Principes de dressage et d’équitation/Partie I/XIV

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Marpon et Flammarion (p. 30-38).
XIV
Position du cavalier.

Règle générale : tout homme peut être bien placé et solide à cheval. Si, au contraire, on me demande : Tout homme peut-il devenir un beau et élégant cavalier : sans hésiter, je réponds : Non !

L’élève qui a commencé à monter sous la direction d’un bon professeur, qui a travaillé consciencieusement, qui s’est soumis à trotter sans étriers pendant quelques mois, à qui on aura fait monter des chevaux vigoureux et parfois difficiles, sans qu’ils soient pour cela dangereux, celui-là arrivera forcément à être bien placé et solide à cheval.

Il aura la tête libre et aisée, de manière à pouvoir constamment la mouvoir sans gêne et en tous sens : il la portera haute dans les allures ordinaires et le saut : un peu baissée, le menton se rapprochant légèrement de la partie supérieure du sternum dans les allures vives.

Son regard sera mobile et jamais fixé sur un point quelconque, de façon qu’il embrasse tous les objets qui l’entourent. Le cavalier pourra, par suite, se rendre compte de tous les embarras et obstacles qui peuvent se présenter.

Il aura le cou dégagé, les épaules bien tombantes, et évitera de les contracter, comme on le fait trop souvent.

Ses bras tomberont naturellement jusqu’aux coudes, qui seront appuyés au corps. Il apportera la plus grande attention à tenir toujours les coudes près du corps et à ne les en écarter sous aucun prétexte. Ce n’est qu’à cette condition que la main pourra être légère. Or la légèreté de main est absolument indispensable pour conduire son cheval sûrement et sans saccades. Le coude étant solidement appuyé au corps, il ne reste plus qu’à empêcher l’avant-bras de ballotter, ce qui est très facile.

Le cavalier bien placé aura les coudes à hauteur de la ceinture, les poignets se faisant face, les doigts en dedans. Jamais il n’arrondira les poignets, sous peine de déterminer un écartement des coudes, et de perdre la communication en ligne directe avec la bouche de son cheval.

L’action sur la bouche du cheval ne doit être produite que par le serrement ou le relâchement des doigts qui tiennent les rênes.

Il aura le corps droit, sans jamais mettre de raideur. En aucun cas, il ne creusera les reins, ce qui provoquerait cette raideur que l’on doit toujours éviter. Les reins seront plutôt légèrement infléchis en avant de façon à conserver toute leur élasticité. Je dis les reins, mais non les épaules, bien entendu. La poitrine sera également droite sans effort et jamais bombée ; les muscles du bassin relâchés, seul moyen d’avoir de l’aisance.

Tout le haut du corps portera sur les fesses, son unique point d’appui. Les jambes seront bien tombantes, très descendues, les cuisses sur leur plat, les genoux adhérents et la pointe du pied tournée plutôt un peu en dehors qu’en dedans, ce qui permettra de se servir de ce que l’on appelle le gras de la jambè avant d’arriver à faire sentir l’éperon.

Quand la pointe du pied est trop tournée en dedans, les mollets s’écartent forcément et, par suite, on ne peut plus se servir de l’éperon que par à-coups.

Les genoux, formant une sorte de pivot fixe, laisseront une très grande mobilité au bas des jambes, qui doit tomber naturellement et ne pas constamment serrer les flancs. Pour que le cavalier soit à son aise, il faut qu’il arrive à rester bien assis sans le secours des mains ni des jambes, ces dernières ne devant faire prise que par moments et en cas de besoin. C’est en disant aux élèves de toujours serrer les jambes qu’on leur donne l’air d’être cramponnés au cheval. On se tient, du reste, en selle par l’équilibre et non par la force. On paraîtrait non moins cramponné si les cuisses n’étaient pas assez descendues, et par conséquent les genoux trop hauts. Toutefois, les cuisses trop descendues présentent un autre inconvénient : dans ce cas, le cavalier ne repose plus sur les fesses, mais sur le devant des cuisses. Il est vrai que dans cette position on est plus solide, puisque les jambes embrassent le cheval de toute leur longueur ; aussi convient-il de la prendre dans le galop de charge, mais seulement au moment d’aborder l’ennemi pour éviter d’être déplacé par le choc. Il faut dire encore que, dans cette position, on éprouve des difficultés pour se lier au cheval quand il passe du galop au trot.

En somme, pour être bien placé à cheval, le cavalier devra être assis sur sa selle comme sur une chaise.

Quand on se sert des étriers, la pointe du pied doit être plus haute que le talon. Sans étriers, le pied doit tomber naturellement, et par conséquent la pointe se trouve être plus basse que le talon. On remarquera qu’il est impossible, sans étriers, de tenir la pointe du pied élevée, à moins de contracter les muscles de la jambe et par suite la cuisse elle-même. Or qui dit contraction dit raideur[1].

La longueur des étriers doit être proportionnée aux jambes. La mesure traditionnelle du bras ne donne qu’une approximation dont je ne conteste pas l’utilité. Mais, une fois en selle, on ne manque jamais de rectifier. Pour cela il faut déchausser l’étrier et laisser tomber la jambe. L’étrivière sera de bonne longueur quand la grille de l’étrier arrivera au-dessous de la cheville. On recommande généralement de garder le pied en contact avec la branche interne de l’étrier. Quant à moi, je place le pied à égale distance des deux branches.

En tournant souvent les chevilles en tous sens, on arrive à leur donner une très grande souplesse, et l’on parvient ainsi à pouvoir lâcher et reprendre très facilement les étriers.

Pour être et paraître bien en selle, il faut d’ailleurs un certain nombre de qualités physiques. Ainsi il est évident qu’un homme gros et court est moins apte à bien monter à cheval qu’un homme assez grand et mince.

Je dis assez grand avec intention, car c’est une erreur répandue de croire qu’il faut être grand pour bien monter à cheval. Plus le cavalier est grand, plus il rencontre de difficultés. D’abord, plus le buste est long, plus il est aisément déplacé, en raison de l’élévation du centre de gravité, et plus il est difficile à remettre en équilibre. Mais c’est là le moindre inconvénient. Les jambes longues ne s’adaptent pas aux flancs aussi bien que les jambes de moyenne grandeur, parce qu’elles les dépassent ; en sorte que, pour se servir de l’éperon, le cavalier est obligé de plier les genoux pour raccourcir les jambes, ce qui est laid et nuit à la solidité.

Je reconnais néanmoins que tout homme peut, avec de l’application, arriver à être très solide en selle.[2]

L’aisance, la solidité et la confiance du cavalier dépendent généralement des premières leçons qu’il a reçues ; et, comme je l’ai déjà dit, une bonne assiette ne s’acquiert qu’à la condition d’avoir trotté longtemps sans étriers.

Il faut ne laisser monter aux commençants que des chevaux très doux d’allures et de caractère. On ne saurait prendre trop de précautions pour donner de la confiance au cavalier novice. La confiance qu’il prend durant les premières leçons peut seule lui donner le laisser-aller qui permettra, plus tard, toute décontraction.

Aussi longtemps que le cavalier mettra de la raideur dans ses mouvements, on pourra dire qu’il va à cheval, mais non qu’il monte.

Être cramponné sur sa selle n’est pas monter à cheval. Or cette position défectueuse ne disparaît généralement qu’au fur et à mesure que l’élève prend confiance. On entend assez que je veux parler de la confiance qu’il puise dans sa solidité, car il est certain que l’on peut être très brave et manquer de confiance une fois en selle.

On choisira, pour les premières leçons, des chevaux minces, plutôt étroits que larges, surtout si on a affaire à des jeunes gens ou à des hommes qui ont les jambes courtes. Un trop grand écart des jambes pourrait avoir des inconvénients graves : il fatigue les aines sans profit pour l’élève, et j’ai vu des déviations des hanches ne provenant que de cet abus. Il n’en sera pas de même quand, plus tard, le cavalier sera rompu à cette gymnastique. Peu à peu, il arrivera à monter tous les chevaux sans souffrance physique, quelle que soit leur construction.

Je ne suis pas d’avis de laisser les débutants se servir des quatre rênes ; un simple bridon, dont on fait tenir une rêne dans chaque main, me semble préférable. Si on permet immédiatement l’usage de la bride, il y a de grandes chances pour que le corps suive le mouvement des mains ; car, au début, ce ne sont pas seulement les mains, mais aussi les bras que l’élève portera presque infailliblement, soit à droite, soit à gauche. Avec le bridon, chaque effet étant séparé, cet inconvénient est évité.

Il faut se souvenir qu’il est plus facile de donner une bonne position à l’élève qui commence que de rectifier plus tard une position défectueuse.

En résumé, la première qualité du cavalier est la solidité, et la solidité ne résulte que d’une bonne position et de la pratique. J’ajoute que le cavalier doit également posséder, non une hardiesse imprévoyante, mais la confiance en soi qui lui laisse tout son sang-froid, sans lequel il n’aurait pas la libre et entière disposition de ses moyens et des connaissances précédemment acquises.

Enfin, il n’est pas nécessaire d’être un écuyer très savant pour bien monter à cheval. A l’homme très fort en théorie, mais peu habile dans la pratique, je préfère celui qui, ne se perdant pas dans de savantes dissrtations, peut néanmoins monter à peu près tous les chevaux montables. Le pur théoricien arrive presque toujours à rendre rétifs les chevaux qu’il prétend dresser. Il a, en effet, assez de solidité pour demander un mouvement au cheval ; mais sa solidité, faute de pratique, n’est plus suffisante et ne lui permet pas de persister quand le cheval se défend ouvertement.

Rien n’est plus mauvais que de provoquer des défenses, si on n’a pas la hardiesse de lutter jusqu’au bout et de les maîtriser.

  1. En Allemagne, on enseigne à monter sans étriers, la pointe du pied plus haut que le talon. C’est la contraction causée par cette position qui donne aux cavaliers allemands la raideur qui les caractérise. Je sais bien que les Allemands sont raides naturellement. Mais faites monter un Français dans ces conditions, il ne pourra faire autrement que d’être raide.
  2. Je parlais tout à l’heure de la raideur allemande. On peut généralement adresser le même reproche aux Anglais. Les peuples d’origine germanique ont la réputation d’être les meilleurs cavaliers, et de fait il faut confesser qu’ils le sont. Mais ce talent, ils le doivent uniquement à leur persévérance, à leur obstination dans le travail. Les Latins, de taille moyenne, sont plus aptes par leur souplesse, par leur agilité, à s’harmoniser avec le cheval, et s’ils étaient capables d’assiduité, ils seraient sans conteste les premiers cavaliers du monde. Mais ils se contentent trop facilement de l’a peu près. Il va sans dire que cette remarque est d’ordre général et qu’il y a d’excellents et de mauvais cavaliers dans tous les pays.