Prime Jeunesse/27

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Calmann-Lévy (p. 141-142).
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XXVII

Dès que le grand soleil matinal eut reparu dans ma chambre si simple et blanche, je désirai follement la revoir, ainsi qu’il arrive toujours pour toute créature qui en rêve vous a donné une pareille illusion voluptueuse, et, ayant passé à ma ceinture mon perpétuel et inutile petit revolver, je m’acheminai de bonne heure vers la forêt.

Approchant du carrefour indiqué, à l’ombre d’énormes chênes-verts, je ne tardai pas à apercevoir trois ou quatre roulottes dételées, et des chevaux qui paissaient l’herbe rase ; par terre, flambait un feu de branches mortes dont la fumée sentait le sauvage, et une vieille femme à tête de sorcière cuisinait là quelque chose dans une marmite. Sans doute les hommes de la petite tribu étaient déjà partis en maraude, car il ne restait autour des voitures que des enfants aux longs yeux d’ombre, — comme les siens, — et elle-même, la Gitane d’hier et de cette nuit, tressait des paniers, assise avec une grâce de jeune déesse sur le vieux sol charmant feutré de lichen, de mousse et de graminées fines. Alors je passai très près, trop près d’elle ; un élan m’entraînait à tout simplement lui dire : « Me voici, tu vois, je suis venu à ton appel souverain de la nuit dernière ; tu penses bien que tout m’est égal à présent dans le monde, hormis toi… »

Mais bien entendu, je m’éloignai sans lui avoir rien dit, m’étant seulement grisé de son imperceptible et énigmatique sourire, où il y avait à la fois du consentement et de l’ironie.