Prières et pensées chrétiennes/Chapitre III
III
RÉFLEXIONS
SUR LA VIE CHRÉTIENNE
La confession, elle est une trouvaille admirable, car elle est la pierre de touche la plus sensible qui soit des âmes, l’acte le plus intolérable que l’Église ait imposé à la vanité de l’homme.
Est-ce étrange ! — On parle aisément de ses fredaines, de ses turpitudes, à des amis, voire même, dans la conversation, à un prêtre ; cela ne paraît pas tirer à conséquence et peut-être qu’un peu de vantardise se mêle aux aveux des péchés faciles, mais raconter la même chose à genoux, en s’accusant, après avoir prié, cela diffère ; ce qui n’était qu’une amusette devient une humiliation vraiment pénible, car l’âme n’est pas dupe de ces faux semblants ; elle sait si bien, dans son for intérieur, que tout est changé, elle sent si bien la puissance terrible du sacrement, qu’elle qui, tout à l’heure souriait, tremble maintenant dès qu’elle y pense. (En route.)
Durtal, avant de se décider à partir pour la Trappe, s’effraie de l’obligation où il sera de se confesser et de communier. La communion surtout lui paraît être un acte très redoutable. Mais il se remémore une parole de son confesseur, l’abbé Gévresin, et il prend confiance dans l’inépuisable charité divine.
Le point douloureux, c’est celui-là : communier ! Raisonnons pourtant : il est certain que je serai turpide en proposant au Christ de descendre ainsi qu’un puisatier, dans ma fosse : mais si j’attends qu’elle soit vide, jamais je ne serai en état de le recevoir, car mes cloisons ne sont pas étanches et toujours des péchés s’y infiltrent par des fissures !
Tout bien considéré, l’abbé était dans le vrai, lorsqu’il me répondit un jour : Mais, moi non plus, je ne suis pas digne de L’approcher ; Dieu merci, je n’ai pas ces cloaques dont vous me parlez, mais le matin quand je vais dire ma messe et que je songe aux poussières de la veille, pensez-vous donc que je n’aie point de honte ? Il convient, voyez-vous, de toujours se reporter aux Évangiles, de se répéter qu’il est venu pour les infirmes et les malades, qu’il veut visiter les péagers et les lépreux ; enfin il faut se convaincre que l’Eucharistie est une vigie, est un secours, qu’elle est accordée, comme il est écrit dans l’ordinaire de la Messe « ad tutamentum mentis et corporis et ad medelam percipiendam » ; elle est, lâchons le mot, un médicament spirituel ; on va au Sauveur de même qu’on se rend chez un médecin ; on lui apporte son âme à soigner et il la soigne. (En route.)
Durtal, après un assaut de doutes contre la Foi et de scrupules, que lui a livré le Démon, reçoit du prieur de la Trappe les conseils suivants, destinés à le prémunir contre ces attaques diaboliques :
Pénétrez-vous bien de cette vérité, qu’il n’existe, en sus de la prière, qu’un remède qui soit souverain contre ce mal [les doutes contre la Foi], le mépris.
Satan est l’orgueil, méprisez-le et aussitôt son audace croule ; il parle, haussez les épaules et il se tait. Ce qu’il faut c’est ne pas disserter avec lui ; si retors que vous puissiez être vous auriez le dessous, car il possède la plus rusée des dialectiques.
…Il y a deux manières de se débarrasser d’une chose qui gêne, la jeter au loin ou la laisser tomber. Jeter au loin exige un effort dont on peut n’être pas capable, laisser tomber n’impose aucune fatigue, est simple, sans péril, à la portée de tous.
Jeter au loin implique encore un certain intérêt, une certaine animation, voire même une certaine crainte : laisser tomber c’est l’indifférence, le mépris absolu ; croyez-moi, usez de ce moyen et Satan fuira.
Cette arme du mépris serait aussi toute-puissante pour vaincre l’assaut des scrupules si, dans les combats de cette nature, la personne assiégée y voyait clair. Malheureusement le propre du scrupule est d’affoler les gens, de leur faire perdre aussitôt la tramontane et il est, dès lors, indispensable de s’adresser au prêtre pour se défendre.
…Le scrupule ne résiste pas à l’aveu, dès qu’il débute. Au moment où vous le formulez devant le prêtre, il se dissout ; c’est une sorte de mirage qu’un mot efface.
…Le scrupule non traité, le scrupule non guéri mène au découragement qui est la pire des tentations, car, dans les autres, Satan n’attaque qu’une vertu en particulier et il se montre ; tandis que dans celle-là, il les attaque toutes en même temps et il se cache. (En route.)
Ah ! comment ressasser ces prières toutes faites, dont les paroissiens débordent, dire à Jésus, en le qualifiant « d’aimable Jésus », qu’il est le bien-aimé de mon cœur, que je prends la ferme résolution de n’aimer jamais que Lui, que je veux mourir plutôt que de jamais lui déplaire. N’aimer jamais que Lui ! Quand on est moine et solitaire, peut-être, mais dans la vie du monde ! puis, sauf les saints, qui préfère la mort à la plus légère des offenses ? Alors pourquoi vouloir le berner avec ces simagrées et ces frimes ? Non, en dehors des exorations personnelles, des entretiens intimes où l’on se risque à lui raconter tout ce qui passe par la tête, seules les prières de la liturgie peuvent être empruntées impunément par chacun de nous, car le propre de leur inspiration, c’est de s’adapter, à travers le temps, à tous les états d’âme, à tous les âges. (La cathédrale.)
Les vraies exorations sont celles de la liturgie, celles que Jésus nous a enseignées lui-même, les seules qui se servent d’une langue digne de lui, de sa propre langue. Elles sont complètes et elles sont souveraines, car tous nos désirs, tous nos regrets, toutes nos plaintes sont fixés dans les psaumes. Le Prophète a tout prévu et tout dit ; laissez-le donc parler pour vous et vous prêter ainsi, par son intermédiaire auprès de Dieu, son assistance. (La cathédrale.)
Oh ! je sais bien, mon Seigneur, le rêve est simple : effacer les empreintes, se débarrasser des images, opérer le vide en soi, pour que Votre Fils puisse s’y plaire, devenir assez indifférent à ses plaisirs et à ses soucis, assez désintéressé des alentours pour pouvoir limiter ses sentiments à ceux qu’exprime la liturgie du jour ; en un mot ne pleurer, ne rire, ne vivre qu’en Vous et avec Vous. Hélas ! l’idéal est inaccessible ; personne ne s’exile ainsi de soi-même ; on ne tue pas le vieil homme, on l’engourdit à peine et, à la moindre occasion, ce qu’il s’éveille !
Les saints y sont pourtant parvenus, à l’aide de grâces spéciales et encore Dieu leur a-t-il laissé des défauts afin de les préserver de l’orgueil ; mais pour le commun des mortels, rien de semblable ne se réalise et plus j’y réfléchis et plus je me persuade que rien n’est plus difficile que de se muer en saint.
Certes beaucoup de gens ont maté la chair, ils pratiquent l’amour de Jésus, l’humilité ; ils refoulent, sans doute, le plus gros des dispersions ; ils vivent aux écoutes de l’arrivée de Dieu ; ils ne sont pas loin d’être des saints… Mais il y a une pelure, un zeste, sur lequel ils glissent et qui les fait choir et les rejette dans la foule des saintes gens et les saintes gens ne sont pas des saints, car ce sont eux qui s’arrêtent en haut de la côte et n’en pouvant plus, se reposent et bien souvent redescendent.
Or la pierre de touche de la sainteté, elle n’est pas dans les mortifications corporelles et les souffrances — qui ne sont que des véhicules et des moyens — elle n’est pas non plus dans l’extinction des forts et des moyens péchés ; avec l’aide du ciel tout homme vraiment pieux et de bonne volonté peut y prétendre ; elle est surtout dans la réalité de cette assertion du Pater que nous répétons si audacieusement que nous en devrions trembler, « comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Supporter, en effet, les fourberies et les injures, ne conserver aucune rancune des injustices, alors même qu’elles se prolongent et que la haine qui les attise finit par rendre l’existence intolérable ; les désirer presque par besoin d’humiliation et par convoitise d’amour divin ; ne souhaiter non seulement aucun mal à son bourreau, mais l’aimer davantage et demander sans arrière-pensée, sincèrement, du fond du cœur, qu’il soit heureux et cela naturellement, en excusant sa façon d’agir, en s’attribuant tous les torts, eh bien ! cela, à moins d’une action très particulière de la grâce, c’est au-dessus des forces humaines ! (L’oblat.)