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Principes de la nature et de la grâce fondés en raison

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Principes de la nature et de la grâce

fondés en raison
1714
L’Europe savante, 1718, nov. art. VI.

1. La substance est un être capable d’action. Elle est simple ou composée. La substance simple est celle qui n’a point de parties. La composée est l’assemblage des substances simples, ou des monades. Monas est un mot grec qui signifie l’unité, ou ce qui est un.

Les composés, ou les corps, sont des multitudes ; et les substances simples, les vies, les âmes, les esprits sont des unités. Et il faut bien qu’il y ait des substances simples partout, parce que sans les simples il n’y aurait point de composés ; et par conséquent toute la nature est pleine de vie.

2. Les monades, n’ayant point de parties, ne sauraient être formées ni défaites. Elles ne peuvent commencer ni finir naturellement ; et durent par conséquent autant que l’univers, qui sera changé, mais qui ne sera point détruit. Elles ne sauraient avoir des figures ; autrement elles auraient des parties. Et par conséquent une monade en elle-même, et dans le moment, ne saurait être discernée d’une autre que par les qualités et actions internes, lesquelles ne peuvent être autre chose que ses perceptions (c’est-à-dire les représentations du composé, ou de ce qui est dehors dans le simple), et ses appétitions (c’est-à-dire ses tendances d’une perception à l’autre) qui sont les principes du changement. Car la simplicité de la substance n’empêche point la multiplicité des modifications ; qui se doivent trouver ensemble dans cette même substance simple ; et elles doivent consister dans la variété des rapports aux choses qui sont au-dehors.

C’est comme dans un centre ou point, tout simple qu’il est, se trouvent une infinité d’angles formés par les lignes qui y concourent.

3. Tout est plein dans la nature. Il y a des substances simples partout, séparées effectivement les unes des autres par des actions propres, qui changent continuellement leurs rapports ; et chaque substance simple ou monade, qui fait le centre d’une substance composée (comme par exemple d’un animal), et le principe de son unicité, est environnée d’une masse composée par une infinité d’autres monades, qui constituent le corps propre de cette monade centrale, suivant les affections duquel elle représente, comme dans une manière de centre, les choses qui sont hors d’elle. Et ce corps est organique, quand il forme une manière d’automate ou de machine de la nature, qui est machine non seulement dans le tout, mais encore dans les plus petites parties qui se peuvent faire remarquer. Et comme à cause de la plénitude du monde tout est lié, et chaque corps agit sur chaque autre corps, plus ou moins, selon la distance, et en est affecté par réaction, il s’ensuit que chaque monade est un miroir vivant, ou doué d’action interne, représentatif de l’univers, suivant son point de vue, et aussi réglé que l’univers lui-même. Et les perceptions dans la monade naissent les unes des autres par les lois des appétits, ou des causes finales du bien ou du mal qui consistent dans les perfections remarquables, réglées ou déréglées, comme les changements des corps et les phénomènes au-dehors naissent les uns des autres par les lois des causes efficientes, c’est-à-dire des mouvements. Ainsi il y a une harmonie parfaite entre les perceptions de la monade et les mouvements des corps, préétablie d’abord entre le système des causes efficientes et celui des causes finales. Et c’est en cela que consiste l’accord et l’union physique de l’âme et du corps, sans que l’un puisse changer les lois de l’autre.

4. Chaque monade, avec un corps particulier, fait une substance vivante. Ainsi il n’y a pas seulement de la vie partout, jointe aux membres ou organes ; mais même il y en a une infinité de degrés dans les monades, les unes dominant plus ou moins sur les autres. Mais quand la monade a des organes si ajustés que par leur moyen il y a du relief et du distingué dans les impressions qu’ils reçoivent, et par conséquent dans les perceptions qui les représentent (comme par exemple, lorsque par le moyen de la figure des humeurs des yeux, les rayons de la lumière sont concentrés et agissent avec plus de force), cela peut aller jusqu’au sentiment, c’est-à-dire jusqu’à une perception accompagnée de mémoire, à savoir, dont un certain écho demeure longtemps pour se faire entendre dans l’occasion ; et un tel vivant est appelé animal, comme sa monade est appelée une âme. Et quand cette âme est élevée jusqu’à la raison, elle est quelque chose de plus sublime, et on la compte parmi les esprits, comme il sera expliqué tantôt.

Il est vrai que les animaux sont quelquefois dans l’état de simples vivants, et leurs âmes dans l’état de simples monades, savoir, quand leurs perceptions ne sont pas assez distinguées pour qu’on s’en puisse souvenir, comme il arrive dans un profond sommeil sans songes, ou dans un évanouissement ; mais les perceptions devenues entièrement confuses se doivent redévelopper dans les animaux par les raisons que je dirai tantôt. Ainsi il est bon de faire distinction entre la perception, qui est l’état intérieur de la monade représentant les choses externes, et l’aperception qui est la conscience, ou la connaissance réflexive de cet état intérieur, laquelle n’est point donnée à toutes les âmes, ni toujours à la même âme. Et c’est faute de cette distinction que les cartésiens ont manqué, en comptant pour rien les perceptions dont on ne s’aperçoit pas, comme le peuple compte pour rien les corps insensibles. C’est aussi ce qui a fait croire aux mêmes cartésiens que les seuls esprits sont des monades, qu’il n’y a point d’âme des bêtes, et encore moins d’autres principes de vie. Et comme ils ont trop choqué l’opinion commune des hommes, en refusant le sentiment aux bêtes, ils se sont trop accommodés au contraire aux préjugés du vulgaire, en confondant un long étourdissement, qui vient d’une grande confusion des perceptions avec une mort à la rigueur où toute la perception cesserait ; ce qui a confirmé l’opinion mal fondée de la destruction de quelques âmes et le mauvais sentiment de quelques esprits forts prétendus, qui ont combattu l’immortalité de la nôtre.

5. Il y a une liaison dans les perceptions des animaux qui a quelque ressemblance avec la raison ; mais elle n’est fondée que dans la mémoire des faits, et nullement dans la connaissance des causes. C’est ainsi qu’un chien fuit le bâton dont il a été frappé, parce que la mémoire lui représente la douleur que ce bâton lui a causée. Et les hommes en tant qu’ils sont empiriques, c’est-à-dire dans les trois quarts de leurs actions, n’agissent que comme des bêtes ; par exemple, on s’attend qu’il fera jour demain, parce qu’on l’a toujours expérimenté ainsi. Il n’y a qu’un astronome qui le prévoie par raison ; et même cette prédiction manquera enfin, quand la cause du jour, qui n’est point éternelle, cessera. Mais le raisonnement véritable dépend des vérités nécessaires ou éternelles ; comme sont celles de la logique, des nombres, de la géométrie, qui font la connexion indubitable des idées, et les conséquences immanquables. Les animaux où ces conséquences ne se remarquent point sont appelés bêtes ; mais ceux qui connaissent ces vérités nécessaires sont proprement ceux qu’on appelle animaux raisonnables, et leurs âmes sont appelées esprits. Ces âmes sont capables de faire des actes réflexifs, et de considérer ce qu’on appelle moi, substance, monade, âme, esprit ; en un mot, les choses et les vérités immatérielles. Et c’est ce qui nous rend susceptibles des sciences ou des connaissances démonstratives.

6. Les recherches des modernes nous ont appris, et la raison l’approuve, que les vivants dont les organes nous sont connus, c’est-à-dire les plantes et les animaux, ne viennent point d’une putréfaction ou d’un chaos comme les anciens ont cru, mais de semences préformées, et par conséquent de la transformation des vivants préexistants. Il y a de petits animaux dans les semences des grands, qui, par le moyen de la conception, prennent un revêtement nouveau qu’ils s’approprient, et qui leur donne moyen de se nourrir et de s’agrandir pour passer sur un plus grand théâtre et faire la propagation du grand animal. Il est vrai que les âmes des animaux spermatiques humains ne sont point raisonnables, et ne le deviennent que lorsque la conception détermine ces animaux à la nature humaine. Et comme les animaux généralement ne naissent point entièrement dans la conception ou génération, ils ne périssent pas non plus entièrement dans ce que nous appelons mort ; car il est raisonnable que ce qui ne commence pas naturellement ne finisse pas non plus dans l’ordre de la nature. Ainsi, quittant leur masque ou leur guenille, ils retournent seulement à un théâtre plus subtil, où ils peuvent pourtant être aussi sensibles et bien réglés que dans le plus grand. Et ce qu’on vient de dire des grands animaux a encore lieu dans la génération et la mort des animaux spermatiques plus petits, à proportion desquels ils peuvent passer pour grands, car tout va à l’infini dans la nature.

Ainsi non seulement les âmes, mais encore les animaux sont ingénérables et impérissables : ils ne sont que développés, enveloppés, revêtus, dépouillés, transformés ; les âmes ne quittent jamais tout leur corps et ne passent point d’un corps dans un autre corps qui leur soit entièrement nouveau.

Il n’y a donc point de métempsycose, mais il y a métamorphose ; les animaux changent, prennent et quittent seulement des parties : ce qui arrive peu à peu et par petites parcelles insensibles, mais continuellement, dans la nutrition ; et tout d’un coup, notablement, mais rarement, dans la conception ou dans la mort, qui les font acquérir ou perdre tout à la fois.

7. Jusqu’ici nous n’avons parlé qu’en simples physiciens : maintenant il faut s’élever à la métaphysique, en nous servant du grand principe, peu employé communément, qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante ; c’est-à-dire que rien n’arrive sans qu’il soit possible à celui qui connaîtrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour déterminer pourquoi il en est ainsi, et non pas autrement. Ce principe posé, la première question qu’on a droit de faire sera : Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien ? Car le rien est plus simple et plus facile que quelque chose. De plus, supposé que des choses doivent exister, il faut qu’on puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi, et non autrement.

8. Or, cette raison suffisante de l’existence de l’univers ne se saurait trouver dans la suite des choses contingentes, c’est-à-dire des corps et de leurs représentations dans les âmes ; parce que la matière étant indifférente en elle-même au mouvement et au repos, et à un mouvement tel ou tel autre, on n’y saurait trouver la raison du mouvement, et encore moins d’un tel mouvement. Et quoique le présent mouvement qui est dans la matière, vienne du précédent, et celui-ci encore d’un précédent, on n’en est pas plus avancé, quand on irait aussi loin que l’on voudrait ; car il reste toujours la même question. Ainsi, il faut que la raison suffisante, qui n’ait plus besoin d’une autre raison, soit hors de cette suite des choses contingentes, et se trouve dans une substance, qui en soit la cause, et qui soit un être nécessaire, portant la raison de son existence avec soi ; autrement on n’aurait pas encore une raison suffisante où l’on pût finir. Et cette dernière raison des choses est appelée Dieu.

9. Cette substance simple primitive doit renfermer éminemment les perfections contenues dans les substances dérivatives qui en sont les effets ; ainsi elle aura la puissance, la connaissance et la volonté parfaites, c’est-à-dire elle aura une toute-puissance, une omniscience et une bonté souveraine. Et comme la justice, prise fort généralement, n’est autre chose que la bonté conforme à la sagesse, il faut bien qu’il y ait aussi une justice souveraine en Dieu. La raison qui a fait exister les choses par lui, les fait encore dépendre de lui en existant et en opérant : et elles reçoivent continuellement de lui ce qui les fait avoir quelque perfection ; mais ce qui leur reste d’imperfection vient de la limitation essentielle et originale de la créature.

10. Il s’ensuit de la perfection suprême de Dieu qu’en produisant l’univers il a choisi le meilleur plan possible, où il y a la plus grande variété, avec le plus grand ordre : le terrain, le lieu, le temps les mieux ménagés : le plus d’effet produit par les voies les plus simples ; le plus de puissance, le plus de connaissance, le plus de bonheur et de bonté dans les créatures que l’univers en pouvait admettre. Car tous les possibles prétendant à l’existence dans l’entendement de Dieu, à proportion de leurs perfections, le résultat de toutes ces prétentions doit être le monde actuel le plus parfait qui soit possible. Et sans cela il ne serait pas possible de rendre raison pourquoi les choses sont allées plutôt ainsi qu’autrement.

11. La sagesse suprême de Dieu lui a fait choisir surtout les lois du mouvement les mieux ajustées et les plus convenables aux raisons abstraites ou métaphysiques. Il s’y conserve la même quantité de la force totale et absolue ou de l’action ; la même quantité de la force respective ou de la réaction ; la même quantité enfin de la force directive. De plus, l’action est toujours égale à la réaction, et l’effet entier est toujours équivalent à sa cause pleine. Et il est surprenant que, par la seule considération des causes efficientes ou de la matière, on ne saurait rendre raison de ces lois du mouvement découvertes de notre temps et dont une partie a été découverte par moi-même. Car j’ai trouvé qu’il y faut recourir aux causes finales, et que ces lois ne dépendent point du principe de la nécessité comme les vérités logiques, arithmétiques et géométriques ; mais du principe de la convenance, c’est-à-dire du choix de la sagesse. Et c’est une des plus efficaces et des plus sensibles preuves de l’existence de Dieu pour ceux qui peuvent approfondir ces choses.

12. Il suit encore de la perfection de l’auteur suprême que non seulement l’ordre de l’univers entier est le plus parfait qui se puisse, mais aussi que chaque miroir vivant représentant l’univers suivant son point de vue, c’est-à-dire que chaque monade, chaque centre substantiel, doit avoir ses perceptions et ses appétits les mieux réglés, qu’il est compatible avec tout le reste. D’où il s’ensuit encore que les âmes, c’est-à-dire les monades les plus dominantes, ou plutôt les animaux, ne peuvent manquer de se réveiller de l’état d’assoupissement, où la mort ou quelque autre accident les peut mettre.

13. Car tout est réglé dans les choses une fois pour toutes avec autant d’ordre et de correspondance qu’il est possible ; la suprême sagesse et bonté ne pouvant agir qu’avec une parfaite harmonie. Le présent est gros de l’avenir : le futur se pourrait lire dans le passé ; l’éloigné est exprimé dans le prochain. On pourrait connaître la beauté de l’univers dans chaque âme si l’on pouvait déplier tous ses replis, qui ne se développent sensiblement qu’avec le temps. Mais, comme chaque perception distincte de l’âme comprend une infinité de perceptions confuses qui enveloppent tout l’univers, l’âme même ne connaît les choses dont elle a perception qu’autant qu’elle en a des perceptions distinctes et relevées ; et elle a de la perfection à mesure de ses perceptions distinctes.

Chaque âme connaît l’infini, connaît tout, mais confusément. Comme en me promenant sur le rivage de la mer, et entendant le grand bruit qu’elle fait, j’entends les bruits particuliers de chaque vague dont le bruit total est composé, mais sans les discerner ; nos perceptions confuses sont le résultat des impressions que tout l’univers fait sur nous. Il en est de même de chaque monade. Dieu seul a une connaissance distincte de tout ; car il en est la source. On a fort bien dit qu’il est comme centre partout ; mais que sa circonférence n’est nulle part, tout lui étant présent immédiatement, sans aucun éloignement de ce centre.

14. Pour ce qui est de l’âme raisonnable ou de l’esprit, il y a quelque chose de plus que dans les monades, ou même dans les simples âmes. Il n’est pas seulement un miroir de l’univers des créatures, mais encore une image de la divinité. L’esprit n’a pas seulement une perception des ouvrages de Dieu ; mais il est même capable de produire quelque chose qui leur ressemble, quoique en petit. Car, pour ne rien dire des merveilles des songes, où nous inventons sans peine, mais aussi sans en avoir la volonté, des choses auxquelles il faudrait penser longtemps pour les trouver quand on veille ; notre âme est architectonique encore dans les actions volontaires, et, découvrant les sciences suivant lesquelles Dieu a réglé les choses (pondere, mensura, numero), elle imite dans son département et dans son petit monde, où il lui est permis de s’exercer, ce que Dieu fait dans le grand.

15. C’est pourquoi tous les esprits, soit des hommes, soit des génies, entrant en vertu de la raison et des vérités éternelles dans une espèce de société avec Dieu, sont des membres de la cité de Dieu, c’est-à-dire du plus parfait état, formé et gouverné par le plus grand et le meilleur des monarques : où il n’y a point de crime sans châtiment, point de bonnes actions sans récompense proportionnée ; et enfin autant de vertu et de bonheur qu’il est possible ; et cela, non pas par un dérangement de la nature, comme si ce que Dieu prépare aux âmes troublait les lois des corps, mais par l’ordre même des choses naturelles, en vertu de l’harmonie préétablie de tout temps entre les règnes de la nature et de la grâce, entre Dieu comme architecte, et Dieu comme monarque ; en sorte que la nature mène à la grâce et que la grâce perfectionne la nature en s’en servant.

16. Ainsi, quoique la raison ne nous puisse point apprendre le détail du grand avenir réservé à la révélation, nous pouvons être assurés par cette même raison que les choses sont faites d’une manière qui passe nos souhaits. Dieu étant aussi la plus parfaite et la plus heureuse, et par conséquent la plus aimable des substances, et l’amour pur véritable consistant dans l’état qui fait goûter du plaisir dans les perfections et dans la félicité de ce qu’on aime, cet amour doit nous donner le plus grand plaisir dont on puisse être capable, quand Dieu en est l’objet.

17. Et il est aisé de l’aimer comme il faut, si nous le connaissons comme je viens de dire. Car, quoique Dieu ne soit point sensible à nos sens externes, il ne laisse pas d’être très aimable, et de donner un très grand plaisir. Nous voyons combien les honneurs font plaisir aux hommes, quoiqu’ils ne consiste point dans les qualités des sens extérieurs.

Les martyrs et les fanatiques, quoique l’affection de ces derniers soit mal réglée, montrent ce que peut le plaisir de l’esprit ; et, qui plus est, les plaisirs mêmes des sens se réduisent à des plaisirs intellectuels confusément connus.

La musique nous charme, quoique sa beauté ne consiste que dans les convenances des nombres, et dans le compte dont nous ne nous apercevons pas, et que l’âme ne laisse pas de faire, des battements ou vibrations des corps sonnants, qui se rencontrent par certains intervalles. Les plaisirs que la vue trouve dans les proportions sont de la même nature ; et ceux que causent les autres sens reviendront à quelque chose de semblable, quoique nous ne puissions pas l’expliquer si distinctement.

18. On peut même dire que dès à présent l’amour de Dieu nous fait jouir d’un avant-goût de la félicité future. Et quoiqu’il soit désintéressé, il fait par lui-même notre plus grand bien et intérêt, quand même on ne l’y chercherait pas, et quand on ne considérerait que le plaisir qu’il donne, sans avoir égard à l’utilité qu’il produit ; car il nous donne une parfaite confiance dans la bonté de notre auteur et maître, laquelle produit une véritable tranquillité de l’esprit ; non pas comme les stoïciens résolus à une patience par force, mais par un contentement présent, qui nous assure même un bonheur futur. Et, outre le plaisir présent, rien ne saurait être plus utile pour l’avenir, car l’amour de Dieu remplit encore nos espérances, et nous mène dans le chemin du suprême bonheur, parce qu’en vertu du parfait ordre établi dans l’univers, tout est fait le mieux qu’il est possible, tant pour le bien général qu’encore pour le plus grand bien particulier de ceux qui en sont persuadés, et qui sont contents du divin gouvernement ; ce qui ne saurait manquer dans ceux qui savent aimer la source de tout bien. Il est vrai que la suprême félicité, de quelque vision béatifique, ou connaissance de Dieu, qu’elle soit accompagnée, ne saurait jamais être pleine ; parce que Dieu étant infini, ne saurait être connu entièrement.

Ainsi notre bonheur ne consistera jamais et ne doit point consister dans une pleine jouissance, où il n’y aurait plus rien à désirer et qui rendrait notre esprit stupide ; mais dans un progrès perpétuel à de nouveaux plaisirs et de nouvelles perfections.