Principes logiques/1

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Principes logiques : Chapitre 1
Mme  Ve Courcier (p. 1-8).

CHAPITRE PREMIER.
DE LA LOGIQUE.
Qu’est-elle ? Que doit-elle être ?


Jusqu’à présent la Logique n’a été que l’art de tirer des conséquences légitimes d’une proposition supposée vraie et avouée comme telle.

Mais premièrement, les règles que l’on nous a données pour atteindre ce but, fussent-elles bonnes, manquent toutes d’une garantie qui nous assure de leur justesse ; car elles sont toutes fondées sur le syllogisme ; et les diverses formes du syllogisme reposent sur ce fameux principe : deux choses sont égales entre elles quand toutes deux sont égales à une même troisième chose ; et en conséquence le syllogisme consiste uniquement à introduire un moyen terme entre le grand et le petit terme.

Ce principe est vrai, mais il ne fait rien à l’affaire ; car il n’est pas vrai que le grand, le petit et le moyen terme d’un syllogisme soient exactement égaux entre eux ; si cela était, ils n’exprimeraient qu’une seule et même chose ; et il n’est pas plus vrai que la majeure, la mineure et la conséquence d’un syllogisme soient des propositions égales entre elles. Si elles étaient parfaitement égales, l’une ne dirait rien de plus que l’autre, et on ne serait pas plus avancé à la troisième qu’à la première. Si, au contraire, la mineure dit autre chose que la majeure, et la conséquence plus que toutes deux, elles ne sont pas égales entre elles. Cela est incontestable[1]. Ainsi tout notre système d’argumentation et de raisonnement est mal fondé.

D’ailleurs, quand le principe sur lequel s’appuie ce système le justifierait pleinement, il resterait encore à prouver ce principe lui-même, et tous les autres principes non contestés desquels on argumente, à trouver en quoi ils sont vrais, et pourquoi ils sont vrais ; or, c’est ce que la Logique n’a pas même entrepris de faire. Elle établit pour premier principe, qu’il ne faut pas disputer des principes, et pourtant chaque logicien en admet un plus ou moins grand nombre que ses prédécesseurs, approuve les uns, critique les autres ; mais aucun ne montre la cause première de la vérité de ceux qu’il admet, de la fausseté de ceux qu’il rejette.

Les uns disent qu’il faut s’en rapporter au bon sens, à la conviction intime, au sentiment profond de quiconque jouit de sa raison. Les autres disent qu’une proposition est certaine, indubitable quand elle présente un sens clair et distinct, ou quand, traduite en d’autres mots, elle ne peut jamais faire un sens plus net et plus certain, ou quand la contradictoire implique contradiction et absurdité, etc., etc.

Tout cela, quoique assez vague et sujet à mille difficultés dans les applications, peut être juste et vrai ; mais il faudrait faire voir pourquoi. Or, c’est ce que personne n’a fait. Ce sont pourtant là des propositions comme d’autres, dont la vérité a besoin d’être prouvée, et doit pouvoir s’expliquer et se démontrer ; car on n’y est pas venu tout d’un coup. On doit pouvoir montrer nettement comment on y est arrivé, et pourquoi on a eu raison de s’y attacher. L’homme a nécessairement senti avant de juger. Il a porté des jugemens confus avant de former des propositions explicites ; il a fait des propositions particulières avant d’en faire de générales. Tout cela demande à être développé.

Cela n’étant pas fait, convenons que notre Logique, même supposée irréprochable dans ses procédés, s’appuie sur une idée fausse dans la déduction des conséquences ; que sur-tout elle manque d’un point fixe auquel puisse se rattacher tous ses principes ; et que par conséquent elle est sans aucune base certaine d’où nous puissions partir, et qui puisse nous assurer de la solidité et de la réalité de tout ce que nous savons ou croyons savoir ; c’est pour cela que l’on n’a jamais pu réfuter victorieusement et méthodiquement les sceptiques les plus téméraires, et qu’on s’est contenté de les écarter et de les accabler d’un mépris affecté, qui cache et décèle en même temps l’impuissance de les vaincre ; car il est plus aisé de dédaigner que de répondre.

On a pu et dû peut-être se contenter de cet état précaire, tant que la science humaine n’ayant encore fait que peu de progrès, et n’étant guère composée que de quelques aperçus plus ou moins heureux, ne permettait pas même l’espérance d’atteindre jusqu’à la source et à la cause première de toute certitude. Mais aujourd’hui de nombreux succès ont montré la force de l’esprit humain. Beaucoup de nos découvertes ne sont plus des fruits hasardés du génie qui devine, mais des effets de la raison qui voit. Beaucoup d’assertions établies méthodiquement se sont trouvées confirmées par des faits postérieurs. Tout prouve enfin qu’il y a des vérités certaines pour nous, et que notre intelligence est susceptible d’une marche assurée et toujours la même dans toutes les parties de ses recherches. On a donc le droit et le devoir d’exiger que la Logique, qui prétend présider à toutes nos connaissances, soit elle-même une science rigoureuse, qu’elle ait un point de départ certain, que tous ses principes ne soient que des conséquences d’un premier fait pris dans la nature, qu’elle rende raison de nos écarts et de nos succès, en un mot, qu’elle soit réellement la science de la vérité, et qu’elle nous montre nettement en quoi elle consiste. C’est effectivement ce qu’elle doit faire et ce qu’elle doit être. Jusque-là, on ne peut la regarder que comme un jeu futil, et le plus trompeur de tous. Il faut la renouveler totalement.

  1. Aussi on nous dit, d’un autre côté, que le grand terme renferme le moyen et celui-ci le petit terme ; cela est vrai sous le rapport de leur extension, c’est-à-dire du nombre des objets auquel l’idée s’applique, et cela est faux sous le rapport de la compréhension, c’est-à-dire du nombre des idées que l’idée totale renferme ; or, c’est la compréhension d’une idée à laquelle il faut avoir égard, et c’est toujours l’idée particulière qui renferme l’idée générale dans sa compréhension ; c’est ce qui fait qu’on peut dire qu’un cerisier est un arbre, et qu’on ne peut pas dire qu’un arbre est un cerisier ; c’est ce qui fait aussi que la cause de la vérité n’est pas dans les propositions générales, mais dans les propositions particulières, dont la réunion permet de former une proposition générale, de laquelle ensuite on déduit commodément d’autres propositions particulières ; tout cela sera plus amplement expliqué par la suite.