Principes de dressage et d’équitation/Partie I/I

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Marpon et Flammarion (p. 3-8).
I
Le cheval.

Je ne dresse que des pur sang, mais je suis loin de prétendre que les trois quarts ou demi-sang ne peuvent pas faire de bons chevaux de selle. C’est simplement ma préférence que j’indique.

Je ne recherche pas la grande taille : celle de 1m,56 à 1m,58 me plaît le mieux : disons, pour ne pas être exclusif, de 1m,55 à 1m,60.

Pour le choix du cheval, il faut d’abord considérer l’ensemble et, pour cela, se placer à quelques mètres de l’animal. Si la première impression est bonne, j’examine les détails et suis assez disposé à passer sur quelques imperfections. Si, au contraire, cette première impression générale n’est pas favorable, je regarde de beaucoup plus près, et suis moins disposé aux concessions. La perfection n’existe pas. Il faut surtout considérer, dans ce premier examen d’ensemble, la façon dont le cheval se sert de ses membres au pas, au trot et au galop, à la main d’abord et ensuite monté. Tel cheval qui, au repos, paraît mal conformé, devient harmonieux, léger et adroit aussitôt qu’il est mis en mouvement. Tel autre, qui semble presque parfait au repos, est lourd et maladroit dans ses allures. Je préfère le premier, parce qu’il se sert bien de ce qu’il a.

La tête jolie, l’encolure longue et fine, le garrot bien saillant, le dos et les reins courts et larges, la croupe longue, les reins bien attachés près de la dernière côte, les cuisses et les jambes longues jusqu’aux jarrets, les canons courts ; de même pour l’avantmain : les avant-bras longs, les canons courts, les paturons plutôt un peu longs que trop courts : telles sont les qualités de formes que je recherche, mais qui sont bien rarement réunies toutes dans le même sujet.

Je repousse absolument le cheval, quand la jointure qui lie le sabot au boulet est raide, car il manque d’élasticité, traîne ses pieds et fait forcément des fautes.

J’examine avec soin si les talons ne sont pas serrés. Pour éviter que ce défaut ne vienne à se produire plus tard, je ne fais pas ferrer mes chevaux tant qu’ils travaillent sur un terrain doux. Ils marchent alors sur la fourchette, et il en résulte un écartement du talon.

Je fais toujours ferrer en demi-lune, allongée, et les pointes des fers enchâssées dans les talons. J’arrive ainsi à n’avoir ni encastelures ni maladies des pieds.

Je commence toujours l’éducation des chevaux alors qu’ils sont encore jeunes, c’est-à-dire quand ils ont de deux à trois ans au maximum. Je les achète autant que possible vers le mois de septembre. Comme les chevaux naissent au printemps, ils ont à cette époque deux ans et demi.

Le motif qui me fait préférer les chevaux jeunes est que ces derniers n’ont presque jamais été soumis à l’entraînement, ou du moins très peu, et qu’ils sont par conséquent bien conservés.

Il est d’ailleurs facile de se les procurer, car, à côté des pur sang qui ont quelques chances de réussir sur les hippodromes, il y en a un grand nombre que l’on considère comme des non-valeurs au point de vue des courses, et qui peuvent néanmoins devenir de merveilleux chevaux d’école et de service. Du reste, pour une foule de raisons, on trouve à acheter un grand choix de pur sang de cet âge.

Je n’achète jamais de juments. Ma raison est qu’elles deviennent trop souvent quinteuses ou même pisseuses à l’éperon.

Je fais toujours subir à mes chevaux l’opération de la castration, et cela pour plusieurs raisons. D’abord, le pur sang entier a l’habitude de se jeter sur tous les chevaux qu’il rencontre, ce qui n’a rien d’agréable pour celui qui le monte. D’autre part, il se cabre avec une très grande facilité. Or beaucoup de chevaux que je dresse sont destinés à des dames, et on ne doit jamais permettre à une dame de monter les chevaux qui usent de cette défense.

Les chevaux entiers arabes et les chevaux allemands dits trakènes n’ont généralement pas les mêmes défauts. Ils vivent côte à côte avec les juments, sans presque jamais y faire attention.

Enfin, en prenant des années, le pur sang entier engraisse surtout de l’avant-main. Tandis que l’avant-main s’épaissit, s’alourdit, l’arrière-main périclite, la croupe reste mince et les fesses pointues, ce qui est un défaut chez le cheval de selle. Celui-ci doit, au contraire, avoir l’arrière-train assez développé et l’avant-main fin[1].

En outre, tout le monde sait que le cheval hongre a le caractère bien plus doux que le cheval entier. Pour la castration, j’envoie, après les chaleurs, mes chevaux à l’école d’Alfort, où ils restent quinze jours. Je les place ensuite à la campagne, au grand air, dans un établissement où ils reçoivent tous les soins qui leur sont indispensables, et je les y laisse pendant trois mois et demi.

Pendant ces quatre premiers mois, j’évite de leur mettre sur le dos même le poids d’une selle. Ce temps écoulé, je commence leur éducation, le plus doucement possible.

Quand ils savent marcher au pas, au trot et au galop, tourner avec facilité, reculer et faire quelques pas de côté, quand, enfin, j’ai obtenu la mise en main, je commence à les sortir, et ce n’est plus que l’affaire de quelques jours pour les rendre très agréables à monter dehors. J’en fais donc d’abord des chevaux de promenade, ce que les Anglais appellent hacks.

Pendant les deux ou trois mois qui suivent, je confirme, en plein air, le travail appris au manège pour amener mes chevaux à être légers et liants dans les allures naturelles.

Ainsi, de septembre à la fin décembre, rien que des soins et du repos. De janvier à mars, dressage au manège ; et d’avril à juin, confirmation, au dehors, du travail appris dans les mois précédents.

En juillet, j’envoie mes chevaux à la campagne : je les laisse complètement libres dans la prairie et leur donne de l’avoine. C’est pour eux le mois des vacances.

En août, je reprends le travail en plein air, et en même temps, comme les bêtes ont eu du repos et ont pris des forces, je commence l’équitation savante. Mes chevaux étant résistants, déjà légers et bien équilibrés, le progrès est assez rapide, et généralement je termine leur éducation de chevaux d’école vers la fin de décembre, quelquefois deux mois plus tôt ou plus tard, selon les difficultés que j’ai rencontrées et aussi suivant le travail plus ou moins savant auquel je les destine. Je leur donne alors un nouveau repos de quinze jours, et ensuite, si cela est possible, je les fais chasser.

Ce n’est qu’après ces différentes épreuves que je considère leur éducation comme complètement terminée.

J’ai alors, en effet, dans le même animal, un excellent cheval de promenade pour le printemps et l’été, un cheval de chasse très résistant pour l’automne, et un cheval d’école agréable à monter l’hiver.


  1. Tout en prenant beaucoup d’embonpoint, les pur sang qui font, dans les haras, le service d’étalon, et rien que ce service, conservent mieux leurs proportions.