Principes de la science sociale/14

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Traduction par Saint-Germain Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (tome 1p. 418-436).


CHAPITRE XIV.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

§ 1. — Tableau des Phénomènes observés dans les quatre grandes sociétés que nous avons citées plus haut. Différentes sous tous les autres rapports, elles se ressemblent quant à ce fait, qu’elles ont été privées de tout pouvoir de diversifier les emplois de leur activité, et se sont trouvées ainsi contraintes de dépendre davantage du voiturier et du trafiquant.

Le lecteur a eu maintenant sous les yeux le tableau des mouvements de quatre nations d’une importance considérable, et d’un assemblage de nations, comprenant dans son ensemble une population de 200 millions d’individus, soit un cinquième de la population totale du globe. Toutes ont été soumises à ce système de politique qui cherche à empêcher l’association ou la combinaison des efforts, et à maintenir à son apogée le plus vexatoire de tous les impôts, celui qui résulte de la nécessité d’effectuer les changements de lieu de la matière, et qui exige, pour sa mise à exécution, des navires et des chariots. Chez toutes ces nations, le lecteur a pu voir que les mêmes résultats ont été obtenus, à savoir : accroissement dans la part proportionnelle du travail de la société, qui doit être nécessairement consacrée à l’œuvre du transport ; accroissement dans les proportions et dans la puissance de la classe qui vit de la simple appropriation ; diminution de la part proportionnelle du travail de la société, qui peut être consacrée à augmenter la quantité des denrées susceptibles d’être transportées ou échangées ; diminution de la liberté et ruine du commerce. On pourrait ajouter d’autres nations, et la liste pourrait s’étendre de manière à embrasser tous les pays du monde où augmente la part proportionnelle du travail, qui doit être consacrée, nécessairement, à l’œuvre du transport ; en effet, c’est dans la nécessité d’effectuer les changements de lieu que réside le principal obstacle au progrès humain, au développement de l’intelligence, à l’accroissement de la liberté et du commerce, ainsi que l’avait vu si nettement Adam Smith, lorsqu’il insistait auprès de ses compatriotes sur l’avantage découlant de ce fait, la conversion du blé et de la laine, denrées encombrantes, en drap condensé sous un petit volume, et pouvant si facilement s’exporter jusqu’aux points les plus reculés de l’univers. Toutes les fois que la marche suivie par l’homme se dirige dans la voie qui se trouvait ainsi indiquée, et partout où, conséquemment, celui-ci surmonte peu à peu les obstacles qui entravent le commerce, la proportion existante entre les classes qui s’occupent du trafic et du transport et le reste de la société, diminue nécessairement ; et alors il devient, d’année en année, plus civilisé. Toutes les fois, au contraire, que le manufacturier disparaît et partout où se produit ainsi la nécessité croissante d’exporter les denrées à l’état brut, il se manifeste une tendance directement contraire ; l’homme alors retombe dans la barbarie, par suite de l’amoindrissement de la puissance d’association. Ce dernier cas est celui que nous voyons se produire dans tous les pays dont nous avons précédemment esquissé l’histoire ; et il en est ainsi, par la raison que le système, auquel ils ont été soumis, tend à établir pour le monde entier un atelier unique, auquel doivent être expédiés les produits bruts du globe, en subissant les frais de transport les plus coûteux. Dans tous ces pays, conséquemment, chaque jour la nature acquiert sur l’homme un pouvoir plus étendu. Dans tous, la richesse diminue, en même temps que décroît constamment la valeur de l’individu qui, d’année en année, devient, de plus en plus l’esclave de son semblable.

On dira peut-être, toutefois, que la population de l’Inde est indolente ; que la population turque est mahométane et fataliste et, d’ailleurs, incapable d’entrer en concurrence avec celle des îles britanniques ; que les Portugais et les Irlandais professent une croyance religieuse qui s’oppose au développement de l’intelligence ; que les travailleurs de la Jamaïque sont peu éloignés de l’état de barbarie, et que c’est à de pareils faits qu’il faut attribuer la faiblesse croissante des diverses sociétés dont nous avons déjà exposé la situation. Cependant les sujets de l’empire turc avaient, il y a un siècle, exactement la même façon de penser qu’aujourd’hui, et ils s’y attachaient encore plus fermement que dans les temps modernes ; le commerce qu’on entretenait alors avec eux était estimé comme la portion la plus importante de celui de l’Europe occidentale. Les Maures éclairés du midi de l’Espagne avaient la même croyance que celle des peuples habitant encore aujourd’hui les rivages de l’Hellespont ; mais il n’y existait, à notre connaissance, aucun obstacle à la civilisation. Les Portugais ne sont pas plus catholiques que ne l’étaient leurs devanciers qui conclurent le traité de Methuen, et dont le commerce était regardé comme si important. Les Portugais, ainsi que les Irlandais, avaient la même croyance que les Français, parmi lesquels l’agriculture et l’industrie font maintenant de si rapides progrès, et chez lesquels l’individualité se développe à un si haut degré. Les nègres importés à la Jamaïque n’étaient pas plus barbares que ne l’étaient ceux admis dans la Virginie et la Caroline, et cependant, tandis que chacun de ces derniers est représenté par sept de ses descendants, les colonies britanniques n’en offrent aux regards que deux, pour cinq introduits autrefois dans le pays. Les raisons que nous venons d’exposer ne rendant pas compte de l’état de choses retracé par nous, il faut chercher ailleurs les causes de son existence.

Différentes de croyance religieuse, de couleur, de degrés de latitude et de longitude, ces sociétés sont semblables seulement sous ce rapport, qu’elles ont été dépouillées du pouvoir de diversifier les travaux de leurs membres, de manière à développer leurs diverses individualités et à les rendre ainsi, propres à cette association sans laquelle l’homme ne peut obtenir le pouvoir de commander les services de la nature. Bornées entièrement à l’agriculture, elles ont été forcées d’en exporter les produits à leur état le plus grossier ; procédé qui implique l’épuisement du sol sur lequel elles doivent compter pour leur entretien, avec une diminution constante dans la rémunération des efforts humains. Sous l’empire de pareilles circonstances, le commerce dut nécessairement décliner, et la puissance du trafiquant et de celui qui transporte les produits, devaient s’accroître aussi inévitablement, tandis que le cultivateur deviendrait, de plus en plus, un pur instrument entre les mains de ceux qui vivaient uniquement de leur puissance d’appropriation. Il est évident que c’est là ce qu’il fait dans tous ces pays ; et l’on ne peut mettre en doute, un seul instant, que ce sont là les conséquences forcées d’un système qui cherche à empêcher l’association, et à diminuer le développement des facultés latentes de l’homme. En attribuant donc à ce système l’état de choses existant, nous obtenons une seule cause, importante et uniforme, à savoir : une politique tendant à la production de la barbarie, amenant les disettes et les épidémies, aboutissant à la ruine et à la mort, et donnant ainsi une apparence de vérité à la théorie de l’excès de population.

§ 2. — Résultats funestes de la nécessité croissante d’avoir recours aux services du trafiquant.

Pour que l’homme acquière du pouvoir sur la nature, il est indispensable que le marché destiné à son travail et aux produits de ce travail soit rapproché de lui. Lorsque ce marché est éloigné, quelque parfaits que puissent être les moyens de transport, l’engrais ne peut être restitué à la terre, et si la puissance productrice de celle-ci n’est pas entretenue, l’homme et la terre doivent s’appauvrir à la fois, en même temps qu’il y a diminution constante dans la possibilité d’entretenir le commerce. Les facilités de transport dans toute l’étendue de l’Irlande avaient été considérablement augmentées dans le demi-siècle qui vient de s’écouler ; mais à chaque phase de progrès, les famines et les pestes furent à la fois plus fréquentes et plus cruelles, jusqu’à ce qu’enfin l’achèvement d’un réseau étendu de chemins de fer fut signalé par un de ces fléaux, sévissant avec une intensité qui dépassa de beaucoup toutes les épidémies antérieures. A chacune de ces phases la puissance d’association diminua, le sol s’appauvrit plus rapidement ; et maintenant ceux qui le cultivaient abandonnent partout les demeures qui ont abrité leur jeunesse ; partout ses propriétaires sont dépossédés ; et ses hommes d’intelligence ont presque entièrement disparu.

Les chemins de fer sont construits maintenant pour et non par la population de l’Inde, mais leurs résultats doivent inévitablement être les mêmes que ceux observés en Irlande. Le but en vue duquel ils sont faits, c’est de développer davantage l’exportation des produits bruts du sol, et d’étendre encore la puissance centralisatrice du trafic ; ce qui doit amener un épuisement plus considérable du sol, la diminution de la puissance d’association parmi ceux qui l’occupent, et la décadence plus rapide de commerce. Le peu qui subsiste encore des manufactures de l’Inde, doit bientôt disparaître, et le coton doit être, de plus en plus forcé de se frayer sa voie, en abandonnant l’individu qui le produit au cœur de l’Inde, pour arriver au voisin immédiat du producteur, — et même à sa propre femme et à ses enfants, — par la route, faisant de nombreux circuits, de Calcutta, de Bombay et de Manchester ; système qui entraîne l’emploi des bœufs, des chariots, des navires et des wagons de chemins de fer, avec une augmentation constante dans la part proportionnelle du travail de la société nécessaire pour effectuer les changements de lieu, et la diminution de celle que l’on peut consacrer à accroître la quantité de produits susceptibles d’être transformés ou échangés. Plus on fera de chemins de fer dans l’Inde, plus sera faible la demande de travail et moins sera élevé le prix du coton[1]. Plus se développera la tendance des Indiens à abandonner leurs femmes et leurs enfants et à émigrer sur les plantations sucrières de l’île Maurice pour y chercher des moyens d’existence, plus doit diminuer la puissance d’association et moins doit être prononcée la tendance au développement de l’individualité au sein de la population.

Le Mexique a décliné constamment depuis le moment où le trafic avec ce pays est devenu plus libre pour le monde. Si nous voulons trouver la cause de sa décadence et de sa dissolution imminente, nous devons la chercher dans ce fait, que ses manufactures ont presque complètement cessé d’exister, que l’individualité s’est amoindrie et que le trafic a remplacé le commerce. Dans l’Amérique espagnole, en général, les mêmes phénomènes se sont présentés, le travail exigé pour le transport augmentant dans une proportion constante, et le travail consacré à la production diminuant, avec une diminution constante dans la puissance productrice du sol pour récompenser le travail, et diminution dans le pouvoir de l’individu pour soumettre à la culture les terrains plus riches. L’Italie, la Grèce, l’Afrique, le Brésil et les îles si fertiles de l’Océan Indien sont placés dans une situation analogue, faisant peu de commerce entre eux et forcés de dépendre presque exclusivement du trafic avec des pays éloignés. Les souffrances de la population des îles Ioniennes sont aussi fréquentes que les famines chez les habitants de Madère ; et par la raison, que ces individus étant forcés de dépendre exclusivement de l’agriculture, il y a nécessairement une déperdition incessante de capital.

Plus la puissance pour le bien est considérable, plus elle l’est aussi pour le mal. Les poisons les plus énergiques constituent les remèdes les plus actifs ; et les individus que leurs facultés rendent le plus propres à devenir les bienfaiteurs de l’espèce humaine sont précisément ceux qui sont le plus funestes à la société, lorsqu’ils ont des dispositions vicieuses. La vapeur et la poudre à canon, employées à propos, offrent à l’homme des avantages inappréciables ; mais dans le cas contraire, leur puissance pour faire le mal est en raison de leur puissance de rendre service. Il en est de même à l’égard du corps humain et de son alimentation ; la nourriture qui est susceptible, dans un certain état de l’organisation, de produire la plus grande somme de force, est précisément celle qui, dans un certain autre, tend le plus à détruire la force et à anéantir la vie. Il en est de même à l’égard des routes et des autres améliorations. Pour une société excellemment organisée, — une société où existe à un haut degré la diversité des travaux, et dont le commerce, en conséquence, est considérable — toute route nouvelle amène avec elle l’accroissement de l’empire sur la nature ; tandis que pour celle où l’organisation n’existe que dans de faibles proportions, la construction de chaque route ne peut que fournir un nouveau moyen d’épuisement, au moyen duquel le sang même qui entretient sa vie peut plus facilement lui être enlevée, ainsi que nous l’avons vu à l’égard de l’Irlande. Le trafic a été « le fléau de la Polynésie ; » et plus sa puissance devient considérable aujourd’hui, plus devient rapide le progrès de ses effets funestes parmi la population des îles. Le trafic a été le fléau de l’Afrique septentrionale et occidentale ; et les Hottentots disparaissent du globe à mesure qu’augmente la facilité des relations avec les étrangers. Le trafic fait disparaître les aborigènes de l’Ouest et il produira à l’égard des Japonais, lorsqu’une fois il aura été introduit parmi eux, précisément le même résultat qu’il a déjà produit à l’égard de la population des Îles Sandwich et de celle de l’Inde.

Si les choses se passent ainsi, il faut l’attribuer uniquement à ce fait, que les sociétés en sont encore à connaître et à apprécier l’avantage qu’elles recueilleraient, en pratiquant dans leurs relations avec d’autres sociétés plus faibles, cette grande loi qui prescrit à l’homme de faire à autrui ce qu’il voudrait qu’on lui fît lui-même. En politique, la moralité est inconnue ; et il suit de là, comme conséquence nécessaire, que le bien important et durable est constamment sacrifié à un profit insignifiant et temporaire ; les nations étant partout dirigées dans leur conduite par des motifs exactement semblables à ceux qui, si souvent, poussent l’individu à gagner une place dans la prison pénitentiaire en volant dans la poche de son voisin, lorsqu’en suivant une conduite différente il pourrait sans peine se mettre dans une situation d’aisance et de bien-être permanents[2].

Si la population africaine eût été instruite dans les véritables voies de la civilisation, si elle eût appris, conformément au conseil d’Adam Smith, à rassembler ses matières premières et à les rendre ainsi propres à être transportées au loin, elle pourrait, aujourd’hui, avoir de nouvelles routes et serait préparée à approvisionner l’Europe, dans une proportion presque illimitée, des productions des tropiques, tandis qu’elle-même aurait fait de rapides progrès, sous le rapport du développement de ses diverses facultés. Si l’on eût laissé les Irlandais, les Turcs et les Portugais, acquérir et développer l’industrie manufacturière, aujourd’hui ils augmenteraient considérablement le fonds de matières premières nécessaires à l’approvisionnement du monde, et le commerce avec ces peuples aurait acquis une grande importance. S’il est devenu tout à fait nul, cela tient à ce fait, qu’ils ont été contraints d’entretenir des relations commerciales sur le pied de liberté, avec des sociétés jouissant d’une organisation plus avancée que la leur, puissantes pour le bien et le mal, et employant leur puissance comme un moyen de s’assurer des profits pour elles-mêmes. Cherchant toujours le bien présent et momentané, en même temps qu’elles n’avaient nul souci du dommage futur et durable, ces dernières ont cherché à se fortifier en affaiblissant toutes celles qui les environnaient. Agir ainsi avec intention serait un crime ; mais, comme résultat de l’ignorance des vrais principes de la science sociale, çà été « une faute, » et conséquemment, suivant le jugement énoncé par Talleyrand, on devrait le considérer comme étant même pire qu’un crime.

§ 3. — Le système anglais ne tend qu’à l’accroissement du trafic. Un intérêt personnel éclairé chercherait à favoriser le commerce.

Un intérêt personnel éclairé apprend à tous les hommes qu’ils profitent des progrès de ceux qui les entourent ; et cela est vrai à tel point que nous voyons dans une partie considérable de notre pays (aux États-Unis), les riches contribuant volontiers, et pour une large part, à l’éducation de leurs voisins pauvres ; et, par suite, se trouvant remboursés avec usure par la plus grande sécurité qu’ils obtiennent ainsi, pour la jouissance de leurs droits d’individu et de propriétaire. Là où ce sentiment existe, les liens deviennent plus étroits entre ceux qui sont forts physiquement et intellectuellement, et ceux qui sont faibles sous ces deux rapports, et tout le monde s’en trouve mieux ; mais lorsqu’il existe un sentiment contraire, lorsque chaque individu cherche à faire une proie de son semblable, moins les relations sont étroites, mieux cela doit valoir pour tous. C’est ce dernier état de choses qu’on trouve dans les premiers siècles de la société, lorsque le soldat et le trafiquant sont les maîtres des individus qui les entourent ; tandis que le premier état est celui qui tend à naître, à mesure que la puissance productive de la terre se développe de plus en plus, à mesure que la richesse augmente, que les hommes deviennent plus capables de vivre en relation les uns avec les autres, que le commerce s’accroît, et que la société tend, de jour en jour, à revêtir une forme plus parfaite.

Dans la première de ces conditions, la société se trouvant dans un état de développement peu avancé, la résistance à la gravitation est à la vérité très-faible. Dans la dernière, — qui est celle où les diverges facultés de l’individu se développent convenablement, — la force d’attraction est considérable. Dans la première, il y a peu de puissance pour faire le bien ou le mal. Dans la dernière, il y en a beaucoup pour faire l’un ou l’autre, ou tous les deux à la fois ; et quant à savoir si l’existence de cette puissance sera un bienfait ou un fléau pour l’espèce humaine prise en masse, cela dépend autant de la façon dont sera dirigée sa force sociétaire, qu’on le voit dans le cas de la vapeur, tantôt servant à se procurer plus facilement les subsistances et les vêtements, et tantôt à battre en brèche les remparts d’une ville et à détruire la vie humaine.

Entre deux sociétés séparées par les différences que nous avons retracées plus haut, un intérêt personnel éclairé devait engager la plus forte à protéger et à fortifier la plus faible, à rendre plus facile la division des travaux et le développement de l’individualité, à augmenter la puissance d’association, dans le but de rendre sa voisine capable d’acquérir l’empire sur les forces de la nature, et d’aider ainsi au développement de la liberté et du commerce. Telle n’est pas cependant, et telle n’a jamais été la politique des nations ; et cela par la raison qu’elles n’ont été (et au plus haut point) que de purs instruments aux mains de la classe d’individus qui vit de l’appropriation : le soldat, le propriétaire d’esclaves et l’homme d’État. C’est à cette cause qu’il faut attribuer, que même en ce qui concerne les États-Unis, on a vu chez eux une disposition si prononcée à dépouiller et à opprimer leurs voisins plus faibles, — la république mexicaine et les misérables restes des peuplades indigènes. Même aujourd’hui, au lieu de donner à cette république les conseils amicaux ou l’assistance, grâce auxquels elle pourrait peut-être sortir de son état d’abaissement, le peuple américain et son gouvernement attendent avec impatience le moment où il deviendra possible de conclure de nouveaux traités, à l’aide desquels ils pourront plus facilement opérer la résolution de la société mexicaine en ses éléments primitifs, et acquérir ainsi de nouveaux territoires. Animés par l’esprit de trafic, ils cherchent à faire de bons marchés, peu soucieux de leur effet à l’égard du peuple avec lequel ils sont faits. De là vient que le trafic se développe aujourd’hui à mesure que le commerce diminue ; que les villes s’accroissent en étendue à mesure que les bourgs et les villages deviennent moins populeux ; que la propriété foncière dans les anciens États devient de moins en moins divisée ; que la centralisation politique et trafiquante remplace rapidement l’activité locale qui régnait autrefois ; que l’esclavage de l’homme est maintenant envisagé comme n’étant qu’une conséquence des grandes lois naturelles établies par le Créateur de tout le genre humain, et que la défiance a si complètement remplacé aujourd’hui la confiance qu’éprouvait autrefois la population tout entière de ce continent, pour les sentiments d’honneur et de loyauté du gouvernement américain.

Aucun peuple cependant n’a suivi cette marche aussi constamment que le peuple anglais, le seul dont le système a cherché, de tout point, à favoriser les intérêts du trafiquant, et le seul peuple aussi qui maintenant proclame, comme son principe souverain, la devise du trafiquant : achète sur le marché où les produits sont à plus bas prix, et vend sur le marché où ils s’achètent au prix le plus élevé. Aucun peuple ne s’est livré au trafic aussi systématiquement ; aucun n’a autant opprimé le commerce. Prohibant l’association là où elle n’existait pas encore, et l’anéantissant là où elle existait, on peut constater les résultats produits, en considérant cette réduction au niveau uniforme de simples cultivateurs de la terre, de la population de toutes les sociétés soumises à son système, et la décadence et la ruine des sociétés elles-mêmes, ainsi qu’elles se révèlent dans les cas divers que nous avons cités plus haut. Dans toutes ces sociétés il y a, chaque année, diminution de ces diversités dans les travaux de la société, nécessaires pour le développement des facultés intellectuelles et la perfection de l’organisation. Dans toutes, la société devient, d’année en année, plus imparfaite et obéit davantage à la force de gravitation[3]. Dans toutes il y a, chaque année, accroissement de la centralisation ; et la centralisation, l’esclavage et la mort marchent toujours de conserve ; dans toutes, la difficulté de se procurer les subsistances augmente constamment, et dans toutes, conséquemment, trouve appui cette idée, que la population tend à s’accroître plus rapidement que les subsistances pour l’entretien de l’homme. Ce ne sont là pourtant que les conséquences qui, dans l’état d’immoralité des nations, actuellement existant, doivent résulter partout de la liberté complète de relations commerciales entre une société forte et développée convenablement d’une part, et de l’autre, une société faible et imparfaite[4].

§ 4. — Déperdition constante du capital dans tous les pays soumis au système anglais.

La machine à vapeur digère le combustible, et il y a production de force. L’homme digère du combustible sous la forme de nourriture, à l’aide de laquelle il obtient la faculté d’appliquer au travail son corps ou son intelligence, ou tous les deux à la fois. Semblables, quant à ce fait, que tous deux digèrent un capital sous une certaine forme et le reproduisent sous une autre, l’homme et la machine diffèrent sur un point important : tandis que la locomotive en fer peut subsister sans nourriture, l’homme ne le peut pas. Le directeur d’un chemin de fer évite avec soin de consommer du combustible lorsqu’il n’a pas besoin des services de la machine, sachant bien qu’agir ainsi serait perdre le capital. Celui qui dirige la locomotive humaine doit brûler du combustible lors même qu’il n’y a pas demande de force ; et de là vient que dans les pays où la diversité des travaux diminue, et où le commerce diminue conséquemment, la quantité de capital consommé dépasse la quantité reproduite, dans une proportion assez considérable pour faire disparaître la richesse et ramener l’homme à sa condition première, celle d’esclave de la nature. La force musculaire et l’énergie intellectuelle sont dépensées en pure perte, en même temps que la puissance productive du sol décroît d’année en année, par suite de la disparition incessante des éléments constituants de l’alimentation et des vêtements ; système auquel la nature a attaché, comme châtiments inévitables, la pauvreté, la famine, la maladie et la mort.

On dira peut-être que les peuples de tous les pays que nous avons cités ne sont pas civilisés ; qu’ils ont de la répugnance pour le changement, lors même que le changement est un progrès ; qu’ils continueraient volontiers de faire usage des misérables instruments par lesquels ils remplacent les charrues, les houes et les machines à vapeur, lors même qu’on leur offrirait ces dernières. Mais un pareil état de choses résulte inévitablement de ce qu’ils ne peuvent entretenir pour eux-mêmes des centres locaux d’action, fournissant la force attractive nécessaire pour résister à une attraction centrale aussi considérable que celle qui existe dans les colonies anglaises. L’attraction locale est aussi nécessaire pour le maintien des agglomérations sociales vis-à-vis l’une de l’autre, que l’est la gravitation locale en présence du soleil. Sous l’influence centralisatrice de l’Angleterre, les sociétés humaines qui constituent l’Inde, l’Irlande, le Portugal et la Turquie, se sont décomposées si complètement qu’elles ne forment plus guère aujourd’hui qu’une masse de ruines, et elles doivent rester dans cet état tant qu’il n’y aura pas de changement de système. Les choses s’étant ainsi passées en ce qui concerne les sociétés anciennement fondées, combien il eût été impossible, nécessairement, d’établir à la Jamaïque un système quelconque d’attraction opposée, lors même qu’il n’eût existé aucune de ces prohibitions imposées à l’industrie manufacturière, sur lesquelles nous avons appelé antérieurement l’attention du lecteur ! C’est le premier pas dans la voie du progrès qui est toujours le plus difficile à faire et le moins productif ; mais on ne peut jamais faire ce pas, s’il existe un système interdisant l’association et armé du pouvoir de donner à la prohibition son plein et entier effet. C’est en cela que consiste la difficulté, et non dans le caractère du peuple. Hors de l’Irlande, les Irlandais ont fait voir, dans tous les temps et partout, qu’ils possédaient toutes les qualités nécessaires pour produire l’une des nations les plus éminentes de l’univers. Les Portugais de nos jours possèdent toutes les facultés de leurs devanciers ; mais ces facultés demeurent à l’état latent, attendant que l’on provoque leur réveil et leur activité ; et c’est ce qui arrivera toutes les fois qu’on aura obtenu la possibilité de s’associer. Les facultés de l’Hindou sont aujourd’hui aussi puissantes qu’au moment où l’Europe était redevable à l’Inde de tous les beaux produits dont elle faisait usage ; et quant à ce qui concerne ses qualités morales, tout le monde s’accorde à lui reconnaître le caractère le plus élevé[5]. Il y a deux siècles, la population turque entretenait dans son sein même un commerce considérable, et elle pourrait faire davantage aujourd’hui, si elle avait les mêmes facilités que celles dont jouissaient ses devanciers. Il en est de même à l’égard de la population de la Jamaïque, à laquelle on a donné une liberté nominale, mais sous l’influence de circonstances qui amènent une destruction constante du capital, et une diminution également constante dans la faculté d’entretenir le commerce.

Le commerce économise la force résultant de la consommation des subsistances et des vêtements, et de là vient que le capital se forme vite dans les pays où la faculté de s’associer se développe rapidement, en même temps qu’il y a tendance constante à l’accroissement dans la possibilité de rembourser la dette contractée à l’égard de la terre, notre mère puissante. Le commerce diminue avec chaque accroissement dans la nécessité de recourir aux services du trafiquant ; et cela, par la raison que chaque pas fait dans cette direction est suivi d’une perte plus considérable de cette force physique et intellectuelle qui constitue la partie la plus importante du capital réel d’un pays, représentant celle qui, sous la forme de subsistances, se consomme de jour en jour. Évalué à raison de 25 cents par tête, le capital consommé chaque jour aux États-Unis est d’environ sept millions de dollars, un peu moins de cinquante millions par semaine, soit deux mille six cent millions par an. La perte forcée, même d’une seule heure par jour, équivalant à une perte annuelle de plus de deux cents millions, combien doit être énorme la perte des communautés sociales placées dans la situation où se trouvent l’Irlande et l’Inde, chez lesquelles on n’emploie pas même un dixième de la force physique et intellectuelle ! Ajoutez-y la déperdition résultant de l’épuisement constant du sol ; et l’on verra que le préjudice causé seulement au premier de ces pays, par suite de ce qu’il est borné au travail agricole, exclusivement, l’emporte trois fois et au-delà sur ce qu’il serait payé par le don gratuit des exportations de l’Angleterre dans le monde entier.

Annulez dans l’Angleterre même ces différences de travaux, qui, en même temps, la rendent apte et l’amènent à l’association, et sa population retombera à la condition des serfs du règne des Plantagenets ; et il en serait de même à l’égard de tous les autres pays de l’Europe. L’association est la condition de l’existence de l’homme, de l’être fait à l’image du Créateur. A l’aide de l’association et d’elle seulement, il obtient le pouvoir de disposer en maître des grandes forces de la nature. Lorsqu’elle lui est refusée, il déchoit jusqu’à la condition d’esclave de la nature et de son semblable, et c’est alors que la population devient surabondante.

§ 5. — Frottement énorme et déperdition de force qui en résulte, produits par la nécessité croissante d’avoir recours à la navigation.

Toute diminution dans le commerce et tout accroissement dans la nécessité d’employer les instruments de transport sont suivis d’un accroissement dans le pouvoir, d’un petit nombre d’individus qui vivent du trafic ou de la guerre, de taxer le plus grand nombre pour l’accomplissement de leurs desseins, et d’une diminution dans le pouvoir de ceux-ci de se défendre contre cette taxe. Plus est considérable l’excédant qui a besoin d’être transporté, plus augmentent les facilités de s’entendre pour l’abaissement des prix et l’élévation du fret et des frais divers, et plus augmentent, en conséquence, les bénéfices du trafiquant, en même temps qu’il y a un accroissement considérable dans sa part proportionnelle de la totalité des produits. Moins il y a de commerce et moins il y a demande de travail, plus est grande la facilité avec laquelle les armées peuvent se recruter, au profit de l’individu qui vit en dépouillant son voisin. Dans aucun pays du monde le commerce n’a subi une aussi grande décadence que dans l’Inde : et c’est là que nous assistons à une suite constante de guerres entreprises pour l’extension du trafic[6], guerres dont le compte de frais n’est pas présenté au peuple anglais, pour lequel elles se font, mais, ainsi que M. Cobden le dit avec tant de vérité, « aux malheureux ryots de l’Hindostan[7]. » Et, lorsqu’il se trouve que les nouveaux territoires ne donnent pas de profit, le pauvre travailleur est taxé de nouveau pour maintenir le gouvernement dans des possessions acquises de cette manière.

La population blanche et noire de la Jamaïque n’était intéressée en aucune façon aux guerres de la Révolution française ; et cependant, plus de la moitié du prix payé pour le sucre produit par cette population par leurs concitoyens anglais fut appliqué au remboursement des dépenses de ces guerres. Il en est de même de l’Irlande, écrasée d’impôts pour subvenir aux dépenses de guerres où elle n’avait rien à gagner, et dont le principal résultat était de transformer en soldats, à raison de 6 pence par jour, des millions d’individus, qui, sous l’influence d’un système différent, seraient devenus des artisans ou des cultivateurs excellents. Tout accroissement dans la nécessité d’avoir recours au transport étant une cause d’épuisement, on voit la prééminence du trafic, accompagnée en tout pays du désir de faire la guerre, considérée comme un moyen d’étendre la sphère des opérations de celui-ci. Semblable à Alexandre, le trafic aspire à conquérir de nouveaux mondes, parce qu’il voit sans cesse lui échapper les conquêtes qui devaient réaliser les espérances formées[8].

Qu’il en doive toujours être ainsi, et qu’une pareille discordance soit la conséquence nécessaire d’un système ayant pour but d’exagérer les difficultés résultant de la nécessité d’effectuer les changements de lieu, c’est ce qui deviendra évident pour le lecteur s’il considère les faits suivants : Les navires ne doivent être regardés que comme des ponts flottants, et lorsque nous les disposons bout à bout, nous pouvons déterminer la proportion de leur capacité pour occuper la place du commerce, ainsi qu’on les a rendus propres à le faire, dans toutes les opérations concernant les milliards d’individus dont se composent les populations de l’Irlande, de l’Inde, de la Turquie et du Portugal. Un pied, en longueur, d’un navire, étant à peu près l’équivalent de 10 tonneaux, pour jeter sur l’océan Atlantique un pont formé de navires, de manière à créer une route de trente pieds de largeur, il faudrait plus de soixante millions de tonneaux ; mais, pour construire un pareil pont, reliant à l’Angleterre l’Inde, l’Australie et l’Amérique, il faudrait dépenser plusieurs centaines de millions ; et comme le tonnage total de l’océan pour le monde entier n’excède pas cinq millions, il suit de là, que la totalité des navires existants aujourd’hui ne fournit pas un moyen de communication avec le marché unique sur lequel les matières premières doivent être converties en tissus et en fer, équivalant à une route d’un pouce de largeur. C’est cependant par un passage aussi étroit, d’une longueur de trente milliers de milles, que l’Hindou, qui produit le coton, entretient le commerce avec son voisin immédiat, qui a besoin de consommer des tissus. C’est par un passage aussi étroit, d’une longueur de quelques milliers de milles, que la population du Portugal et de la Turquie entretient entre ses membres et avec le monde entier, et que la population de la Jamaïque, en ce moment, accomplit tout échange de service réciproque ; d’où découle cette conséquence qu’il n’existe aucune circulation d’individus ou de produits, ni aucune valeur attachée à leur travail ou à leur terre.

Ainsi bornés à l’emploi d’un passage aussi étroit que l’est celui-ci, il suit de là, nécessairement, que lorsque la nature est le plus prodigue de ses dons, lorsqu’elle répand avec abondance ses bienfaits sur le peuple qui fait croître le riz, le blé, le coton ou la laine, les marchés s’encombrent de produits, pour la ruine des producteurs, mais en permettant à l’individu chargé du transport de se féliciter de ses rapides accumulations. En outre, le fait même de la proportion considérable de ses profits tend à rendre l’engorgement encore plus complet ; et, par cette raison, que plus est considérable la proportion de la cargaison, plus est faible la part du producteur, et moins il devient possible à ce dernier de faire des achats sur le grand marché central, et d’aider ainsi à ce qu’on lui demande les matières premières que lui-même a fournies. De là résulte ce fait remarquable, que c’est précisément au moment où les tissus de coton sont au prix le moins élevé, que le planteur peut le moins être à même d’en acheter, et qu’au moment où le sucre raffiné est au meilleur marché, le planteur de canne à sucre peut le moins être à même d’en consommer.

Plus se prolongent l’intervalle de temps qui doit s’écouler et l’espace à parcourir entre la production et la consommation, plus le frottement doit être considérable, moins doit l’être le mouvement de la société ainsi que sa force, mais plus doit augmenter la puissance du trafiquant, de l’individu chargé du transport et du préteur d’argent ; plus doit être large la proportion du produit qui leur revient, et s’accroître la tendance à la génération de ce mal appelé l’excès de population, avec son escorte ordinaire, la famine, les maladies et la mort.

§ 6. — Origine de l’idée d’excès de population.

Plus la circulation est rapide, plus doit être considérable l’économie de la puissance humaine et la force de la société elle-même. Moins est grande la rapidité de circulation, plus doit être considérable la perte de puissance, et moins il doit y avoir de force. Pour qu’il y ait mouvement dans la société, il faut qu’il y ait variété dans les demandes adressées aux diverses facultés de l’homme. Aucune demande pareille n’existant dans aucun des pays que nous avons déjà cités, il y a dans tous une déperdition constante du capital produit sous la forme de capacité intellectuelle ou physique, et fourni en retour du capital consommé sous la forme d’aliments.

Dans l’Inde, les neuf dixièmes du capital sont perdus, en même temps que, sur le produit insignifiant du reste, une portion considérable est réclamée par ceux qui exercent le pouvoir au nom du gouvernement. La balance se trouve soumise au procédé d’épuisement que nous avons retracé plus haut, et grâce auquel le coton, qui n’a rapporté qu’un penny au producteur, lui retourne au prix de 12, 15 ou 20 pence. Il en est de même en Irlande et à la Jamaïque, en Portugal et en Turquie ; dans tous ces pays, les individus qui s’occupent d’opérer les changements mécaniques et chimiques dans la forme de la matière, désignés ordinairement sous le nom de manufactures, deviennent, d’année en année, séparés par une ligne de démarcation plus profonde, des individus qui s’adonnent à la culture.

Dans tous ces pays, il y a, conséquemment, une nécessité constamment croissante d’avoir recours au transport. Dans tous, l’utilité des produits bruts de la terre diminue constamment, à mesure que le sol s’épuise. Dans tous, il y a augmentation dans la valeur des denrées nécessaires aux besoins de l’homme, et diminution dans celle de l’homme lui-même. Dans tous, les accumulations du passé acquièrent une prépondérance plus considérable sur les travaux du présent. Dans tous, les travaux diminuent à mesure que s’accroît la puissance du trafic. Avec tous, la valeur du trafic anglais diminue, prouvant ainsi, pour nous servir des expressions du colonel Sleeman, « la folie des conquérants et des pouvoirs souverains, depuis le temps des Grecs et des Romains jusqu’à celui de lord Lastings et de sir John Malcolm, qui tous se montrèrent des économistes peu éclairés, en supposant que des territoires conquis et cédés pouvaient toujours rendre à un État étranger la même somme de revenu brut qu’ils avaient payée à leur gouvernement national, quelle que fût leur situation relativement aux marchés destinés à l’écoulement de leurs produits, quel que fût l’état de leurs arts et de leur industrie, ainsi que la nature et l’étendue des établissements locaux, entretenus par ces revenus[9]. » A l’égard de tous les pays qui dépendent de l’Angleterre, lors même qu’ils sont nominalement libres, le système qu’elle suit est un système d’épuisement ; et cependant sa population devient de plus en plus dépendante de ces marchés éloignés pour les approvisionnements nécessaires au soutien de la vie. Nous examinerons dans un autre chapitre jusqu’à quel point il faut attribuer, à cet accroissement de dépendance, l’existence de certains faits de l’histoire d’Angleterre sur lesquels s’est basée la théorie de l’excès de population. S’il se trouve qu’il faut les attribuer, exclusivement, à une erreur capitale de la politique anglaise, alors cet examen fournira la preuve qu’il est non-seulement juste, mais avantageux pour les sociétés de maintenir dans leurs relations l’observance rigoureuse de cette grande loi : que l’homme agisse envers les autres comme il voudrait qu’on agît envers lui-même.

  1. M. Chapman donne des tableaux, d’où il résulte qu’en même temps que la réduction dans le prix de transport du coton, du lieu de production dans l’Inde, n’a été que de sept pence par livre, la réduction en Angleterre, a été de dix pence ; ce qui démontre que la rémunération afférente à la culture de la terre et au travail, en ce pays, a baissé considérablement, avec la substitution du trafic, au commerce qui existait antérieurement. (Du coton et du commerce de l’Inde, p. 77).
  2.  » Si nous passons des affaires intérieures aux relations internationales, nous cherchons vainement une nation vertueuse. Chaque société, à mesure qu’elle arrive, à son tour, au pouvoir, dédaigne toutes les lois de la justice, et ne se soumet qu’à la loi de la force qu’elle cherche à imposer partout. Aussi l’histoire du monde est-elle souillée de tous les crimes qui rendent l’homme odieux. » (Westminster Review. Janvier 1851.)
  3. « Plus un corps est imparfait, dit Goëthe, plus les parties qui le composent ressemblent au tout. » Dans une société purement agricole, toutes les parties sont exactement semblables, et le tout n’est qu’une des parties amplifiée.
  4. L’auteur des passages cités ci-dessous, bien qu’il soit en dissidence considérable avec nous relativement à des questions très-importantes, s’est trouvé forcé, en ohservant certains faits qui se sont passés dans nos États du sud, d’adopter les idées que nous avons exprimées antérieurement :
      « Sous l’influence du système de libre-échange, un sol fertile, avec de bonnes routes et des rivières navigables comme moyens d’écoulement, devient le plus grand fléau dont un pays puisse être affligé. La richesse du sol invite à l’agriculture, les routes et les rivières servent à exporter les récoltes, pour les échanger contre les produits manufacturés de contrées plus pauvres, où se trouvent placés les centres du trafic, du capital et de l’industrie. Dans l’espace de quelques siècles, ou d’un temps moins considérable, la consommation des récoltes au dehors appauvrit Le pays qui les a produites. Dans le pays doté de ce sol fertile, il ne s’élève ni villes, ni manufactures, parce que le besoin n’en existe pas. On ne se à livre pas à des occupations qui exigent de l’intelligence ou du talent ; la population est, nécessairement disséminée, ignorante et illettrée ; l’absentéisme règne généralement ; les riches quittent le pays pour leur plaisir et pour leur éducation ; les individus pauvres et entreprenants pour chercher du travail. Un ami intelligent me suggère l’idée, qu’abandonné à la nature, le mal se guérira de lui-même. Il se peut que cela soit, lorsque le pays est ruiné, si la population, comme celle de la Géorgie, est douée d’un caractère élevé et se livre à d’autres travaux que la simple agriculture, et répudie complétement les doctrines du libre-échange. L’objection de notre ami ne fait que prouver fa vérité de notre théorie. Nous sommes bien certain que l’esprit de l’homme ne peut imaginer un moyen aussi efficace pour appauvrir un pays que de s’adonner exclusivement à l’agriculture. Les ravages de la guerre, de la peste et de la famine sont promptement effacés ; il faut des siècles pour refaire un sol épuisé. Plus on gagne rapidement de l’argent dans ce pays qui jouit de la liberté du trafic, plus tôt ce pays s’appauvrit ; car l’épuisement du sol est plus considérable, et ceux qui font des récoltes abondantes en dépensent le produit au dehors ; ceux qui n’en font que de faibles le dépensent à l’intérieur. En l’absence de la liberté du trafic, ce pays si riche fabriquerait pour son propre usage, bâtirait des villes, construirait des écoles et des collèges, se livrerait à tous les travaux et pourvoirait à tous les besoins ordinaires de l’homme civilisé. C’est ainsi que l’argent gagné à l’intérieur serait aussi dépensé et placé à l’intérieur, les récoltes seraient consommées dans le pays, et chaque ville et chaque village fourniraient l’engrais qui fertiliserait le sol environnant, Nous croyons que c’est une théorie communément admise que, sans cette consommation à l’intérieur, aucun sol ne peut rester riche d’une façon durable. Il naîtrait une population compacte, parce qu’elle serait nécessaire ; les riches n’auraient plus besoin de quitter le pays natal pour leur plaisir, ni les pauvres pour trouver du travail. » (Fitzhugg. Sociologie pour le Sud, pp. 14-16.)
  5. « Je ne sais pas exactement ce qu’on entend par ces expressions : civiliser les peuples de l’Inde. Ils peuvent laisser quelque chose à désirer sous le rapport de la théorie et de la pratique d’un bon gouvernement ; mais si un bon système d’agriculture, si des manufactures sans rivales, si la capacité qui suffit à produire ce que le confort ou le luxe demande, si l’établissement d’écoles pour la lecture et l’écriture, si la pratique générale de la bienveillance et de l’hospitalité, et par dessus tout, si un respect, une délicatesse scrupuleuse envers le sexe féminin, forment les traits caractéristiques d’un peuple civilisé, alors les Hindous ne sont pas inférieurs en civilisation aux populations européennes. » (Sir Thomas Munro.)
  6. « Sur dix-neuf années de la présente charte, quinze se sont passées en guerre. » (London, Daily-News.)
  7. Où aboutissent les guerres dans l’Inde, p. 56.
  8. « Le trafic ne peut d’une façon absolue s’entretenir et se développer, sans être précédé et protégé par d’autres influences qui lui frayent la route. Si nous n’avions été aveuglés par certains dogmes économiques, nous aurions appris cette vérité dans d’autres parties du globe… Nous avons pris ces exemples au hasard ; nous pourrions en grossir la liste ; mais nous en avons déjà en assez grand nombre pour prouver que l’épée peut tracer la route au commerce. que la diplomatie peut accomplir des alliances et ouvrir des territoires, et qu’une influence personnelle, telle que l’influence d’un Ashburton ou d’un Dunbam peut entrainer des classes considérables, ou de vastes continents dans la ligue commerciale du libre trafic. On se vantait, il n’y a pas longtemps, que le trafic pouvait agir par lui-même ; qu’il pouvait creuser ses tunnels, acheter les moyens de se protéger lui-même et s’ouvrir des territoires ; mais ici nous trouvons que le commerce compte sur l’œuvre de l’épée et sur les négociations de la diplomatie. » (Le Spectateur, 4 septembre 1854.)
      Tous les journaux anglais récents contiennent des aperçus semblables à ceux-ci ; Tous trouvent une compensation, à la perte énorme d’hommes et d’argent qui a eu lieu en Crimée, dans l’accroissement probable du trafic futur.
  9. Voy. plus haut, chap xiii, p. 394-396.