en Misnie sur la montagne de Cottener, à Marienbourg, à Weilbourg dans le comté de Nassau, à Lauterbach, à Bilstein, dans plusieurs endroits de la Hesse, dans la Lusace, dans la Bohême, etc. Ces basaltes sont les plus belles laves qu’aient produites les volcans qui sont actuellement éteints dans toutes ces contrées : mais nous nous contenterons de donner ici l’extrait des descriptions détaillées des volcans éteints qui se trouvent en France.

« Les montagnes d’Auvergne, dit M. Guettard, qui ont été, à ce que je crois, autrefois des volcans… sont celles de Volvic à deux lieues de Riom, du Puy-de-Dôme proche Clermont, et du mont d’Or. Le volcan de Volvic a formé par ses laves différents lits posés les uns sur les autres, qui composent ainsi des masses énormes, dans lesquelles on a pratiqué des carrières qui fournissent de la pierre à plusieurs endroits assez éloignés de Volvic… Ce fut à Moulins que je vis les laves pour la première fois… et étant à Volvic, je reconnus que la montagne n’étoit presque qu’un composé de différentes matières qui sont jetées dans les éruptions des volcans…

» La figure de cette montagne est conique ; sa base est formée par des rochers de granite gris blanc, ou d’une couleur de rose pâle… le reste de la montagne n’est qu’un amas de pierres ponces, noirâtres ou rougeâtres, entassées les unes sur les autres sans ordre ni liaison… Aux deux tiers de la montagne, on rencontre des espèces de rochers irréguliers, hérissés de pointes informes contournées en tous sens, de couleur rouge obscur, ou d’un noir sale et mat, et d’une substance dure et solide, sans avoir de trous comme les pierres ponces… Avant d’arriver au sommet, on trouve un trou large de quelques toises, d’une forme conique, et qui approche d’un entonnoir… La partie de la montagne qui est au nord et à l’est m’a paru n’être que de pierres ponces… Les bancs de pierre de Volvic suivent l’inclinaison de la montagne, et semblent se continuer sur cette montagne, et avoir communication avec ceux que les ravins mettent à découvert un peu au dessous du sommet… Ces pierres sont d’un gris de fer qui semble se charger d’une fleur blanche qu’on diroit en sortir comme une efflorescence : elles sont dures, quoique spongieuses et remplies de petits trous irréguliers.

» La montagne du Puy-de-Dôme n’est qu’une masse de matière qui n’annonce que les effets les plus terribles du feu le plus violent… Dans les endroits qui ne sont point couverts de plantes et d’arbres, on ne marche que parmi des pierres ponces, sur des quartiers de laves, et dans une espèce de gravier ou de sable formé par une sorte de mâchefer, et par de très petites pierres ponces mêlées de cendres…

» Ces montagnes présentent plusieurs pics, qui ont tous une cavité moins large au fond qu’à l’ouverture… Un de ces pics, le chemin qui y conduit, et tout l’espace qui se trouve de là jusqu’au Puy-de-Dôme, ne sont qu’un amas de pierres ponces ; et il en est de même pour ce qui est des autres pics, qui sont au nombre de quinze ou seize, placés sur la même ligne du sud au nord, et qui ont tous des entonnoirs.

» Le sommet du pic du mont d’Or est un rocher d’une pierre d’un blanc cendré tendre, semblable à celle du sommet des montagnes de cette terre volcanisée ; elle est seulement un peu moins légère que celle du Puy-de-Dôme. Si je n’ai pas trouvé sur cette montagne des vestiges de volcan en aussi grande quantité qu’aux deux autres, cela vient en grande partie de ce que le mont d’Or est plus couvert, dans toute son étendue, de plantes et de bois que la montagne de Volvic et le Puy-de-Dôme… Cependant la partie sud-ouest est entièrement découverte, et n’est remplie que de pierres et de rochers qui me paroissent avoir été exempts des effets du feu…

» Mais la pointe du mont d’Or est un cône pareil à ceux de Volvic et du Puy-de-Dôme : à l’est de cette pointe est le pic du Capucin, qui affecte également la figure conique ; mais la sienne n’est pas aussi régulière que celle des précédents : il semble même que ce pic ait plus souffert dans sa composition ; tout y paroît plus irrégulier, plus rompu, plus brisé… Il y a encore plusieurs pics dont la base est appuyée sur le dos de la montagne ; ils sont tous dominés par le mont d’Or, dont la hauteur est de cinq cent neuf toises… Le pic du mont d’Or est très roide ; il finit en une pointe de quinze ou vingt pieds de large en tous sens…

» Plusieurs montagnes entre Thiers et Saint-Chaumont ont une figure conique ; ce qui me fait penser, dit M. Guettard, qu’elles pouvoient avoir brûlé… Quoique je n’aie pas été à Pontgibault, j’ai des preuves que les montagnes de ce canton sont des volcans éteints ; j’en ai reçu des morceaux de laves qu’il étoit facile de reconnoître pour tels par les points jaunes et noirâtres d’une matière vitrifiée, qui est le caractère le plus certain d’une pierre de volcan. »

Le même M. Guettard et M. Faujas ont trouvé sur la rive gauche du Rhône, et assez avant dans le pays, de très gros fragments de basaltes en colonnes… En remontant dans le Vivarais, ils ont trouvé dans un torrent un amas prodigieux de matières de volcan, qu’ils ont suivi jusqu’à sa source : il ne leur a pas été difficile de reconnoître le volcan : c’est une montagne fort élevée, sur le sommet de laquelle ils ont trouvé la bouche d’environ quatre-vingts pieds de diamètre : la lave est partie visiblement du dessous de cette bouche ; elle a coulé en grandes masses par les ravins l’espace de sept ou huit mille toises ; la matière s’est amoncelée toute brûlante en certains endroits ; venant ensuite à s’y figer, elle s’est gercée et fendue dans toute sa hauteur, et a laissé toute la plaine couverte d’une quantité innombrable de colonnes, depuis quinze jusqu’à trente pieds de hauteur, sur environ sept pouces de diamètre.

« Ayant été me promener à Montferrier, dit M. Montet, village éloigné de Montpellier d’une lieue… je trouvai quantité de pierres noires détachées les unes des autres, de différentes figures et grosseurs… et les ayant comparées avec d’autres qui sont certainement l’ouvrage des volcans… je les trouvai de même nature que ces dernières : ainsi je ne doutai point que ces pierres de Montferrier ne fussent elles-mêmes une lave très dure ou une matière fondue par un volcan éteint depuis un temps immémorial. Toute la montagne de Montferrier est parsemée de ces pierres ou laves ; le village en est bâti en partie, et les rues en sont pavées… Ces pierres présentent, pour la plupart, à leurs surfaces, de petits trous ou de petites porosités qui annoncent bien qu’elles sont formées d’une matière fondue par un volcan ; on trouve cette lave répandue dans toutes les terres qui avoisinent Montferrier…

» Du côté de Pézenas, les volcans éteints y sont en grand nombre… toute la contrée en est remplie, principalement depuis le cap d’Agde, qui est lui-même un volcan éteint, jusqu’au pied de la masse des montagnes qui commencent à cinq lieues au nord de cette côte, et sur le penchant ou à peu de distance desquelles sont situés les villages de Livran, Peret, Fontès, Néfiez, Gabian, Faugères. On trouve, en allant du midi au nord, une espèce de cordon ou de chapelet fort remarquable, qui commence au cap d’Agde, et qui comprend les monts Saint-Thibery et le Causse (montagnes situées au milieu des plaines de Bressan) ; le pic de la tour de Valros, dans le territoire de ce village ; le pic de Montredon au territoire de Tourbes, et celui de Sainte-Marthe auprès du prieuré royal de Cassan, dans le territoire de Gabian. Il part encore du pied de la montagne, à la hauteur du village de Fontès, une longue et large masse qui finit au midi auprès de la grange des Prés… et qui est terminée, dans la direction du levant au couchant, entre le village de Caus et celui de Nizas… Ce canton a cela de remarquable, qu’il n’est presque qu’une masse de lave, et qu’on observe au milieu une bouche ronde d’environ deux cents toises de diamètre, aussi reconnoissable qu’il soit possible, qui a formé un étang qu’on a depuis desséché, au moyen d’une profonde saignée faite entièrement dans une lave dure et formée par couches, ou plutôt par ondes immédiatement contiguës…

» On trouve, dans ces endroits, de la lave et des pierres ponces ; presque toute la ville de Pézenas est pavée de lave ; le rocher d’Agde n’est que de la lave très dure, et toute cette ville est bâtie et pavée de cette lave, qui est très noire… Presque tout le territoire de Gabian, où l’on voit la fameuse fontaine de pétrole, est parsemé de laves et de pierres ponces.

» On trouve aussi au Causse de Basan et de Saint-Thibery une quantité considérable de basaltes… qui sont ordinairement des prismes à six faces, de dix à quatorze pieds de long… Ces basaltes se trouvent dans un endroit où les vestiges d’un ancien volcan sont on ne peut pas plus reconnoissables.

» Les bains de Balaruc… nous offrent partout les débris d’un volcan éteint ; les pierres qu’on y rencontre ne sont que des pierres ponces de différentes grosseurs…

» Dans tous les volcans que j’ai examinés, j’ai remarqué que la matière ou les pierres qu’ils ont vomies sont sous différentes formes : les unes sont en masse contiguë, très dures et pesantes, comme le rocher d’Agde : d’autres, comme celles de Montferrier et la lave de Tourbes, ne sont point en masses ; ce sont des pierres détachées, d’une pesanteur et d’une dureté considérables. »

M. Villet, de l’académie de Marseille, m’a envoyé, pour le Cabinet du Roi, quelques échantillons de laves et d’autres matières trouvées dans les volcans éteints de Provence, et il m’écrit qu’à une lieue de Toulon on voit évidemment les vestiges d’un ancien volcan, et qu’étant descendu dans une ravine au pied de cet ancien volcan de la montagne d’Ollioules, il fut frappé, à l’aspect d’un rocher détaché du haut, de voir qu’il étoit calciné ; qu’après en avoir brisé quelques morceaux, il trouva, dans l’intérieur, des parties sulfureuses si bien caractérisées, qu’il ne douta plus de l’ancienne existence de ces volcans éteints aujourd’hui.

M. Valmont de Bomare a observé, dans le territoire de Cologne, les vestiges de plusieurs volcans éteints.

Je pourrois citer un très grand nombre d’autres exemples qui tous concourent à prouver que le nombre des volcans éteints est peut-être cent fois plus grand que celui des volcans actuellement agissants, et l’on doit observer qu’entre ces deux états il y a, comme dans tous les autres effets de la nature, des états mitoyens, des degrés, et des nuances dont on ne peut saisir que les principaux points. Par exemple, les solfatares ne sont ni des volcans agissants, ni des volcans éteints, et semblent participer des deux. Personne ne les a mieux décrites qu’un de nos savants académiciens, M. Fougeroux de Bondaroy, et je vais rapporter ici ses principales observations.

« La solfatare située à quatre milles de Naples à l’ouest, et à deux milles de la mer, est fermée par des montagnes qui l’entourent de tous côtés. Il faut monter pendant environ une demi-heure avant que d’y arriver. L’espace compris entre les montagnes forme un bassin d’environ douze cents pieds de longueur sur huit cents pieds de largeur. Il est dans un fond par rapport à ces montagnes, sans cependant être aussi bas que le terrain qu’on a été obligé de traverser pour y arriver. La terre qui forme le fond de ce bassin est un sable très fin, uni, et battu ; le terrain est sec et aride, les plantes n’y croissent point ; la couleur du sable est jaunâtre… Le soufre qui s’y trouve en grande quantité, réuni avec ce sable, sert sans doute à le colorer.

» Les montagnes qui terminent la plus grande partie du bassin n’offrent que des rochers dépouillés de terre et de plantes ; les uns fendus, dont les parties sont brûlées et calcinées, et qui tous n’offrent aucun arrangement et n’ont aucun ordre dans leur position… Ils sont recouverts d’une plus ou moins grande quantité de soufre qui se sublime dans cette partie de la montagne, et dans celle du bassin qui en est proche.

» Le côté opposé… offre un meilleur terrain… aussi n’y voit-on pas de fourneaux pareils à ceux dont nous allons parler, et qui se trouvent communément dans la partie que l’on vient de décrire.

» Dans plusieurs endroits du fond du bassin on voit des ouvertures, des fenêtres, ou des bouches d’où il sort de la fumée accompagnée d’une chaleur qui brûleroit vivement les mains, mais qui n’est pas assez grande pour allumer du papier…

» Les endroits voisins donnent une chaleur qui se fait sentir à travers les souliers ; et il s’en exhale une odeur de soufre désagréable… Si l’on fait entrer dans le terrain un morceau de bois pointu, il sort aussitôt une vapeur, une fumée pareille à celle qu’exhalent les fentes naturelles…

» Il se sublime, par les ouvertures, du soufre en petite quantité, et un sel connu sous le nom de sel ammoniac, et qui en a les caractères…

» On trouve sur plusieurs des pierres qui environnent la solfatare, des filets d’alun qui y a fleuri naturellement… Enfin on retire encore du soufre de la solfatare… Cette substance est contenue dans des pierres de couleur grisâtre, parsemées de parties brillantes, qui dénotent celles du soufre cristallisé entre celles de la pierre… ; et ces pierres sont aussi quelquefois chargées d’alun…

» En frappant du pied dans le milieu du bassin, on reconnoît aisément que le terrain en est creux en dessous.

» Si l’on traverse le côté de la montagne le plus garni de fourneaux, et qu’on la descende, on trouve des laves, des pierres ponces, des écumes de volcans, etc., enfin tout ce qui, par comparaison avec les matières que donne aujourd’hui le Vésuve, peut démontrer que la solfatare a formé la bouche d’un volcan…

» Le bassin de la solfatare a souvent changé de forme ; on peut conjecturer qu’il en prendra encore d’autres, différentes de celle qu’il offre aujourd’hui : ce terrain se mine et se creuse tous les jours ; il forme maintenant une voûte qui couvre un abîme… Si cette voûte venoit à s’affaisser, il est probable que, se remplissant d’eau, elle produiroit un lac. »

M. Fougeroux de Bondaroy a aussi fait plusieurs observations sur les solfatares de quelques autres endroits de l’Italie.

« J’ai été, dit-il, jusqu’à la source d’un ruisseau que l’on passe entre Rome et Tivoli, et dont l’eau a une forte odeur de foie de soufre… elle forme deux petits lacs d’environ quarante toises dans leur plus grande étendue…

» L’un de ces lacs, suivant la corde que nous avons été obligés de filer, a en certains endroits jusqu’à soixante, soixante-dix, ou quatre-vingts brasses… On voit sur ces eaux plusieurs petites îles flottantes, qui changent quelquefois de place… elles sont produites par des plantes réduites en une espèce de tourbe, sur lesquelles les eaux, quoique corrosives, n’ont plus de prise…

» J’ai trouvé la chaleur de ces eaux de 20 degrés, tandis que le thermomètre à l’air libre étoit à 18 degrés ; ainsi les observations que nous avons faites n’indiquent qu’une très foible chaleur dans ces eaux… elles exhalent une odeur fort désagréable… et cette vapeur change la couleur des végétaux et celle du cuivre.

» La solfatare de Viterbe, dit M. l’abbé Mazéas, n’a une embouchure que de trois à quatre pieds ; ses eaux bouillonnent et exhalent une odeur de foie de soufre, et pétrifient aussi leurs canaux, comme celle de Tivoli… Leur chaleur est au degré de l’eau bouillante, quelquefois au dessous… Des tourbillons de fumée qui s’en élèvent quelquefois, annoncent une chaleur plus grande ; et néanmoins le fond du bassin est tapissé des mêmes plantes qui croissent au fond des lacs et des marais : ces eaux produisent du vitriol dans les terrains ferrugineux, etc.

» Dans plusieurs montagnes de l’Apennin, et principalement celles qui sont sur le chemin de Bologne à Florence, on trouve des feux ou simplement des vapeurs qui n’ont besoin que de l’approche d’une flamme pour brûler elles-mêmes…

» Les feux de la montagne Cenida, proche Pietramala, sont placés à différentes hauteurs de la montagne, sur laquelle on compte quatre bouches à feu qui jettent des flammes… Un de ces feux est dans un espace circulaire entouré de buttes… La terre y paroît brûlée, et les pierres sont plus noires que celles des environs ; il en sort çà et là une flamme bleue, vive, ardente, claire, qui s’élève à trois ou quatre pieds de hauteur… Mais au delà de l’espace circulaire on ne voit aucun feu, quoiqu’à plus de soixante pieds du centre des flammes, on s’aperçoive encore de la chaleur que conserve le terrain…

» Le long d’une fente ou crevasse voisine du feu, on entend un bruit sourd comme seroit celui d’un vent qui traverseroit un souterrain… Près de ce lieu on trouve deux sources d’eau chaude… Ce terrain, dans lequel le feu existe depuis du temps, n’est ni enfoncé ni relevé… On ne voit près du foyer aucune pierre de volcan, ni rien qui puisse annoncer que ce feu ait jeté ; cependant des monticules près de cet endroit rassemblent tout ce qui peut prouver qu’elles ont été anciennement formées ou au moins changées par les volcans… En 1767, on ressentit même des secousses de tremblements de terre dans les environs, sans que le feu changeât, ni qu’il donnât plus ou moins de fumée.

» Environ à dix lieues de Modène, dans un endroit appelé Barigazzo, il y a encore cinq ou six bouches où paroissent des flammes dans certains temps, qui s’éteignent par un vent violent : il y a aussi des vapeurs qui demandent l’approche d’un corps enflammé pour prendre feu… Mais, malgré les restes non équivoques d’anciens volcans éteints, qui subsistent dans la plupart de ces montagnes, les feux qui s’y voient aujourd’hui ne sont point de nouveaux volcans qui s’y forment, puisque ces feux ne jettent aucune substance de volcans. »

Les eaux thermales, ainsi que les fontaines de pétrole, et des autres bitumes et huiles terrestres, doivent être regardées comme une autre nuance entre les volcans éteints et les volcans en action : lorsque les feux souterrains se trouvent voisins d’une mine de charbon, ils la mettent en distillation, et c’est là l’origine de la plupart des sources de bitume ; ils causent de même la chaleur des eaux thermales qui coulent dans leur voisinage. Mais ces feux souterrains brûlent tranquillement aujourd’hui ; on ne reconnoît leurs anciennes explosions que par les matières qu’ils ont autrefois rejetées : ils ont cessé d’agir lorsque les mers s’en sont éloignées ; et je ne crois pas, comme je l’ai dit, qu’on ait jamais à craindre le retour de ces funestes explosions, puisqu’il y a toute raison de penser que la mer se retirera de plus en plus. (Add. Buff.)

Des laves et basaltes.

* À tout ce que nous venons d’exposer au sujet des volcans, nous ajouterons quelques considérations sur le mouvement des laves, sur le temps nécessaire à leur refroidissement, et sur celui qu’exige leur conversion en terre végétale.

La lave qui s’écoule ou jaillit du pied des éminences formées par les matières que le volcan vient de rejeter, est un verre impur en liquéfaction, et dont la matière tenace et visqueuse n’a qu’une demi-fluidité ; ainsi les torrents de cette matière vitrifiée coulent lentement en comparaison des torrents d’eau, et néanmoins ils arrivent souvent à d’assez grandes distances : mais il y a dans ces torrents de feu un mouvement de plus que dans les torrents d’eau ; ce mouvement tend à soulever toute la masse qui coule, et il est produit par la force expansive de la chaleur dans l’intérieur du torrent embrasé ; la surface extérieure se refroidissant la première, le feu liquide continue à couler au dessous ; et comme l’action de la chaleur se fait en tous sens, ce feu, qui cherche à s’échapper, soulève les parties supérieures déjà consolidées, et souvent les force à s’élever perpendiculairement : c’est de là que proviennent ces grosses masses de laves en forme de rochers qui se trouvent dans le cours de presque tous les torrents où la pente n’est pas rapide. Par l’effort de cette chaleur intérieure, la lave fait souvent des explosions, sa surface s’entr’ouvre, et la matière liquide jaillit de l’intérieur et forme ces masses élevées au dessus du niveau du torrent. Le P. de La Torre est, je crois, le premier qui ait remarqué ce mouvement intérieur dans les laves ardentes ; et ce mouvement est d’autant plus violent qu’elles ont plus d’épaisseur et que la pente est plus douce : c’est un effet général et commun dans toutes les matières liquéfiées par le feu, et dont on peut donner des exemples que tout le monde est à portée de vérifier dans les forges[11]. Si l’on observe les gros lingots de fonte de fer qu’on appelle gueuses, qui coulent dans un moule ou canal dont la pente est presque horizontale, on s’apercevra aisément qu’elles tendent à se courber en effet d’autant plus qu’elles ont plus d’épaisseur[12]. Nous avons démontré, par les expériences rapportées dans les mémoires précédents, que les temps de la consolidation sont à très peu près proportionnels aux épaisseurs, et que la surface de ces lingots étant déjà consolidée, l’intérieur en est encore liquide : c’est cette chaleur intérieure qui soulève et fait bomber le lingot ; et si son épaisseur étoit plus grande, il y auroit, comme dans les torrents de lave, des explosions, des ruptures à la surface, et des jets perpendiculaires de matière métallique poussée au dehors par l’action du feu renfermé dans l’intérieur du lingot. Cette explication, tirée de la nature même de la chose, ne laisse aucun doute sur l’origine de ces éminences qu’on trouve fréquemment dans les vallées et les plaines que les laves ont parcourues et couvertes.

Mais, lorsqu’après avoir coulé de la montagne et traversé les campagnes, la lave toujours ardente arrive aux rivages de la mer, son cours se trouve tout à coup arrêté : le torrent de feu se jette comme un ennemi puissant, et fait d’abord reculer les flots ; mais l’eau, par son immensité, par sa froide résistance et par la puissance de saisir et d’éteindre le feu, consolide en peu d’instants la matière du torrent, qui dès lors ne peut aller plus loin, mais s’élève, se charge de nouvelles couches, et forme un mur à-plomb, de la hauteur duquel le torrent de lave tombe alors perpendiculairement et s’applique contre le mur à-plomb qu’il vient de former : c’est par cette chute et par le saisissement de la matière ardente que se forment les prismes de basalte[13], et leurs colonnes articulées. Ces prismes sont ordinairement à cinq, six, ou sept faces, et quelquefois à quatre ou à trois, comme aussi à huit ou neuf faces : leurs colonnes sont formées par la chute perpendiculaire de la lave dans les flots de la mer, soit qu’elle tombe du haut des rochers de la côte, soit qu’elle forme elle-même le mur à-plomb qui produit sa chute perpendiculaire : dans tous les cas, le froid et l’humidité de l’eau qui saisissent cette matière toute pénétrée de feu, en consolidant les surfaces au moment même de sa chute, les faisceaux qui tombent du torrent de lave dans la mer, s’appliquent les uns contre les autres ; et comme la chaleur intérieure des faisceaux tend à les dilater, ils se font une résistance réciproque, et il arrive le même effet que dans le renflement des pois, ou plutôt des graines cylindriques, qui seroient pressées dans un vaisseau clos rempli d’eau qu’on feroit bouillir ; chacune de ces graines deviendroit hexagonale par la compression réciproque ; et de même chaque faisceau de lave devient à plusieurs faces par la dilatation et la résistance réciproques ; et lorsque la résistance des faisceaux environnants est plus forte que la dilatation du faisceau environné, au lieu de devenir hexagone, il n’est que de trois, quatre, ou cinq faces ; au contraire, si la dilatation du faisceau environné est plus forte que la résistance de la matière environnante, il prend sept, huit, ou neuf faces, toujours sur sa longueur, ou plutôt sur sa hauteur perpendiculaire.

Les articulations transversales de ces colonnes prismatiques sont produites par une cause encore plus simple : les faisceaux de lave ne tombent pas comme une gouttière régulière et continue, ni par masses égales : pour peu donc qu’il y ait d’intervalle dans la chute de la matière, la colonne à demi consolidée à sa surface supérieure s’affaisse en creux par le poids de la masse qui survient, et qui dès lors se moule en convexe dans la concavité de la première ; et c’est ce qui forme les espèces d’articulations qui se trouvent dans la plupart de ces colonnes prismatiques : mais lorsque la lave tombe dans l’eau par une chute égale et continue, alors la colonne de basalte est aussi continue dans toute sa hauteur, et l’on n’y voit point d’articulations. De même lorsque, par une explosion, il s’élance du torrent de lave quelques masses isolées, cette masse prend alors une figure globuleuse ou elliptique, ou même tortillée en forme de câble ; et l’on peut rappeler à cette explication simple toutes les formes sous lesquelles se présentent les basaltes et les laves figurées.

C’est à la rencontre du torrent de lave avec les flots et à sa prompte consolidation, qu’on doit attribuer l’origine de ces côtes hardies qu’on voit dans toutes les mers qui sont au pied des volcans. Les anciens remparts de basalte, qu’on trouve aussi dans l’intérieur des continents, démontrent la présence de la mer et son voisinage des volcans dans le temps que leurs laves ont coulé : nouvelle preuve qu’on peut ajouter à toutes celles que nous avons données de l’ancien séjour des eaux sur toutes les terres actuellement habitées.

Les torrents de lave ont depuis cent jusqu’à deux et trois mille toises de largeur, et quelquefois cent cinquante et même deux cents pieds d’épaisseur ; et comme nous avons trouvé par nos expériences que le temps du refroidissement du verre est à celui du refroidissement du fer comme 132 sont à 236[14], et que les temps respectifs de leur consolidation sont à peu près dans ce même rapport[15], il est aisé d’en conclure que, pour consolider une épaisseur de dix pieds de verre ou de lave, il faut 201 2159 minutes, puisqu’il faut 360 minutes pour la consolidation de dix pieds d’épaisseur de fer ; par conséquent il faut 4028 minutes, ou 67 heures 8 minutes, pour la consolidation de deux cents pieds d’épaisseur de lave : et, par la même règle, on trouvera qu’il faut environ onze fois plus de temps, c’est-à-dire 30 jours 1724, ou un mois, pour que la surface de cette lave de deux cents pieds d’épaisseur soit assez froide pour qu’on puisse la toucher : d’où il résulte qu’il faut un an pour refroidir une lave de deux cents pieds d’épaisseur assez pour qu’on puisse la toucher sans se brûler à un pied de profondeur, et qu’à dix pieds de profondeur elle sera encore assez chaude au bout de dix ans pour qu’on ne puisse la toucher, et cent ans pour être refroidie au même point jusqu’au milieu de son épaisseur. M. Brydone rapporte qu’après plus de quatre ans la lave qui avoit coulé en 1766 au pied de l’Etna n’étoit pas encore refroidie. Il dit aussi « avoir vu une couche de lave de quelques pieds, produite par l’éruption du Vésuve, qui resta rouge de chaleur au centre, long-temps après que la surface fut refroidie, et qu’en plongeant un bâton dans ses crevasses il prenoit feu à l’instant, quoiqu’il n’y eût au dehors aucune apparence de chaleur. » Massa, auteur sicilien, digne de foi, dit « qu’étant à Catane, huit ans après la grande éruption de 1669, il trouva qu’en plusieurs endroits la lave n’étoit pas encore froide. »

M. le chevalier Hamilton laissa tomber des morceaux de bois sec dans une fente de lave du Vésuve, vers la fin d’avril 1771 ; ils furent enflammés dans l’instant : quoique cette lave fût sortie du volcan le 19 octobre 1767, elle n’avoit point de communication avec le foyer du volcan ; et l’endroit où il fit cette expérience étoit éloigné au moins de quatre milles de la bouche d’où cette lave avoit jailli. Il est très persuadé qu’il faut bien des années avant qu’une lave de l’épaisseur de celle-ci (d’environ deux cents pieds) se refroidisse.

Je n’ai pu faire des expériences sur la consolidation et îe refroidissement, qu’avec des boulets de quelques pouces de diamètre ; le seul moyen de faire ces expériences plus en grand seroit d’observer les laves, et de comparer les temps employés à leurs consolidation et refroidissement selon leurs différentes épaisseurs : je suis persuadé que ces observations confirmeroient la loi que j’ai établie pour le refroidissement depuis l’état de fusion jusqu’à la température actuelle ; et quoiqu’à la rigueur ces nouvelles observations ne soient pas nécessaires pour confirmer ma théorie, elles serviroient à remplir le grand intervalle qui se trouve entre un boulet de canon et une planète.

Il nous reste à examiner la nature des laves et à démontrer qu’elles se convertissent, avec le temps, en une terre fertile ; ce qui nous rappelle l’idée de la première conversion des scories du verre primitif qui couvroient la surface entière du globe après sa consolidation.

« On ne comprend pas sous le nom de laves, dit M. de La Condamine, toutes les matières sorties de la bouche d’un volcan, telles que les cendres, les pierres ponces, le gravier, le sable, mais seulement celles qui, réduites par l’action du feu dans un état de fluidité, forment en se refroidissant des masses solides dont la dureté surpasse celle du marbre. Malgré cette restriction, on conçoit qu’il y aura encore bien des espèces de laves, selon le différent degré de fusion du mélange, selon qu’il participera plus ou moins du métal, et qu’il sera plus ou moins intimement uni avec diverses matières. J’en distingue surtout trois espèces, et il y en a bien d’intermédiaires. La lave la plus pure ressemble, quand elle est polie, à une pierre d’un gris sale, et obscur ; elle est lisse, dure, pesante, parsemée de petits fragments semblables à du marbre noir, et de pointes blanchâtres ; elle paroît contenir des parties métalliques ; elle ressemble, au premier coup d’œil, à la serpentine, lorsque la couleur de la lave ne tire point sur le vert ; elle reçoit un assez beau poli, plus ou moins vif dans ses différentes parties ; on en fait des tables, des chambranles de cheminée, etc.

» La lave la plus grossière est inégale et raboteuse ; elle ressemble fort à des scories de forges ou écumes de fer. La lave la plus ordinaire tient un milieu entre ces deux extrêmes ; c’est celle que l’on voit répandue en grosses masses sur les flancs du Vésuve et dans les campagnes voisines. Elle y a coulé par torrents : elle a formé en se refroidissant des masses semblables à des rochers ferrugineux et rouillés, et souvent épais de plusieurs pieds. Ces masses sont interrompues et souvent recouvertes par des amas de cendres et de matières calcinées… C’est sous plusieurs lits alternatifs de laves, de cendres, et de terre, dont le total fait une croûte de soixante à quatre-vingts pieds d’épaisseur, qu’on a trouvé des temples, des portiques, des statues, un théâtre, une ville entière, etc.… »

« Presque toujours, dit M. Fougeroux de Bondaroy, immédiatement après l’éruption d’une terre brûlée ou d’une espèce de cendre… le Vésuve jette la lave… elle coule par les fentes qui sont faites à la montagne…

» La matière minérale enflammée, fondue, et coulante, ou la lave proprement dite, sort par les fentes ou crevasses avec plus ou moins d’impétuosité, et en plus ou moindre quantité, suivant la force de l’éruption ; elle se répand à une distance plus ou moins grande, suivant son degré de fluidité, et suivant la pente de la montagne qu’elle suit, qui retarde plus ou moins son refroidissement…

» Celle qui garnit maintenant une partie du terrain dans le bas de la montagne, et qui descend quelquefois jusqu’au pied de Portici… forme de grandes masses, dures, pesantes, et hérissées de pointes sur leur surface supérieure ; la surface qui porte sur le terrain est plus plate : comme ces morceaux sont les uns sur les autres, ils ressemblent un peu aux flots de la mer ; quand les morceaux sont plus grands et plus amoncelés, ils prennent la figure des rochers…

» En se refroidissant, la lave affecte différentes formes… La plus commune est en tables plus ou moins grandes ; quelques morceaux ont jusqu’à six, sept, ou huit pieds de dimension : elle s’est ainsi cassée et rompue en cessant d’être liquide et en se refroidissant ; c’est cette espèce de lave dont la superficie est hérissée de pointes…

» La seconde espèce ressemble à de gros cordages ; elle se trouve toujours proche l’ouverture, paroît s’être figée promptement et avoir roulé avant de s’être durcie : elle est moins pesante que celle de la première espèce ; elle est aussi plus fragile, moins dure et plus bitumineuse ; en la cassant, on voit que sa substance est moins serrée que dans la première…

» On trouve au haut de la montagne une troisième espèce de lave, qui est brillante, disposée en filets qui quelquefois se croisent ; elle est lourde et d’un rouge violet… Il y a des morceaux qui sont sonores et qui ont la figure de stalactites… Enfin on trouve à certaines parties de la montagne, des laves qui affectoient une forme sphérique, et qui paroissoient avoir roulé. On conçoit aisément comment la forme de ces laves peut varier suivant une infinité de circonstances, etc. »

Il entre des matières de toute espèce dans la composition des laves ; on a tiré du fer et un peu de cuivre de celles du sommet du Vésuve ; il y en a même quelques unes d’assez métalliques pour conserver la flexibilité du métal : j’ai vu de grandes tables de laves de deux pouces d’épaisseur, travaillées et polies comme des tables de marbre, se courber par leur propre poids ; j’en ai vu d’autres qui plioient sous une forte charge, mais qui reprenoient le plan horizontal par leur élasticité.

Toutes les laves, étant réduites en poudre, sont, comme le verre, susceptibles d’être converties, par l’intermède de l’eau, d’abord en argile, et peuvent devenir ensuite, par le mélange des poussières et des détriments de végétaux, d’excellents terrains. Ces faits sont démontrés par les belles et grandes forêts qui environnent l’Etna, qui toutes sont sur un fond de lave recouvert d’une bonne terre de plusieurs pieds d’épaisseur ; les cendres se convertissent encore plus vite en terre que les poudres de verre et de lave : on voit dans la cavité des cratères des anciens volcans actuellement éteints, des terrains fertiles ; on en trouve de même sur le cours de tous les anciens torrents de lave. Les dévastations causées par les volcans sont donc limitées par le temps ; et comme la nature tend toujours plus à produire qu’à détruire, elle répare, dans l’espace de quelques siècles, les dévastations du feu sur la terre, et lui rend sa fécondité en se servant même des matériaux lancés pour la destruction. (Add. Buff.)

  1. Voyez l’Épître de Pline le jeune à Tacite.
  2. Voyez l’Histoire de l’Académie, année 1737, pages 7 et 8.
  3. Voyez les Voyages de Mandelslo.
  4. Voyez le Voyage de Gemelli Carreri, page 129.
  5. Page 10, année 1704.
  6. Voyez tome VI, page 103.
  7. Voyez le Nouveau Voyage autour du monde de M. Le Gentil, tome I, pages 172 et suiv.
  8. Lib. XXVI, cap. xiv.
  9. Voyez Borelli, de Incendiis montis Etnæ.
  10. Note communiquée à M. de Buffon, et envoyée de Naples, au mois de septembre 1755.
  11. La lave des fourneaux à fondre le fer subit les mêmes effets. Lorsque cette matière vitreuse coule lentement sur la dame, et qu’elle s’accumule à sa base, on voit se former des éminences, qui sont des bulles de verre concaves, sous une forme hémisphérique. Ces bulles crèvent, lorsque la force expansive est très active, et que la matière a moins de fluidité ; alors il en sort avec bruit un jet rapide de flamme ; lorsque cette matière vitreuse est assez adhérente pour souffrir une grande dilatation, ces bulles, qui se forment à sa surface, prennent un volume de huit à dix pouces de diamètre sans se crever, lorsque la vitrification en est moins achevée, et qu’elle a une consistance visqueuse et tenace ; ces bulles occupent peu de volume, et la matière, en s’affaissant sur elle-même, forme des éminences concaves, que l’on nomme yeux de crapaud. Ce qui se passe ici en petit dans le laitier des fourneaux de forge, arrive en grand dans les laves des volcans.
  12. Je ne parle pas ici des autres causes particulières, qui souvent occasionent la courbure des lingots de fonte. Par exemple, lorsque la fonte n’est pas bien fluide, lorsque le moule est trop humide, ils se courbent beaucoup plus, parce que ces causes concourent à augmenter l’effet de la première : ainsi l’humidité de la terre sur laquelle coulent les torrents de la lave aide encore à la chaleur intérieure à en soulever la masse, et à la faire éclater en plusieurs endroits par des explosions suivies de ces jets de matière dont cous avons parlé.
  13. Je n’examinerai point ici l’origine de ce nom basalte, que M. Desmarest, savant naturaliste de l’Académie des Sciences, croit avoir été donné par les anciens à deux pierres de nature différente ; et je ne parle ici que du basalte lave, qui est en forme de colonnes prismatiques.
  14. Voyez le Mémoire sur le refroidissement de la terre et des planètes.
  15. Voyez ibid.