Procès des grands criminels de guerre/Vol 1/Section 43
Le 8 août 1945, le Gouvernement du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, le Gouvernement Provisoire de la République Française et le Gouvernement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques ont conclu un Accord instituant ce Tribunal, afin de juger les grands criminels de guerre dont les crimes n’avaient pas de localisation géographique précise.
Les Gouvernements des Nations Unies, ci-après désignés, ont notifié leur adhésion à cet Accord, comme l’article 5 en prévoyait la possibilité ;
Grèce, Danemark, Yougoslavie, Pays-Bas, Tchécoslovaquie, Pologne, Belgique, Éthiopie, Australie, Honduras, Norvège, Panama, Luxembourg, Haïti, Nouvelle-Zélande, Inde, Venezuela, Uruguay, et Paraguay.
Le Statut annexé à l’Accord a fixé la composition, la compétence et les fonctions du Tribunal. Celui-ci a été habilité à juger et à punir les individus coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l’Humanité, tels que le Statut les définit.
Le Statut stipule également que, lors du jugement d’un individu appartenant à un groupement ou à une organisation quelconque, le Tribunal pourra déclarer (en corrélation avec un acte dont l’inculpé sera reconnu coupable) que le groupement ou l’organisation dont il était membre, était une organisation criminelle.
Conformément à l’article 14 du Statut, le Tribunal a été, le 18 octobre 1945 à Berlin, saisi d’un Acte d’accusation dressé contre les inculpés ci-dessus nommés, à la suite de leur désignation comme grands criminels de guerre par le comité des Procureurs Généraux des Puissances signataires.
Une traduction en allemand de l’Acte d’accusation a été remise à chacun des accusés détenus, trente jours au plus tard avant l’ouverture des débats.
L’Acte d’accusation inculpe les accusés de crimes contre la Paix, constitués par la préparation, le déclenchement et la conduite de guerres d’agression qui violaient également des traités internationaux, des accords conclus ou des assurances données ; de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Les accusés sont en outre inculpés de participation à la formation ou à l’exécution d’un plan concerté ou complot ayant pour but la perpétration des crimes énumérés ci-dessus. Le Ministère Public a, de plus, demandé au Tribunal de déclarer criminels au sens du Statut, les six groupements ou organisations désignés dans l’Acte d’accusation.
Le 25 octobre 1945, l’accusé Robert Ley se suicida dans sa prison.
Le 15 novembre 1945, le Tribunal décida que l’accusé Gustav Krupp von Bohlen und Halbach ne pouvait pas être jugé en raison de son état physique et mental, mais que les inculpations retenues contre lui dans l’Acte d’accusation seraient maintenues en vue d’un procès ultérieur éventuel, si son état de santé le permettait.
Le 17 novembre 1945, le Tribunal décida, en vertu de l’article 12 du Statut, de juger l’accusé Bormann par contumace.
Le 1er décembre 1945, le Tribunal, après discussion et examen des rapports médicaux et après avoir entendu les déclarations personnelles de l’accusé Hess décida qu’il n’y avait pas lieu, du fait de l’état mental de ce dernier, de retarder son procès.
Une décision analogue fut prise en ce qui concerne l’accusé Streicher.
Conformément aux articles 16 et 23 du Statut, les avocats ont été choisis par les accusés eux-mêmes, ou nommés, sur leur demande, par le Tribunal. En outre, le Tribunal a désigné un avocat pour l’accusé Bormann, absent, et a nommé des défenseurs pour représenter les groupements ou organisations mis en cause.
Le Procès s’est ouvert le 20 novembre 1945. Les débats ont été conduits en quatre langues : anglais, russe, français, allemand, et ont pris fin le 31 août 1946. Tous les accusés sauf Bormann, absent, ont plaidé « non coupable ».
Il a été tenu 403 audiences publiques ; 33 témoins à charge et 61 témoins à décharge ont été entendus ; en outre, 19 des accusés ont comparu personnellement à la barre.
D’autre part, 143 dépositions écrites ont été produites par la Défense. Le Tribunal a nommé une commission d’enquête chargée de recueillir les témoignages relatifs aux organisations et 101 témoins ont été ainsi entendus à la demande de la Défense ; 1809 dépositions écrites, émanant d’autres témoins, ont été fournies et 6 rapports ont résumé le contenu d’un grand nombre d’autres dépositions écrites ; 38.000 dépositions écrites, signées par 155.000 personnes ont été produites en ce qui concerne les Chefs politiques, 136.213 les SS, 10.000 les SA., 7.000 le SD, 3.000 l’État-Major général et l’OKW, et 2.000 la Gestapo.
Le Tribunal lui-même a entendu à l’audience 22 témoins déposant pour le compte des organisations.
Le nombre des documents à charge versés contre les accusés et les organisations a atteint plusieurs milliers. Tous les débats ont fait l’objet d’un procès-verbal sténographié ainsi que d’un enregistrement sonore.
Des copies en langue allemande de toutes les pièces déposées comme preuve par le Ministère Public ont été fournies à la Défense. Les demandes faites par les accusés pour produire certains témoins et certains documents ont suscité, en certains cas, de nombreux problèmes, par suite de la condition instable de l’Allemagne. Le Tribunal, astreint à une procédure rapide en vertu de l’article 18, a et b du Statut dut limiter le nombre des témoins à citer : en conséquence, après en avoir délibéré, il fit droit aux seules demandes qu’il estima pertinentes, tant en ce qui concernait les accusés que les organisations mises en cause, et à la condition que ces témoins ne fissent pas double emploi avec d’autres. Les dispositions nécessaires furent prises, par l’intermédiaire du Secrétariat général établi auprès du Tribunal, pour obtenir la comparution des témoins et la production des documents accordés à la Défense.
Une grande partie des preuves produites par le Ministère Public consiste en documents saisis par les Armées alliées dans des bureaux d’états-majors allemands, dans des locaux gouvernementaux et en divers autres lieux. Certains documents furent découverts dans des mines de sel ou enfouis dans le sol, ou dissimulés derrière de faux murs, aussi bien que dans diverses cachettes considérées comme sûres. Ainsi l’inculpation des accusés repose-t-elle, pour une large part, sur des documents dont ils sont eux-mêmes les auteurs et dont l’authenticité, à une ou deux exceptions près, n’a pas été contestée.
Les accusés sont inculpés en vertu de l’article 6 du Statut qui
s’exprime en ces termes :
« Article 6. — Le Tribunal établi par l’accord mentionné à l’article 1er ci-dessus pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l’Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d’organisations, l’un quelconque des crimes suivants :
« Les actes suivants, ou l’un quelconque d’entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :
« a. Les crimes contre la Paix : c’est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre de violation des traités, assurances, ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent ;
« b. Les crimes de guerre : c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées : l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés ; l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer ; l’exécution des otages ; le pillage des biens publics ou privés ; la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;
« c. Les crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.
« Les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot pour commettre l’un quelconque des crimes ci-dessus définis, sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes, en exécution de ce plan. »
Ces dispositions, qui gouvernent juridiquement le Procès, lient le Tribunal. Elles feront l’objet d’un examen détaillé ; mais il y a lieu de procéder auparavant à un exposé des faits. Se proposant de dévoiler les raisons profondes des guerres d’agression et des crimes de guerre dénoncés par l’Acte d’accusation, le Tribunal passera tout d’abord en revue certains des événements qui ont suivi la première guerre mondiale ; en particulier, il retracera la naissance du parti nazi sous l’impulsion de Hitler jusqu’à son accession au pouvoir suprême qui lui permit de prendre en mains les destinées du peuple allemand et qui conduisit à la perpétration de tous les crimes mis par le Ministère Public à la charge des accusés.
Le 5 janvier 1919, moins de deux mois après la signature de
l’armistice qui mit fin à la première guerre mondiale et six mois
avant la signature des traités de paix à Versailles, un petit parti
politique, dénommé le parti travailliste allemand, naquit en
Allemagne. Le 16 septembre, Adolf Hitler devint membre de ce
parti et, lors de la première réunion qui eut lieu à Munich, le
24 février 1920, il en exposa le programme. Ce dernier, qui resta
inchangé jusqu’à la dissolution du Parti en 1945, comprenait vingt-cinq
points, dont les cinq suivants présentent en la cause un intérêt
particulier :
« 1er point. — Nous demandons la réunion de tous les Allemands dans la « Plus Grande Allemagne », en accord avec le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ;
« 2e point. — Nous demandons l’égalité de droits pour le peuple allemand vis-à-vis des autres nations ; l’abrogation des Traités de Paix de Versailles et de Saint-Germain ;
« 3e point. — Nous demandons de la terre et des territoires pour nourrir notre peuple et la possibilité d’employer à la colonisation l’excédent de notre population ;
« 4e point. — Peut seul être citoyen un membre de la race. Est membre de la race celui-là seul qui est de sang allemand, sans considération de croyance. Aucun Juif ne peut être membre de la race ;
« 22e point — Nous demandons l’abolition de l’armée de métier et la création d’une armée nationale. »
Celui de ces buts que le parti nazi semble avoir considéré comme le plus important, et dont presque tous les discours publics faisaient mention, était d’effacer la « honte » de l’Armistice et de supprimer les restrictions imposées par les Traités de Paix de Versailles et de Saint-Germain. C’est ainsi que, dans un discours caractéristique prononcé à Munich le 13 avril 1923, Hitler déclara, au sujet du Traité de Versailles :
« Le Traité a été conclu en vue de conduire à la mort vingt millions d’Allemands et de ruiner la nation allemande… Au moment de sa création, notre mouvement formula trois demandes :
« 1. Abolition du Traité de Paix ;
« 2. Unification de tous les Allemands ;
« 3. Espace et terres pour nourrir notre nation. »
La demande d’unification de tous les Allemands dans la « Plus Grande Allemagne » devait jouer un rôle important dans les événements qui précédèrent l’annexion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie ; l’abrogation du Traité de Versailles devait servir de prétendue justification à la politique allemande ; les revendications territoriales allaient servir de prétexte à l’acquisition d’« espace vital » au détriment des autres nations ; l’exclusion des Juifs de la race allemande devait conduire aux atrocités dont furent victimes les populations juives et la demande visant à obtenir une armée nationale devait avoir pour conséquence des mesures de réarmement intensif et, finalement, la guerre.
Le 29 juillet 1921, le Parti, qui avait pris le nom de « National-Sozialistische Deutsche Arbeiterpartei » (NSDAP) fut réorganisé et Hitler en devint le premier « président ». Ce fut au cours de cette année que les Sturmabteilungen, ou SA, furent fondées et placées sous le commandement de Hitler. Le but était de constituer une force paramilitaire qui protégerait les chefs nazis contre les attaques des partis politiques rivaux et qui maintiendrait l’ordre dans les réunions du parti national-socialiste. En réalité, on s’en servit pour combattre dans les rues les membres de l’opposition politique. En mars 1923, Göring fut nommé chef des SA.
L’organisation interne du Parti était dominée de la manière la plus absolue par le « Principe du Chef » (Führerprinzip).
D’après ce principe, tout « chef » avait le droit de gouverner, d’administrer ou de prendre des décisions, sans être soumis à un contrôle de quelque sorte qu’il fût ; ce chef avait un pouvoir discrétionnaire et n’était subordonné qu’aux ordres lui venant de ses supérieurs.
Ce principe s’appliquait en premier lieu à Hitler lui-même en tant que chef suprême et, au degré inférieur, à toutes les autres personnalités du Parti, dont les membres prêtaient un serment de « fidélité éternelle » envers leur Führer.
Pour atteindre les trois buts principaux, ci-dessus mentionnés, l’Allemagne n’avait que deux moyens : la négociation ou la force. Les vingt-cinq points du programme du Parti ne contiennent aucune mention spéciale des méthodes que les chefs de ce Parti se proposaient d’appliquer, mais l’histoire du régime nazi montre que Hitler et ses partisans ne comptaient négocier qu’autant qu’on accéderait à leurs demandes et qu’en cas de refus ils emploieraient la force.
Dans la nuit du 8 novembre 1923, eut lieu le putsch avorté de Munich. Hitler et quelques-uns de ses partisans firent irruption dans une réunion à la Bürgerbrau-Keller ; à la tribune parlait le Premier Ministre de Bavière, Kahr. On voulut le convaincre de marcher sur Berlin. Cependant dans la matinée suivante, aucun soutien ne venant de la Bavière, la manifestation de Hitler se heurta aux forces militaires de la Reichswehr et de la Police. Quelques coups de feu furent échangés ; et, après qu’une douzaine de ses adhérents eurent été tués, Hitler se sauva et la manifestation prit fin. Les accusés Streicher, Frick et Hess participèrent à cette tentative de soulèvement. Par la suite, Hitler passa en jugement pour haute trahison, fut reconnu coupable et condamné à une peine de prison. Les SA furent proscrites par une loi. En 1924, Hitler fut libéré et, en 1925, les Schutzstaffeln ou SS furent créées sous le prétexte de lui servir de garde du corps personnelle, mais en réalité pour terroriser les ennemis politiques. Ce fut aussi l’année de la publication de Mein Kampf, livre contenant les idées et les buts politiques de Hitler considéré comme la source authentique de la doctrine nazie.
Dans les huit années qui suivirent la publication de Mein Kampf,
le parti nazi étendit son activité à toute l’Allemagne, en
apportant une attention particulière à l’éducation de la jeunesse selon les principes du national-socialisme. La première organisation
de jeunesse nazie avait été créée en 1922, mais ce fut seulement
en 1925 que la Hitler-Jugend fut officiellement reconnue par le
Parti (et elle devint plus tard une branche cadette des SA), En 1931,
Baldur von Schirach, qui avait adhéré au Parti en 1925, devint
le chef de la Jeunesse hitlérienne du Reich.
Le Parti s’employa à gagner l’appui politique du peuple allemand et il prit part aux élections au Reichstag et aux Landtage, Ce faisant, les dirigeants nazis ne tentèrent pas de dissimuler le fait qu’en se mêlant à la vie politique allemande leur seul but était de détruire la structure démocratique de la République de Weimar et d’y substituer un régime totalitaire national-socialiste, lequel les mettrait à même d’exécuter sans opposition leur politique. Pour préparer son accès au pouvoir, Hitler nomma, en janvier 1929, Heinrich Himmler Reichsführer SS et lui confia la mission de faire des SS un groupe d’élite, sur lequel il pourrait compter en toutes circonstances.
Le 30 janvier 1933, Hitler réussit à se faire nommer chancelier du Reich par le Président von Hindenburg. Auparavant, les accusés Göring, Schacht et von Papen s’étaient activement occupés de recruter des appuis à cet effet. Von Papen qui, le 1er juin 1932, avait été nommé chancelier du Reich, rapporta le 14 juin le décret du Cabinet Brüning du 13 avril qui avait prononcé la dissolution des organisations para-militaires nazies, y compris les SA et les SS. Bien que von Papen ait commencé par nier — contrairement à l’affirmation du Dr Hans Volz dans Les Dates de l’Histoire du NSDAP — qu’un accord en date du 28 mai, avec Hitler, eût été à l’origine de cette mesure, il a finalement reconnu l’existence d’un tel accord.
Les élections au Reichstag du 31 juillet 1932 eurent comme résultat un accroissement considérable de la puissance du parti nazi et von Papen offrit le poste de vice-chancelier à Hitler qui le refusa, en exigeant celui de chancelier. En novembre 1932, un certain nombre de personnalités de l’industrie et de la finance signèrent et adressèrent au Président von Hindenburg une pétition lui demandant de confier à Hitler le poste de chancelier ; Schacht contribua activement à réunir les signatures qui figuraient au bas de cette pétition.
Les élections du 6 novembre, qui suivirent la chute du Gouvernement, réduisirent le nombre des députés du parti nazi ; néanmoins, von Papen poursuivit ses efforts infructueux pour obtenir la participation de Hitler. Le 12 novembre, Schacht écrivit à Hitler :
« J’ai la certitude que l’évolution actuelle des événements ne peut aboutir qu’à votre nomination comme Chancelier. Il semble que notre tentative de réunir dans ce but de nombreuses signatures, dans les milieux des affaires, n’ait pas été vaine… »
Après le refus de Hitler du 16 novembre, von Papen donna sa démission et fut remplacé par le général von Schleicher, mais il n’en continua pas moins ses démarches. Il eut, le 4 janvier 1933, une entrevue avec Hitler chez un banquier de Cologne, von Schröder, et assista, ainsi que Göring et quelques autres à une réunion qui se tint le 22 janvier chez von Ribbentrop. Il rencontra également, le 9 janvier, le Président von Hindenburg et, à partir du 22 janvier, discuta officiellement avec lui de la formation d’un cabinet par Hitler.
Hitler tint sa première réunion de cabinet le jour où il fut nommé chancelier. Les accusés Göring, Frick, Funk, von Neurath et von Papen y assistaient en leur qualité de ministres. Le 28 février 1933, le bâtiment du Reichstag à Berlin fut incendié. Hitler et son cabinet se servirent de cet incendie comme prétexte pour promulguer, le même jour, un décret suspendant les garanties constitutionnelles des libertés individuelles. Ce décret fut signé par le Président von Hindenburg et contresigné par Hitler et par l’accusé Frick, qui occupait alors le poste de ministre de l’Intérieur.
Le 5 mars, eurent lieu de nouvelles élections au cours desquelles le parti nazi obtint 288 voix sur 647. Le cabinet de Hitler était désireux de faire voter une « loi de pleins pouvoirs » qui lui donnerait l’autorité législative, y compris le droit de s’écarter de la Constitution ; mais comme il n’avait pas pour cela la majorité nécessaire au Reichstag, il se servît du décret abolissant les garanties de la liberté individuelle et mit en « détention de protection » un grand nombre de députés communistes, ainsi que quelques sociaux-démocrates et divers affiliés à ces partis. Ceci fait, Hitler soumit la « loi des pleins pouvoirs » au Reichstag qui, sous la menace de mesures plus énergiques au cas où elle ne serait pas adoptée, l’entérina le 24 mars 1933.
Le parti nazi, ayant ainsi pris le pouvoir, continua à étendre son influence sur tous les aspects de la vie allemande. Les partis politiques furent persécutés, leurs biens confisqués et un grand nombre de leurs membres placés dans des camps de concentration, Le 26 avril 1933, Göring créa en Prusse une police secrète qui prit le nom de « Geheime Staatspolizei » ou « Gestapo », et confia au chef-adjoint de celle-ci que la tâche principale de cette organisation consistait à éliminer les adversaires politiques de Hitler et du national-socialisme. Le 14 juillet 1933, une loi fit du parti nazi le seul parti politique autorisé et déclara criminel le fait de maintenir un groupement existant ou d’en former un nouveau.
Afin de placer le contrôle complet du mécanisme gouvernemental entre les mains des dirigeants nazis, une série de lois et de décrets furent promulgués qui réduisirent le pouvoir des gouvernements régionaux et locaux dans toute l’Allemagne, les transformant en divisions subordonnées au Gouvernement du Reich. Les assemblées des représentants des provinces furent abolies et, avec elles, toutes les élections locales. Le Gouvernement entreprit alors de s’assurer le contrôle de l’Administration. Il y parvint grâce à un système de centralisation et d’épuration minutieuse de tous les services administratifs. La loi du 7 avril 1933 prévoyait la mise à la retraite des fonctionnaires « qui ne sont pas d’ascendance aryenne » et stipulait aussi que « les fonctionnaires qui, par suite de leur activité politique antérieure, n’offrent pas la garantie qu’ils agiront sans réserve dans l’intérêt de l’État nazi, seront révoqués ». La loi du 11 avril ordonna la révocation de « tous les fonctionnaires appartenant au parti communiste ».
De même, la justice fut soumise à un contrôle. Les juges furent démis de leur fonction pour des raisons politiques ou raciales. Ils étaient espionnés et placés devant l’alternative d’adhérer au Parti ou de se laisser destituer. Lorsque la Cour Suprême eut acquitté trois des quatre accusés inculpés de complicité dans l’incendie du Reichstag, sa compétence en matière de trahison lui fut retirée et donnée à un « Tribunal du Peuple » nouvellement créé, composé de deux juges et de cinq personnes occupant un poste dans le Parti. Des tribunaux spéciaux, composés uniquement de membres du Parti, furent institués pour juger les crimes politiques. Les personnes qui étaient arrêtées par les SS sous des inculpations de cette nature étaient détenues dans des prisons et des camps de concentration et les juges n’avaient aucun pouvoir sur ces internements. On graciait généralement les membres du Parti condamnés par les tribunaux, même lorsque cette condamnation sanctionnait des délits bien prouvés. C’est ainsi que, en 1935, plusieurs fonctionnaires du camp de concentration de Hohenstein furent reconnus coupables d’avoir infligé des traitements brutaux aux internés. De hautes personnalités nazies essayèrent d’influencer le tribunal et, après que les fonctionnaires eurent été déclarés coupables, Hitler les gracia tous. En 1942, des « lettres aux juges » furent adressées par le Gouvernement à tous les magistrats allemands, leur donnant des instructions concernant les « lignes générales de conduite » qu’ils devaient adopter.
Résolus à supprimer toutes les sources d’opposition, les dirigeants du Parti tournèrent leur attention vers les syndicats, les Églises et les Juifs. En avril 1933, Hitler ordonna à Ley, qui était alors chef du personnel de l’organisation politique du parti nazi, « de prendre en main les syndicats ». La plupart de ceux-ci étaient réunis en deux vastes fédérations, Les « syndicats Libres » et les « syndicats chrétiens ». Les syndicats qui n’étaient pas compris dans ces deux grandes fédérations ne comptaient que 15% de la totalité des ouvriers syndiqués.
Le 21 avril 1933, Ley publia une circulaire du parti nazi, annonçant pour le 2 mai une « action de coordination » dirigée contre les syndicats libres. La circulaire ordonnait que des hommes des SA et des SS fussent utilisés pour l’exécution du projet « d’occupation des immeubles des syndicats et de placement en détention de protection de certaines personnalités ». Après cette opération, l’agence de presse officielle du Parti annonça que l’organisation nationale-socialiste des coopératives industrielles avait « éliminé les anciens chefs des syndicats libres » et avait assumé elle-même la direction de ces syndicats. Le 3 mai 1933, la même agence annonça que les syndicats chrétiens s’étaient « soumis sans condition à la volonté du Führer Adolf Hitler ». À la place des syndicats, le Gouvernement nazi établit le « Deutsche Arbeits-Front » (DAF), contrôlé par le Parti et auquel tous les travailleurs de l’Allemagne se virent, en fait, contraints d’adhérer. Les présidents de syndicats furent tous incarcérés et victimes de sévices allant des coups et blessures jusqu’au meurtre.
Dans ses efforts pour combattre l’influence des Églises chrétiennes dont les doctrines s’opposaient radicalement à celles de la philosophie nationale-socialiste, le Gouvernement nazi procéda plus lentement. Il n’interdit jamais radicalement la pratique de la religion chrétienne mais, d’année en année, s’efforça de limiter l’influence qu’elle pouvait exercer sur le peuple allemand.
Bormann écrivait à Rosenberg : « La religion chrétienne et La doctrine nationale-socialiste sont incompatibles ». En juin 1941, le même Bormann prit secrètement un décret réglant les rapports de la religion chrétienne avec le national-socialisme. Il y était déclaré :
« Le Führer a conscience d’avoir entre ses mains un pouvoir absolu, comme l’histoire de l’Allemagne n’en a jamais connu. En créant le Parti, les unités qui le composent et celles qui y sont rattachées, il a forgé pour lui-même et aussi pour les chefs du Reich allemand un instrument qui le rend indépendant du Traité… De plus en plus, le peuple doit être éloigné des Églises et de leurs représentants, les pasteurs… On ne doit plus jamais laisser les Églises prendre de l’influence sur le gouvernement du peuple. Cette influence doit être complètement et définitivement détruite. Seul le Gouvernement du Reich et, conformément à ses instructions, le Parti, les unités qui le composent et celles qui y sont rattachées, ont le droit de diriger le peuple. »
Dès le début du NSDAP, l’antisémitisme avait tenu une place importante dans le programme et la propagande du parti national-socialiste. Les Juifs, qui n’étaient d’ailleurs pas jugés dignes du titre de citoyens allemands, étaient tenus pour largement responsables des désordres dont avait souffert la nation à la suite de la guerre de 1914-1918. En outre, l’insistance que l’on mettait à souligner la supériorité de la race et du sang allemand augmentait l’antipathie ressentie à l’égard des Juifs.
Le deuxième chapitre du livre Ier de Mein Kampf est consacré à ce que l’on peut appeler la théorie de la « Race des seigneurs », c’est-à-dire la doctrine de la supériorité de la race aryenne sur toutes les autres et au droit qu’auraient les Allemands, en vertu de cette supériorité, de dominer les peuples et de s’en servir en vue de leurs propres intérêts. Après que les nazis furent arrivés au pouvoir en 1933, la persécution des Juifs fit partie de la politique officielle de l’État. Le 1er avril 1933, le Cabinet nazi approuva le boycottage des entreprises juives et, dans les années qui suivirent, une série de lois antisémites furent votées pour limiter les activités des Juifs dans l’administration, les professions juridiques, le journalisme et l’armée.
En septembre 1935, on vota les lois appelées « lois de Nuremberg », dont le résultat le plus important fut d’enlever aux Juifs le titre de citoyens allemands. L’influence des éléments juifs dans les affaires allemandes fut ainsi éliminée et l’une des sources éventuelles d’opposition à la politique nazie se trouva tarie.
Il faut citer, parmi toutes les formes que revêtit la lutte contre l’opposition, le massacre du 30 juin 1934. Il reçut le nom d’« épuration Roehm » ou de « Bain de sang » et révéla les méthodes que Hitler et ses proches associés, notamment Göring, étaient prêts à employer pour écarter leurs adversaires et consolider leur propre pouvoir. Ce jour-là sur l’ordre de Hitler, Roehm, chef d’État-Major des SA depuis 1931, fut assassiné et la « Vieille Garde » des SA fut exécutée sans jugement et sans avertissement. On profita de l’occasion pour tuer un grand nombre des personnes qui avaient à un moment quelconque fait opposition à Hitler.
Le prétexte invoqué pour l’assassinat de Roehm fut que celui-ci avait fomenté un complot pour renverser Hitler, complot dont Göring, à tort ou à raison, a prétendu avoir eu connaissance.
Le 3 juillet, le Cabinet approuva la décision de Hitler en la qualifiant de mesure de « légitime défense de l’État ».
Hindenburg étant mort peu après, Hitler devint à la fois président et chancelier du Reich. Au cours du plébiscite qui suivit, trente millions d’Allemands approuvèrent, sous la pression nazie, cette double nomination et la Reichswehr ayant prêté serment de fidélité à Hitler, celui-ci détint désormais le pouvoir absolu.
L’Allemagne avait accepté la dictature avec les méthodes de terreur qu’elle comporte et le mépris qu’elle professe pour les règles du Droit.
En dehors de cette politique de suppression des adversaires éventuels du régime, le Gouvernement nazi s’employa activement à consolider son autorité sur le peuple allemand. Dans le domaine de l’éducation on fit tout pour que la jeunesse allemande fût élevée dans l’atmosphère du national-socialisme et sous l’influence de ses théories. Dès le 7 avril 1933, la loi sur la réorganisation de la fonction publique avait permis au Gouvernement nazi de supprimer tous les « membres du corps enseignant dangereux et suspects » et cette mesure fut suivie d’un grand nombre d’autres, tendant à fournir aux écoles un personnel de confiance qui enseignerait aux enfants le credo national-socialiste. En même temps que sur l’influence de l’enseignement nazi pratiqué dans les écoles, les chefs du Parti comptaient sur l’organisation de la Jeunesse hitlérienne pour donner au régime l’appui des jeunes générations. L’accusé von Schirach, qui avait été chef de la jeunesse du Parti depuis 1931, fut nommé chef de la jeunesse du Reich en juin 1933. Bientôt toutes les organisations de jeunesse, à l’exception du mouvement catholique, furent dissoutes ou absorbées par la Jeunesse hitlérienne. Ce dernier groupement avait une organisation strictement militaire et, dès 1933, la Wehrmacht apporta sa collaboration en prenant la charge de l’entraînement militaire des jeunes gens.
Le Gouvernement nazi entreprit par une propagande intensive, de gagner la nation à sa politique. Il créa un certain nombre d’organismes chargés de contrôler et d’influencer la presse, la radio, le cinéma et les maisons d’éditions en Allemagne, et de diriger l’activité culturelle et artistique. Toutes ces organisations dépendaient du ministère de l’Information et de la Propagande dirigé par Goebbels, qui portait, en même temps que l’organisme correspondant du Parti et la Chambre de culture du Reich, l’ultime responsabilité de ce contrôle et de cette direction générale. Rosenberg joua un rôle capital dans la diffusion, au nom du Parti, des doctrines nationales-socialistes ; Fritzsche, en collaboration avec Goebbels, remplit le même rôle au nom de l’État.
On mit l’accent sur la mission suprême que dictaient au peuple allemand son sang nordique et sa pureté raciale, mission de commandement et de domination, et le terrain fut ainsi préparé pour faire accepter l’idée d’une hégémonie allemande sur le monde.
Grâce à une radio et une presse efficacement contrôlées, le peuple allemand, après 1933, fut soumis à une propagande accrue ; toute critique hostile, voire même toute critique quelle qu’elle fût, fut prohibée. L’indépendance du jugement, fondée sur la liberté de pensée, fut bannie.
Au cours des années qui suivirent immédiatement la désignation de Hitler au poste de chancelier, le Gouvernement nazi s’efforça, avec une minutie extrême, de réorganiser toute la vie économique de l’Allemagne et, en particulier, l’industrie de guerre.
Il était nécessaire de donner à la production de guerre des bases financières solides. En avril 1936, Göring fut chargé de coordonner tous les problèmes ayant trait aux matières premières et aux devises étrangères et reçut le pouvoir de contrôler toute activité de l’État et du Parti se rattachant à ces questions. Il réunit le ministre de la Guerre, le ministre de l’Économie, le président de la Reichsbank et le ministre des Finances de Prusse, afin de discuter des problèmes touchant la mobilisation du pays et, le 27 mai 1936, s’adressant à eux, il s’opposa à toute limitation financière de la production de guerre, ajoutant que « toutes les mesures devaient être considérées du point de vue d’une guerre à venir ». Au congrès du Parti, tenu à Nuremberg en 1936, Hitler annonça l’institution du Plan de quatre ans et la nomination de Göring comme plénipotentiaire pour ce plan. Ce dernier avait déjà commencé à créer une force aérienne considérable et, le 8 juillet 1938, lors d’une autre réunion, il annonça que Hitler lui avait ordonné de mettre sur pied un programme d’armement gigantesque, qui ferait considérer comme insignifiantes toutes les réalisations antérieures. Il déclara qu’il avait reçu l’ordre de créer aussi rapidement que possible une force aérienne cinq fois supérieure à celle originairement prévue, d’accélérer le réarmement terrestre et naval, et de porter tous ses efforts sur les armes offensives, surtout sur l’artillerie lourde et les chars lourds. Il proposa ensuite un programme établi pour parvenir à ces buts. Hitler fit connaître dans un mémorandum du 9 octobre 1939, le degré de développement atteint par le réarmement :
« L’utilisation militaire de la force de notre peuple a été effectuée dans une si large mesure que, pendant un certain temps, elle ne pourra pas être améliorée d’une façon notable par quelque effort que ce soit…
« L’équipement de guerre d’un grand nombre de divisions allemandes est actuellement plus considérable en quantité et meilleur en qualité, qu’il n’était en 1914. Une enquête approfondie démontre que les armes elles-mêmes sont plus modernes que celles que possède actuellement n’importe quel autre pays du monde. Elles viennent de prouver leur efficacité supérieure au cours d’une campagne victorieuse… Il n’y a pas de preuve qu’un autre pays dispose d’un meilleur stock total de munitions que le Reich… Notre artillerie antiaérienne n’a pas son égale ailleurs ».
Dans cette réorganisation de la vie économique de l’Allemagne à des fins militaires, le Gouvernement nazi trouva l’industrie d’armement allemande toute prête à apporter sa coopération et à jouer son rôle dans le programme de réarmement. En avril 1933, Gustav Krupp von Bohlen soumit à Hitler, au nom de l’Association de l’industrie allemande, un plan pour la réorganisation de celle-ci ; ce plan, déclara-t-il, était caractérisé par le désir de coordonner les mesures économiques et les nécessités politiques. Dans ce plan, Krupp inséra ce qui suit : « La tournure des événements politiques concorde avec les désirs que moi-même et le Conseil d’administration avons nourris pendant longtemps ». Ce qu’il voulait dire par cette affirmation apparaît clairement dans le brouillon d’un discours qu’il projetait de faire à l’Université de Berlin en janvier 1944, mais qui en fait ne fut jamais prononcé. Se référant aux années 1919-1933, il écrivait : « C’est le grand mérite de l’économie de guerre allemande entière de n’être pas restée oisive pendant ces mauvaises années, même si pour des raisons évidentes son activité n’a pu être étalée au grand jour. Pendant ces années de travail secret, furent posées les bases scientifiques et essentielles permettant de travailler à nouveau pour les Forces armées allemandes, d’une seconde à l’autre et sans tâtonnements, à l’heure voulue. Ce ne fut que grâce à l’activité secrète entreprise par l’Allemagne, de même qu’à l’expérience acquise dans la production du temps de paix, que l’on put, après 1933, se mettre au niveau des nouvelles tâches qui s’imposaient et qui devaient refaire de l’Allemagne une puissance militaire ».
En octobre 1933, l’Allemagne se retira de la Conférence internationale du Désarmement et de la Société des Nations. En 1935, le Gouvernement nazi décida de prendre ouvertement les premières mesures qui libéreraient le pays des obligations que lui imposait le Traité de Versailles. Le 10 mars 1935, Göring annonça que l’Allemagne reconstituait une force aérienne militaire. Six jours après, le 16 mars 1935, fut promulguée une loi qui, signée notamment par les accusés Göring, Hess, Frank, Frick, Schacht et von Neurath, instituait le service militaire obligatoire et mettait sur pied une armée dont l’effectif était de cinq cent mille hommes en temps de paix. Essayant toutefois de rassurer l’opinion publique des pays étrangers, le Gouvernement annonça, le 21 mai 1935, que l’Allemagne, malgré la dénonciation des clauses de désarmement, respecterait les limitations territoriales du Traité de Versailles et se soumettrait aux prescriptions des Pactes de Locarno. C’est le jour même de cette déclaration que la « Loi de défense du Reich » fut promulguée ; Hitler en interdit la publication. Les pouvoirs et obligations du Chancelier et des Ministres au cas d’une entrée en guerre éventuelle de l’Allemagne y étaient déterminés. Cette loi prouve qu’en mai 1935 Hitler et son Gouvernement en étaient arrivés, dans l’exécution de leurs plans, au point où il leur était nécessaire d’avoir à leur disposition l’instrument indispensable à l’administration et au gouvernement du pays, au cas où leur politique conduirait à la guerre.
En même temps que l’économie allemande se préparait à la guerre, l’Armée s’organisait en vue de reconstruire la puissance militaire de l’Allemagne.
La Marine fut particulièrement active à cet égard. Ses historiens officiels, Assmann et Gladisch, admettent que le Traité de Versailles était en vigueur seulement depuis quelques mois lorsqu’il fut violé, notamment par la construction d’une nouvelle force sous-marine.
Les publications du capitaine Schuessler et du colonel Scherff, toutes deux patronnées par Raeder, montrèrent au peuple allemand la nature de l’effort entrepris par la marine en vue de réarmer au mépris du Traité de Versailles.
Les documents traitant des détails de ce réarmement ont été déposés à titre de preuves.
Le 12 mai 1934, Raeder fit paraître un plan intitulé : « La troisième phase d’armement ». On peut y lire :
« Tous les préparatifs théoriques et pratiques doivent être poursuivis de façon que l’on soit prêt à faire la guerre, sans aucune période d’alerte. »
Un mois plus tard, Raeder eut une conversation avec Hitler au cours de laquelle celui-ci lui ordonna de continuer à garder secrète la construction, alors en cours, de sous-marins et bâtiments de guerre, dépassant la limite fixée à dix mille tonnes.
Le 2 novembre, Raeder eut un nouvel entretien avec Hitler et Göring. Hitler déclara qu’il considérait comme vital que la flotte allemande « fût développée selon les plans établis, aucune guerre ne pouvant être menée si la Marine n’était pas capable de protéger l’importation de minerai de Scandinavie ».
Raeder cherche à excuser les ordres massifs de mise en chantier passés en 1933 et 1934, en expliquant que l’Allemagne et la Grande-Bretagne poursuivaient avec succès des négociations en vue de conclure un accord qui permettrait à l’Allemagne de construire un plus grand nombre de navires que le Traité de Versailles ne le prévoyait. Cette convention, signée en 1935, limita la flotte allemande à un tonnage égal à 33% de celui de la flotte britannique ; une exception était faite en faveur des sous-marins, pour lesquels 45% furent admis ; l’Allemagne était même autorisée à dépasser cette dernière proportion, à condition d’en informer au préalable le Gouvernement britannique et de lui donner la possibilité d’en discuter.
Un nouvel accord anglo-allemand fut conclu en 1937 aux termes duquel les deux puissances s’engageaient à se communiquer les détails complets de leur programme de construction navale, au moins quatre mois avant de passer à son exécution.
Il a été démontré que ces clauses ne furent pas observées par l’Allemagne.
En ce qui concerne les navires de ligne, par exemple, les chiffres du tonnage furent falsifiés et diminués de 20% ; quant aux sous-marins, les historiographes de la marine allemande, Assmann et Gladisch, écrivirent à leur sujet :
« Il est probable que c’est précisément dans le domaine de la construction de sous-marins que l’Allemagne observa le moins les restrictions du Traité anglo-allemand ».
On aperçoit toute l’importance de ces violations de l’accord, lorsque Ton considère les motifs de ce réarmement. Au cours de l’année 1940, en effet, Raeder écrivait :
« Jusqu’au dernier moment, le Führer espérait être à même de reculer jusqu’en 1944-1945 la date du conflit anglo-allemand qui menaçait. À cette époque, la Marine aurait disposé d’une puissante supériorité en sous-marins et d’un rapport de force beaucoup plus favorable en ce qui concerne tous les autres types de navires, en particulier ceux destinés à la guerre en haute mer ».
Le 21 mai 1935, le Gouvernement nazi affirma son intention de respecter les clauses territoriales du Traité de Versailles. Le 6 mars 1936, en violation de ce traité, la zone démilitarisée de Rhénanie était envahie par les troupes allemandes. En annonçant cet événement au Reichstag, Hitler s’efforça de justifier cette réoccupation en arguant des alliances récemment conclues par l’Union Soviétique, avec la Tchécoslovaquie d’une part, et la France d’autre part. Il essaya aussi de prévenir la réaction hostile qu’il attendait à la suite de cette violation, en déclarant :
« Nous n’avons pas de revendications territoriales à faire valoir en Europe ».
Le Tribunal examinera dans ce chapitre les crimes contre la Paix visés par l’Acte d’accusation. L’inculpation formulée dans le premier chef de cet Acte est celle de complot ou de plan concerté en vue de commettre des crimes contre la Paix. L’inculpation formulée dans le deuxième chef est celle de crimes contre la Paix consistant en la préparation, le déclenchement et la poursuite de guerres d’agression. Il y a lieu de réunir la question de l’existence d’un plan concerté avec celle des guerres d’agression, et de traiter dans la partie finale du jugement la question de la responsabilité particulière de chaque accusé.
L’inculpation selon laquelle les accusés auraient préparé et poursuivi des guerres d’agression est capitale. La guerre est un mal dont les conséquences ne se limitent pas aux seuls États belligérants, mais affectent le monde tout entier.
Déclencher une guerre d’agression n’est donc pas seulement un crime d’ordre international ; c’est le crime international suprême, ne différant des autres crimes de guerre que du fait qu’il les contient tous.
Les premiers actes agressifs que mentionne l’Acte d’accusation sont l’invasion de l’Autriche et celle de la Tchécoslovaquie, et la première guerre d’agression visée est la guerre contre la Pologne, commencée le 1er septembre 1939.
Avant d’examiner cette accusation, il est nécessaire de se reporter aux événements qui ont précédé les agressions. La guerre germano-polonaise n’a pas éclaté soudainement dans un ciel sans nuages. Il a été prouvé clairement que cette guerre, de même que l’invasion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, avait été préméditée et soigneusement préparée. Elle a été entreprise au moment jugé opportun et comme conséquence d’un plan préétabli.
En effet, les desseins agressifs du Gouvernement nazi ne sont pas nés de la situation politique existant à ce moment-là en Europe et dans le monde ; ils constituaient une partie essentielle et délibérément arrêtée de la politique extérieure nazie.
Dès le début, le mouvement national-socialiste prétendit que son but était d’unir le peuple allemand sous la conduite du Führer en lui donnant conscience de sa mission et de son destin fondés sur les qualités propres de la race.
Pour atteindre ce but, deux entreprises furent estimées primordiales : la dislocation de l’ordre européen tel qu’il existait depuis le Traité de Versailles et la création d’une Grande Allemagne débordant des frontières de 1914, ce qui impliquait nécessairement la conquête de territoires étrangers.
Dans ces conditions, la guerre fut considérée comme inévitable ou tout au moins probable. Il fallait donc organiser le peuple allemand avec toutes ses ressources, comme une grande armée de caractère politique et militaire, entraînée à obéir sans discussion aux ordres de l’État.
Dans son livre Mein Kampf, Hitler avait exprimé clairement ses intentions. Il faut se souvenir que cet ouvrage n’était pas un simple journal privé reflétant les pensées secrètes de Hitler. Il fut répandu dans tout le pays, utilisé dans les écoles et dans les universités, parmi les Jeunesses hitlériennes, les SS et les SA, et le peuple allemand en général ; un exemplaire en était même officiellement offert aux nouveaux mariés. Au cours de l’année 1945 le tirage de ce livre se monta à six millions et demi d’exemplaires. Ainsi qu’on le sait, Hitler affirmait sans cesse sa croyance en la nécessité d’employer la force pour résoudre les problèmes internationaux. Il écrivait notamment :
« Le sol sur lequel nous vivons à présent n’a pas été un cadeau accordé par le Ciel à nos aïeux. Ils ont dû le conquérir au péril de leur vie. De même, à l’avenir, notre peuple n’obtiendra pas de territoires, et par là de moyens d’existence, à titre de faveur consentie par un autre peuple, mais il devra les conquérir à la pointe d’une épée triomphante. »
Mein Kampf est rempli de passages semblables et la force comme instrument de politique étrangère y est exaltée.
Les objectifs précis de cette politique sont nettement soulignés. On y lit dès la première page « qu’un Empire austro-allemand doit être reconstitué et doit devenir la grande Patrie germanique », non pour des raisons économiques, mais parce que « des peuples de même sang doivent être dans le même Reich ».
La restauration des frontières allemandes de 1914 est considérée comme absolument insuffisante et l’Allemagne, si elle veut exister, doit reprendre sa place de puissance mondiale ayant l’étendue territoriale qui lui est nécessaire.
Mein Kampf est tout à fait explicite quand il précise où des territoires nouveaux devront être trouvés :
« Nous avons donc, nous, nationaux-socialistes, répudié à dessein l’attitude adoptée par l’Allemagne d’avant-guerre en matière de politique étrangère. Nous avons mis fin à la marche perpétuelle du germanisme vers le Sud et l’Ouest de l’Europe, et avons tourné les yeux vers les terres de l’Est, Nous avons mis un terme à la politique coloniale et commerciale d’avant-guerre et nous sommes passés à une politique territoriale de l’avenir.
« Mais quand nous parlons aujourd’hui de territoires nouveaux en Europe, nous devons penser principalement à la Russie et aux États limitrophes qui lui sont soumis. »
Mein Kampf ne doit être considéré ni comme un exercice de style, ni comme l’expression définitive d’une politique ; son importance réside surtout dans l’attitude agressive que révèlent ses pages.
Certains des documents saisis montrent que Hitler a tenu quatre réunions secrètes qui éclairent d’une vive lumière la question du plan concerté et celle des guerres d’agression.
Au cours de ces réunions qui eurent lieu respectivement les 5 novembre 1937, 23 mai 1939, 22 août 1939 et 23 novembre 1939, Hitler fit d’importantes déclarations qui ne laissent aucun doute sur les buts qu’il poursuivait.
Ces documents ont fait l’objet de quelques critiques de la part de la Défense. Celle-ci, en effet, sans contester leur authenticité intrinsèque, a prétendu par exemple qu’ils ne correspondaient pas aux procès-verbaux sténographiés des discours dont ils font état, que d’une part en particulier le document relatif à la réunion du 5 novembre 1937 porte une date postérieure de cinq jours à celle où la réunion eut effectivement lieu, et que d’autre part les deux documents se rapportant à la réunion du 22 août 1939 sont différents l’un de l’autre et ne sont pas signés.
Le Tribunal, tout en admettant le principe de ces critiques, estime néanmoins que les documents dont il s’agit ont une importance capitale et que leur authenticité et leur véracité sont pleinement établies. En effet, il est incontestable que ce sont des comptes rendus scrupuleux des événements qu’ils décrivent et ils ont été conservés comme tels dans les archives du Gouvernement allemand ou ils se trouvaient quand ils furent saisis. Rien ne permet de les écarter comme constituant des faux ou comme contenant des inexactitudes ou des altérations ; ils relatent des événements qui se sont effectivement déroulés.
Il est peut-être préférable de traiter tout d’abord de la réunion du 23 novembre 1939, où Hitler réunit ses commandants en chef. Un procès-verbal des paroles prononcées fut dressé par un des assistants. À cette date, l’Autriche et la Tchécoslovaquie avaient été incorporées dans le Reich allemand, la Pologne avait été conquise et la guerre avec la Grande-Bretagne et la France en était encore à une phase d’immobilité. Le moment était bien choisi pour passer en revue les événements antérieurs, Hitler annonça à ses généraux que le but de la conférence était de leur faire connaître sa pensée et ses décisions. Il rappela ensuite l’activité politique qui avait été la sienne depuis 1919, et évoqua le retrait de l’Allemagne de la Société des Nations, son attitude à l’égard de la Conférence du Désarmement, la décision de réarmer, l’institution du service militaire obligatoire, l’occupation de la Rhénanie, l’annexion de l’Autriche et l’opération entreprise contre la Tchécoslovaquie. Il déclara :
« Une année après, ce fut le tour de l’Autriche ; ce premier pas paraissait aléatoire. Il amena pourtant un renforcement considérable de la puissance allemande. L’étape suivante fut la Bohême, la Moravie et la Pologne. On ne pouvait accomplir tout cela en une seule campagne. Il fallait terminer d’abord les fortifications occidentales. Il n’était pas possible d’atteindre le but proposé d’un seul coup ; il m’apparut clairement, dès le début, que je ne pouvais pas me contenter du territoire allemand des Sudètes. Ce n’était qu’une solution partielle. La décision fut alors prise d’entrer en Bohême. La création du Protectorat s’ensuivit et avec elle fut jetée une base d’opérations contre la Pologne, mais je ne voyais pas encore clairement à ce moment-là si je commencerais par l’Est pour continuer à l’Ouest, ou inversement… Jamais je n’ai organisé l’Armée pour qu’elle reste sur la défensive. La décision d’attaquer fut toujours en moi. Je voulais tôt ou tard résoudre ce problème et, pressé par les événements, j’ai décidé que l’Est serait attaqué en premier. »
Ce discours concernant les événements passés et affirmant une fois de plus que la volonté d’agression existait dès l’origine supprime tout doute possible quant au caractère des opérations entreprises contre l’Autriche et contre la Tchécoslovaquie et de la guerre faite à la Pologne.
Ces agressions furent en effet exécutées selon un plan qu’il y a lieu maintenant d’examiner de plus près.
Lors de la réunion du 23 novembre 1939, dont il vient d’être question, c’est le passé que Hitler considérait ; mais lors des conférences antérieures dont nous allons maintenant traiter, il se tournait vers l’avenir et révélait ses plans à son entourage. La comparaison est pleine d’enseignements.
Le lieutenant-colonel Hossbach, officier d’ordonnance personnel de Hitler, assistait à la réunion qui fut tenue à la Chancellerie du Reich à Berlin, le 5 novembre 1937 ; il rédigea à ce sujet une longue note qu’il data du 10 novembre 1937, et qu’il signa.
Étaient présents : Hitler, les accusés Göring, von Neurath et Raeder, respectivement en tant que Reichsmarschall, ministre du Reich pour les Affaires étrangères et Commandant en chef de la Marine, le général von Blomberg, ministre de la Guerre et le général von Fritsch, Commandant en chef de l’Armée.
Hitler commença par dire que le sujet de la conférence était d’une telle importance que, dans d’autres pays, il aurait été traité en Conseil de Cabinet. Il continua en déclarant que son discours avait pour objet d’exposer le résultat de ses réflexions approfondies et de l’expérience qu’il avait acquise pendant plus de quatre années passées au Gouvernement. Il demanda que les déclarations qu’il allait faire fussent considérées, s’il mourait, comme ses dernières volontés et son testament. Le thème principal du discours était le problème de l’espace vital et Hitler ne discuta de diverses solutions possibles que pour les écarter. Il en conclut qu’il était nécessaire de conquérir de « l’espace vital » dans le continent européen et s’exprima en ces termes :
« La question qui se pose n’est pas de se rendre maître de populations, mais de s’emparer de terrains utilisables pour l’agriculture. Notre but serait aussi de chercher en Europe et dans les pays limitrophes de l’Allemagne, plutôt qu’au delà des mers, des territoires riches en matières premières, et cet objectif devrait être atteint en une ou deux générations… L’Histoire de tous les temps — empire romain, empire britannique — a prouvé que toute expansion territoriale doit être effectuée en brisant une résistance et en courant des risques. On ne peut même éviter certains échecs ; pas plus autrefois qu’aujourd’hui, il n’a été possible de s’approprier de l’espace sans l’enlever à son possesseur auquel celui qui attaque se heurte toujours. »
Il termina par la remarque suivante :
« La question qui se pose pour l’Allemagne est de savoir où la plus grande conquête pourrait être acquise au prix le plus bas. »
Rien ne pourrait indiquer plus clairement les intentions belliqueuses qu’avait Hitler, et les événements qui suivirent montrent la réalité de ses desseins. Il est impossible d’admettre, comme on l’a prétendu, qu’en fait il ne voulait pas la guerre ; en effet, après avoir remarqué que l’Allemagne pouvait s’attendre à l’opposition de l’Angleterre et de la France, et après avoir analysé les forces et les faiblesses de ces nations, il continua en ces termes :
« Le problème allemand ne peut être résolu que par la force, et ceci n’est jamais sans risque… Si les considérations qui vont suivre demeurent inspirées principalement par notre décision d’utiliser la force avec les risques que cela comporte, alors il ne nous reste plus qu’à répondre aux questions « quand » et « où ». À cet égard, il nous faut choisir entre trois éventualités différentes. »
La première de ces trois éventualités, telle que Hitler la présenta, était une situation internationale hypothétique dans laquelle il agirait au plus tard entre 1943 et 1945 :
« Si le Führer vit encore, dit-il, alors sa décision irrévocable sera de donner une solution au problème de l’espace allemand, au plus tard entre 1943 et 1945. On verra dans les éventualités 2 et 3 les conditions dans lesquelles il serait nécessaire d’agir avant 1943 et 1945. »
La seconde et la troisième éventualité que Hitler envisagea montrent l’intention arrêtée de s’emparer de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie. À ce sujet, il s’exprima ainsi :
« Pour l’amélioration de notre situation militaire et politique, notre premier objectif, au cas où nous serions entraînés à la guerre, doit être de conquérir la Tchécoslovaquie et l’Autriche simultanément, pour supprimer toute menace venant de flanc, si jamais nous avancions vers l’Ouest. »
Il ajouta :
« L’annexion de ces deux États à l’Allemagne nous soulagerait considérablement du point de vue militaire comme du point de vue politique, étant donné qu’elle nous donnerait des frontières plus courtes et meilleures, qu’elle libérerait des combattants qu’on pourrait employer à d’autres fins, et qu’elle nous permettrait de reconstituer de nouvelles armées qui pourraient se monter à une force d’environ douze divisions. »
Cette décision de s’emparer de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie fut pesée dans ses moindres détails ; l’opération devait être entreprise dès qu’une occasion favorable se présenterait.
La force militaire que l’Allemagne avait mise sur pied depuis 1933 allait maintenant être dirigée contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie.
L’accusé Göring a déclaré qu’il ne croyait pas à cette époque que Hitler pensât vraiment attaquer l’Autriche et la Tchécoslovaquie et que la conférence avait seulement pour objet d’exercer une pression sur von Fritsch pour hâter le réarmement.
L’accusé Raeder a déclaré que ni lui-même, ni von Fritsch, ni von Blomberg, ne croyaient que Hitler voulait vraiment la guerre, et Raeder prétend qu’il en demeura persuadé jusqu’au 22 août 1939. Cette conviction était fondée sur l’espoir que Hitler parviendrait à une « solution politique » du problème allemand. Mais tout cela signifie, quand on y regarde de plus près, que la position de l’Allemagne était jugée si forte et sa puissance militaire si écrasante que les territoires convoités pourraient être acquis sans combat. On doit aussi se rappeler que les intentions manifestées par Hitler à l’égard de l’Autriche furent en fait réalisées quatre mois après la conférence, que, moins d’un an après, la première partie de la Tchécoslovaquie fut conquise et que la Bohême et la Moravie le furent à leur tour quelques mois plus tard. Si, en novembre 1937, quelques doutes demeuraient encore dans l’esprit de ses auditeurs, il ne pouvait plus en subsister après le mois de mars 1939 quant à la volonté arrêtée de Hitler de recourir à la guerre. Le Tribunal estime que la réunion dont il s’agit a été fidèlement relatée par le lieutenant-colonel Hossbach et que ceux qui y étaient présents ont su parfaitement que l’Autriche et la Tchécoslovaquie seraient annexées par l’Allemagne à la première occasion.
L’invasion de l’Autriche ne fut qu’un premier pas dans l’exécution du plan général d’agression. Elle eut pour résultat l’affermissement des frontières allemandes et l’affaiblissement de celles de la Tchécoslovaquie. Une première étape était ainsi franchie dans l’acquisition du « Lebensraum » ; de nouvelles et nombreuses divisions de combattants entraînés étaient acquises et, par la saisie des réserves de devises étrangères, la réalisation du programme de réarmement allait se trouver grandement facilitée.
Le 21 mai 1935, Hitler annonça au Reichstag que l’Allemagne ne se proposait pas d’attaquer l’Autriche ou même de s’immiscer dans sa politique intérieure. Le 1er mai 1936 il proclama publiquement ses intentions pacifiques tant à l’égard de l’Autriche que de la Tchécoslovaquie ; le 11 juillet 1936, il reconnut encore, par un traité, la souveraineté de l’Autriche dont l’Allemagne s’empara finalement au cours du mois de mars 1938. Longtemps avant cette date, les nationaux-socialistes d’Allemagne et d’Autriche avaient coopéré en vue de la réunion de cette dernière au Reich allemand. Le putsch du 25 juillet 1934, qui entraîna l’assassinat du Chancelier Dollfuss, tendait déjà à ce résultat ; mais le putsch échoua et fut suivi de la mise hors la loi en Autriche du parti national-socialiste. Le 11 juillet 1936 fut conclu entre les deux pays un accord dont l’article premier stipulait :
« Le Gouvernement allemand reconnaît, dans l’esprit des déclarations que le Führer Chancelier a faites le 21 mai 1935, la souveraineté de l’État fédéral d’Autriche. »
L’article 2 était rédigé comme suit :
« Chacun des deux Gouvernements considère l’ordre politique intérieur (y compris la question du national-socialisme autrichien), tel qu’il existe dans l’autre pays, comme une question relevant de la souveraineté dudit pays, sur laquelle il ne cherchera ni directement ni indirectement à exercer une influence. »
Le mouvement national-socialiste en Autriche poursuivit cependant en secret son activité illégale : les nationaux-socialistes d’Allemagne apportèrent au parti nazi autrichien leur aide et les « incidents » qui en résultèrent leur servirent de prétexte pour se mêler aux affaires autrichiennes. Après la conférence du 5 novembre 1937, ces « incidents » se multiplièrent. Les relations se tendirent peu à peu entre les deux pays et le Chancelier d’Autriche Schuschnigg fut incité, notamment par l’accusé von Papen, à avoir une entrevue avec Hitler. Cette entrevue eut lieu à Berchtesgaden le 12 février 1938. L’accusé Keitel y assistait et Hitler menaça Schuschnigg d’envahir immédiatement l’Autriche. Schuschnigg accepta d’accorder l’amnistie politique à différents nazis condamnés pour leur activité et de nommer Seyss-Inquart au ministère de l’Intérieur et de la Sûreté avec droit de contrôle sur la Police. Le 9 mars 1938, essayant de sauvegarder la souveraineté de son pays, Schuschnigg décida qu’un plébiscite aurait lieu sur la question de l’indépendance autrichienne. Ce plébiscite fut fixé au 13 mars 1938. Deux jours plus tard, Hitler envoyait à Schuschnigg un ultimatum lui enjoignant d’ajourner ce plébiscite. Le 11 mars 1938, Göring présenta au Gouvernement autrichien une série d’exigences en appuyant chacune d’elles de la menace d’une invasion. Après que le Chancelier autrichien eut accepté l’ajournement du plébiscite, on exigea encore de lui qu’il démissionnât, en nommant à sa place Seyss-Inquart. En conséquence, Schuschnigg démissionna et le Président Miklas, après avoir d’abord refusé, consentit finalement à la désignation de Seyss-Inquart comme Chancelier.
Dans l’intervalle, Hitler avait donné l’ordre aux troupes allemandes de franchir la frontière à l’aube du 12 mars et avait enjoint à Seyss-Inquart d’utiliser les formations nationales-socialistes autrichiennes pour renverser Miklas et s’emparer du pouvoir. Après que les troupes allemandes eurent reçu l’ordre d’avancer, Göring téléphona à l’ambassade d’Allemagne à Vienne et dicta le télégramme que Seyss-Inquart devait envoyer à Hitler pour justifier l’opération militaire en cours. Ce télégramme était ainsi conçu :
« Le Gouvernement provisoire autrichien qui, après la démission du Gouvernement Schuschnigg, considère de son devoir d’établir la paix et l’ordre dans le pays, demande instamment au Gouvernement allemand de l’appuyer dans sa tâche et de l’aider à éviter une effusion de sang. À cette fin, il demande au Gouvernement allemand d’envoyer des troupes allemandes aussitôt que possible. »
Keppler, fonctionnaire de l’ambassade d’Allemagne, répondit :
« Les SA et les SS locaux défilent dans les rues, mais tout est calme. »
Après une discussion prolongée, Göring déclara :
« Veuillez montrer à Seyss-Inquart le texte du télégramme, et lui dire que nous lui demandons de nous l’envoyer. Au fond, il n’a même pas besoin de le faire. Tout ce qui est nécessaire, c’est qu’il dise : D’accord, »
Seyss-Inquart n’envoya jamais le télégramme, et il ne télégraphia même jamais : « D’accord ».
Il semble que dès qu’il fut nommé Chancelier, peu après 22 heures, il ait téléphoné à Keppler et l’ait chargé de transmettre à Hitler ses protestations contre l’occupation. Ce procédé indigna Göring parce que, dit-il, « cela troublerait le repos du Führer qui voulait se rendre en Autriche le lendemain ». À 23 h.15, un fonctionnaire du ministère de la Propagande de Berlin téléphona à l’Ambassade à Vienne et Keppler lui répondit : « Dites au Generalfeldmarschall que Seyss-Inquart est d’accord. »
Le 12 mars 1938, à l’aube, les troupes allemandes entrèrent en Autriche et ne rencontrèrent aucune résistance. La presse allemande annonça que Seyss-Inquart avait été désigné comme successeur de Schuschnigg et cita, bien qu’il n’eût jamais été envoyé, le texte du télégramme proposé par Göring, pour montrer que Seyss-Inquart avait requis la présence des troupes allemandes dans la crainte de troubles. Le 13 mars 1938, fut promulguée une loi consacrant la réunion de l’Autriche au Reich allemand. Seyss-Inquart ayant demandé au Président Miklas de signer cette loi, celui-ci refusa et donna sa démission. Seyss-Inquart le fit à sa place au nom de l’Autriche et cette loi entra dans la législation du Reich par un décret du Cabinet publié le même jour, et signé par Hitler, Göring, Frick, von Ribbentrop et Hess.
On a soutenu devant le Tribunal que l’annexion de l’Autriche était justifiée par le profond désir exprimé dans de nombreux milieux d’une union de l’Autriche et de l’Allemagne ; que les deux peuples avaient beaucoup d’intérêts communs qui rendaient cette union souhaitable ; et enfin que ce but fut atteint sans effusion de sang.
Même si ces assertions sont exactes, les faits ne démontrent pas moins que les méthodes employées pour atteindre le but furent celles d’un agresseur. La Force armée allemande prête à entrer en jeu à la moindre résistance avait constitué le facteur décisif. Bien plus, il ne semble pas, d’après le compte rendu fait par Hossbach de la réunion du 5 novembre 1937, qu’aucune des considérations mises en avant ait été le mobile essentiel de l’action de Hitler, car on insista surtout à cette conférence sur le profit que devait tirer de cette annexion la puissance militaire de l’Allemagne.
La conférence du 5 novembre 1937 montre clairement que l’occupation de la Tchécoslovaquie avait été décidée à l’avance, mais qu’il restait à choisir le moment le plus favorable à cette entreprise. Le 4 mars 1938, von Ribbentrop fit part à Keitel d’une proposition qui lui avait été faite par l’ambassadeur de Hongrie à Berlin, et qui tendait à faire étudier par les armées allemande et hongroise l’hypothèse d’une guerre éventuelle contre la Tchécoslovaquie.
Von Ribbentrop lui écrivit à cette occasion :
« J’ai des craintes quant à ces négociations. Au cas où nous devrions discuter avec la Hongrie l’hypothèse d’une guerre contre la Tchécoslovaquie, il serait à redouter que d’autres ne soient mis au courant. »
Le 11 mars 1938, Göring fit à M. Mastny, ministre de Tchécoslovaquie à Berlin, deux déclarations distinctes, l’assurant de ce que les événements actuels d’Autriche n’auraient aucune influence préjudiciable aux relations existant entre le Reich allemand et la Tchécoslovaquie, et il souligna l’effort continu et sincère fait par les Allemands pour améliorer ces relations. Le 12 mars, Göring demanda à M. Mastny de lui rendre visite et réitéra ces assurances.
Le procédé consistant à rassurer la Tchécoslovaquie pendant que s’opérait l’annexion de l’Autriche était une manœuvre caractéristique de l’accusé Göring. Il devait la renouveler par la suite à propos de la Pologne que tous ses efforts tendirent à isoler à la veille du conflit. À la même date du 12 mars, l’accusé von Neurath s’entretint avec M. Mastny et l’assura, au nom de Hitler, de ce que l’Allemagne se considérait toujours comme liée par la Convention d’arbitrage germano-tchèque conclue à Locarno en octobre 1925.
Il est prouvé qu’après l’occupation de l’Autriche par l’armée allemande, le 12 mars, et son annexion le 13, Conrad Henlein, alors chef du parti allemand des Sudètes en Tchécoslovaquie, eut une entrevue avec Hitler à Berlin le 28 du même mois. Le lendemain, dans la même ville, lors d’une conférence à laquelle assistaient von Kibbentrop et Henlein, la situation générale fut discutée et l’accusé Jodl nota plus tard dans son journal :
« Après l’annexion de l’Autriche, le Führer estime qu’il n’est pas urgent de résoudre la question tchèque car il faut d’abord digérer l’Autriche. Il faudra néanmoins que les préparatifs du « Cas Vert » (c’est-à-dire le plan contre la Tchécoslovaquie) soient faits énergiquement ; il faudra les refaire d’après un plan nouveau fondé sur le changement de la position stratégique dû à l’annexion de l’Autriche. »
Le 21 avril 1938 eut lieu entre Hitler et Keitel, au sujet du « Cas Vert », un échange de vues d’où il résulte clairement que les préparatifs d’attaque contre la Tchécoslovaquie étaient sérieusement mis à l’étude. Le 28 mai 1938, Hitler ordonna de préparer pour la date approximative du 2 octobre, une action militaire contre la Tchécoslovaquie, dont le projet d’invasion fut dès lors constamment à l’étude. Le 30 mai 1938, une ordonnance signée de Hitler exprima sa « décision irrévocable d’écraser militairement la Tchécoslovaquie dans un proche avenir ».
En juin 1938, comme le montre un document saisi dans les dossiers du SD à Berlin, un projet détaillé de l’emploi de ces formations en Tchécoslovaquie avait été préparé. Ce projet prévoyait que le « SD devait suivre, si possible immédiatement, les troupes d’avant-garde, et se charger des mêmes tâches qu’en Allemagne… »
Des fonctionnaires de la Gestapo furent désignés pour coopérer avec le SD. Des agents spéciaux devaient être entraînés à la lutte contre le sabotage et prévenus « à temps avant l’attaque… afin de pouvoir se cacher et éviter arrestations et déportations… »
« Il faut s’attendre, au début, à des guérillas et des combats de partisans ; c’est pourquoi il nous faut des armes. »
Des dossiers de renseignements devaient être établis et porter des mentions telles que : « À arrêter», « À liquider», « À confisquer », « À priver de passeport », etc.
Le plan prévoyait la division provisoire du pays en unités territoriales d’étendues diverses et prenait en considération différentes « propositions » concernant l’incorporation des districts de la Tchécoslovaquie et de leurs habitants au Reich allemand. La « proposition finale » portait sur le pays tout entier y compris la Slovaquie et la Russie Subcarpathique, et une population de presque quinze millions d’habitants.
Ce plan fut quelque peu modifié en septembre, après la Conférence de Munich, mais son existence seule et sa rédaction en termes agressifs indiquaient l’intention bien arrêtée d’avoir recours à la force.
Le 31 août 1938, Hitler approuva un mémoire de Jodl en date du 24 août, concernant la date d’invasion de la Tchécoslovaquie et la question des mesures défensives. Ce mémorandum contenait notamment la phrase suivante :
« Le « Cas Vert » sera déclenché au moyen d’un « incident » en Tchécoslovaquie qui permettra à l’Allemagne de prétexter une provocation pour justifier son intervention militaire ; la fixation du moment précis où cet incident sera créé est de la plus grande importance. »
Ces faits démontrent que l’occupation de la Tchécoslovaquie avait été minutieusement préparée bien avant la Conférence de Munich.
Les conférences et les entretiens avec les chefs militaires continuèrent en septembre 1938. En raison du caractère critique de la situation, le Premier britannique, M. Chamberlain, se rendit à Munich par avion, puis alla voir Hitler à Berchtesgaden. Le 22 septembre, il le rencontra à Bad Godesberg et eut avec lui de nouvelles entrevues. Le 26 septembre 1938, dans un discours prononcé à Berlin, Hitler déclara au sujet de ces conversations :
« Je lui ai donné l’assurance, que je réitère ici, qu’une fois ce problème résolu il ne se posera plus, pour l’Allemagne, de questions territoriales en Europe ; je lui ai donné aussi l’assurance que, à partir du moment où la Tchécoslovaquie aura trouvé une solution aux autres difficultés qu’elle rencontre — c’est-à-dire lorsque les Tchèques auront trouvé un arrangement pacifique et ne comportant pas l’oppression d’autres minorités — je ne m’occuperai plus de l’État tchèque et que, en ce qui me concerne, je lui en donnerai ma garantie. Nous ne voulons pas de Tchèques. »
Le 29 septembre 1938, à la suite d’une conférence entre Hitler, Mussolini et les Premiers Ministres britannique et français, les accords de Munich qui demandaient à la Tchécoslovaquie de consentir à céder le territoire des Sudètes à l’Allemagne, furent signés. Le « chiffon de papier », que le Premier Ministre britannique rapporta à Londres et qui portait sa signature ainsi que celle de Hitler, exprimait l’espoir que l’Angleterre et l’Allemagne pourraient vivre, à l’avenir, sans faire la guerre. Le fait que, peu après, Hitler se renseigna auprès de Keitel sur la force militaire que ce dernier estimait nécessaire pour briser toute résistance tchèque en Bohême-Moravie, montre qu’il n’avait jamais eu l’intention de respecter l’Accord de Munich. Keitel lui envoya son avis le 11 octobre 1938 et, dix jours après, Hitler assigna à l’Armée ses tâches futures. L’une de ces directives contenait la phrase suivante :
« Il faut que nous ayons la possibilité d’écraser à tout moment le reste de la Tchécoslovaquie, si sa politique devenait hostile à l’Allemagne. »
Il est inutile de revenir en détail sur les événements caractéristiques des mois suivants. Le 14 mars 1939, le Président tchèque Hacha et son ministre des Affaires Étrangères, Chvalkovsky, se rendirent à Berlin sur la demande de Hitler et assistèrent à une réunion à laquelle prirent part, entre autres, von Ribbentrop, Göring et Keitel. On proposa à Hacha de consentir par un accord à l’incorporation immédiate de la population tchèque dans celle du Reich allemand et de sauver ainsi la Bohême-Moravie de la destruction. Il fut informé de l’ordre que les troupes allemandes avaient déjà reçu de se mettre en route et de briser toute résistance par la force. Goring menaça en outre de bombarder la ville de Prague et de la détruire entièrement. Devant cette cruelle alternative, Hacha et son ministre des Affaires étrangères, à 4 h. 30 du matin, signèrent l’accord qu’on exigeait d’eux ; Hitler et Ribbentrop le signèrent pour l’Allemagne.
Le 15 mars, les troupes allemandes occupèrent la Bohême-Moravie et, le 16 mars, le pays fut incorporé au Reich en tant que protectorat par un décret au bas duquel von Ribbentrop et Frick apposèrent leur signature.
En mars 1939, le projet d’annexion de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie, que Hitler avait exposé lors de la conférence du 5 novembre 1937, se trouvait réalisé. Le moment semblait propice aux dirigeants allemands pour envisager de nouvelles agressions que le succès des précédentes rendait plus faciles à accomplir.
Le 23 mai 1939, au cours d’une conférence qui se déroula à la nouvelle Chancellerie du Reich à Berlin, dans le bureau de Hitler, celui-ci annonça qu’il avait décidé d’attaquer la Pologne et envisagé l’effet que pourrait produire sur d’autres pays cette décision dont il expliqua les raisons. Cette importante conférence fut la deuxième de celles dont nous avons déjà parlé, mais afin de souligner la gravité des paroles prononcées et des actes qui les suivirent, il est nécessaire de rappeler brièvement quelques-uns des principaux événements qui marquèrent l’histoire des relations germano-polonaises.
Une convention d’arbitrage avait été conclue en 1925 à Locamo entre l’Allemagne et la Pologne. Elle prévoyait le règlement de tous les différends pouvant surgir entre les deux pays. Le 26 janvier 1934, un traité de non-agression germano-polonais fut signé par l’accusé von Neurath au nom du Gouvernement allemand. Le 30 janvier 1934 et le 30 janvier 1937, Hitler, dans deux discours, exprima devant le Reichstag le point de vue selon lequel la Pologne et l’Allemagne pouvaient travailler de concert, dans le calme et la paix. Le 20 février 1938, Hitler, au cours d’un troisième discours déclara :
« Ainsi, on a réussi à ouvrir la voie à une entente amiable, qui, commençant à Dantzig, a abouti aujourd’hui, malgré les tentatives de certains fauteurs de troubles, à extraire des relations entre l’Allemagne et la Pologne le poison qui les viciait et à fusionner en une coopération sincère et cordiale ces relations. Confiante en ses amitiés, l’Allemagne fera tout pour sauver cet idéal qui constitue le fondement de son devoir futur : la Paix. »
Le 26 septembre 1938, au plus fort de la crise provoquée par la question des Sudètes, Hitler, dans le discours de Berlin dont il a déjà été question, affirma au Premier ministre britannique qu’il ne se poserait plus pour l’Allemagne de problèmes territoriaux en Europe lorsque la question tchécoslovaque aurait été résolue. Néanmoins, le 24 novembre suivant, l’OKW ordonna aux Forces armées allemandes de se préparer à attaquer Dantzig par des directives où on lisait notamment :
« Le Führer a ordonné que :
« 1. Il faut également faire des préparatifs pour permettre aux troupes allemandes d’occuper par surprise l’État libre de Dantzig. »
En dépit de ces instructions formelles relatives à l’occupation de cette ville, Hitler déclara le 30 janvier 1939 à la tribune du Reichstag :
« Au cours des mois troubles de l’année dernière, l’amitié de l’Allemagne et de la Pologne a été l’un des facteurs qui ont ramené la confiance dans la vie politique de l’Europe. »
Cinq jours auparavant, le 25 janvier 1939, von Ribbentrop avait affirmé dans un discours prononcé à Varsovie :
« La Pologne et l’Allemagne peuvent envisager l’avenir avec une confiance entière sur la base solide de leurs relations réciproques. »
À la suite de l’occupation de la Bohême-Moravie par l’Allemagne, le 15 mars, occupation qui constituait une violation flagrante de l’Accord de Munich, la Grande-Bretagne, le 31 mars 1939, donna l’assurance à la Pologne qu’au cas où son indépendance serait menacée et où le Gouvernement polonais estimerait devoir faire appel à l’armée nationale pour résister, la Grande-Bretagne se considérerait comme immédiatement tenue de prêter à la Pologne toute l’aide possible. Le Gouvernement français adopta la même position. La Défense invoqua souvent à ce sujet l’argument d’après lequel les accusés avaient pu croire jusqu’ici que leur manière d’agir n’était pas contraire au Droit international par suite de l’assentiment qui leur était donné par les autres puissances. Mais les déclarations faites le 31 mars 1939 par la Grande-Bretagne et par la France montraient, tout au moins à partir de ce moment, que cette idée devait être abandonnée.
Le 3 avril 1939, les Forces armées allemandes reçurent de l’OKW un ordre qui, après avoir traité de la question de Dantzig, envisageait le « Cas Blanc » (c’était le nom conventionnel donné au projet d’invasion de la Pologne), et stipulait :
« Le Führer a ajouté les instructions suivantes au « Cas Blanc » :
« 1. Les préparatifs doivent être effectués de telle sorte que l’opération puisse avoir lieu à n’importe quel moment, à partir du 1er septembre 1939. »
« 2. Le Haut Commandement des Forces armées a reçu l’ordre d’établir un horaire précis pour le « Cas Blanc », et des accords qui assurent une action synchronisée des trois branches de l’armée. »
Le 11 avril 1939, Hitler signa un nouvel ordre, dont l’une des annexes porte les mots suivants :
« Il serait bon d’éviter des querelles avec la Pologne, mais, au cas où elle adopterait une attitude menaçante à l’égard de l’Allemagne, il sera nécessaire de procéder à un règlement définitif — en dépit du pacte conclu avec le Gouvernement polonais. Dans cette hypothèse, il s’agira de détruire la force militaire de la Pologne et de créer dans l’Est une situation en rapport avec les exigences militaires. L’État libre de Dantzig sera incorporé à l’Allemagne au plus tard lors de l’ouverture du conflit. Notre politique vise à limiter la guerre à la Pologne seule et ceci est considéré comme possible en raison de la crise intérieure existant en France et de la réserve britannique qui en résulte. »
Malgré le contenu de ces deux ordres, Hitler dans un discours prononcé au Reichstag, le 28 avril 1939, décrivit la façon dont le Gouvernement polonais avait soi-disant repoussé son offre relative à Dantzig et au Corridor et ajouta :
« J’ai vivement déploré l’attitude incompréhensible du Gouvernement polonais, mais ceci n’est pas le seul fait décisif ; le pire est que la Pologne — comme la Tchécoslovaquie il y a un an — croit maintenant, sous la pression d’une longue campagne internationale, qu’elle doit mobiliser son armée, bien que l’Allemagne, pour sa part, n’ait pas appelé un seul homme et n’ait envisagé aucune espèce d’action contre la Pologne. C’est uniquement la presse internationale qui a prêté à l’Allemagne des intentions agressives. »
Ce fut quatre semaines après ce discours que Hitler tint, le 23 mai 1939, l’importante conférence militaire que le Tribunal a déjà mentionnée. Göring, Raeder et Keitel entre autres y prirent part. Le lieutenant-colonel Schmundt y assistait à titre d’officier d’ordonnance et il en a fait un compte rendu que sa signature authentifie.
Le but de cette conférence était de permettre à Hitler de communiquer aux commandants des Forces armées et à leurs états-majors ses opinions sur la situation politique et sur ses projets d’avenir. Il souligna qu’il était indispensable de garder le secret pour assurer la réalisation de ses desseins. Après avoir exposé la situation et passé en revue le cours des événements depuis 1933, il annonça qu’il avait décidé d’attaquer la Pologne. Il reconnut que cette agression ne résulterait pas du différend qui s’était élevé entre l’Allemagne et ce pays au sujet de Dantzig, mais de la nécessité d’agrandir l’espace vital de l’Allemagne et d’assurer son ravitaillement.
Il déclara :
« Il faut du courage pour résoudre cette question. Le principe est inadmissible selon lequel on évite de donner une solution à un problème sous prétexte de s’adapter aux circonstances. Ce sont les circonstances qui doivent se plier à nos buts. En l’espèce, rien n’est possible sans une invasion de pays étrangers, ou des attaques contre des biens étrangers. »
Il affirma plus loin :
« Il n’est pas question d’épargner la Pologne, et nous n’avons plus qu’à décider de l’attaquer à la première occasion propice. Nous ne pouvons pas compter sur une répétition de l’affaire tchèque. Ce sera la guerre. Il nous faut isoler la Pologne. La réalisation de cet isolement sera décisive… L’isolement de la Pologne est une affaire d’habileté politique. »
Le compte rendu du lieutenant-colonel Schmundt révèle que Hitler se rendait parfaitement compte de la possibilité d’une intervention de la Grande-Bretagne et de la France en faveur de la Pologne. Au cas où il ne réussirait pas à isoler ce pays, il estimait que l’Allemagne devrait d’abord attaquer la Grande-Bretagne et la France en portant en premier lieu ses efforts sur une guerre à l’Ouest, afin d’amener une rapide défaite de ces deux puissances, ou tout au moins de détruire leur potentiel de guerre. Hitler souligna cependant que la guerre contre la Grande-Bretagne et la France serait une lutte à mort, qui pourrait durer longtemps, et qu’il fallait s’y préparer en conséquence.
Au cours des semaines qui suivirent cette conférence d’autres réunions eurent lieu et des ordres furent donnés pour la préparation de la guerre. Von Ribbentrop fut envoyé à Moscou pour négocier un pacte de non-agression avec l’Union Soviétique.
Le 22 août 1939 se tint une importante réunion déjà mentionnée, Le Ministère Public a versé au dossier deux documents non signés qui paraissent en être des procès-verbaux faits par certains des auditeurs. Le premier est intitulé : « Discours de Hitler aux Commandants en chef, le 22 août 1939 ». Ce discours avait pour but d’annoncer la décision de faire immédiatement la guerre à la Pologne ; Hitler commença par ces mots :
« Il me paraissait évident que nous arriverions tôt ou tard à un conflit avec la Pologne. J’avais déjà au printemps accepté cette éventualité, mais je pensais me tourner contre l’Ouest dans quelques années, et seulement ensuite contre l’Est… Je voulais établir des relations acceptables avec la Pologne, afin de combattre d’abord contre l’Ouest. Mais ce plan, qui me convenait, n’a pas pu être réalisé, car des points fondamentaux ont changé. Il m’a paru évident que la Pologne nous attaquerait en cas d’un conflit avec l’Ouest. »
Hitler continua en expliquant pourquoi il pensait que le moment le plus favorable pour déclencher la guerre était arrivé. « La Pologne est maintenant, dit-il, dans la situation dans laquelle je voulais qu’elle fût… Je crains seulement qu’au dernier moment un « Schweinehund » quelconque ne fasse des propositions de médiation… Nous avons commencé à détruire l’hégémonie anglaise. »
Ce document a beaucoup d’analogie avec un autre document qui a été versé au dossier en faveur de Raeder et qui contient un résumé du discours en question, établi le jour même par l’amiral Böhm, d’après des notes qu’il avait prises au cours de la réunion. Il y est dit en substance que le moment de régler le désaccord avec la Pologne par une invasion militaire est arrivé, que, malgré la perspective d’un conflit inévitable à la longue entre l’Allemagne et l’Ouest, il est peu probable que la Grande-Bretagne et la France viennent en aide à la Pologne et que, même dans l’éventualité d’une guerre à l’Ouest » le premier objectif devrait être l’écrasement de la puissance militaire polonaise. Le document contient, en outre, une déclaration de Hitler selon laquelle sera donnée une raison de propagande, dont la vérité ou la fausseté importera peu puisque « Le bon droit réside dans la victoire».
Le deuxième document, non signé, versé au dossier par le Ministère Public, porte comme titre « Deuxième discours du Führer, prononcé le 22 août 1939 » et se présente sous forme de notes évoquant les points principaux traités par Hitler. En voici quelques-uns :
« Tout le monde devra se pénétrer de l’idée que nous sommes, dès le début, décidés à combattre les puissances de l’Ouest. C’est une lutte pour la vie ou la mort… Au premier plan, la destruction de la Pologne. Notre but est de supprimer des forces vivantes et non d’arriver à un certain point. Même si la guerre éclatait dans l’Ouest, notre but principal devrait être la destruction de la Pologne… Je donnerai une raison de propagande pour expliquer le déclenchement de la guerre. Qu’importe si elle est plausible ou non. On ne nous demandera pas, plus tard, lorsque nous aurons vaincu, si nous avons dit la vérité ou pas. Lorsqu’on déclenche ou qu’on poursuit une guerre, ce qui importe, ce n’est pas le droit, mais la victoire… Nous donnerons probablement samedi matin l’ordre de déclencher les hostilités. » (C’est-à-dire le 26 août.)
Bien qu’il soit censé se rapporter à un autre discours, ce document a suffisamment de points communs avec ceux qu’on vient de citer pour qu’il ait trait vraisemblablement au même exposé dont il contient la substance, sinon les détails.
Ces trois documents établissent que, à l’anéantissement de la Pologne décidé antérieurement, Hitler n’assigna une date définitive que peu de temps avant le 22 août 1939. Ils montrent aussi que, malgré son espoir d’éviter un conflit avec la Grande-Bretagne et la France, Hitler savait parfaitement qu’il courait ce risque, mais il était décidé à l’accepter.
Les événements des derniers jours d’août confirment cette détermination. Le 22 août, le jour même où fut prononcé le discours qu’on vient de mentionner, le Premier Ministre britannique écrivit à Hitler une lettre dont on peut extraire ce passage :
« Ayant ainsi clairement indiqué notre attitude, je tiens à vous répéter ma conviction qu’une guerre entre nos deux peuples serait la plus grande des calamités qui pourrait se produire.»
Hitler répondit le 23 août :
« La question d’un règlement pacifique des problèmes européens ne dépend pas de l’Allemagne, mais surtout de ceux qui, depuis le criminel Traité de Versailles, se sont obstinément et constamment opposés à une révision pacifique de ce Traité. Ce n’est que lorsqu’il se produira un revirement dans la mentalité des puissances responsables qu’il pourra y avoir un changement réel dans les relations entre l’Angleterre et l’Allemagne. »
Il s’ensuivit de nombreux appels à Hitler tendant à le dissuader de résoudre la question polonaise par la guerre. Ils furent notamment lancés par le Président Roosevelt, le 24 et le 25 août, par Sa Sainteté le Pape, le 24 et le 31 août, et par M. Daladier, Président du Conseil français, le 26 août. Ces appels furent vains.
Le 25 août, la Grande-Bretagne signa avec la Pologne un pacte d’assistance mutuelle, renforçant l’engagement qu’elle avait déjà pris précédemment à son égard. Cet accord, ainsi que le manque d’empressement manifesté par Mussolini à participer à la guerre aux côtés de l’Allemagne, fit momentanément hésiter Hitler. L’invasion de la Pologne qui devait commencer le 26 août fut retardée jusqu’à ce qu’une autre tentative eût été faite pour persuader la Grande-Bretagne de ne pas intervenir. Hitler lui ayant proposé de conclure une entente, une fois la question polonaise réglée, le Gouvernement du Royaume-Uni proposa, en réponse, de trancher le désaccord polonais par des négociations. Le 29 août, Hitler fit savoir à l’Ambassadeur britannique que le Gouvernement allemand, bien que sceptique quant au résultat, serait prêt à entrer en pourparlers directs avec un envoyé polonais à condition qu’il se présentât à Berlin, muni de pleins pouvoirs, le lendemain 30 août avant minuit. Le Gouvernement polonais fut informé de cette proposition mais, ayant en mémoire l’exemple de Schuschnigg et celui de Hacha, il décida de ne pas envoyer cet émissaire. Le 30 août, à minuit, von Ribbentrop donna hâtivement à l’Ambassadeur britannique lecture d’un document formulant pour la première fois, avec précision, les exigences allemandes à l’égard de la Pologne. Il refusa de remettre à ce diplomate une copie du document et déclara que, de toutes façons, il était d’ores et déjà trop tard, puisqu’aucun plénipotentiaire polonais n’était encore arrivé.
Le Tribunal juge que la manière dont ces négociations ont été conduites par Hitler et par von Ribbentrop montre qu’elles étaient dénuées de bonne foi et ne témoignaient pas de leur désir de maintenir la paix, mais visaient uniquement à empêcher la Grande-Bretagne et la France de faire honneur à leurs engagements envers la Pologne.
De son côté, Göring essaya, en vain, d’isoler la Pologne, en persuadant la Grande-Bretagne de ne pas tenir sa parole et utilisa à cet effet les services du Suédois Birger Dahlerus. Ce dernier, que Göring a fait citer au Procès, connaissait parfaitement l’Angleterre et les questions anglaises. Au mois de juillet 1939, désireux d’améliorer les relations germano-britanniques et d’empêcher une guerre entre ces deux pays, il se mit en rapport avec Göring ainsi qu’avec certains milieux officiels de Londres ; pendant la dernière partie du mois d’août, il servit au Maréchal du Reich d’intermédiaire officieux chargé d’obtenir du Gouvernement britannique qu’il renonçât à s’opposer aux intentions allemandes à l’égard de la Pologne. Dahlerus ignorait, à cette époque la décision qu’avait prise Hitler et qu’il avait confidentiellement fait connaître le 22 août, et ne connaissait pas non plus les directives militaires existantes concernant l’attaque contre la Pologne. Comme il l’a reconnu à l’audience au cours de sa déposition, ce fut seulement le 26 septembre, après que la conquête de la Pologne eut été virtuellement terminée, qu’il se rendit compte, pour la première fois, que le but recherché par Göring avait toujours été d’obtenir le consentement de la Grande-Bretagne aux visées allemandes sur la Pologne.
Toutes les tentatives faites pour obtenir de l’Allemagne qu’elle acceptât un règlement raisonnable du conflit germano-polonais échouèrent et Hitler, le 31 août, lança l’ordre final fixant à l’aube du 1er septembre le déclenchement de l’attaque contre la Pologne et prévoyant les opérations qu’il faudrait entreprendre si la Grande-Bretagne et la France entraient en guerre pour défendre leur alliée.
Le Tribunal estime que les événements qui précédèrent immédiatement le 1er septembre montrent que Hitler et ses complices étaient, en dépit de toutes les protestations qui leur parvenaient, résolus à mettre coûte que coûte à exécution leur projet d’invasion de la Pologne. Hitler, encore qu’il sût que son action entraînerait une guerre avec la Grande-Bretagne et la France, était décidé à ne pas s’écarter de la voie qu’il s’était tracée. Le Tribunal est pleinement convaincu par les preuves qui lui ont été soumises que la guerre déclenchée par l’Allemagne contre la Pologne, le 1er septembre 1939, était une guerre d’agression, qui devait par la suite engendrer un conflit mondial et entraîner la perpétration d’un nombre incalculable de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité.
La guerre contre la Pologne ne fut qu’un début. L’agression nazie se porta rapidement d’un pays à l’autre. Le Danemark et la Norvège en furent les premières victimes.
Le 31 mai 1939 était intervenu entre l’Allemagne et le Danemark un traité de non-agression qui fut signé par von Ribbentrop. Il y était solennellement déclaré que les parties contractantes étaient « fermement résolues à maintenir la paix entre le Danemark et l’Allemagne, en toutes circonstances ». L’Allemagne envahit néanmoins le Danemark le 9 avril 1940.
Le 2 septembre 1939, après que la guerre avec la Pologne eut éclaté, le Gouvernement allemand adressait à la Norvège une assurance solennelle conçue dans les termes suivants :
« Le Gouvernement du Reich allemand est résolu, en raison des relations d’amitié existant entre la Norvège et l’Allemagne, à ne porter préjudice en aucune circonstance à l’inviolabilité et à l’intégrité de la Norvège et à respecter son territoire. En faisant cette déclaration, le Gouvernement du Reich s’attend naturellement à ce que, de son côté, la Norvège observe une neutralité irréprochable envers le Reich et il ne tolérera aucune violation de la neutralité de la Norvège de la part d’un tiers. Si le Gouvernement royal norvégien devait s’écarter de cette attitude, en favorisant une violation de neutralité de cette nature, le Gouvernement du Reich serait alors obligé de sauvegarder ses intérêts selon les exigences de la situation. »
Le 9 avril 1940, poursuivant l’exécution de son plan, l’Allemagne envahit la Norvège.
L’idée de cette campagne prit naissance, semble-t-il, dans l’esprit des accusés Raeder et Rosenberg. Le 3 octobre 1939, Raeder avait préparé un mémorandum sur « l’acquisition de bases en Norvège ». Parmi les questions discutées se trouvait celle-ci : « Est-il possible d’obtenir des bases par la force des armes et contre la volonté de la Norvège, s’il est impossible de le faire sans combattre ? » En dépit de ce projet agressif, l’Allemagne, trois jours plus tard, donna à la Norvège des assurances supplémentaires qui disaient notamment :
« L’Allemagne n’a jamais eu de conflits d’intérêt, ni même de différends avec les États nordiques et elle n’en a pas davantage à l’heure actuelle. »
Quelques jours après, Dönitz rédigea un mémoire traitant également de la question des bases norvégiennes et suggéra l’établissement d’un point d’appui à Trondhjeim ou d’un dépôt de carburants à Narvik. Au même moment, Raeder écrivit à ce sujet à l’amiral Karls qui lui fit remarquer l’intérêt qu’aurait l’Allemagne à occuper la côte norvégienne. Le 10 octobre, Raeder mit Hitler au courant des inconvénients qui résulteraient pour l’Allemagne d’une occupation de cette côte par les troupes britanniques. Pendant les mois d’octobre et de novembre, l’occupation éventuelle de la Norvège fit l’objet d’études menées par Raeder en collaboration avec « L’Organisation Rosenberg » ; cette dernière était le Bureau des Affaires étrangères du parti nazi et Rosenberg, en sa qualité de Reichsleiter, en avait la charge. Au début de décembre, Quisling, le traître norvégien notoire, se rendit à Berlin où il fut reçu par Rosenberg et Raeder, auxquels il soumit le plan d’un coup d’état en Norvège. Le 12 décembre, au cours d’une conférence tenue entre Hitler, Keitel, Jodl et l’État-Major naval, Raeder fit un rapport sur les projets dont Quisling lui avait fait part. Le 16 décembre, Hitler, en personne, s’entretint avec Quisling de ces questions. Dans le compte rendu des activités du Bureau des Affaires étrangères du parti nazi concernant la période 1933-1943, il est dit, sous le titre « Préparations politiques pour l’occupation militaire de la Norvège », que, lors de son entrevue avec Quisling, Hitler déclara qu’il préférerait que la Norvège observât comme toute la Scandinavie une attitude de neutralité, car il ne désirait pas étendre le théâtre de la guerre ou entraîner d’autres nations dans le conflit. Mais si l’ennemi étendait le champ des opérations, Hitler serait obligé de se défendre contre cette entreprise. Enfin, il promit son appui financier et confia à un état-major spécial l’examen des questions militaires que soulevait cette campagne.
Le 27 janvier 1940, Keitel rédigea un mémorandum concernant les plans d’invasion de la Norvège. Le 28 février, Jodl notait dans son journal :
« Je proposai d’abord au Chef de l’OKW, et ensuite au Führer, que le « Cas Jaune » (c’est-à-dire l’opération contre les Pays-Bas) et l’« Exercice Weser », (c’est-à-dire l’opération contre la Norvège et le Danemark) fussent préparés de manière à être indépendants l’un de l’autre en ce qui concerne non seulement le moment choisi, mais aussi les forces employées. »
Le 1er mars, Hitler lança un ordre concernant l’« Exercice Weser » et contenant le passage suivant :
« Le développement de la situation en Scandinavie exige que soient faits tous les préparatifs en vue de l’occupation du Danemark et de la Norvège par une partie des Forces armées allemandes. Cette opération doit empêcher une intervention britannique en Scandinavie et dans la Baltique ; de plus, elle doit protéger notre source de minerai en Suède et donner à notre Marine et à notre Aviation une ligne de départ plus étendue contre la Grande-Bretagne… Le franchissement de la frontière danoise et le débarquement en Norvège doivent avoir lieu simultanément… Il est de la plus haute importance que les États scandinaves ainsi que les pays de l’Ouest soient surpris par nos mesures. »
Le 24 mars, les ordres d’opérations navales relatifs à l’« Exercice Weser » furent donnés et suivis le 30 mars par ceux de Dönitz, Commandant en chef de la flotte sous-marine. Le 9 avril 1940, les Forces allemandes envahissaient la Norvège et le Danemark.
Il ressort clairement de ce récit que, dès octobre 1939, la question de l’invasion de la Norvège était envisagée. La Défense a prétendu que l’Allemagne s’était vue obligée d’attaquer la Norvège pour prévenir un débarquement allié et que, par conséquent, ces opérations revêtaient un caractère préventif.
Il y a lieu de rappeler ici qu’une action préventive en territoire étranger ne se justifie que dans le cas d’« une nécessité pressante et urgente de défense, qui ne permet ni de choisir les moyens, ni de délibérer » (affaire Caroline, Moore’s Digest of International Law, II, 412). Il n’est pas possible de savoir exactement dans quelle mesure les milieux allemands influents s’attendaient à une occupation de la Norvège par les Alliés, Quisling estimait que ces derniers interviendraient en Norvège avec l’assentiment tacite du Gouvernement de ce pays. La Légation allemande à Oslo, contrairement à l’avis de son Attaché naval, ne partageait pas ce point de vue.
Selon le journal de guerre de l’État-Major allemand des opérations navales en date du 13 janvier 1940, le chef de cet État-Major pensait que la solution la plus favorable serait de maintenir la neutralité de la Norvège, mais il était fermement convaincu que l’Angleterre projetait d’occuper ce pays dans un proche avenir, avec le consentement tacite du Gouvernement d’Oslo.
L’ordre donné par Hitler, le 1er mars 1940, en vue de l’attaque du Danemark et de la Norvège stipulait que l’opération « avait pour objet de prévenir une intervention britannique en Scandinavie et dans la Baltique ».
On ne doit cependant pas oublier que le mémoire de Raeder, en date du 3 octobre 1939, ne contient aucune mention de cette nature, mais indique simplement comme but de l’attaque : « l’amélioration de notre position stratégique et tactique ».
Ce mémoire d’ailleurs, ainsi que celui de Dönitz en date du 9 octobre 1939, est intitulé : « Conquête de bases en Norvège ». La même observation est valable mutatis mutandis pour le mémoire de l’accusé Dönitz du 9 octobre 1939.
Aussi bien, Jodl inscrivait-il dans son journal, le 13 mars 1940 :
« Le Führer ne donne pas encore d’ordres pour « W » (Exercice Weser). Il cherche toujours une excuse. » (Justification ?)
Le 14 mars, il écrivait encore :
« Le Führer n’a pas encore décidé quelle raison il faudrait donner pour l’Exercice Weser. »
Le 21 mars 1940, il consignait les déceptions que ressentait le Corps expéditionnaire XXI devant le long intervalle écoulé entre la date de la prise de positions d’alerte et la fin des négociations diplomatiques et ajoutait :
« Le Führer rejette l’idée de toute négociation préliminaire pour éviter que ne soient adressés à l’Angleterre et à l’Amérique des appels à l’aide. Si une résistance se produit, elle doit être réprimée impitoyablement. »
Le 2 avril, il mentionne que tous les préparatifs sont achevés ; le 4 avril, l’ordre d’opérations navales était donné et, le 9 avril, l’invasion commençait.
Il ressort clairement de ce qui précède que, lorsque les plans d’attaque pour la Norvège furent élaborés, ce fut non pas pour prévenir un débarquement allié imminent, mais tout au plus une occupation alliée ultérieure.
Le 23 mars 1940, après que les ordres définitifs pour l’invasion de la Norvège par l’Allemagne eurent été donnés, le journal de l’État-Major des opérations navales mentionna :
« Une intervention massive des Anglais dans les eaux territoriales norvégiennes… ne doit pas être attendue actuellement. »
Et une note de l’amiral Assmann, en date du 26 mars, indique :
« Un débarquement britannique en Norvège ne doit pas être pris au sérieux. »
La Défense s’est appuyée sur des documents qui furent saisis plus tard par les Allemands et qui démontreraient que le plan allié, visant à occuper des ports et des aérodromes de Norvège occidentale, était bien arrêté, malgré son retard sur les plans allemands qui présidèrent à l’exécution effective de l’invasion. D’après ces documents, un plan modifié avait été finalement adopté le 20 mars ; un convoi devait quitter l’Angleterre le 5 avril et la pose de mines dans les eaux norvégiennes devait commencer le même jour ; ces documents indiquent aussi que, le 5 avril, la date de départ fut reportée au 8 avril. Quoi qu’il en soit, ces plans ne furent pas la cause de l’invasion allemande. C’est pour acquérir des bases d’attaque plus efficaces contre l’Angleterre et contre la France que l’Allemagne occupa la Norvège selon des plans établis bien avant les plans alliés, sur lesquels on s’appuie aujourd’hui pour invoquer le prétexte de la légitime défense.
On a prétendu au surplus que, dans ce cas, et, conformément aux réserves formulées par diverses puissances signataires, lors de la conclusion du Pacte Briand-Kellogg, il appartenait à l’Allemagne de juger en dernier ressort de la nécessité d’une action préventive. Mais si le Droit international doit jamais devenir une réalité, la question de savoir si une action entreprise sous le prétexte de la légitime défense était de caractère agressif ou bien défensif, devra faire l’objet d’une enquête appropriée et d’un arbitrage.
Quant au Danemark, il n’a pas été soutenu qu’un plan d’occupation ait été établi par un belligérant quelconque autre que l’Allemagne et rien n’a été invoqué pour justifier cette agression.
Lorsque les armées allemandes entrèrent en Norvège et au Danemark, un mémoire fut remis à chacun des Gouvernements de ces deux pays, pour leur donner l’assurance que les troupes allemandes ne venaient pas en ennemies et qu’elles n’avaient pas l’intention de se servir comme bases d’opérations contre l’Angleterre des points qu’elles occuperaient, à moins qu’elles n’y soient forcées par l’attitude de l’Angleterre et de la France. Ce document spécifiait que la présence de ces troupes avait pour seul but de protéger le Nord contre le projet que formaient les Forces franco-britanniques d’occuper certains points stratégiques norvégiens.
Le mémoire ajoutait que l’Allemagne n’avait pas l’intention de violer l’intégrité territoriale et l’indépendance du Royaume de Norvège, ni dans le présent ni dans l’avenir. Néanmoins, un rapport de la marine allemande, en date du 3 juin 1940, discutait de l’utilisation ultérieure de la Norvège et du Danemark, et proposait notamment que les territoires danois et norvégien acquis pendant la guerre fussent à l’avenir organisés de façon à pouvoir être considérés comme possessions allemandes.
À la lumière des preuves présentées, le Tribunal estime qu’on ne peut soutenir valablement l’argument selon lequel l’invasion du Danemark et celle de la Norvège auraient été de nature défensive et, selon son opinion, ces invasions constituent des actes d’agression.
Le projet d’invasion de la Belgique et des Pays-Bas fut d’abord étudié en août 1938, au moment où se préparait l’attaque contre la Tchécoslovaquie et où se dessinait la possibilité d’un conflit armé avec la France et l’Angleterre. On mit alors en relief les avantages qui résulteraient pour l’Allemagne de l’utilisation à ses propres fins de la Belgique et des Pays-Bas, surtout comme bases aériennes dans une guerre contre l’Angleterre et contre la France.
En mai 1939, lorsque Hitler se décida irrévocablement à attaquer la Pologne et dut en conséquence prévoir l’éventualité d’une guerre contre l’Angleterre et contre la France, il déclara à ses chefs militaires :
«Les bases aériennes belges et néerlandaises doivent être occupées Il ne faut pas tenir compte des déclarations de neutralité. »
Le 22 août de la même année, il exprima devant les mêmes auditeurs l’opinion que l’Angleterre et la France ne « violeraient pas la neutralité de ces pays ». À la même époque, il donnait à la Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg l’assurance qu’il respecterait leur neutralité et, le 6 octobre 1939, après la campagne de Pologne, il renouvelait cette assurance. Le 7 octobre, le général von Brauchitsch ordonnait au Groupe d’armées B de se préparer « pour l’invasion immédiate du territoire néerlandais et belge, si la situation politique l’exigeait ». Par une série d’ordres signés des accusés Keitel et Jodl, l’attaque fut fixée au 10 novembre 1939, mais fut ensuite retardée jusqu’en mai 1940 en raison des conditions météorologiques et des problèmes de transport.
Lors de la conférence qui se tint le 23 novembre 1939, Hitler déclara :
« Nous avons un talon d’Achille : la Ruhr. Le progrès de la guerre dépend de la possession de cette région. Si l’Angleterre et la France avancent à travers la Belgique et les Pays-Bas jusque dans la Ruhr, nous nous trouverons dans une situation des plus dangereuses… Certainement l’Angleterre et la France prendront l’offensive contre l’Allemagne dès qu’elles seront armées. Elles disposent de moyens par lesquels elles peuvent forcer la Belgique et les Pays-Bas à leur demander aide. Dans ces deux pays, la France et l’Angleterre jouissent de toutes les sympathies… Si l’armée française entre en Belgique afin de nous attaquer, il sera déjà trop tard pour nous. Nous devons les devancer… Le long des côtes anglaises, nous poserons des mines qu’on ne pourra pas enlever. Cette guerre de mines, menée avec l’aide de la Luftwaffe, nécessite une nouvelle base de départ. L’Angleterre ne peut pas vivre sans ses importations alors que nous pouvons assurer nous-mêmes notre subsistance. Si nous posons continuellement des mines le long des côtes anglaises, nous réduirons l’Angleterre à notre merci. Mais nous ne pouvons atteindre ce but que si nous occupons d’abord la Belgique et les Pays-Bas. Ma décision est irrévocable ; j’attaquerai la France et l’Angleterre au moment le plus propice et aussi rapidement que possible. La violation de la neutralité de la Belgique et des Pays-Bas ne signifie rien. Personne ne nous en demandera compte quand nous aurons vaincu. Nous ne procéderons pas à cette violation de neutralité aussi bêtement qu’en 1914. Si nous ne violons pas cette neutralité, l’Angleterre et la France le feront. Sans offensive, il est impossible de mener la guerre à une fin victorieuse. »
Le 10 mai 1940, les Forces armées allemandes envahissaient les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Le même jour, les ambassadeurs d’Allemagne remettaient aux Gouvernements néerlandais et belge un mémoire où l’on prétendait que les armées britannique et française, avec le consentement de la Belgique et des Pays-Bas, se préparaient à traverser ces deux pays afin d’attaquer la Ruhr et où l’on tentait, par cet argument, de justifier l’invasion allemande. L’Allemagne assurait néanmoins les Pays-Bas et la Belgique que l’intégrité de leurs territoires et de leurs possessions serait respectée. Le même jour, un mémoire analogue fut remis au Gouvernement luxembourgeois.
Aucune preuve n’a été fournie au Tribunal pour étayer l’affirmation selon laquelle les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg auraient été envahis par l’Allemagne parce que l’Angleterre et la France avaient déjà projeté une occupation de ces pays. Il est vrai que les États-Majors britannique et français avaient collaboré à la préparation de certains projets d’opérations militaires devant se dérouler en Belgique et aux Pays-Bas, mais le but de ces projets était seulement de défendre ces pays dans le cas d’une attaque allemande.
Rien, en conséquence, ne peut justifier l’invasion de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg. Elle fut entreprise en application d’une politique élaborée et mûrie de longue date : elle constitue manifestement une guerre d’agression. La décision d’envahir ces pays fut prise à la seule fin de poursuivre les buts de la politique allemande d’agression.
Le 12 août 1939, Hitler, lors d’un échange de vues avec Ciano et von Ribbentrop à Obersalzberg, déclara :
« D’un point de vue général, le mieux serait de liquider les neutres l’un après l’autre. Mais nous pourrions le faire plus facilement si, chaque fois, l’un des partenaires de l’Axe protégeait l’autre pendant qu’il s’occupe du neutre indécis. L’Italie devrait considérer la Yougoslavie comme un neutre de cette espèce. »
Cette remarque fut faite seulement deux mois après les assurances que Hitler avait données à la Yougoslavie, aux termes desquelles il considérait les frontières de ce pays comme définitives et inviolables. À l’occasion de la visite en Allemagne du Prince Régent de Yougoslavie, le 1er juin 1939, Hitler avait publiquement déclaré :
« Les relations de confiance, qui se sont finalement établies entre l’Allemagne et la Yougoslavie depuis que les événements historiques nous ont faits voisins et nous ont donné une frontière commune fixée pour toujours, garantiront non seulement une paix durable entre nos deux peuples, mais représenteront aussi un élément de calme sur notre continent tourmenté. Cette paix est le but de tous ceux qui sont disposés à faire un travail vraiment constructif. »
Le 6 octobre 1939, l’Allemagne renouvelait ces assurances après que Hitler et von Ribbentrop eurent échoué dans leurs efforts pour décider l’Italie à entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne, en attaquant la Yougoslavie. Le 28 octobre 1940, l’Italie envahissait la Grèce, mais ses opérations militaires ne furent pas couronnées de succès. En novembre, Hitler, écrivant à Mussolini au sujet de cette invasion et de l’extension de la guerre dans les Balkans, lui faisait remarquer que des opérations militaires ne pourraient pas être entreprises dans ces régions avant le mois de mars de l’année suivante et que la Yougoslavie devait donc, si cela était possible, être conquise par d’autres méthodes. Cependant, le 12 novembre 1940, Hitler publiait des directives militaires où l’on peut lire :
« Les Balkans : le Commandant en chef de l’Armée se préparera à l’occupation de la Grèce continentale, au nord de la mer Égée, en l’envahissant, au besoin, par la Bulgarie. »
Le 13 décembre, une autre directive concernant l’opération « Marita » (nom conventionnel désignant l’invasion de la Grèce) disait :
« Le résultat des combats en Albanie n’est pas encore décisif. En raison de la situation périlleuse dans ce pays, il est doublement nécessaire que la tentative britannique de créer des bases aériennes sous la protection d’un front balkanique échoue complètement, en raison du danger que ce front présenterait pour l’Italie et pour les champs pétrolifères roumains.
« Mon plan est donc :
« a) De constituer d’ici un mois en Roumanie méridionale, une formation qu’on renforcerait peu à peu ;
« b) Lorsque le temps se sera fixé au beau, en mars probablement, d’envoyer une autre unité chargée d’occuper, en passant par la Bulgarie, la côte nord de la mer Égée et, au besoin, tout le continent grec. »
Le 20 janvier 1941, lors d’une conférence avec Mussolini à laquelle assistaient von Ribbentrop, Keitel, Jodl et d’autres personnalités, Hitler déclara :
« La concentration de troupes en Roumanie vise un triple but :
« a) Opération contre la Grèce ;
« b) Protection de la Bulgarie contre la Russie et la Turquie ;
« c) Sauvegarde de la garantie donnée à la Roumanie… Il est à souhaiter que ce déploiement de forces s’achève sans intervention de l’ennemi. Par conséquent, ne découvrir son jeu que le plus tard possible. On s’efforcera de traverser le Danube au dernier moment et de se mettre en formation de combat au plus tôt. »
Le 19 février 1941, une directive de l’OKW, au sujet de l’opération « Marita », spécifiait :
« Le 18 février, le Führer a pris, à propos de l’exécution de l’opération « Marita », la décision qui suit :
« Les dates ci-après sont prévues :
« Commencement de la construction d’un pont, 28 février ; passage du Danube, 2 mars. »
Le 3 mars 1941, les troupes britanniques débarquaient en Grèce pour aider ce pays à résister à l’Italie, et le 18 mars, au cours d’une réunion à laquelle assistaient Hitler, Keitel et Jodl, Raeder demanda confirmation du projet suivant lequel « toute la Grèce devait être occupée, même dans l’éventualité d’un règlement pacifique ». Hitler lui répondit : « L’occupation complète est une condition préalable à tout règlement ».
Le 25 mars, au cours d’une réunion tenue à Vienne, à l’occasion de l’adhésion de la Yougoslavie au Pacte Tripartite, von Ribbentrop confirma, au nom du Gouvernement allemand, la décision de l’Allemagne de respecter en tout temps la souveraineté et l’intégrité de la Yougoslavie. Le 26 mars, à leur retour de Vienne, les ministres yougoslaves qui avaient adhéré au Pacte Tripartite furent démis de leurs fonctions par suite d’un coup d’état survenu à Belgrade et le nouveau Gouvernement rejeta le Pacte. Le 27 mars, au cours d’une conférence tenue à Berlin devant le Haut Commandement, et en présence de Goring, de Keitel, de Jodl et, pendant un certain temps, de von Ribbentrop, Hitler déclara que la Yougoslavie était un facteur d’incertitude en ce qui concernait l’attaque projetée contre la Grèce et davantage encore en ce qui concernait celle qui devait être dirigée ensuite contre la Russie. Il ajouta qu’il était décidé à faire tous les préparatifs nécessaires à l’anéantissement militaire et politique de la Yougoslavie, sans attendre de possibles déclarations de loyalisme émanant du nouveau Gouvernement.
Le 6 avril 1941, les Forces allemandes envahissaient la Grèce et la Yougoslavie et Belgrade était bombardé par la Luftwaffe. Cette invasion avait été si rapide qu’on n’avait même pas eu le temps d’organiser un seul des « incidents » habituels, ni d’inventer et de publier des « explications politiques » appropriées. Le 6 avril, dès le début de l’attaque, Hitler déclara au peuple allemand que cette attaque était nécessaire parce que l’envoi de troupes britanniques en Grèce, destinées à défendre ce pays contre l’Italie, représentait une tentative anglaise d’étendre la guerre aux Balkans.
La suite des événements qu’on vient de rappeler montre que, de toute évidence, la guerre d’agression déclenchée contre la Grèce et contre la Yougoslavie avait été envisagée longtemps à l’avance, en tout cas dès le mois d’aout 1939. Le fait que la Grande-Bretagne était venue au secours des Grecs et aurait pu être ainsi à même de compromettre sérieusement par la suite les intérêts allemands servit de prétexte à l’occupation des deux pays.
Le 23 août 1939, l’Allemagne signait avec l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques un pacte de non-agression.
Il a été démontré que non seulement l’Union Soviétique, pour sa part, s’était conformée aux termes de ce pacte, mais encore que le Gouvernement allemand connaissait cette attitude, grâce aux rapports de ses représentants les plus autorisés. Il apprit ainsi, par son ambassadeur à Moscou que l’Union Soviétique n’entrerait en guerre que si elle était attaquée par l’Allemagne ; la déclaration de ce diplomate fut d’ailleurs consignée dans le journal de guerre allemand, à la date du 6 juin 1941.
Néanmoins, dès la fin de l’été 1940, l’Allemagne, en dépit du pacte de non-agression, commençait ses préparatifs d’attaque contre l’URSS. Cette opération fut étudiée secrètement sous le nom conventionnel de « Cas Barbarossa » et l’ancien feldmarschall Paulus a témoigné devant le Tribunal qu’à partir du 3 septembre 1940, date à laquelle il rejoignait le Grand État-Major allemand, il avait participé à la préparation de ce plan qui fut entièrement terminé au début de novembre 1940.
Aux dires de ce témoin, le Grand État-Major allemand ne possédait à cette date aucune information relative à une attaque de l’Union Soviétique contre l’Allemagne.
Le 18 décembre 1940, Hitler, par la directive no 21 que paraphèrent Keitel et Jodl, exigeait l’achèvement, pour le 15 mai 1941, de tous les préparatifs liés à la mise en œuvre du « Cas Barbarossa ». Cette directive stipulait :
« On doit apporter le plus grand soin à ne pas divulguer l’intention d’attaquer. Les Forces armées allemandes doivent être prêtes à écraser la Russie soviétique par une campagne rapide, avant la fin de la guerre contre l’Angleterre. »
Précédemment à cette instruction, Göring avait fait connaître le plan d’ensemble du général Thomas, chef du Service de l’économie de guerre de l’OKW et celui-ci avait rédigé des rapports sur les possibilités économiques de l’URSS, ses matières premières, son système de transport et sa capacité de fabrication d’armes.
Conformément aux conclusions de ces rapports, un État-Major économique pour les territoires de l’Est fut créé, comprenant plusieurs unités placées sous la haute direction de Göring. Ces unités devaient, en liaison avec le Commandement militaire, poursuivre, dans l’intérêt de l’Allemagne et de la façon la plus complète et la plus efficace, l’exploitation des territoires occupés.
Le cadre de la future organisation politique et économique de ceux-ci fut mis au point par Rosenberg pendant plus de trois mois, après de nombreuses conférences et avec l’aide de Keitel, de Jodl, de Raeder, de Funk, de Göring, de von Ribbentrop, de Frick, de Fritzsche ou de leurs représentants. Un rapport détaillé fut rédigé à ce sujet aussitôt après l’invasion.
Les plans prévus esquissaient un projet de destruction de l’Union Soviétique en tant qu’État indépendant et son partage par la création de « Commissariats du Reich » et la transformation en colonies allemandes de l’Esthonie, de la Lithuanie, de la Russie Blanche et de divers autres territoires. En même temps qu’elle travaillait à ces projets. L’Allemagne entraînait la Hongrie, la Roumanie et la Finlande dans la guerre contre la Russie. En décembre 1940, la Hongrie acceptait d’y prendre part contre la promesse qu’elle obtiendrait certains territoires aux dépens de la Yougoslavie. En mai 1941, fut conclu avec Antonesco, Premier Ministre de Roumanie, un accord prévoyant l’intervention de ce dernier pays contre l’URSS, en échange de la promesse de recevoir la Bessarabie et le nord de la Bukovine, et du droit d’occuper le territoire soviétique jusqu’au Dnieper.
Le 22 juin 1941, l’Allemagne, en application de plans depuis longtemps établis, envahissait le territoire soviétique sans déclaration de guerre.
Les preuves apportées au Tribunal montrent que l’Allemagne avait le dessein réfléchi d’écraser la puissance militaire et politique de l’URSS, afin de pouvoir s’étendre à l’Est, conformément à son désir. Dans Mein Kampf, Hitler avait écrit :
« Si l’on devait acquérir de nouveaux territoires en Europe, on devrait le faire principalement aux dépens de la Russie et, une fois de plus, le nouvel Empire allemand suivrait la même route que celle des chevaliers teutoniques naguère. Il s’agirait cette fois de conquérir à la pointe de l’épée des territoires pour l’agriculture allemande et de fournir ainsi à la nation son pain quotidien. »
Mais on se proposait un but plus immédiat qui consistait d’après les termes d’un rapport de l’OKW, à nourrir les armées allemandes, pendant la troisième année de la guerre, aux dépens du territoire soviétique, même si « cela devait, comme disait Rosenberg, amener des millions de gens à mourir de faim parce que tout ce qui nous était nécessaire avait été pris par nous. »
L’objectif final de l’attaque contre l’Union Soviétique a été décrit au cours d’une conférence tenue par Hitler, le 16 juillet 1941, en présence de Göring, Keitel, Rosenberg et Bormann.
« Il n’est pas question de laisser se créer une puissance militaire à l’ouest de l’Oural quand bien même nous devrions lutter pendant cent ans pour empêcher cela… Toutes les régions de la Baltique doivent être incorporées dans le Reich, ainsi que la Crimée et les pays avoisinants (nord de la Crimée). La région de la Volga aussi bien que le district de Bauk doivent aussi être intégrés dans le Reich. Les Finnois veulent la Carélie orientale. Cependant la presqu’île de Kola doit être cédée à l’Allemagne à cause des importants gisements de nickel qui s’y trouvent. »
La Défense a soutenu que l’attaque contre l’URSS était justifiée parce que l’Union Soviétique avait elle-même l’intention d’attaquer l’Allemagne, et se préparait à le faire ; mais, à la lumière des preuves, il est difficile de croire que l’Allemagne ait jamais envisagé ce point de vue.
Les plans prévoyant l’exploitation économique de l’URSS, le déplacement massif de populations, l’assassinat de commissaires et de chefs politiques s’intégraient tous dans le projet soigneusement préparé dont l’exécution, commencée le 22 juin sans avertissement aucun et sans l’ombre d’une excuse juridique, a constitué l’agression la plus évidente.
Quatre jours après l’attaque du 7 décembre 1941 lancée par les Japonais contre la flotte américaine à Pearl Harbor, l’Allemagne déclarait la guerre aux États-Unis.
Le Pacte Tripartite entre l’Allemagne, l’Italie et le Japon avait été signé le 27 septembre 1940, et, depuis cette date jusqu’au jour de l’agression contre l’URSS, von Ribbentrop et d’autres accusés s’efforcèrent d’inciter le Japon à s’emparer des possessions britanniques en Extrême-Orient. Cela, pensait-on, précipiterait la défaite de l’Angleterre et empêcherait les États-Unis d’entrer en guerre.
La possibilité d’une attaque directe contre les États-Unis fut envisagée et discutée comme une question à réserver pour l’avenir. Le commandant von Falkenstein, officier de liaison de la Luftwaffe auprès de l’État-Major des opérations de l’OKW, résumant en octobre 1940 à Berlin les problèmes militaires qu’il était nécessaire d’examiner, parla de la possibilité « de poursuivre la guerre contre l’Amérique à une date ultérieure ». Il est d’autre part évident que la politique allemande, consistant à faire obstacle si possible à l’entrée de l’Amérique en guerre, n’a pas empêché l’Allemagne de promettre son appui au Japon contre les États-Unis. Le 4 avril 1941, Hitler, en présence de von Ribbentrop, disait au ministre des Affaires étrangères japonais Matsuoka que l’Allemagne « frapperait sans attendre » si une attaque de Singapour par les troupes japonaises devait conduire à une guerre entre le Japon et les États-Unis. Le lendemain, von Ribbentrop lui-même insista auprès de Matsuoka pour qu’il entraînât le Japon dans la guerre.
Le 28 novembre 1941, dix jours avant l’attaque de Pearl Harbor, von Ribbentrop encourageait le Japon, par l’intermédiaire de son ambassadeur à Berlin, à attaquer la Grande-Bretagne et les États-Unis : il déclara que, si le Japon entrait en guerre contre les États-Unis, l’Allemagne interviendrait immédiatement. Quelques jours plus tard, des représentants japonais informèrent l’Allemagne et l’Italie que leur pays se préparait à attaquer les États-Unis et leur demandèrent leur appui. L’Allemagne et l’Italie y consentirent, bien qu’aux termes du Pacte Tripartite, elles ne se fussent engagées à assister le Japon que s’il était attaqué. Quand l’agression contre Pearl Harbor eut lieu, von Ribbentrop devint, a-t-on dit, « fou de joie » et, plus tard, lors d’une cérémonie à Berlin au cours de laquelle une décoration allemande fut décernée à l’ambassadeur japonais Oshima, Hitler fit connaître son approbation de la tactique adoptée par les Japonais dans leurs négociations avec les États-Unis, tactique qui avait consisté à faire traîner les choses en longueur et à frapper durement sans déclaration de guerre.
Bien qu’il soit vrai que Hitler et ses complices n’aient pas tout d’abord pensé qu’un conflit avec les États-Unis servirait leurs intérêts, il est évident qu’au cours de l’année 1941, leur point de vue changea et qu’ils encouragèrent le Japon, de toutes les façons possibles, à adopter une politique qui devait amener presque certainement les États-Unis à entrer en guerre. Et lorsque le Japon attaqua la flotte américaine à Pearl Harbor, déclenchant ainsi une guerre d’agression contre les États-Unis, le Gouvernement nazi leur déclara aussitôt la guerre, plaçant ainsi l’Allemagne aux côtés du Japon.
Selon la définition du Statut, préparer ou mener une guerre d’agression en violation de traités internationaux constitue un crime. Le Tribunal estime que certains des accusés ont préparé et mené des guerres d’agression contre douze nations et sont donc coupables de ces crimes. Il n’y a pas lieu de traiter en détail la question de la violation de traités ni d’examiner dans quelle mesure ces guerres d’agression furent aussi des « guerres menées en violation de traités, d’accords ou de garanties d’un caractère international ». Ces traités sont énumérés à l’appendice C de l’Acte d’accusation. Les plus importants sont les suivants :
Les Puissances signataires de la Convention de 1899 ont conclu l’accord suivant : « Avant d’en appeler aux armes… avoir recours, autant que les circonstances le permettent, aux bons offices ou à la médiation d’une ou de plusieurs puissances amies ». Un paragraphe analogue fut inséré en 1907 dans le texte de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux. Et à l’article premier de la Convention annexe relative à l’Ouverture des hostilités, on trouve cette formule bien plus précise :
« Les Puissances contractantes reconnaissent que des hostilités entre elles ne doivent pas commencer sans un avertissement préalable et non équivoque qui aura soit la forme d’une déclaration de guerre avec indication des motifs, soit celle d’un ultimatum, avec déclaration conditionnelle de guerre. »
L’Allemagne était partie à ces conventions.
Le Ministère Public fonde aussi son accusation sur la violation de certaines clauses du Traité de Versailles : l’interdiction de fortifier la rive gauche du Rhin (articles 42-44) ; l’obligation de « respecter intégralement l’indépendance de l’Autriche » (article 80) ; la renonciation à tous droits sur Memel (article 99) et sur la Ville libre de Dantzig (article 100) ; la reconnaissance de l’indépendance de l’État tchécoslovaque et aussi, dans la cinquième partie du Traité, des clauses militaires, navales et aériennes qui limitaient le réarmement de l’Allemagne, Il ne fait pas de doute que le Gouvernement allemand ait agi contrairement à toutes ces clauses dont les détails sont énumérés à l’appendice C de l’Acte d’accusation, En ce qui concerne le Traité de Versailles, il s’agit de :
1. La violation des articles 42 à 44 concernant la démilitarisation de la Rhénanie ;
2. L’annexion de l’Autriche, le 13 mars 1938, en violation de l’article 80 ;
3. L’incorporation de la région de Memel, le 22 mars 1939, en violation de l’article 99 ;
4. L’incorporation de la Ville libre de Dantzig, le 1er septembre 1939, en violation de l’article 100 ;
5. L’incorporation des provinces de Bohême et de Moravie, le 16 mars 1939, en violation de l’article 81 ;
6. La répudiation des clauses militaires, navales et aériennes en mars 1935.
Le 21 mai 1935, l’Allemagne annonçait que tout en dénonçant les clauses du traité relatives au désarmement, elle n’en respecterait pas moins les clauses territoriales et les stipulations du Traité de Locarno. En ce qui concerne les cinq premières violations sur lesquelles s’appuie le Ministère Public, le Tribunal estime que l’accusation est fondée.
Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails des nombreux traités conclus par l’Allemagne avec d’autres puissances. Des traités de garantie mutuelle ayant pour but d’assurer le maintien du statu quo territorial furent signés par l’Allemagne à Locarno, en 1925, avec la Belgique, la France, la Grande-Bretagne et l’Italie. L’Allemagne ratifia également à Locarno des traités d’arbitrage avec la Tchécoslovaquie, la Belgique et la Pologne.
L’article premier de ce dernier traité est caractéristique et stipule :
« Toutes contestations entre l’Allemagne et la Pologne, de quelque nature qu’elles soient… qui n’auraient pu être réglées à l’amiable par les procédés diplomatiques ordinaires, seront soumises pour jugement soit à un tribunal arbitral… »
L’Allemagne conclut, d’autre part, des conventions d’arbitrage et de conciliation avec les Pays-Bas, et le Danemark en 1926, et avec le Luxembourg en 1929. Enfin, l’Allemagne ratifia des traités de non-agression avec le Danemark et l’Union Soviétique en 1939.
Le Pacte de Paris fut signé le 27 août 1928 par l’Allemagne, les États-Unis, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon, la Pologne et d’autres pays. Plus tard, d’autres puissances y adhérèrent. Le Tribunal examinera incessamment la nature de ce Pacte et ses conséquences juridiques. Il n’est donc pas nécessaire d’en parler davantage ici, si ce n’est pour déclarer que le Tribunal estime que ce pacte a été violé par l’Allemagne dans tous les cas de guerre d’agression visés par l’Acte d’accusation. Il convient de noter que, le 26 janvier 1934, l’Allemagne a signé une déclaration en faveur du maintien de la « Paix permanente » avec la Pologne, déclaration qui se fonde explicitement sur le Pacte de Paris et aux termes de laquelle le recours à la force était exclu pour une période de dix ans.
Le Tribunal ne juge pas nécessaire d’examiner ici les autres traités énumérés à l’appendice C, ni les accords et les garanties d’intentions pacifiques que l’Allemagne concluait et prodiguait sans cesse.
La juridiction du Tribunal est définie par l’Accord et le Statut du 8 août 1945 ; les crimes soumis à sa compétence et qui entraînent des responsabilités individuelles sont déterminés par l’article 6. Le droit, tel qu’il ressort du Statut, est impératif et lie le Tribunal.
La rédaction du Statut dépendait du pouvoir législatif souverain exercé par les États auxquels le Reich allemand s’était rendu sans conditions ; le monde civilisé a reconnu à ces États le droit de faire la loi dans les territoires occupés.
Le Statut ne constitue pas l’exercice arbitraire, par les nations victorieuses, de leur suprématie. Il exprime le droit international en vigueur au moment de sa création ; il contribua, par cela même, au développement de ce droit.
Les Puissances signataires ont institué ce Tribunal, déterminé la loi applicable, fixé des règles appropriées de procédure. En agissant ainsi, ces puissances ont fait ensemble ce que chacune d’elles pouvait faire séparément. La faculté de sanctionner le droit par la création de juridictions spéciales est une prérogative commune à tous les États.
Le Statut érige en crime la conception et la conduite d’une guerre d’agression ou d’une guerre qui comporte la violation des traités ; par conséquent, il n’est pas absolument nécessaire de rechercher si et jusqu’à quel point la guerre d’agression revêtait un caractère criminel avant l’Accord de Londres.
Considérant, toutefois, l’intérêt de ce problème au regard des principes du droit, le développement qu’il a reçu dans les réquisitoires et les plaidoiries, le Tribunal va exprimer son sentiment à ce sujet.
On fit valoir, au nom des accusés, une règle inscrite à la base de toute législation, internationale ou interne : il ne peut y avoir de châtiment sans une loi antérieure prévoyant le crime, Nullum crimen sine lege, nulla pœna sine lege. Le châtiment ex post facto répugne au droit des nations civilisées. Nul pouvoir souverain n’avait érigé la guerre d’agression en crime quand les actes reprochés ont été commis. Aucun statut n’avait défini cette guerre ; aucune peine n’avait été prévue pour sa perpétration ; aucun tribunal n’avait été créé pour juger et punir les contrevenants.
Il faut rappeler que la maxime : Nullum crimen sine lege ne limite pas la souveraineté des États ; elle ne formule qu’une règle généralement suivie. Il est faux de présenter comme injuste le châtiment infligé à ceux qui, au mépris d’engagements et de traités solennels, ont, sans avertissement préalable, assailli un État voisin. En pareille occurrence, l’agresseur sait le caractère odieux de son action. La conscience du monde, bien loin d’être offensée, s’il est puni, serait choquée s’il ne l’était pas. Vu les postes qu’ils occupaient dans le Gouvernement du Reich, les accusés (ou du moins certains d’entre eux) connaissaient les traités, signés par l’Allemagne, qui proscrivaient le recours à la guerre pour régler les différends internationaux ; ils savaient que la guerre d’agression est mise hors la loi par la plupart des États du monde, y compris l’Allemagne elle-même ; c’est en pleine connaissance de cause qu’ils violaient le Droit international quand, délibérément, ils donnaient suite à leurs intentions agressives, à leurs projets d’invasion.
Cette conclusion, que dictent les principes, est singulièrement renforcée, si on considère l’état du Droit international en 1939, concernant la guerre d’agression.
Le traité général de renonciation à la guerre, signé le 27 août 1928, plus généralement connu sous le nom de Pacte de Paris ou Pacte Briand-Kellogg, liait, au moment de la déclaration de guerre (1939), soixante-trois nations, dont l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Les signataires déclaraient dans le préambule :
« Ayant le sentiment profond du devoir solennel qui leur incombe de développer le bien-être de l’Humanité ; persuadés que le moment est venu de procéder à une franche renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale afin que les relations pacifiques et amicales existant actuellement entre les peuples puissent être perpétuées… que tout changement dans leurs relations mutuelles ne doit être recherché que par des procédés pacifiques… unissant ainsi les nations civilisées du monde dans une renonciation commune à la guerre comme instrument de leur politique nationale… »
Les deux premiers articles sont ainsi conçus :
« Article premier. — Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement, au nom de leurs peuples respectifs, qu’elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ;
« Article 2. — Les Hautes Parties contractantes reconnaissent que le règlement de la solution de tous les différends ou conflits, de quelque nature ou de quelque origine qu’ils puissent être, qui pourront surgir entre elles, ne devra jamais être recherché que par des moyens pacifiques. »
Quelle était la conséquence juridique de ce Pacte ? C’est que les adhérents renonçaient, sans condition, pour l’avenir, à la guerre, en tant qu’instrument de leur politique. Depuis sa signature, recourir à la guerre, comme moyen de politique nationale, c’était rompre le Pacte.
Dans la pensée du Tribunal, la renonciation solennelle à la guerre comme instrument de politique nationale implique que la guerre ainsi prévue est, en Droit international, illégitime. Ceux qui la préparent ou la dirigent, déterminant par là ses inévitables et terribles conséquences, commettent un crime. Or, la guerre « pour le règlement des différends internationaux », la guerre utilisée par un État comme « instrument de politique nationale », comprend certainement la guerre d’agression ; celle-ci est donc proscrite par le Pacte. Comme le disait en 1932 M. Henry L. Stimson, alors ministre des Affaires étrangères des États-Unis :
« Les Nations signataires du Pacte Briand-Kellogg ont renoncé à introduire la guerre dans leurs relations mutuelles. Ceci signifie que pratiquement elle est devenue illégale dans le monde entier. À partir de cette date, quand des nations engagent un conflit armé, l’une d’entre elles, ou les deux parties, doivent être signalées comme violant la loi générale qui se dégage de ce pacte… Nous les dénonçons comme coupables d’infraction à la loi. »
Objecte-t-on que le Pacte n’attache pas expressément à de telles guerres la qualification de crimes, ni n’établit de tribunaux pour juger ceux qui les mènent ? Il faut répondre que les Conventions de La Haye où se trouvent les lois de la guerre, n’ont pas procédé autrement. La Convention de La Haye de 1907 proscrivait l’emploi dans la conduite de la guerre, de certaines méthodes. Elle visait le traitement inhumain des prisonniers, l’usage illégal du drapeau parlementaire, d’autres pratiques du même ordre. Le caractère illicite de ces méthodes avait été dénoncé longtemps avant la signature de la Convention ; mais c’est depuis 1907 qu’on les considère comme des crimes passibles de sanctions en tant que violant les lois de la guerre. Nulle part, cependant, la Convention de La Haye ne qualifie ces pratiques de criminelles ; elle ne prévoit aucune peine ; elle ne porte mention d’aucun tribunal chargé d’en juger et punir les auteurs. Or, depuis nombre d’années, les tribunaux militaires jugent et punissent des personnes coupables d’infractions aux règles de la guerre sur terre établies par la Convention de La Haye. Le Tribunal juge également illégitime la conduite des auteurs d’une guerre d’agression. Celle-ci a beaucoup plus d’importance qu’une simple violation des règlements de La Haye. En interprétant le Pacte, il faut songer qu’à l’heure actuelle, le Droit international n’est pas l’œuvre d’un organisme législatif commun aux États. Ses principes résultent d’accords, tels que le Pacte de Paris, où il est traité d’autres choses que de matières administratives, et de procédure. Indépendamment des traités, les lois de la guerre se dégagent d’us et coutumes progressivement et universellement reconnus, de la doctrine des juristes, de la jurisprudence des tribunaux militaires. Ce droit n’est pas immuable, il s’adapte sans cesse aux besoins d’un monde changeant Souvent, les traités ne font qu’exprimer et préciser les principes d’un droit déjà en vigueur.
Cette interprétation du Pacte est confirmée par les précédents. En l’année 1923, le projet d’un traité d’assistance mutuelle fut élaboré sous les auspices de la Société des Nations. L’article premier était ainsi conçu : « La guerre d’agression est un crime international », les parties « s’engageaient à ce qu’aucune d’elles ne vînt à le commettre ». Le projet de traité fut soumis à vingt-neuf États, dont la moitié environ furent d’accord pour en accepter les termes. L’objection de principe tenait à la difficulté de définir les actes constitutifs de « l’agression », plutôt qu’elle ne s’appliquait au caractère criminel de la guerre d’agression. Le préambule du Protocole de 1924 de la Société des Nations pour le règlement pacifique des différends internationaux, « Protocole de Genève », après « avoir reconnu la solidarité unissant les membres de la communauté internationale », déclarait que « une guerre d’agression constitue une violation de cette solidarité et un crime international ». Il ajoutait plus loin que les parties adverses « désiraient faciliter l’application complète du système prévu dans le Covenant de la Société des Nations pour le règlement pacifique des différends entre les États, et assurer la répression des crimes ». Le Protocole fut proposé aux membres de la Société des Nations par une résolution unanime, signée des quarante-huit membres de l’Assemblée. L’Italie et le Japon étaient de ce nombre. L’Allemagne n’avait pas encore donné son adhésion.
Si le Protocole n’a jamais été ratifié, il fut signé par les principaux hommes d’État du monde, représentant la très grande majorité des pays et des peuples civilisés ; il atteste la résolution commune de flétrir la guerre d’agression comme un crime international. Au cours de la séance tenue le 24 septembre 1927 par l’Assemblée de la Société des Nations, les délégations présentes (y compris les délégations allemande, italienne et japonaise) adoptèrent à l’unanimité une déclaration concernant la guerre d’agression. Le préambule de cette déclaration est ainsi conçu :
« L’Assemblée,
« Reconnaissant la solidarité qui unit la communauté des nations ;
« Animée du ferme désir de maintenir une paix générale ; convaincue qu’une guerre d’agression ne pourra jamais servir à régler les différends internationaux, et est en conséquence un crime international… »
Le 18 février 1928, à la sixième conférence pan-américaine (La Havane) vingt et une Républiques américaines affirmèrent unanimement que « la guerre d’agression constitue un crime international contre le genre humain ».
Ces expressions de pensée, ces déclarations solennelles — d’autres pourraient être citées — renforcent le sens du Pacte de Paris, lorsqu’il affirme que la guerre d’agression n’est pas seulement illégitime, mais criminelle. La condamnation de la guerre d’agression, qu’exige la conscience du monde, est formulée dans la série de pactes et traités qui viennent d’être évoqués.
On se rappellera aussi que l’article 227 du Traité de Versailles prévoyait la constitution d’un tribunal spécial formé des représentants de cinq des Puissances alliées et associées belligérantes au cours de la première guerre mondiale, à l’effet de juger l’ex-Empereur d’Allemagne « accusé d’offense suprême contre la moralité internationale et le caractère sacré des traités ». Il devait juger avec le souci « d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux, ainsi que de la morale internationale ». Dans l’article 228 du Traité, le Gouvernement allemand a expressément reconnu aux Puissances alliées et associées « la liberté de traduire devant leurs tribunaux militaires les personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre ».
On fait valoir que le Droit international ne vise que les actes des États souverains et ne prévoit pas de sanctions à l’égard des délinquants individuels. On a prétendu encore que lorsque l’acte incriminé est perpétré au nom d’un État, les exécutants n’en sont pas personnellement responsables ; ils sont couverts par la souveraineté de l’État. Le Tribunal ne peut accepter ni l’une ni l’autre de ces thèses. Il est admis, depuis longtemps, que le Droit international impose des devoirs et des responsabilités aux personnes physiques. Dans le procès récent Ex Parte Quirin (1942, 317 US I), des personnes furent accusées, devant la Cour suprême des États-Unis, d’avoir débarqué aux États-Unis pendant la guerre dans un but d’espionnage et de sabotage. Feu le Chief Justice Stone s’exprima ainsi à l’audience :
« Dès le début de son existence, cette Cour a inclus dans le droit de la guerre les dispositions du droit des gens qui, pour la conduite des hostilités, fixent le statut des droits et des devoirs des nations ennemies et celui des personnes ennemies prises individuellement. »
Il poursuivit en donnant une liste de précédents judiciaires, concernant des individus inculpés d’atteintes au droit des gens, et notamment au droit de la guerre. On peut citer d’autres autorités, mais il est surabondamment prouvé que la violation du Droit international fait naître des responsabilités individuelles. Ce sont des hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression s’impose, comme sanction du Droit international.
Les dispositions de l’article 228 du Traité de Versailles, déjà mentionné, illustrent et renforcent l’aspect de la responsabilité individuelle.
Le principe du Droit international, qui dans certaines circonstances, protège les représentants d’un État, ne peut pas s’appliquer aux actes condamnés comme criminels par le Droit international. Les auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale ou se mettre à l’abri du châtiment
L’article 7 du Statut dispose :
« La situation officielle des accusés, soit comme chefs d’État, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de réduction de la peine. »
D’autre part, une idée fondamentale du Statut est que les obligations internationales qui s’imposent aux individus priment leur devoir d’obéissance envers l’État dont ils sont ressortissants. Celui qui a violé les lois de la guerre ne peut, pour se justifier, alléguer le mandat qu’il a reçu de l’État, du moment que l’État, en donnant ce mandat a outrepassé les pouvoirs que lui reconnaît le Droit international. On a allégué, en faveur d’un certain nombre d’accusés, que leur conduite était conforme aux prescriptions de Hitler. Ils ne pouvaient porter la responsabilité d’actes perpétrés dans l’accomplissement de ses ordres.
Le Statut dispose expressément dans son article 8 :
« Le fait que l’accusé a agi conformément aux ordres de son Gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne le dégage pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l’exige. »
Les dispositions de cet article sont conformes au droit commun des États. L’ordre reçu par un soldat de tuer ou de torturer, en violation du Droit international de la guerre, n’a jamais été regardé comme justifiant ces actes de violence. Il ne peut s’en prévaloir, aux termes du Statut, que pour obtenir une réduction de la peine. Le vrai critérium de la responsabilité pénale, celui qu’on trouve, sous une forme ou sous une autre, dans le droit criminel de la plupart des pays, n’est nullement en rapport avec l’ordre reçu. Il réside dans la liberté morale, dans la faculté de choisir, chez l’auteur de l’acte reproché.
Du bref examen des faits ayant trait aux guerres d’agression qui précède, il ressort qu’elies ont été conçues et préparées méthodiquement à chaque phase de l’histoire.
Préméditation et préparation, voilà des éléments essentiels de la guerre. Suivant l’avis du Tribunal, la guerre d’agression est un crime de Droit international. Le Statut définit ce crime de préméditation, de préparation, d’initiation ou de déclenchement d’une guerre d’agression « ou de participation à un plan concerté ou complot en vue de sa réalisation ». L’Acte d’accusation s’inspire de la même distinction. Le premier chef d’accusation vise le plan concerté ou complot. Le second chef d’accusation vise la préparation et la conduite de la guerre. À l’appui de ces deux chefs d’accusation les mêmes documents ont été produits. Nous traiterons simultanément de l’un et de l’autre.
Le « plan concerté ou complot » visé par l’Acte d’accusation s’étend sur une période de vingt-cinq ans ; il va de la formation du parti nazi (1919) à la fin de la guerre (1945). Le Parti est considéré comme « l’instrument de cohésion entre les accusés » servant aux fins de la conspiration : violation du Traité de Versailles, récupération des territoires perdus par l’Allemagne au cours de la dernière guerre, acquisition du « Lebensraum » en Europe en recourant, si nécessaire, à l’usage de la force armée et à la guerre d’agression. La « prise du pouvoir » par les nazis, l’emploi de la terreur, la suppression des syndicats, les attaques contre l’enseignement chrétien et contre les Églises, la persécution des Juifs, la militarisation de la jeunesse sont autant de mesures prises délibérément pour l’exécution du plan concerté.
Selon l’Accusation, c’est en exécution de ce plan que s’effectuèrent le réarmement secret, le retrait de l’Allemagne de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations, le service militaire obligatoire, la mainmise sur la Rhénanie et, en dernier lieu, l’agression contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie, projetée et réalisée de 1936 à 1938, ainsi que la guerre contre la Pologne et, successivement, contre dix autres pays.
D’après l’Acte d’accusation, toute contribution effective à l’activité du parti et du gouvernement nazis constitue la participation au complot, qui est en soi un crime. Le Statut ne définit pas le complot. Or, de l’avis du Tribunal, le complot doit être nettement défini dans son but criminel. Il est proche de la décision et de l’action. Il ne résulte pas des simples énonciations d’un programme politique, telles que les vingt-cinq points du programme nazi proclamé en 1920, ni des affirmations politiques exprimées quelques années plus tard dans Mein Kampf. Il faut donc rechercher s’il y a eu un plan concret de guerre, et qui a participé à ce plan.
Peu importe que les preuves aient montré ou non l’existence d’un complot d’ensemble englobant la prise du pouvoir, l’extension de la domination nazie à tous les domaines de la vie économique et sociale, les projets de guerre. Elles démontrent du moins que, le 5 novembre 1937 au plus tard, ces projets étaient formés, qu’ils eurent pour suite les menaces de guerre et les guerres qui troublèrent la paix de tant de nations. Elles attestent l’existence de plans concertés et successifs plutôt que celle d’un complot les englobant tous. C’est par voie d’étapes que, depuis la prise du pouvoir, l’Allemagne nazie s’acheminait vers la dictature totale et vers la guerre.
Dans la pensée du Tribunal, l’imputation aux accusés de plans concertés et successifs tendant à la guerre d’agression est justifiée par les preuves. Peu importe que celles-ci révèlent avec moins de certitude le vaste programme d’ensemble allégué par l’Acte d’accusation. Cet état de fait est bien exprimé par Paul Schmidt, interprète officiel du ministère des Affaires étrangères d’Allemagne, dans le passage suivant :
« Les buts des dirigeants nazis étaient clairs dès l’origine : c’était, en vue de dominer le continent européen, l’incorporation au Reich des éléments de langue allemande, puis l’expansion territoriale sous le couvert du slogan « Lebensraum ». Mais l’exécution de ces projets essentiels fut improvisée. Les mesures que s’ensuivirent furent dictées par les événements ; mais toutes, elles étaient conformes aux buts que nous venons de rappeler. »
Objectera-t-on que cette notion de plan concerté s’accorde mal avec le régime de la dictature ? Ce serait, à notre sens, une erreur. Ce plan, un seul l’a peut-être conçu. D’autres en sont devenus responsables en prenant part à son exécution, et leur soumission aux ordres du promoteur ne les libère pas de cette responsabilité. Hitler ne pouvait, à lui seul, mener une guerre d’agression. Il lui fallait la collaboration d’hommes d’État, de chefs militaires, de diplomates, de financiers. Quand ceux-ci, en pleine connaissance de cause, lui ont offert leur assistance, ils sont devenus parties au complot qu’il avait ourdi. S’ils furent, entre ses mains, des instruments, la conscience qu’ils en eurent empêche de les reconnaître comme innocents. Ils sont responsables de leurs actes, bien que nommés et commandés par un dictateur. En Droit international, aussi bien qu’en Droit interne, les rapports de chef à subordonné n’entraînent pas exemption de la peine.
Le premier chef d’accusation cependant ne vise pas seulement le complot relatif à la guerre d’agression : il fait mention d’un complot relatif aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité. Mais le Statut ne contient rien de semblable. L’article 6 dispose :
« Les chefs, les organisateurs, les instigateurs et les complices participant à la préparation ou à l’exécution d’un plan concerté ou complot relatif à la perpétration d’un des crimes précités, sont responsables de tous les actes commis par quiconque en exécution de ce plan. »
Le Tribunal estime que ces mots n’ont pas pour objet d’ajouter une infraction distincte aux crimes précédemment énumérés. Leur seul but est de déterminer les personnes qui seront rendues responsables de participation au plan concerté. Aussi le Tribunal négligera-t-il désormais l’inculpation de complot en vue de commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’Humanité. Le plan concerté n’est considéré qu’à l’égard des guerres d’agression.
Les preuves concernant les crimes de guerre sont accablantes, tant par leur nombre que par leur précision. Il n’est pas question de les énumérer ici en détail, ni de rappeler tous les documents et les témoignages produits au cours du Procès. Il demeure incontestable que les crimes de guerre ont été commis dans des proportions inconnues des guerres passées. Ils furent perpétrés dans tous les territoires occupés par l’Allemagne, ainsi qu’en haute mer, et furent entourés de circonstances de cruauté et d’horreur à peine imaginables. La plupart de ces crimes sont nés de la conception nazie de la « guerre totale » appliquée à la guerre d’agression. Cette conception dénie toute valeur aux principes moraux qui inspirèrent les conventions destinées à rendre les conflits armés plus humains. Tout fut subordonné aux exigences impérieuses de la guerre. Les lois et les règlements qui la gouvernent, les garanties et les traités ne comptèrent plus ; libérée des contraintes du Droit international, la guerre d’agression fut conduite par les chefs nazis avec une extrême barbarie. Des crimes de guerre furent commis chaque fois que le Führer et son entourage immédiat le jugeaient opportun, et partout où ils l’estimaient utile ; ce fut en général le résultat de délibérations froides et criminelles.
Ces crimes furent parfois projetés longtemps à l’avance. C’est ainsi que, en ce qui concerne l’Union Soviétique, le pillage des territoires qui devaient être occupés et les mauvais traitements que la population devait subir furent prévus dans leurs moindres détails, bien avant le déclenchement de l’attaque. L’invasion de ces territoires avait été envisagée dès l’automne de 1940, et les méthodes propres à briser toute résistance possible furent dès lors continuellement discutées.
De même, lorsqu’il envisageait d’astreindre au travail forcé les habitants des territoires occupés, le Gouvernement allemand considérait cette exploitation intensive comme une partie intégrante de l’économie de guerre et prévoyait minutieusement l’exécution de ce crime de guerre.
L’assassinat des prisonniers repris après leur évasion, l’extermination de commandos et d’aviateurs capturés, ainsi que celle des commissaires soviétiques, sont autant de crimes de guerre, commis en exécution d’ordres particuliers transmis par les plus hautes autorités.
Le Tribunal se propose de ne traiter ici que d’une manière générale la question des crimes de guerre et de leur consacrer une étude détaillée lorsqu’il s’agira d’examiner à cet égard la responsabilité de chacun des accusés. Des prisonniers de guerre furent maltraités, torturés et assassinés, non seulement en violation des règles du Droit international, mais encore au mépris des principes d’humanité les plus élémentaires ; les populations civiles des territoires occupés subirent le même sort. Certaines d’entre elles furent déportées en masse en Allemagne pour y travailler dans la contrainte à des travaux de défense et à la fabrication d’armement, et pour apporter leur contribution involontaire à l’effort de guerre. Dans tous les pays occupés des otages en nombre considérable furent pris, et fusillés selon le gré des Allemands. La propriété publique et privée fut systématiquement pillée afin d’augmenter les ressources de l’Allemagne aux dépens du reste de l’Europe. Des cités, des villes, des villages furent détruits volontairement, sans aucune justification ni nécessité militaire.
L’article 6, b du Statut donne des crimes de guerre la définition suivante :
« Crimes de guerre : c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation pour le travail forcé, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou le mauvais traitement des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages, ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires, »
Au cours de la guerre, un grand nombre de soldats alliés qui s’étaient rendus aux Allemands furent immédiatement fusillés, souvent en application d’une politique délibérée et calculée. Le 18 octobre 1942, Keitel mit en circulation une directive approuvée par Hitler, laquelle ordonnait que tous les membres d’unités alliées de « commandos », même en uniforme, armés ou non, devraient être « exécutés jusqu’au dernier homme » même s’ils essayaient de se rendre. Il était stipulé en outre que, dans le cas où ces unités tomberaient aux mains des autorités militaires, après avoir au préalable été capturées par la police locale ou de toute autre manière, elles devraient être immédiatement remises au SD. Cet ordre, complété à diverses reprises, resta en vigueur jusqu’à la fin de la guerre, mais, après les débarquements alliés en Normandie en 1944, on précisa qu’il ne devait pas s’appliquer aux « commandos » faits prisonniers à proximité immédiate de la zone de combat. En application de cet ordre, des unités alliées de « commandos » et d’autres unités militaires indépendantes furent exterminées en Norvège, en France, en Tchécoslovaquie et en Italie. Nombre de ces hommes furent tués sur place. Quant à ceux qui furent exécutés plus tard dans des camps de concentration, ils ne furent jamais l’objet d’un jugement, quel qu’il fût. C’est ainsi qu’un commando américain, qui atterrit, en janvier 1945, à l’arrière du front allemand des Balkans et qui comptait de douze à quinze hommes en uniforme, fut emmené à Mauthausen, en application de l’ordre précité. Selon la déposition écrite d’Adolf Zutte, officier d’administration du camp de concentration de Mauthausen, tout son effectif fut fusillé.
En mars 1944, l’OKH promulgua le décret dit action « Kugel » ou « Balle » selon lequel tout prisonnier de guerre, ayant le rang d’officier ou de sous-officier non astreint au travail, qui serait repris après une tentative d’évasion devait être remis à la SIPO ou au SD, exception faite pour les prisonniers britanniques et américains. Cet ordre fut transmis par la SIPO et par le SD à leurs officiers régionaux. Les officiers et sous-officiers visés par cette mesure devaient être envoyés au camp de concentration de Mauthausen et exécutés, dès leur arrivée, d’un coup de revolver tiré dans la nuque.
En mars 1944, cinquante officiers de l’armée de l’air britannique, qui s’étaient évadés du camp de Sagan où ils étaient détenus, furent fusillés après avoir été repris, sur l’ordre direct de Hitler. Leurs corps furent immédiatement incinérés et les urnes contenant leurs cendres furent renvoyées au camp. Les accusés n’ont pas contesté qu’il s’agissait là d’un meurtre pur et simple, en violation flagrante du Droit international.
Lorsque des aviateurs alliés étaient contraints d’atterrir en Allemagne, ils étaient parfois tués immédiatement par la population civile. La police avait reçu l’ordre de ne pas intervenir lors de ces lynchages et le ministre de la Justice avait été avisé de ce que personne ne devrait être poursuivi pour y avoir pris part.
Le traitement infligé aux prisonniers de guerre soviétiques était particulièrement cruel. La mort de tant d’entre eux ne fut pas due simplement à l’action de gardiens isolés ou aux conditions de vie dans les camps. Elle était le résultat de plans systématiques de meurtre. Plus d’un mois avant l’invasion de l’Union Soviétique, l’OKW établit des projets spéciaux concernant les commissaires politiques, servant dans les Forces armées soviétiques, qui pourraient être faits prisonniers. L’un de ces projets était : « Les Commissaires politiques de l’Armée ne sont pas reconnus comme prisonniers de guerre et doivent être exterminés au plus tard dans les camps de transit. » Keitel a déclaré dans sa déposition que des ordres, établis d’après ce projet, furent transmis à l’armée allemande.
Le 8 septembre 1941, furent promulgués, dans tous les camps de prisonniers, des règlements, signés du général Reinecke, chef du Service des prisonniers de guerre près le Haut Commandement, concernant le traitement à appliquer aux prisonniers soviétiques. Ces ordres déclaraient :
« Le soldat bolchevique a perdu tout droit à être traité comme un adversaire honorable, conformément à la Convention de Genève… On doit donner l’ordre d’agir impitoyablement et énergiquement au plus léger signe d’insubordination, en particulier quand il s’agit de fanatiques bolchéviques. L’insubordination, la résistance active ou passive, doivent être immédiatement brisées par la force des armes (baïonnettes, crosses et armes à feu)… Quiconque exécute cet ordre sans utiliser ses armes ou avec une énergie insuffisante est passible de punition… On doit tirer sans sommation préalable sur les prisonniers de guerre qui tentent de s’enfuir. On ne doit jamais tirer un coup de semonce… L’emploi des armes contre les prisonniers de guerre est légal en règle générale. »
Ces prisonniers ne recevaient pas de vêtements convenables et n’étaient pas soignés lorsqu’ils étaient blessés ; l’insuffisance de leur alimentation était telle que, bien souvent, ils mouraient d’inanition.
Le 17 juillet 1941, la Gestapo promulguait un décret prévoyant la mise à mort de tous les prisonniers de guerre soviétiques qui étaient ou pourraient devenir dangereux pour le national-socialisme ; l’ordre déclarait :
« La mission des chefs de la SIPO et du SD affectés aux stalags consiste à procéder à une enquête politique parmi tous les internés des camps, à éliminer et à soumettre à un « traitement spécial » : a) tous les éléments politiques, criminels ou indésirables pour tout autre cause, qui se trouvent parmi eux, b) toutes les personnes qui pourraient être employées à la reconstruction des territoires occupés… En outre, les Commandants doivent s’efforcer, dès le début, de rechercher parmi les prisonniers ceux qui semblent dignes de confiance, sans s’occuper de savoir s’ils sont communistes ou non, afin de les employer à l’espionnage intérieur du camp, et, si c’est opportun, plus tard aussi dans les territoires occupés. En utilisant ces indicateurs et tous autres moyens possibles, on doit peu à peu découvrir, parmi les prisonniers, les éléments qui sont à éliminer…
« Par dessus tout on doit découvrir les éléments suivants : les fonctionnaires importants de l’État soviétique et du parti communiste, les révolutionnaires de métier, les commissaires du peuple de l’Armée Rouge, les personnalités dirigeantes de l’État, les personnalités marquantes du monde des affaires, les membres du service secret soviétique, les Juifs, tous les individus qui se trouvent être des agitateurs ou des communistes fanatiques. On ne doit pas procéder aux exécutions dans le camp ou dans son voisinage immédiat. On doit, si possible, transférer dans l’ancien territoire de la Russie soviétique les prisonniers destinés à subir le traitement spécial. »
Les dépositions écrites de Warlimont, chef d’État-Major adjoint de la Wehrmacht, d’Ohlendorf, ancien chef de l’Amt III du RSHA, et de Lahousen, chef de l’une des branches de l’Abwehr, Service de renseignements de la Wehrmacht, indiquent toutes que cet ordre fut exécuté dans ses moindres détails,
Kurt Lindow, ancien fonctionnaire de la Gestapo (Police secrète d’État) a déclaré par écrit ce qui suit :
« Il existait dans ces camps de prisonniers de guerre du front de l’Est, de petites commissions de filtrage (Einsatzkommandos) commandées par des membres subalternes de la Gestapo. Ces équipes étaient détachées auprès des commandants de camps et avaient pour mission de sélectionner les prisonniers de guerre qui devaient être exécutés conformément aux ordres donnés, et de les signaler aux services de la Police secrète. »
Le 23 octobre 1941, le commandant du camp de concentration de Gross-Rosen communiqua à Mueller, chef de la Gestapo, une liste de prisonniers de guerre soviétiques qui y avaient été exécutés le jour précédent.
Les conditions générales de vie des prisonniers de guerre soviétiques et la façon dont ils étaient traités, pendant les huit premiers mois qui suivirent l’attaque contre l’URSS, sont évoquées dans une lettre adressée par Rosenberg à Keitel, le 28 février 1942 :
« Le sort des prisonniers de guerre soviétiques en Allemagne est une tragédie immense… Une grande partie d’entre eux sont morts de faim ou par suite des intempéries. Plusieurs milliers d’hommes sont morts du typhus.
« Les commandants de camp ont interdit à la population civile de fournir des aliments aux prisonniers, et ont préféré les laisser mourir d’inanition.
« À diverses reprises, des prisonniers de guerre qui, épuisés par la faim et la fatigue, ne pouvaient plus marcher furent fusillés sous les yeux de la population terrifiée, et leurs corps abandonnés sur place.
« Dans un grand nombre de camps, les prisonniers de guerre n’avaient pas d’abris. Ils couchaient en plein air sous la pluie ou la neige. On ne leur fournissait même pas d’outils pour creuser des trous ou des souterrains. »
Dans certains cas, des prisonniers de guerre soviétiques furent marqués d’un signe indélébile spécial. On a versé au dossier un ordre de l’OKW, daté du 20 juillet 1942 et ainsi conçu :
« La marque doit avoir la forme d’un angle aigu d’environ 45 degrés, dont le grand côté devra mesurer un centimètre et sera dirigé vers le haut ; elle doit être imprimée au fer rouge sur la fesse gauche… cette marque doit être faite à l’aide d’un bistouri tel qu’il en existe dans chaque unité. On emploiera l’encre de Chine comme colorant. »
L’exécution de cet ordre fut confiée aux autorités militaires, encore que le chef de la SIPO et du SD ait largement diffusé l’ordre lui-même parmi les fonctionnaires de la Police allemande, pour information.
Certains prisonniers de guerre soviétiques furent également soumis à des expériences médicales particulièrement cruelles et inhumaines. C’est ainsi qu’en juillet 1943, la préparation expérimentale d’une guerre bactériologique ayant été entreprise, certains d’entre eux furent soumis à des expériences qui, le plus souvent, se révélèrent mortelles. Comme préparatifs de cette guerre, on étudia aussi la façon dont on pourrait répandre, par avion, des émulsions bactériologiques, destinées à ruiner les récoltes sur de vastes étendues et à provoquer la famine. Ces mesures ne furent jamais appliquées, peut-être à cause de l’affaiblissement rapide de la position militaire de l’Allemagne.
L’argument, qui tente de justifier les crimes commis contre les prisonniers de guerre soviétiques par le fait que l’URSS n’était pas signataire de la Convention de Genève, est sans valeur. L’amiral Canaris lui-même, protestant contre la réglementation édictée le 8 septembre 1941 par le général Reinecke au sujet du traitement des prisonniers de guerre soviétiques, déclara, le 15 septembre de la même année :
« La Convention de Genève concernant le traitement des prisonniers de guerre ne lie pas l’Allemagne dans ses rapports avec l’URSS. Donc seuls doivent être appliqués les principes du Droit international général qui régissent le traitement des prisonniers de guerre. Depuis le XVIIIe siècle, ces principes se sont dégagés peu à peu en considération du fait que la condition des prisonniers de guerre ne résulte ni d’une vengeance ni d’une punition, mais constitue seulement une détention de sécurité dont le seul but est de les empêcher de continuer à prendre part à la guerre. Ces principes se sont développés en accord avec le point de vue adopté par toutes les armées, selon lequel il est contraire à la tradition militaire de tuer ou de blesser des gens sans défense… Les décrets en question sur le traitement des prisonniers de guerre soviétiques découlent d’un point de vue essentiellement différent. »
Cette protestation, qui définissait exactement l’état du Droit, fut ignorée, Keitel écrivit à propos de ce mémorandum :
« On élève des objections inspirées par une conception chevaleresque de la guerre. Mais il s’agit ici de détruire une idéologie. Par conséquent, j’approuve et soutiens les mesures. »
L’article 6, b du Statut prévoit que « les mauvais traitements… des populations civiles dans les territoires occupés… l’exécution des otages… la destruction sans motif des villes et des villages », seront considérés comme crimes de guerre. Ces stipulations ne sont, dans leur ensemble, que la reconnaissance officielle des lois de la guerre en vigueur, telles qu’elles sont exprimées par l’article 46 de la Convention de La Haye :
« L’honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée, ainsi que les convictions religieuses et l’exercice des cultes, doivent être respectés. »
Les territoires occupés par l’Allemagne ne furent pas administrés conformément aux lois de la guerre. L’emploi systématique de la violence, de la brutalité et de la terreur a été démontré par des preuves accablantes.
Le 7 décembre 1941, Hitler promulgua la directive connue sous le nom de « Nacht und Nebel Erlass » (Décret « Nuit et Brouillard ») ; d’après cet ordre, les personnes coupables de crimes contre le Reich ou les Forces armées des territoires occupés — à l’exception des cas où la peine de mort était certaine — devaient être livrées à la Police de sûreté et au SD et emmenées clandestinement en Allemagne pour y être jugées ou punies. Ce décret était signé par Keitel. Ces civils, une fois arrivés en Allemagne, n’avaient plus le droit d’envoyer de leurs nouvelles dans leur pays ni à leur famille. S’ils mouraient avant d’être jugés, leurs parents n’en étaient pas avisés ; on voulait ainsi susciter de l’anxiété dans l’esprit de leurs proches. Le motif de cet ordre ressort de la lettre de transmission de Keitel, en date du 12 décembre 1941 dans laquelle celui-ci déclare :
« Une intimidation efficace et durable ne peut être obtenue que par la peine capitale ou par des mesures empêchant la famille du criminel et la population de connaître le sort de ce dernier. En le transférant en Allemagne, on atteint ce but. »
Les personnes simplement soupçonnées de s’être opposées d’une manière quelconque à la politique des autorités d’occupation allemandes étaient elles-mêmes arrêtées et interrogées de la manière la plus odieuse par la Gestapo et le SD. Le 12 juin 1942, le chef de la Police de sûreté et du SD promulgua, par l’intermédiaire de Mueller, un ordre concernant les interrogatoires ; l’usage des méthodes du troisième degré était autorisé, non seulement pour arracher au prisonnier des aveux sur ses propres crimes, mais aussi dans les cas où une enquête préliminaire aurait indiqué qu’il était en mesure de fournir des renseignements importants, notamment sur des activités subversives. Cet ordre disposait :
« … Le troisième degré, dans ce cas, peut seulement être employé contre les communistes, les marxistes, les témoins de Jehovah, les saboteurs, les terroristes, les membres des mouvements de résistance, les agents parachutés, les éléments anti-sociaux, les réfractaires ou vagabonds polonais et soviétiques. Dans tous les autres cas, une autorisation préalable est nécessaire. Le troisième degré peut comprendre, suivant les circonstances, les mesures suivantes : alimentation réduite (pain et eau), couchette dure, cellule obscure, privation de sommeil, exercices épuisants, flagellation (au-dessus de vingt coups il faut consulter un médecin). »
Pour supprimer brutalement toute opposition à l’occupation allemande, on ne prit pas seulement des mesures sévères contre les individus soupçonnés d’appartenir à des groupements de résistance. Le 19 juillet 1944, le commandant de la SIPO et du SD, dans le district de Radom en Pologne, promulgua un ordre qui fut transmis par l’intermédiaire des chefs des SS et de la Police : dans tous les cas d’assassinats ou de tentatives d’assassinats d’Allemands, ou de destruction d’installations importantes par des saboteurs, devaient être fusillés, non seulement l’individu coupable, mais aussi ses proches du sexe masculin ; quant à ses parentes âgées de plus de seize ans, elles devaient être internées dans un camp de concentration.
Au cours de l’été 1944, les Einsatzkommandos de la SIPO et du SD du Luxembourg firent interner, dans le camp de concentration de Sachsenhausen, un certain nombre de personnes accusées d’être apparentées à des déserteurs et de « mettre en danger les intérêts du Reich, si elles restaient en liberté ».
On inaugura la méthode consistant à prendre des otages afin de prévenir et de punir toute forme de troubles. Le 16 septembre 1941, Keitel donna un ordre d’après lequel la vie d’un seul Allemand devait correspondre à celle de cinquante ou cent habitants des territoires occupés. Cet ordre portait qu’il « fallait se rappeler que bien souvent une vie humaine ne compte pour rien dans des pays non encore pacifiés et qu’un effet préventif ne pouvait être obtenu que par l’emploi d’une sévérité extraordinaire. » Le nombre des personnes tuées d’après de telles directives n’est pas connu avec exactitude, mais il y en eut un nombre considérable en France et dans les autres pays occupés de l’Ouest ; quant aux territoires de l’Est, les exécutions massives s’y effectuaient sur une échelle encore beaucoup plus vaste. Non seulement des otages y étaient exécutés, mais dans certains cas, des villes entières furent détruites ; des massacres tels que ceux d’Oradour-sur-Glane en France et de Lidice en Tchécoslovaquie — décrits en détail devant le Tribunal — sont des exemples de la façon systématique dont les Forces d’occupation employèrent la terreur pour détruire toute opposition à leur autorité.
L’un des principaux moyens utilisés pour terroriser la population des pays occupés fut l’emploi des camps de concentration. Ceux-ci avaient été créés par le Gouvernement allemand au moment de la prise du pouvoir. Leur but initial était d’emprisonner, sans les juger, toutes les personnes qui avaient fait opposition au Gouvernement, ou dont l’activité était préjudiciable aux autorités nazies. Avec l’appui d’une force de police secrète, cette méthode s’étendit de plus en plus, et les camps de concentration devinrent finalement des lieux d’extermination organisée et méthodique, dans lesquels des millions d’internés furent assassinés.
Dans l’administration des territoires occupés, les camps de concentration servaient à détruire tous les groupements d’opposition. C’est là qu’étaient généralement internées les personnes arrêtées par la Gestapo. Bien souvent, elles y étaient envoyées en convoi, sans qu’on prît le moindre soin d’elles ; nombreuses furent celles qui moururent en chemin. Les déportés qui parvenaient au camp étaient soumis à des traitements d’une cruauté systématique. Ils étaient contraints d’effectuer un travail physique épuisant ; la nourriture, les vêtements, le logement, tout était insuffisant ; ils étaient, de façon continue, les victimes d’un régime rigoureux et abrutissant, ainsi que des caprices de leurs gardiens. Le rapport du Service de Justice militaire de la Troisième Armée américaine (Section des crimes de guerre), en date du 21 juin 1945, relate les conditions de vie qui régnaient dans le camp de concentration de Flossenburg ; il contient ce passage :
« La meilleure description que l’on puisse donner du camp de Flossenburg est celle d’une usine de mort. Bien que le but primordial de ce camp ait été l’organisation de travaux forcés, il servait surtout, grâce aux méthodes employées à l’égard des prisonniers, à supprimer des vies humaines. Les rations de famine, les mauvais traitements sadiques, l’insuffisance des vêtements, le manque de soins médicaux, la maladie, les coups, les pendaisons, la mort par le froid, les suicides forcés, les exécutions, etc., jouèrent un rôle considérable pour atteindre ce résultat. Des prisonniers furent assassinés sans raison ; les meurtres des Juifs par haine étaient fréquents, les injections de poison et les exécutions par balle dans la nuque étaient des faits quotidiens ; on se servait des épidémies de typhoïde et de typhus, qui se propageaient librement, comme moyen d’élimination des prisonniers. La vie humaine ne représentait plus rien dans ce camp. L’assassinat était devenu une chose ordinaire, si ordinaire que tous ces malheureux souhaitaient une mort rapide. »
Un certain nombre de camps de concentration possédaient des chambres à gaz pour l’exécution massive des prisonniers, dont les corps étaient ensuite brûlés dans des fours crématoires. Ces camps furent en fait utilisés à la « solution finale » du problème juif par l’extermination. Quant aux prisonniers non juifs, ils étaient presque tous astreints au travail, mais les conditions dans lesquelles celui-ci s’effectuait faisaient des mots travail et mort des synonymes. Les détenus malades ou incapables de travailler étaient, soit tués dans les chambres à gaz, soit envoyés dans des infirmeries spéciales où ils ne recevaient pas de soins médicaux ; ils y recevaient une nourriture encore pire que celle des prisonniers qui travaillaient et on les y laissait mourir.
Parmi toutes les populations civiles, les victimes des assassinats et des mauvais traitements les plus graves furent les citoyens de l’Union Soviétique. Environ quatre semaines avant le début de l’invasion, des détachements spéciaux de la SIPO et du SD, appelés Einsatzgruppen, furent formés sur les ordres de Himmler et chargés de suivre les armées allemandes après leur entrée en Russie, de combattre les partisans et les membres des groupes de résistance, d’exterminer les Juifs et les chefs communistes, ainsi que certains autres éléments de la population. Quatre Einsatzgruppen furent d’abord créés ; le premier opérait dans les États Baltes, le deuxième dans la région de Moscou, le troisième dans celle de Kiev, et le dernier dans le sud de l’Union Soviétique. Ohlendorf, ancien chef de l’Amt III du RSHA et commandant du quatrième groupe a déclaré, le 5 novembre 1945 :
« Quand les armées allemandes envahirent l’URSS, j’étais le chef de l’Einsatzgruppe D, dans le secteur méridional. Pendant l’année où j’en eus le commandement, cet Einsatzgruppe liquida près de 90.000 hommes, femmes et enfants. La majorité de ces personnes étaient des Juifs, mais il se trouvait aussi, parmi eux, des fonctionnaires communistes. »
Un ordre, préparé par Jodl et donné par Keitel le 23 juillet 1941, portait ce qui suit :
« Vu l’étendue des territoires occupés de l’Est, les forces disponibles pour assurer la sécurité dans ces territoires ne suffiront que si toute résistance est punie, non par des poursuites judiciaires légales du coupable, mais par des mesures de terreur suffisantes pour enlever à la population toute envie de résister… Les commandants d’unités doivent pouvoir maintenir l’ordre en appliquant les mesures draconiennes appropriées. »
Les preuves ont montré que cet ordre fut exécuté impitoyablement dans les territoires occupés de l’Union Soviétique et de la Pologne. Le document, envoyé, en 1943, par le Commissaire du Reich pour les pays occupés de l’Est, à Rosenberg, donne une idée significative des mesures effectivement appliquées :
« Il doit être possible d’éviter les atrocités et d’enterrer ceux qui ont été exterminés. La méthode qui consiste à enfermer des hommes, des femmes et des enfants dans des granges et à incendier ensuite ces bâtiments ne semble pas être efficace dans la lutte contre les partisans, même si elle est souhaitable pour l’extermination de la population. Cette méthode n’est pas digne de la cause allemande et nuit gravement à notre réputation. »
Le Tribunal a eu connaissance de la déposition écrite de Hermann Graebe, en date du 10 novembre 1945, décrivant deux assassinats en masse auxquels il avait assisté. Il fut, de septembre 1941 à janvier 1944, directeur technique, à Spoldunow (Ukraine), de la succursale de la firme Joseph Jung de Solingen. Il décrit tout d’abord l’attaque dirigée contre le ghetto de Rowno :
« Les projecteurs électriques, qui avaient été montés tout autour du ghetto, furent alors allumés. Les SS et la Milice, par groupes de quatre à six, pénétrèrent, ou tout au moins essayèrent de pénétrer dans les maisons. Lorsque les portes et les fenêtres étaient fermées et que les habitants n’ouvraient pas en réponse aux coups frappés, les SS et la Milice brisaient les fenêtres, enfonçaient les portes avec des poutres et des leviers et pénétraient dans l’habitation. Les propriétaires étaient conduits dans la rue, dans la tenue où ils se trouvaient, sans que l’on s’occupât de savoir s’ils étaient habillés ou s’ils sortaient de leur lit… Les voitures étaient remplies les unes après les autres. Les cris des femmes et des enfants, les claquements de fouets et les coups de fusil dominaient le tout. »
Graebe décrit ensuite l’exécution en masse de Dubno, le 5 octobre 1942 :
« Nous entendîmes ensuite une succession rapide de coups de fusil, tirés de derrière une des buttes de terre. Les personnes qui étaient descendues des camions, hommes, femmes et enfants de tous âges, durent se déshabiller sur l’ordre de SS munis de cravaches ou de fouets à chiens… Sans le moindre cri, sans le moindre pleur, ces personnes se déshabillèrent, se rassemblèrent par familles, s’embrassèrent mutuellement, se dirent adieu et attendirent les ordres d’un autre SS qui se tenait à côté du trou, avec, lui aussi, un fouet à la main… À ce moment, le premier SS cria quelque chose à son camarade. Ce dernier compta une vingtaine de personnes, les mit à part et leur dit de se placer derrière le tertre… Moi-même j’y allai et me trouvai devant une fosse horrible ; les corps étaient serrés les uns contre les autres et empilés de telle sorte que leurs têtes seules étaient visibles. Le trou était déjà plein aux deux-tiers ; d’après moi il contenait un millier de cadavres… Déjà le groupe suivant s’approchait, descendait dans le trou, se couchait sur les victimes précédentes et était fusillé. »
Ces crimes commis contre la population civile sont déjà effroyables, mais, en outre, les preuves montrent qu’en tous cas dans l’Est, les cruautés et les exécutions en masse ne furent pas commises seulement pour supprimer l’opposition et la résistance aux Forces d’occupation allemandes. Dans les territoires de Pologne et d’Union Soviétique, destinés à la colonisation allemande, ces crimes faisaient partie d’un plan conçu en vue de se débarrasser de toute la population indigène par l’expulsion ou l’extermination. Hitler en avait parlé dans Mein Kampf et ce plan apparut clairement lorsque Himmler écrivit, en juillet 1942 :
« Ce n’est pas notre tâche de germaniser l’Est, en donnant au mot « germaniser » son vieux sens, qui est d’enseigner aux populations la langue et le droit allemands, mais nous devons veiller à ce qu’il n’y ait, dans l’Est, que des gens de race germanique pure. »
En août 1942, la politique, instaurée par Bormann pour les territoires de l’Est, fut résumée de la manière suivante par l’un des subordonnés de Rosenberg :
« Les Slaves doivent travailler pour nous. Dans le mesure où ils ne nous servent à rien, ils peuvent mourir. C’est pourquoi la vaccination obligatoire et les services médicaux allemands sont superflus. Il n’est pas souhaitable que les Slaves se reproduisent. »
Et c’est encore Himmler qui dit, en octobre 1943 :
« Le sort d’un Russe ou d’un Tchèque ne m’intéresse pas le moins du monde. Nous prendrons ce que ces peuples peuvent nous offrir en sang pur de notre race. S’il le faut, nous le ferons en arrachant les enfants de leur pays et en les emmenant ici avec nous. Que certains pays vivent dans la prospérité ou meurent de faim ne m’intéresse que dans la mesure où nous avons besoin qu’ils servent d’esclaves pour notre « Kultur », sinon je m’en désintéresse. »
Dès septembre 1939, l’extermination de l’intelligentzia polonaise était prévue, et en mai 1940, Frank parlait, dans son journal, de « profiter de ce que l’intérêt du monde se concentre sur le front de l’Ouest, pour liquider des milliers de Polonais, en commençant par les représentants principaux de l’intelligentzia polonaise. » Auparavant, Frank avait reçu l’ordre de réduire « toute l’économie polonaise au minimum absolument nécessaire pour vivre. Les Polonais seront les esclaves du Grand Empire mondial allemand. » En janvier 1940, il écrivait dans son journal que « de la main d’œuvre à bon marché devait être extraite du Gouvernement Général par centaines de milliers d’hommes. Cela empêchera la propagation biologique des Polonais. » Les méthodes appliquées en Pologne par les Allemands réussirent si bien que, à la fin de la guerre, un tiers de la population avait été dévasté.
Il en était de même dans les régions occupées de l’Union Soviétique. Au moment du déclenchement de l’attaque allemande, en juin 1941, Rosenberg dit à ses collaborateurs :
« Le ravitaillement du peuple allemand se trouve, cette année, sans aucun doute, en tête de la liste des revendications allemandes dans l’Est ; les régions du sud et le nord du Caucase devront servir à équilibrer le ravitaillement allemand… Une évacuation en masse sera sans doute nécessaire et il est certain que l’avenir réserve aux Russes des années difficiles. »
Trois ou quatre semaines après, Hitler examina avec Rosenberg, Göring, Keitel et d’autres, son plan d’exploitation de la population et du territoire soviétiques, plan qui prévoyait, notamment, l’évacuation des habitants de la Crimée et la colonisation de cette région par des Allemands.
Un destin semblable avait été prévu pour la Tchécoslovaquie par von Neurath, en août 1940 ; l’intelligentzia devait être « expulsée », mais le reste de la population devait être germanisé plutôt que déporté ou exterminé, car on manquait d’Allemands pour le remplacer.
Dans l’Ouest, la population alsacienne fut victime d’une « mesure d’expulsion » allemande. De juillet à décembre 1940, 105.000 Alsaciens furent déportés ou empêchés de retourner chez eux. Un rapport allemand saisi et daté du 7 août 1942, porte, en ce qui concerne l’Alsace :
« Le problème de la race sera envisagé en premier, à seule fin que les gens qui ont une valeur raciale soient déportés en Allemagne, et que tous les gens inférieurs du point de vue de la race soient déportés en France. »
L’Article 49 de la Convention de La Haye prévoit qu’une puissance occupante peut lever une contribution en espèces dans les territoires occupés pour subvenir aux besoins de l’armée d’occupation et pour l’administration de ces territoires. L’article 52 de la Convention de La Haye prévoit, d’une part, qu’une puissance occupante ne peut effectuer de réquisitions en nature que pour les besoins de l’armée d’occupation et, d’autre part, que ces réquisitions doivent être proportionnées aux ressources du pays. Ces articles, de même que l’article 48, concernant le mode de dépense de l’argent prélevé par des taxes, et les articles 53, 55 et 56 concernant la propriété publique, montrent clairement que, d’après les lois de la guerre, l’économie d’un pays occupé doit supporter les frais d’occupation seulement ; de plus ceux-ci ne doivent lui incomber que dans la mesure où elle peut raisonnablement y pourvoir. Quant à l’article 56, il s’exprime ainsi :
« Les biens des communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité, à l’instruction, aux arts et aux sciences, bien qu’appartenant à l’État, seront traités comme la propriété privée. Toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle de semblables établissements, de monuments historiques, d’œuvres d’art et de science, est interdite et doit être poursuivie. »
Les preuves présentées au cours de ce Procès ont permis d’établir que, malgré ces règles, les territoires occupés par l’Allemagne ont été exploités pour l’effort de guerre allemand de la façon la plus impitoyable, sans aucun égard pour l’économie du pays et en exécution d’un plan et d’une politique délibérés. Il y eut, en fait, un « pillage systématique des biens publics ou privés » ce qui, d’après l’article 6, b du Statut, constitue un crime. La politique allemande d’occupation a été exposée dans un discours prononcé par Göring, le 6 août 1942, devant diverses autorités chargées de l’administration des territoires occupés :
« Dieu sait que vous n’êtes pas envoyés là-bas pour travailler au bien-être des populations dont vous avez la charge, mais au contraire pour leur prendre le plus possible, afin que le peuple allemand puisse vivre. Voilà ce que j’attends de votre activité. Le respect éternel pour les peuples étrangers doit maintenant cesser, une fois pour toutes. J’ai sous les yeux des rapports indiquant ce que vous devez livrer. Ce n’est rien du tout par rapport aux territoires que vous occupez. Par conséquent, cela m’est parfaitement égal que vous me disiez que vos populations meurent de faim. »
Les méthodes utilisées pour exploiter à fond les ressources des territoires occupés varièrent suivant les pays. Dans certains cas, à l’Est et à l’Ouest, cette exploitation fut réalisée dans le cadre économique déjà existant. Les Allemands surveillèrent les industries locales et la distribution du matériel de guerre fut sévèrement contrôlée.
Des industries, qu’on estimait avoir une certaine valeur pour l’effort de guerre allemand, furent obligées de continuer à travailler. La plupart des autres furent fermées. Les matières premières ainsi que les produits manufacturés furent confisqués pour les besoins de l’industrie allemande. Dès le 19 octobre 1939, Göring avait publié un ordre donnant des instructions détaillées pour l’administration des territoires occupés.
Il s’exprimait ainsi :
« La façon dont on procédera pour gérer économiquement les différentes régions administratives sera différente selon qu’il s’agira d’un pays incorporé politiquement dans le Reich allemand, ou du Gouvernement Général qui, lui, selon toute probabilité, ne fera pas partie de l’Allemagne. Dans les territoires de la première catégorie, il faut s’efforcer d’obtenir, et cela le plus rapidement possible, la reconstruction et l’exploitation de l’économie, la sauvegarde de tous les moyens de production et de tous les approvisionnements, ainsi que l’incorporation entière de ces pays dans le système économique de la Plus Grande Allemagne. Au contraire, il faudra enlever aux territoires du Gouvernement Général toutes les matières premières, les ferrailles et déchets, les machines, etc., qui peuvent servir à l’économie de guerre de l’Allemagne. Les entreprises qui ne sont pas rigoureusement indispensables au niveau de vie minimum de la population doivent être transférées en Allemagne. Cependant si ce transfert exige un laps de temps trop considérable, il sera plus pratique de continuer sur place l’exploitation de ces entreprises et de leur donner à exécuter des commandes pour l’Allemagne. »
En application de cet ordre, les produits de l’agriculture, les matières premières dont avaient besoin les usines allemandes, les machines-outils, le matériel de transport, les autres produits manufacturés et même les valeurs et devises étrangères, furent réquisitionnés et envoyés en Allemagne. Ces réquisitions étaient faites sans égard pour les ressources économiques de ces pays et elles entraînèrent la famine, l’inflation et un marché noir intense. Les autorités allemandes d’occupation essayèrent tout d’abord de supprimer ce dernier parce qu’il constituait un mode d’échange permettant aux produits locaux d’échapper aux Allemands. Après l’échec de ces tentatives, une agence fut créée afin de faire des achats au marché noir pour le compte de l’Allemagne ; ainsi fut tenue la promesse que Göring avait faite : « Tous devraient savoir que même si la famine venait à s’étendre partout, en aucun cas elle ne toucherait l’Allemagne. »
Dans de nombreux pays de l’Est et de l’Ouest, les autorités d’occupation firent semblant de payer tout ce qu’elles prenaient. Ce simulacre de règlement masquait simplement le fait que les marchandises envoyées des territoires occupés en Allemagne étaient en réalité payées par les pays occupés eux-mêmes qui étaient contraints, soit de verser des frais d’occupation exagérés, soit de consentir des avances en échange d’une écriture de crédit passée sur un « compte de clearing » purement fictif.
Mais dans la plupart des territoires occupés de l’Est, ce simulacre de légalité ne fut même pas observé ; l’exploitation économique devint un pillage délibéré. Cette politique fut d’abord mise en pratique dans l’administration du Gouvernement Général de Pologne. Les produits agricoles, dans l’Est, furent l’objet de la principale exploitation, et de grandes quantités de denrées alimentaires furent expédiées ainsi du Gouvernement Général vers l’Allemagne.
Les preuves relatives à la famine dont souffrit toute la population polonaise dans le Gouvernement Général montrent avec quelle impitoyable sévérité fut menée cette politique d’exploitation.
L’occupation des territoires de l’URSS fut caractérisée par un pillage prémédité et systématique. Avant même que l’attaque ne fût lancée contre ce pays, un groupe économique — dit groupe Oldenburg — fut créé pour en assurer l’exploitation la plus efficace.
Le ravitaillement des armées allemandes devait être assuré par le territoire soviétique, même si « des millions d’êtres devaient mourir de faim ». Un ordre de l’OKW publié avant l’attaque disait :
« Le but économique principal de cette campagne est d’obtenir la plus grande quantité possible de produits alimentaires et de pétrole. »
Parallèlement, un mémoire de Rosenberg du 20 juin 1941 avait préconisé l’emploi des produits de la Russie méridionale et de l’Ukraine septentrionale pour nourrir le peuple allemand, disant :
« Nous ne voyons absolument aucune raison qui nous oblige à nourrir aussi la population russe avec les produits excédentaires de ce territoire. Nous savons que c’est là une dure nécessité, qu’il faut dépouiller de toute considération sentimentale. »
Dès l’occupation du territoire soviétique, cette politique fut mise en pratique ; les produits agricoles furent confisqués dans de larges proportions, au mépris le plus absolu des besoins des habitants du territoire.
Outre cette mainmise sur les matières premières et les articles manufacturés, une saisie massive des œuvres d’art, des meubles, des textiles et d’autres objets de même nature fut opérée dans tous les pays envahis.
Le 29 janvier 1940, Rosenberg fut nommé par Hitler chef du « Centre de recherches pour l’idéologie et l’éducation nationale-socialistes ». Par la suite, l’organisme connu sous le nom de « Einsatzstab Rosenberg » se mit à exécuter des opérations de grande envergure. Destiné, tout d’abord, à créer une bibliothèque de recherches, il se transforma par la suite en une entreprise de saisie de tous les trésors culturels. Le 1er mars 1942, Hitler promulgua un autre décret autorisant Rosenberg à fouiller les bibliothèques, les loges maçonniques et les établissements intellectuels ; il devait y saisir les documents intéressants, les objets de valeur appartenant à des Juifs ou se trouvant en leur possession, ainsi que ceux qui n’avaient pas de propriétaire ou dont on ne pouvait pas établir clairement l’origine. Ce décret exigeait la coopération du Haut Commandement militaire et précisait que les travaux de Rosenberg à l’Ouest devaient être menés par lui en sa qualité de Reichsleiter et, à l’Est, en sa qualité de Reichsminister. C’est ainsi que les activités de Rosenberg s’étendirent aux territoires occupés ; Robert Scholz, chef du Service spécial chargé des œuvres d’art déclarait dans son rapport :
« Au cours de la période allant de mars 1941 à juillet 1944, le Service spécial chargé des œuvres d’art a dirigé sur l’Allemagne vingt-neuf grands convois comprenant cent trente-sept wagons de marchandises et quatre mille cent soixante-quatorze caisses renfermant des objets d’art. »
Le rapport de Scholz parle de vingt-cinq albums de gravures des plus importantes collections artistiques saisies à l’Ouest, qui furent offertes au Führer. Trente-neuf volumes, reliés en cuir et préparés par l’Einsatzstab, contenaient des photographies de peintures, de tissus, de meubles, de chandeliers et de nombreux autres objets d’art, et montraient la valeur et l’importance des rafles opérées. Dans de nombreux territoires occupés, des collections privées furent confisquées, des bibliothèques et des domiciles particuliers mis à sac.
Des musées, des palais et des bibliothèques furent systématiquement pillés en Russie. L’Einsatzstab de Rosenberg, le « bataillon » spécial de von Ribbentrop, les commissaires du Reich et les membres de commandements militaires s’emparèrent d’objets de valeur culturelle et historique appartenant à la population de l’Union Soviétique, et les envoyèrent en Allemagne. Le commissaire du Reich pour l’Ukraine enleva ainsi des peintures et des objets d’art de Kiev et de Karkov et les expédia en Prusse orientale. Des volumes rares et des objets d’art des palais de Peterhof, Zsarskoye Selo et Pavlovks furent emmenés en Allemagne. Dans la lettre qu’il adressa le 3 octobre 1941 à Rosenberg, le commissaire du Reich Kube disait que la valeur des objets d’art enlevés en Biélorussie se montait à des millions de roubles. Une lettre adressée par les services de Rosenberg à von Milde-Schreden disait que, dans le seul mois d’octobre 1943, environ quarante wagons pleins d’objets d’art furent dirigés vers le Reich, ce qui montre l’étendue de ce pillage.
Il ne convient de dire que quelques mots de l’explication d’après laquelle le but poursuivi en saisissant les œuvres d’art aurait été de les protéger et de les conserver. Le 1er décembre 1939, Himmler, en sa qualité de commissaire du Reich pour l’« affermissement du germanisme », publia un décret adressé aux officiers régionaux de la Police secrète dans les territoires annexés de l’Est et aux chefs du Service de sûreté de Radom, Varsovie et Lublin. Ce décret contenait des directives administratives pour l’exécution du programme de saisie des œuvres d’art ; on peut lire dans son article premier :
« Pour affermir le germanisme, tous les objets mentionnés au paragraphe 2 du décret sont dès maintenant confisqués… Ils sont confisqués pour le bien du Reich allemand, et sont à la disposition du commissaire du Reich pour l’affermissement du germanisme. »
La preuve que le but poursuivi par la saisie de ces objets n’était pas de les mettre à l’abri, mais bien d’enrichir l’Allemagne, résulte encore de ce passage d’un rapport non daté du Dr Hans Posse, directeur de la Galerie nationale de tableaux de Dresde :
« J’ai eu l’occasion d’acquérir une certaine connaissance des collections publiques et privées ainsi que des propriétés de l’Église, qui se trouvent à Cracovie et à Varsovie. Il est vrai que nous ne pouvons trop compter nous enrichir par l’acquisition de grandes œuvres d’art — peintures et sculptures — à l’exception toutefois de l’autel de Veit Stoss et des panneaux de Hans von Kulnbach dans l’église de Notre-Dame à Cracovie… et de plusieurs autres œuvres du Musée national de Varsovie. »
L’article 6, b du Statut décide que « les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés » seront considérés comme crimes de guerre. Les règles concernant les travaux forcés imposés aux habitants de territoires occupés se trouvent dans l’article 52 de la Convention de La Haye, qui stipule :
« Des réquisitions en nature et des services ne pourront être réclamés des communes ou des habitants que pour les besoins de l’armée d’occupation. Ils seront en rapport avec les ressources du pays, et de telle nature qu’ils n’impliquent pas, pour les populations, l’obligation de prendre part aux opérations militaires contre leur propre patrie. »
La politique des autorités d’occupation allemandes a constitué une violation flagrante des termes de cette Convention. On peut se rendre compte de ce qu’était cette politique en lisant la déclaration faite par Hitler dans un discours prononcé le 9 novembre 1941 :
« Le chiffre de la population qui travaille maintenant pour nous, dans le territoire que nous occupons, atteint plus de deux cent cinquante millions d’hommes ; mais si l’on compte aussi celle qui travaille indirectement à notre profit, on arrive à plus de trois cent cinquante millions. Dans la mesure où il s’agit de territoires allemands, nous parviendrons, dans les régions que nous administrons, à atteler à cette tâche jusqu’au dernier homme. »
Les résultats obtenus effectivement ne furent pas aussi complets ; pourtant, les autorités d’occupation allemandes parvinrent à astreindre un grand nombre d’habitants des territoires occupés à l’effort de guerre du Reich. Elles déportèrent en Allemagne au moins cinq millions de personnes pour les contraindre à des travaux agricoles.
Aux premiers temps de la guerre, la main-d’œuvre était, dans les territoires envahis, placée sous la direction de diverses autorités d’occupation et les méthodes différaient selon les pays. Mais, bientôt, dans tous les territoires occupés, un service de travail obligatoire fut créé. Les habitants furent recensés et forcés de travailler sur place au bénéfice de l’économie de guerre allemande. Bien souvent, ils durent construire des fortifications et des installations militaires. Comme les stocks de matières premières et la capacité de production industrielle devenaient sur place insuffisants pour satisfaire les demandes allemandes, on inaugura le système de la déportation des ouvriers en Allemagne : celle-ci avait été ordonnée dans le Gouvernement Général dès la mi-avril 1940. Une méthode similaire fut suivie dans les autres territoires à l’Est, au fur et à mesure de leur occupation. Himmler décrivit les méthodes de déportation forcée qui étaient employées en Pologne. Dans une allocution prononcée devant les officiers SS, il rappela comment, par une température de 40 degrés au-dessous de zéro, il fallait « transporter des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers de personnes ». Une autre fois, il déclara :
« Le fait que dix mille femmes russes tombent d’épuisement en creusant un fossé anti-char ne m’intéresse que dans la mesure où le fossé anti-char est creusé pour l’Allemagne… Nous devons réaliser que nous avons de six à sept millions d’étrangers en Allemagne… Aucun d’eux ne sera dangereux pour autant que nous interviendrons sévèrement à la moindre bagatelle. »
Cependant en France, en Belgique, en Hollande et en Norvège, les Allemands essayèrent, au cours des deux premières années, d’obtenir les ouvriers nécessaires par un système d’engagements volontaires ; mais le procès-verbal de la réunion du Bureau central d’Études, en date du 1er mars 1944, montre à quel point ce volontariat n’était que théorique. La discussion suivante s’engagea, sur la situation en France, entre Sauckel et un certain Koehrl, représentant de Speer :
Koehrl. — « Pendant ce temps-là, un grand nombre de Français ont été recrutés et sont allés volontairement en Allemagne. »
Sauckel. — « Ce n’étaient pas toujours des volontaires ; quelques-uns ont été recrutés par la force. »
Koehrl. — « La conscription commença lorsque le recrutement volontaire ne donna plus de résultats suffisants. »
Sauckel. — « Mais sur les 5 millions de travailleurs qui sont en Allemagne, il n’y avait même pas 200.000 volontaires. »
Koehrl. — « Ne nous demandons plus, pour l’instant, s’il y eut ou non quelques pressions exercées. Théoriquement tout au moins, tous venaient spontanément. »
Des comités furent créés afin d’encourager le recrutement ; une énergique campagne de propagande fut entreprise pour inciter les travailleurs à aller, de leur plein gré, en Allemagne. On promettait, par exemple, la libération d’un prisonnier de guerre pour chaque départ volontaire d’un ouvrier. Bien plus, dans certains cas, on retira leurs cartes de rationnement aux travailleurs qui refusaient de se rendre en Allemagne ou on les renvoya en leur ôtant tout droit aux allocations de chômage et toute possibilité de travailler ailleurs. Parfois même, eux et leur famille étaient menacés de représailles par la police, s’ils refusaient de partir. Le 21 mars 1942, Sauckel fut nommé plénipotentiaire à l’utilisation de la main-d’œuvre ; ce titre lui conférait autorité sur « toute la main-d’œuvre disponible, y compris celle des travailleurs recrutés à l’étranger et des prisonniers de guerre ».
Sauckel se trouvait placé sous l’autorité directe de Göring, Commissaire au Plan de quatre ans, mais celui-ci, par un décret du 27 mars 1942, transféra à Sauckel toute son autorité sur la main-d’œuvre. D’après les instructions données à ce dernier, les ouvriers étrangers devaient être recrutés selon le principe du volontariat, mais ces instructions prévoyaient également que « si, néanmoins, un appel au travail volontaire ne donnait pas de résultats suffisants, il faudrait absolument recourir au service obligatoire et à la conscription ». Des ordonnances prescrivant le travail en Allemagne furent publiées dans tous les territoires occupés. Le nombre d’ouvriers à fournir était fixé par Sauckel et les autorités locales devaient satisfaire aux exigences par la conscription, si cela s’avérait nécessaire. La déclaration de Sauckel, en date du 1er mars 1944, rappelée ci-dessus, démontre que la conscription était la règle et non l’exception.
Sauckel déclara souvent que les travailleurs des nations étrangères étaient traités avec humanité et que leurs conditions de vie étaient bonnes. Mais quel qu’ait pu être le désir de Sauckel de voir les travailleurs étrangers traités de façon humaine, les preuves soumises au Tribunal démontrent que, dans beaucoup de cas, la conscription de la main-d’œuvre se fit par des méthodes énergiques et même violentes. Les « erreurs et maladresses » se produisirent sur une large échelle : chasse à l’homme dans les rues, dans les cinémas, dans les églises, et, la nuit, dans les demeures particulières. Des maisons furent brûlées et les familles emmenées comme otages.
Rosenberg a écrit que ces procédés puisaient leurs origines « dans les périodes les plus sombres de la traite des esclaves ».
Les méthodes qui étaient employées en Ukraine pour recruter de force des travailleurs sont décrites dans un ordre donné aux officiers du SD dans ce pays :
« Il ne sera pas toujours possible d’éviter le recours à la force… Lorsqu’on aura perquisitionné dans des villages et spécialement lorsqu’il aura été nécessaire de les incendier, on devra mettre de force toute la population à la disposition du Commissaire… En règle générale, il ne faudra plus tuer les enfants. Si, pour le moment, nous restreignons aux ordres donnés ci-dessus l’emploi de mesures sévères, nous n’agissons ainsi que parce qu’il faut avant tout recruter des travailleurs. »
En appliquant cette politique, on négligeait totalement les ressources et les besoins des pays occupés.
Le traitement des travailleurs était régi par l’instruction de Sauckel du 20 avril 1942, qui prévoyait notamment :
« Tous les hommes doivent être nourris, logés et traités de telle façon que l’on puisse les exploiter au plus haut degré possible, avec le minimum de frais. »
Il a été prouvé que les travailleurs déportés en Allemagne y étaient envoyés sous escorte, souvent entassés dans des trains non chauffés, sans nourriture, sans vêtements et sans installations sanitaires. Des documents ont aussi démontré que, en dépit des déclarations de Sauckel à Hitler, le traitement appliqué aux travailleurs en Allemagne fut, dans de nombreux cas, brutal et dégradant : dans les usines Krupp, les punitions les plus cruelles leur étaient infligées. En théorie, les travailleurs étaient payés, logés et nourris par le Front du Travail ; ils avaient même le droit d’envoyer du courrier et des colis dans leur pays et d’y transférer leurs économies, mais la plus grande partie de leur paye était absorbée par des prélèvements. Les camps dans lesquels ils étaient logés étaient insalubres et la nourriture était très souvent au-dessous du minimum nécessaire pour leur permettre de remplir leurs tâches. Les fermiers allemands qui employaient des Polonais avaient le droit de leur infliger des châtiments corporels et ils avaient reçu l’ordre de les loger, autant que possible, dans les écuries et non pas dans leur maison. Tous les travailleurs étaient soumis au contrôle incessant de la Gestapo et de SS et, s’ils essayaient de quitter leur travail, ils étaient envoyés dans des camps de redressement ou de concentration. Ces derniers contribuèrent également à augmenter le chiffre de la main-d’œuvre. Il fut ordonné aux commandants de ces camps de faire travailler leurs prisonniers jusqu’à la limite de leurs forces physiques. À la fin de la guerre, les camps de concentration effectuaient certaines catégories de travaux avec un tel rendement, que la Gestapo reçut l’instruction d’en grossir les effectifs, en y internant des ouvriers susceptibles d’être utilisés à ces tâches. Les prisonniers de guerre alliés furent aussi considérés comme une source possible de main-d’œuvre. Une pression fut exercée sur des sous-officiers pour les forcer à accepter de travailler ; on transféra dans des camps disciplinaires ceux qui n’y consentaient pas. Beaucoup de prisonniers furent employés à des travaux en rapport direct avec les opérations militaires : violation évidente de l’article 31 de la Convention de Genève. Ils durent travailler dans des usines de munitions, charger des avions de bombardement, transporter des munitions et creuser des tranchées, souvent dans des conditions très périlleuses. Ce fut surtout le cas pour les prisonniers de guerre soviétiques. À une réunion du Bureau central d’Études, tenue le 16 février 1943, en présence de Sauckel et de Speer, Milch déclara :
« Nous avons formulé une demande pour qu’un certain pourcentage d’hommes employés dans l’artillerie anti-aérienne soit constitué de Russes ; en tout, on en prendra cinquante mille ; trente mille sont déjà employés comme canonniers. C’est une chose amusante que les Russes soient obligés de servir des canons. »
De même à Posen, le 4 octobre 1943, Himmler déclara, au sujet des prisonniers russes capturés les premiers jours de la guerre :
« À ce moment-là, cette masse humaine n’avait pas, à nos yeux, comme matière première et comme main-d’œuvre, la valeur que nous lui accordons aujourd’hui, et le fait que des dizaines et des centaines de milliers de prisonniers soient morts d’épuisement et de faim est à déplorer, non pas au point de vue racial, mais à cause de la perte de main-d’œuvre subie. »
Sauckel formula, le 20 avril 1942, la politique générale servant de base à la mobilisation du travail forcé :
« Cette gigantesque mobilisation doit permettre d’exploiter toutes les riches et immenses ressources qui ont été conquises par nous, par la Wehrmacht luttant sous la conduite d’Adolf Hitler, afin que nos armées soient équipées et la Patrie ravitaillée. Les matières premières, les territoires fertiles qui ont été conquis, la main-d’œuvre, tout sera exploité entièrement et consciencieusement au profit de l’Allemagne et de ses alliés… Tous les prisonniers de guerre, aussi bien ceux de l’Ouest que ceux de l’Est, qui sont actuellement en Allemagne, devront être utilisés en totalité dans les industries allemandes d’armement et de ravitaillement… Ainsi il faut immédiatement exploiter dans la mesure du possible les réserves humaines du territoire soviétique conquis. Si nous ne réussissons pas à obtenir la quantité nécessaire d’ouvriers par les engagements volontaires, il nous faudra recourir immédiatement à la réquisition et instituer le travail obligatoire. L’utilisation au maximum des prisonniers de guerre et l’emploi d’un très grand nombre de nouveaux travailleurs civils étrangers, hommes et femmes, sont devenus, pour la réalisation du programme de travail dans cette guerre, une nécessité qui ne se discute pas. »
On pourrait également se référer à la politique existant en Allemagne au cours de l’été 1940, suivant laquelle toutes les personnes âgées, malades, et incurables, « bouches inutiles », étaient transférées dans des camps spéciaux où elles étaient tuées, et leurs parents informés de leur décès comme étant survenu de cause naturelle. Les victimes n’étaient pas internées avec les citoyens allemands, mais incorporées aux travailleurs étrangers, devenus incapables de travailler, et par conséquent sans utilité pour la machine de guerre allemande. On a estimé qu’au moins deux cent soixante-quinze mille personnes furent tuées de cette manière dans des cliniques, hôpitaux et asiles, lesquels, étaient sous la juridiction de Frick, en sa qualité de ministre de l’Intérieur. Combien de travailleurs étrangers furent incorporés dans ce total, il a été tout à fait impossible de le déterminer.
La persécution des Juifs par le Gouvernement nazi a été décrite de la façon la plus détaillée devant ce Tribunal. Nous avons là la preuve d’actes commis sur une grande échelle avec une inhumanité constante et systématique. Ohlendorf, chef de l’Amt III dans le RSHA, de 1939 à 1943, et commandant d’une Einsatzgruppe dans la campagne contre l’Union Soviétique, a témoigné sur les méthodes employées pour exterminer les Juifs. Il a dit que, pour fusiller les victimes, il se servait de pelotons d’exécution, afin de réduire le sentiment de la culpabilité personnelle chez ses hommes et que les quatre-vingt-dix mille hommes, femmes et enfants, qui furent massacrés en un an par son seul groupe, étaient Juifs pour la plupart.
Lorsqu’on demanda au témoin Bach Zelewski comment Ohlendorf avait pu trouver naturel le meurtre de quatre-vingt-dix mille personnes, il répondit :
« J’estime que si l’on enseigne pendant des années, des dizaines d’années, la doctrine selon laquelle la race slave est une race inférieure, et le Juif à peine un être humain, un tel aboutissement est inévitable. »
Frank a prononcé les derniers mots de ce chapitre de l’histoire nazie lorsqu’il a dit devant ce Tribunal :
« Nous avons lutté contre les Juifs, nous avons lutté pendant des années, et nous nous sommes permis de faire des déclarations — mon propre journal m’accable à cet égard — des déclarations terribles… Mille années passeront et cette faute de l’Allemagne ne sera toujours pas effacée. »
La politique antijuive était ainsi résumée dans le paragraphe 4 du programme du Parti : « Peut seul être citoyen un membre de la race. Est membre de la race celui-là seul qui est de sang allemand, sans considération de croyances. Aucun Juif ne peut être membre de la race… »
D’autres paragraphes de ce programme stipulaient que les Juifs devaient être traités en étrangers, qu’ils n’avaient pas le droit d’occuper des fonctions publiques, qu’ils devraient être expulsés du Reich dans le cas où le ravitaillement serait insuffisant pour la population entière, qu’ils ne devaient plus être autorisés à immigrer en Allemagne et enfin qu’on devrait leur interdire de publier des journaux. Le parti nazi ne cessa de prêcher cette doctrine. Le Stürmer et d’autres publications étaient autorisés à propager la haine contre les Juifs et ceux-ci, dans les discours et les déclarations des dirigeants nazis, étaient ridiculisés publiquement et livrés au mépris de la foule.
La persécution des Juifs s’intensifia à la prise du pouvoir. Une série de lois d’exception fut promulguée, qui limitait les fonctions et professions que les Juifs avaient le droit d’exercer ; leur vie privée et leurs droits de citoyens firent également l’objet d’autres restrictions. Dès l’automne 1933, les nazis, dans leur politique antisémite, en étaient arrivés à vouloir l’exclusion totale des Juifs de la vie allemande. On organisa des pogroms consistant à brûler et à détruire les synagogues, à piller les magasins israélites et à arrêter les hommes d’affaires juifs importants. Une amende collective d’un milliard de mark fut imposée aux Juifs, la saisie de leurs avoirs fut permise et ils ne furent autorisés à se déplacer que dans certains districts et à certaines heures. Des ghettos furent créés en grand nombre et, sur ordre de la Police de sûreté, les Juifs furent obligés de porter une étoile jaune sur la poitrine et une autre dans le dos.
Le Ministère Public a affirmé que certains aspects de cette politique antisémite se rattachaient aux plans de guerre d’agression. Les mesures brutales prises contre les Juifs, en novembre 1938, étaient censées être ordonnées en représailles de l’assassinat d’un fonctionnaire de l’Ambassade allemande à Paris. Mais il y a lieu de remarquer que ces mesures sont intervenues un an après la décision d’annexer l’Autriche et la Tchécoslovaquie et de noter que l’amende d’un milliard de mark fut imposée, et la confiscation des avoirs juifs décrétée, à un moment où les frais de réarmement avaient mis le trésor allemand dans de telles difficultés que l’on envisageait de les réduire. Ces mesures furent prises d’ailleurs avec l’approbation de Göring qui était chargé des questions économiques de cette nature et qui était partisan acharné d’un programme de réarmement intensif, quelles que pussent être les difficultés financières.
On a dit, en outre, que le lien entre la politique antisémite et la guerre d’agression n’existait pas seulement dans le domaine économique. Le bulletin du ministère des Affaires étrangères allemand, dans un article du 25 janvier 1939, intitulé « Le problème juif comme facteur de la politique étrangère allemande au cours de l’année 1938 », décrivait de la façon suivante la nouvelle phase antisémite nazie :
« Le fait que cette année fatale, 1938, nous a rapprochés de la solution de la question juive, en même temps que de la réalisation de l’idée de la Plus Grande Allemagne, n’est pas une pure coïncidence, car la politique juive est à la fois la base et la conséquence des événements de 1938. L’influence prise par les Juifs et leur esprit destructeur dans le domaine politique, économique et culturel, tout cela paralysait le pouvoir et la volonté du peuple allemand de se relever, encore plus peut-être que ne le faisait l’opposition politique des anciennes puissances alliées qui furent nos ennemies lors de la guerre mondiale. C’est pourquoi il fallait d’abord guérir le peuple de cette maladie, afin de mettre en action cette force qui, en 1938, a eu pour résultat, contre la volonté du monde entier, la réunion de la Plus Grande Allemagne. »
La persécution des Juifs dans l’Allemagne nazie d’avant-guerre, pour brutale qu’elle ait été, ne peut se comparer avec la politique poursuivie au cours de la guerre dans les pays occupés. Au début, cette politique fut analogue à celle déjà adoptée en Allemagne. Les Juifs furent obligés de se faire enregistrer, de vivre dans des ghettos, de porter l’étoile jaune et ils furent utilisés pour le travail forcé. Cependant, au cours de l’été de 1941, des plans furent établis pour la « solution finale » de la question juive en Europe. Cette « solution finale » signifiait l’extermination des Juifs, dont Hitler avait prédit, au début de 1939, qu’elle serait une des conséquences de la guerre ; une section spéciale de la Gestapo, sous les ordres d’Adolf Eichmann, chef de la Section B4 de cette police, fut créée pour atteindre ce résultat.
Le plan d’extermination des Juifs se développa peu après l’attaque de l’Union Soviétique. Ce fut à des Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD, formés pour briser, sur le front oriental, la résistance des populations derrière les Armées allemandes, que l’on confia la tâche d’exterminer les Juifs dans ces régions. L’efficacité du travail accompli par les Einsatzgruppen apparaît dans le fait qu’en février 1942, Heydrich put déclarer que l’Esthonie avait déjà été entièrement débarrassée des Juifs, et qu’à Riga leur nombre était passé de vingt-neuf mille cinq cents à deux mille cinq cents. Les Einsatzgruppen exécutèrent en trois mois plus de cent trente-cinq mille Juifs dans les États baltes occupés.
Ces unités spéciales n’opérèrent pas en complète indépendance vis-à-vis de l’Armée allemande. Il est clairement prouvé, au contraire, que les chefs des Einsatzgruppen obtinrent la collaboration des chefs de l’Armée ; notamment, les relations entre les autorités militaires et l’une des Einsatzgruppen ont été décrites comme étant, à ce moment-là, « très étroites, presque cordiales » ; dans un autre cas, la facilité avec laquelle un Einsatzkommando avait pu accomplir sa tâche fut attribuée à la « compréhension pour cette façon d’agir », montrée par les autorités militaires.
L’extermination des Juifs fut aussi confiée à des unités de la Police de sûreté et du SD qui se trouvaient dans les territoires de l’Est soumis à une administration civile. Bien qu’elle n’ait eu lieu qu’en 1943, la destruction du ghetto de Varsovie, telle qu’elle est relatée dans le rapport du général SS Stroop, chargé de cette opération, démontre clairement la nature organisée et systématique des persécutions de Juifs. Le récit de Stroop, contenu dans un volume, illustré de photographies, s’intitule : « Le Ghetto de Varsovie n’existe plus », et a été produit en preuve devant ce Tribunal. Il se compose d’une suite de rapports adressés par l’auteur à l’Oberführer des SS et de la Police pour les territoires de l’Est. On lit dans l’un de ces textes daté par Stroop d’avril-mai 1943 :
« Seule l’action énergique effectuée de jour et de nuit par nos troupes put venir à bout de la résistance des Juifs et des bandits. Le Reichsführer SS donna donc l’ordre, le 23 avril 1943, de nettoyer le ghetto avec la plus grande sévérité et une fermeté impitoyable. Je décidai donc de détruire et d’incendier le ghetto tout entier, sans épargner les fabriques de munitions. Ces fabriques furent d’abord systématiquement dégarnies, puis incendiées. Les Juifs abandonnaient d’habitude leurs cachettes, mais souvent restaient dans les bâtiments qui flambaient et ne sautaient des fenêtres que lorsque la chaleur devenait intolérable. Ils essayaient alors de ramper, les membres brisés, à travers la chaussée, jusque dans un bâtiment épargné par les flammes… Dans les égouts, la vie ne fut pas agréable après la première semaine. Souvent nous pouvions y entendre résonner des voix fortes… Nous lancions des bombes lacrymogènes dans les ouvertures et les Juifs étaient ainsi chassés et pris. D’innombrables Juifs furent exterminés dans les égouts et les abris grâce à l’usage d’explosifs. Plus la résistance durait, plus les membres des Waffen SS, de la Police et de la Wehrmacht devenaient impitoyables, accomplissant toujours leur devoir d’une façon exemplaire. »
Stroop a noté que cette action de Varsovie élimina « un total vérifié de cinquante-six mille soixante-cinq personnes, auxquelles il faut ajouter celles qui furent tuées par des explosions, des incendies, etc., et dont le nombre ne peut être contrôlé. »
Enfin, on a projeté devant le Tribunal des films qui montrent les fosses communes découvertes par les Alliés, contenant des centaines de victimes, et qui constituent autant de preuves d’assassinats massifs de Juifs.
Ces atrocités ne sont que la conséquence inévitable de la politique inaugurée en 1941 : peu importe qu’il puisse être prouvé qu’un ou deux fonctionnaires allemands aient en vain protesté contre la manière brutale avec laquelle les exécutions étaient faites. Les méthodes employées pour aboutir à la « solution finale » étaient diverses : les massacres de Rovno et de Dubno, décrits par l’ingénieur allemand Graebe, en sont un autre exemple, de même que l’extermination systématique des Juifs des territoires européens occupés par l’Allemagne. Comme moyen d’aboutir à la « solution finale », les Juifs furent réunis dans des camps où l’on décidait de leur vie ou de leur mort selon leur condition physique. Tous ceux qui le pouvaient encore devaient travailler ; ceux qui étaient hors d’état de le faire étaient exterminés dans des chambres à gaz, après quoi l’on brûlait leurs cadavres. Certains camps de concentration, tels que Treblinka et Auschwitz, furent principalement choisis à cette fin. En ce qui concerne Auschwitz, le Tribunal a entendu le témoignage de Hoess, qui en fut le commandant, du 1er mai 1940 au 1er décembre 1943. À son avis, dans ce seul camp et pendant cette période, deux millions cinq cent mille personnes furent exterminées et cinq cent mille autres périrent de maladie ou de faim. Hoess a décrit la manière dont étaient choisis ceux qui allaient être exterminés :
« Nous avions à Auschwitz deux médecins SS de service, dont la mission était de procéder à l’examen physique des prisonniers, dès l’arrivée des convois. Les prisonniers devaient défiler devant l’un des médecins qui prenait sa décision immédiatement, à mesure qu’ils passaient, Ceux qui étaient capables de travailler étaient envoyés au camp. Les autres étaient immédiatement envoyés aux installations d’extermination. Dans tous les cas, les enfants en bas âge étaient tués, car leur âge les rendait inaptes au travail. Au système en vigueur à Treblinka nous avions même apporté l’amélioration suivante : à Treblinka, les victimes savaient presque toujours qu’elles allaient être exterminées, mais, à Auschwitz, nous essayâmes de les induire en erreur et de leur faire croire qu’elles allaient être soumises à l’épouillage. Bien entendu, elles comprenaient souvent nos véritables intentions et nous avons parfois eu des révoltes et éprouvé diverses difficultés. Très souvent, des femmes cachaient leurs enfants sous leurs vêtements, mais, évidemment, lorsque nous les trouvions, ils étaient expédiés vers les lieux d’extermination. »
Quant aux exterminations mêmes, il les décrivit en ces termes :
« Il nous fallait de trois à quinze minutes pour tuer les victimes dans la chambre de mort, le délai variant suivant les conditions atmosphériques. Nous savions qu’elles étaient mortes quand elles cessaient de crier. En général, nous attendions une demi-heure avant d’ouvrir les portes et d’enlever les cadavres, que nos commandos spéciaux dépouillaient alors de leurs bagues et de leurs dents en or. »
Les coups, le régime de famine, les tortures et les exécutions étaient la règle. Les détenus étaient soumis à des expériences cruelles. À Dachau, en août 1942, certains furent immergés dans l’eau froide jusqu’à ce que la température de leur corps s’abaissât à 28° et que la mort survînt. On effectuait également différentes expériences concernant les hautes altitudes, la durée pendant laquelle des êtres humains peuvent vivre dans l’eau glacée, l’effet des balles empoisonnées et de certaines maladies contagieuses. Enfin on expérimenta la stérilisation d’hommes et de femmes par les rayons X et par d’autres méthodes.
Des documents et des dépositions ont montré au Tribunal quel était le traitement des internés avant leur exécution et, ensuite, quel était le sort réservé à leurs corps. Avant l’exécution des condamnées, on coupait leurs cheveux pour les envoyer en Allemagne et les utiliser à la fabrication de matelas. On récupérait également les vêtements, l’argent et les objets de valeur appartenant aux victimes et on les envoyait à des services qualifiés pour en disposer. Après l’extermination, les dents et les appareils dentaires en or étaient prélevés sur les cadavres et envoyés à la Reichsbank qui les faisait fondre en lingots. Les cendres provenant de l’incinération étaient utilisées comme engrais et, dans certains cas, on fit des essais en vue de se servir de la graisse des victimes pour la production industrielle de savon. Des groupes spéciaux parcouraient l’Europe à la recherche des Juifs pour les soumettre à la « solution finale ». Des missions allemandes furent envoyées dans des pays satellites, tels que la Hongrie et la Bulgarie, afin d’organiser le transfert des Juifs vers les camps d’extermination et on sait que, à la fin de l’année 1944, quatre cent mille Juifs de Hongrie avaient été assassinés à Auschwitz. On a aussi la preuve que cent dix mille Juifs ont été évacués d’une partie de la Roumanie pour être exterminés. Adolf Eichmann, que Hitler avait chargé de ce programme, a estimé que cette politique avait causé la mort de six millions de Juifs, dont quatre millions périrent dans les camps d’extermination.
L’article 6 du Statut soumet à la compétence du Tribunal :
« b) Les crimes de guerre : c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ;
« c) Les crimes contre l’Humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. »
Comme on l’a vu, le Statut n’érige en infraction distincte qu’une seule forme de complot : le plan concerté en vue de commettre des crimes contre la Paix, visé à l’article 6, a.
Le Statut lie le Tribunal quant à la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. Mais, dès avant le Statut les crimes de guerre énumérés par l’article 6, b tenaient du Droit international leur qualification de crimes de guerre. Ils étaient prévus par les articles 46, 50, 52 et 56 de la Convention de La Haye de 1907, et par les articles 2, 3, 4, 46 et 51 de la Convention de Genève de 1929. Il n’est pas douteux que la violation de ces textes constitue un crime, entraînant un châtiment.
On a prétendu écarter, en l’occurrence, la Convention de La Haye. On s’est prévalu, à cet effet, de la clause de « Participation générale » (article 2) qui figure dans la Convention de 1907 et qui est ainsi conçue :
« Les dispositions contenues aussi bien dans la présente Convention que dans les règlements (Règlements s’appliquant à la guerre sur terre) que mentionne l’article premier, ne s’appliquent qu’entre les parties contractantes, et seulement si tous les belligérants ont signé le présent texte. »
Or plusieurs des nations qui participèrent à la dernière guerre n’avaient pas signé la Convention.
Le Tribunal juge inutile de trancher cette question. Les règles de la guerre terrestre contenues dans la Convention réalisaient certes un progrès du Droit international. Mais il résulte de ses termes mêmes, que ce fut une tentative « pour réviser les lois générales et les coutumes de la guerre », dont l’existence était ainsi reconnue. En 1939, ces règles, contenues dans la Convention, étaient admises par tous les États civilisés et regardées par eux comme l’expression, codifiée, des lois et coutumes de la guerre auxquelles l’article 6, b du Statut se réfère.
On a également prétendu que, dans la plupart des pays occupés par lui pendant la guerre, le Reich allemand échappait aux règles de la guerre terrestre. Il avait assumé la direction complète de ces pays, et se les était incorporés. Il pouvait les traiter comme faisant partie de l’Allemagne. Il n’y a pas lieu d’examiner si cette thèse relative au pouvoir né de l’occupation militaire s’applique même quand celle-ci est le résultat d’une guerre d’agression. Il suffit de rappeler que les effets de l’occupation sont exclus tant qu’une armée se bat pour la défense du territoire. Ainsi, la doctrine alléguée est inapplicable aux territoires occupés après le 1er septembre 1939. Quant aux crimes de guerre commis en Bohême et Moravie, il suffit de répondre à l’argument proposé que ces territoires ne furent jamais annexés au Reich, mais qu’ils furent soumis à un simple protectorat.
En ce qui concerne les crimes contre l’Humanité, il est hors de doute que, dès avant la guerre, les adversaires politiques du nazisme furent l’objet d’internements ou d’assassinats dans les camps de concentration ; le régime de ces camps était odieux. La terreur y régnait souvent, elle était organisée et systématique. Une politique de vexations, de répression, de meurtres à l’égard des civils présumés hostiles au Gouvernement fut poursuivie sans scrupules — la persécution des Juifs sévissait déjà.
Mais, pour constituer des crimes contre l’Humanité, il faut que les actes de cette nature, perpétrés avant la guerre, soient l’exécution d’un complot ou plan concerté, en vue de déclencher et de conduire une guerre d’agression. Il faut, tout au moins, qu’ils soient en rapport avec celui-ci. Or le Tribunal estime que la preuve de cette relation n’a pas été faite — si révoltants et atroces que fussent parfois les actes dont il s’agit. Il ne peut donc déclarer d’une manière générale que ces faits, imputés au nazisme, et antérieurs au 1er septembre 1939, constituent, au sens du Statut, des crimes contre l’Humanité.
En revanche, depuis le déclenchement des hostilités, on a vu se commettre, sur une vaste échelle, des actes présentant le double caractère de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. D’autres actes, également postérieurs au début de la guerre et visés par l’Acte d’accusation, ne sont pas, à proprement parler, des crimes de guerre. Mais le fait qu’ils furent perpétrés à la suite d’une guerre d’agression ou en rapport avec celle-ci permet de voir en eux des crimes contre l’Humanité.
LES ORGANISATIONS ACCUSÉES.
L’article 9 du Statut stipule :
« Lors d’un procès intenté contre tout membre d’un groupement ou d’une organisation quelconque, le Tribunal pourra déclarer (à l’occasion de tout acte dont l’individu pourrait être reconnu coupable) que le groupement ou l’organisation à laquelle il appartenait était une organisation criminelle.
« Après avoir reçu l’Acte d’accusation, le Tribunal devra faire connaître, de la manière qu’il jugera opportune, que le Ministère Public a l’intention de demander au Tribunal de faire une déclaration en ce sens, et tout membre de l’organisation aura le droit de demander au Tribunal à être entendu par celui-ci, sur la question du caractère criminel de l’organisation. Le Tribunal aura compétence pour accéder à cette demande. Le Tribunal pourra fixer le mode selon lequel les requérants seront représentés et entendus. »
L’article 10 du Statut indique clairement que la déclaration de criminalité portée contre une organisation accusée est définitive, et ne peut être discutée dans aucun procès criminel ultérieur intenté à un membre de cette organisation. L’article 10 s’énonce comme suit :
« Dans tous les cas où le Tribunal aura proclamé le caractère criminel d’un groupement ou d’une organisation, les autorités compétentes de chaque signataire auront le droit de traduire tout individu devant les tribunaux nationaux militaires ou d’occupation, en raison de son affiliation à ce groupement ou à cette organisation. Dans cette hypothèse, le caractère criminel du groupement ou de l’organisation sera considéré comme établi et ne pourra plus être contesté. »
L’effet de cette déclaration de criminalité faite par le Tribunal est fort bien illustré par la loi no 10 du Conseil de Contrôle pour l’Allemagne, ratifiée le 20 décembre 1945, qui stipule :
« Chacun des cas suivants représente un crime :
« d) Affiliation à certaines catégories d’un groupe criminel ou d’une organisation déclarée criminelle par le Tribunal Militaire International.
« 3. Toute personne reconnue coupable d’un des crimes précités peut, après avoir été reconnue coupable, être frappée de la peine que le Tribunal estimera juste. Ce châtiment peut comprendre une ou plusieurs des formes suivantes :
« a) Mort ;
« b) Emprisonnement à perpétuité ou pour une durée déterminée, avec ou sans travaux forcés ;
« c) Amende et emprisonnement avec ou sans travaux forcés, en cas de non paiement de l’amende ;
« d) Confiscation des biens ;
« e) Restitution des biens mal acquis ;
« f) Privation de certains ou de tous les droits civiques.»
Il en résulte qu’un membre d’une organisation déclarée criminelle par le Tribunal peut être par la suite accusé du crime d’avoir appartenu à l’organisation et être puni de la peine de mort pour ce chef. Ceci ne tend pas à prétendre que les Tribunaux internationaux ou militaires qui jugeront ces individus ne feront pas usage des règles de justice appropriées. Nous nous trouvons en face d’une nouvelle procédure dont la portée est beaucoup plus vaste, Son application, à moins de garanties convenables, peut faire naître de grandes injustices.
L’article 9, on le remarquera, emploie les mots « le Tribunal pourra déclarer », de sorte que le Tribunal est investi du pouvoir discrétionnaire de déclarer une organisation criminelle. Ce pouvoir discrétionnaire est un pouvoir judiciaire. Il ne permet pas d’actes arbitraires. Il doit être exercé conformément aux principes juridiques admis et dont l’un des plus importants est celui de la culpabilité individuelle, qui exclut les sanctions collectives. S’il est convaincu de la culpabilité criminelle d’une organisation ou d’un groupe quelconque, ce Tribunal ne devra pas hésiter à les déclarer criminels sous prétexte que la théorie de la « criminalité d’un groupe » est nouvelle ou qu’elle pourrait être appliquée par la suite injustement par d’autres tribunaux. D’un autre côté, le Tribunal devra faire une telle déclaration de criminalité en s’assurant que des innocents ne seront pas frappés par la répression.
Une organisation criminelle est analogue à un complot criminel, en ce sens qu’ils impliquent essentiellement des buts criminels. Il faut qu’il y ait un groupe dont les membres sont liés les uns aux autres et organisés en vue d’un but commun. La formation ou l’utilisation du groupe doit avoir un rapport avec la perpétration des infractions incriminées par le Statut.
Étant donné que la déclaration relative aux organisations et aux groupes déterminera la criminalité de leurs membres, cette définition devra exclure les personnes qui n’ont pas eu connaissance des buts ou des actes criminels de l’organisation. Elle devra exclure également ceux qui ont été mobilisés par l’État pour en faire partie, à moins qu’ils aient été personnellement impliqués, en qualité de membres de l’organisation, dans la perpétration d’actes déclarés criminels par l’article 6 du Statut. La seule appartenance formelle à l’organisation ne suffit pas à elle seule, pour rentrer dans le cadre de ces déclarations.
Étant donné que les déclarations de criminalité émanant du Tribunal seront prises en considération par d’autres tribunaux au cours de procès individuels ultérieurs, pour fait d’appartenance à des organisations reconnues comme criminelles, le Tribunal estime devoir formuler les recommandations suivantes :
1. Qu’autant que possible soient uniformisées, dans les quatre zones d’occupation en Allemagne, les classifications, sanctions et peines. L’uniformité de traitement doit, dans la mesure du possible, constituer un principe fondamental. Cela ne signifie pas, bien entendu, que le pouvoir discrétionnaire de condamner soit enlevé au Tribunal, saisi d’un cas individuel, mais ce pouvoir doit rester dans les limites déterminées par rapport à la nature du crime.
2. La loi no 10 à laquelle on s’est déjà référé laisse le châtiment entièrement à la discrétion du Tribunal, même pour infliger la peine de mort.
Cependant, la loi de dénazification du 5 mars 1946, ratifiée pour la Bavière, la Grande-Hesse et le Wurtemberg-Bade, prévoit des peines précises s’appliquant au châtiment de chaque type d’infraction. Le Tribunal recommande qu’en aucun cas la peine appliquée en vertu de la loi no 10, à un membre quelconque d’une organisation ou d’un groupement déclarés criminels par le Tribunal, ne dépasse la peine prévue par la loi de dénazification. Personne ne doit être puni simultanément en vertu de ces deux lois.
3. Le Tribunal propose au Conseil de contrôle que la loi no 10 soit amendée en vue de prescrire des limites aux sanctions qui peuvent être infligées pour appartenance à un groupement ou à une organisation criminels, de manière que la sanction n’excède pas la peine prévue par la loi de dénazification.
L’Acte d’accusation demande que le Tribunal déclare criminelles les organisations suivantes : Corps des chefs du parti nazi ; Gestapo ; SD ; SS ; SA ; Cabinet du Reich ; État-Major Général et Haut Commandement des Forces armées allemandes.
L’Acte d’accusation a désigné le Corps des chefs du parti nazi comme groupement ou organisation qu’il convient de déclarer criminel. Le Corps des chefs du parti nazi constituait en effet l’organisation officielle du parti nazi, et était dirigé par Hitler en tant que Führer. L’œuvre de direction du Corps des chefs était effectuée par le chef de la chancellerie du Parti (Hess, auquel succéda Bormann) assisté de la Reichsleitung, composée des Reichsleiter, chefs des différentes organisations actives du Parti, et des chefs des différents services et bureaux principaux dépendant de la Direction du Parti pour le Reich. Au-dessous du chef de la chancellerie du Parti, se trouvaient les Gauleiter qui avaient autorité sur le territoire des principales régions administratives du Parti, les Gaue, et étaient assistés par une Direction de Gau du Parti ou Gauleitung, dont la composition et les fonctions étaient analogues à celles de la Direction du Parti pour le Reich. Au-dessous des Gauleiter, en descendant dans la hiérarchie du Parti, se trouvaient les Kreisleiter qui avaient autorité sur le territoire d’un Kreis, consistant généralement en un seul district, et assistés par une Direction de Kreis du Parti, ou Kreisleitung. Les Kreisleiter étaient à l’échelon inférieur de la hiérarchie des membres entièrement payés par le Parti. Immédiatement au-dessous des Kreisleiter, se trouvaient les Ortsgruppenleiter, puis les Zellenleiter et enfin les Blockleiter. Les ordres et les instructions émanaient de la Direction du Parti pour le Reich. Les Gauleiter avaient pour fonction d’interpréter ces ordres et de les transmettre aux échelons inférieurs. Les Kreisleiter avaient un certain pouvoir discrétionnaire quant à l’interprétation des ordres, mais les Ortsgruppenleiter n’en avaient pas et recevaient des instructions précises.
Les Blockleiter et Zellenleiter recevaient généralement des instructions verbales. À tous les échelons du Corps des chefs du parti nazi, les membres étaient volontaires.
Le 28 février 1946, les Ministères Publics exclurent de la déclaration de criminalité, demandée contre le Corps des chefs du Parti, tous les membres du personnel des Ortsgruppenleiter et tous les assistants des Blockleiter et des Zellenleiter. La déclaration de criminalité demandée contre le Corps des chefs du parti nazi comprend donc le Führer, la Reichsleitung, les Gauleiter et les principaux fonctionnaires de leur service, les Kreisleiter, et les principaux fonctionnaires de leur service, les Ortsgruppenleiter, les Zellenleiter et les Blockleiter, groupement estimé à six cent mille personnes au moins.
Le but primordial du Corps des chefs fut, dès le début, d’aider les nazis à obtenir le contrôle de l’État allemand et, après le 30 janvier 1933, à le conserver. Le Corps des chefs servait à diffuser largement la propagande nazie et à surveiller étroitement les réactions politiques du peuple allemand. Les chefs politiques d’un grade inférieur jouèrent un rôle particulièrement important dans ce sens. D’après le manuel du Parti, les Blockleiter avaient ordre de signaler aux Ortsgruppenleiter tous ceux qui répandaient des bruits dangereux ou qui critiquaient le régime. Les Ortsgruppenleiter, se basant sur les renseignements qui leur étaient fournis par les Blockleiter et les Zellenleiter, tenaient des fiches sur les personnes de leur Ortsgruppe. Ces fiches portaient les renseignements qui devaient servir à déterminer le degré de confiance qu’on pouvait leur accorder du point de vue politique. Le Corps des chefs était particulièrement actif pendant les plébiscites. Tous les membres du Corps des chefs s’appliquaient à obtenir des voix et à s’assurer le plus grand nombre possible de « oui ». Les Ortsgruppenleiter et les chefs politiques principaux collaboraient souvent avec la Gestapo et le SD dans les mesures entreprises en vue de découvrir ceux qui avaient refusé de voter ou qui avaient voté « non » et dans les mesures prises contre eux et qui allèrent jusqu’à l’arrestation ou à l’internement dans un camp de concentration.
En ce qui concerne le complot en vue d’une guerre d’agression, cas déjà exposé, ces mesures qui ont simplement pour but la consolidation du contrôle du parti nazi, ne sont pas criminelles. Mais le Corps des chefs servit également à prendre des mesures semblables en Autriche et dans les régions de Tchécoslovaquie, de Lithuanie, de Pologne, de France, de Belgique, de Luxembourg et de Yougoslavie, qui furent incorporées au Reich, et dont l’administration fut divisée en Gaue du parti nazi. Dans ces territoires occupés, l’organisation du Corps des chefs chercha à réaliser la germanisation par la suppression des droits de douane locaux, par la recherche et l’arrestation de ceux qui s’opposaient à l’occupation allemande, et par des moyens déclarés criminels, selon l’article 6, b du Statut, pour les pays régis par les lois de la guerre sur terre, élaborées à La Haye, et selon l’article 6, c du Statut pour les autres pays.
Le Corps des chefs a joué également un rôle dans la persécution des Juifs. Il fut impliqué dans l’établissement du statut d’exception économique et politique imposé aux Juifs et appliqué peu de temps après l’arrivée des nazis au pouvoir. La Gestapo et le SD reçurent l’ordre de coordonner avec les Gauleiter et les Kreisleiter les mesures prises au cours des pogroms des 9 et 10 novembre 1938. Le Corps des chefs servit aussi à empêcher les réactions de l’opinion publique allemande contre les mesures prises dans l’Est à l’égard des Juifs. Le 9 octobre 1942, un bulletin d’informations secrètes fut envoyé à tous les Gauleiter et Kreisleiter. Son titre était ainsi libellé : « Mesures préparatoires à la solution finale de la question juive en Europe. Rumeurs sur les conditions de vie des Juifs dans l’Est. » Ce bulletin déclarait que les soldats, à leur retour, faisaient circuler, sur les conditions de vie des Juifs dans l’Est, des bruits que certains Allemands pourraient ne pas comprendre et indiquait, en détail, l’explication officielle qu’il y avait lieu de donner. Le bulletin ne disait pas explicitement que l’on exterminait les Juifs, mais il indiquait qu’on les expédiait dans des camps de travail. Il mentionnait leur isolement et leur élimination totale, ainsi que la nécessité de faire preuve à leur égard d’une inflexible sévérité. Ainsi, même dans son sens apparent, il montrait que l’on avait recours à l’appareil du Corps des chefs pour empêcher l’opinion publique allemande de se révolter contre un programme qui devait condamner les Juifs d’Europe à toute une vie d’esclavage. On continua à fournir ces informations au Corps des chefs. L’édition d’août 1944 de Die Lage, publication qui était distribuée parmi les chefs politiques, décrit la déportation de quatre cent trente mille Juifs de Hongrie.
Le Corps des chefs a joué un rôle important dans l’application du programme du travail forcé. Par un décret du 6 avril 1942, Sauckel attribuait à tous les Gauleiter les fonctions de délégués à la mobilisation de la main-d’œuvre dans leur Gau. Il leur donnait le pouvoir de coordonner tous les organismes chargés des questions de main-d’œuvre dans leurs circonscriptions, et un pouvoir exprès en ce qui concernait l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, y compris les conditions de travail, le ravitaillement et le logement. En vertu de ce décret, les Gauleiter assumèrent le contrôle de la répartition de la main-d’œuvre dans leur Gau, y compris celle des travailleurs forcés amenés des pays étrangers. Dans l’accomplissement de cette tâche, les Gauleiter firent, appel, dans leur Gau, à de nombreux services du Parti, notamment aux chefs politiques subalternes. Par exemple, le décret de Sauckel du 8 septembre 1942, relatif à l’emploi de quatre cent mille ouvrières de l’Est pour des besognes ménagères, institua une procédure selon laquelle les demandes relatives à cette catégorie de main-d’œuvre devaient être transmises par les Kreisleiter, dont l’appréciation était décisive.
Selon les directives de Sauckel, le traitement des travailleurs étrangers relevait directement du Corps des chefs et les Gauleiter reçurent l’ordre explicite d’empêcher des « directeurs d’usines politiquement non-conformistes » de « trop se préoccuper du bien-être des travailleurs de l’Est ». Parmi les questions se rattachant à ce traitement, figuraient des rapports établis par les Kreisleiter sur les cas de grossesse des travailleuses, qui se terminaient par un avortement si l’ascendance de l’enfant ne répondait pas aux standards raciaux fixés par les SS, et, généralement par l’internement de la travailleuse étrangère dans un camp de concentration. Les témoignages ont permis d’établir que les travailleurs de l’industrie, sous la surveillance du Corps des chefs, étaient logés dans des camps dans des conditions sanitaires épouvantables, qu’ils fournissaient un grand nombre d’heures de travail et ne recevaient pas la nourriture appropriée. Sous la même surveillance, les travailleurs agricoles, qui étaient un peu mieux traités, se voyaient cependant interdire les moyens de transport, les distractions et l’exercice de leur religion. Ils devaient travailler pendant un temps illimité et sous une réglementation qui autorisait l’employeur à leur infliger des châtiments corporels. Les chefs politiques, tout au moins jusqu’aux Ortsgruppenleiter, étaient chargés de cette surveillance. Le 5 mai 1943, un mémorandum de Bormann, ordonnant que l’on cessât de maltraiter les travailleurs forcés, fut distribué à tous les chefs jusqu’au grade d’Ortsgruppenleiter. De même, le 10 novembre 1944, Speer transmit par circulaire un ordre de Himmler qui stipulait que les Ortsgruppenleiter devaient rappeler à tous les membres du parti nazi, suivant les instructions du Kreisleiter, qu’il leur incombait de soumettre les travailleurs étrangers à une surveillance minutieuse.
Le traitement des prisonniers de guerre était de la compétence directe du Corps des chefs. Le 5 novembre 1941, Bormann transmit un ordre aux chefs jusqu’au grade de Kreisleiter, les chargeant de faire appliquer par l’Armée les directives récentes du ministère de l’Intérieur, selon lesquelles il fallait enterrer les prisonniers de guerre soviétiques dans un lieu retiré, enveloppés dans du papier goudronné, sans cérémonie ni décoration sur leur tombe. Le 25 novembre 1943, Bormann envoya une circulaire ordonnant aux Gauleiter de signaler tous les cas où des prisonniers de guerre auraient été traités avec douceur. Le 13 septembre 1944, Bormann ordonna aux chefs jusqu’au grade de Kreisleiter, d’établir une liaison entre les Kreisleiter et les gardiens des prisonniers de guerre afin d’« adapter l’affectation des prisonniers de guerre aux besoins politiques et économiques ». Le 17 octobre 1944, une directive de l’OKW ordonna à l’officier chargé des prisonniers de guerre de conférer avec le Kreisleiter au sujet du rendement de la main-d’œuvre. L’emploi des prisonniers de guerre comme travailleurs, notamment ceux des pays de l’Est, s’est accompagné de constantes violations des lois de la guerre sur terre. Cet ensemble de témoignages permet d’établir que les membres du Corps des chefs, en descendant jusqu’aux Kreisleiter, ont participé à ces traitements illégaux.
On fit également appel à l’organisation du Corps des chefs pour essayer de priver les aviateurs alliés de la protection à laquelle la Convention de Genève leur donnait droit. Le 13 mars 1940, Hess fit parvenir, par l’intermédiaire du Corps des chefs, aux Blockleiter, des instructions destinées à la population civile au cas d’atterrissage éventuel d’avions ou de parachutistes ennemis. Ces instructions précisaient que les parachutistes ennemis devaient être immédiatement arrêtés ou « rendus inoffensifs ». Le 30 mai 1944, Bormann envoya une circulaire à tous les Gauleiter et Kreisleiter rapportant des cas où des aviateurs alliés avaient été lynchés sans que la Police intervînt. Il demandait que fût communiqué verbalement aux Ortsgruppenleiter, le contenu de cette lettre qui accompagnait une campagne de propagande lancée par Goebbels pour provoquer ces lynchages. Elle équivalait nettement à des instructions dans ce sens, ou tout au moins à conduire à des violations de la Convention de Genève, en supprimant toute protection de la Police. Il y eut, certes, des lynchages à la suite de ce programme, mais il ne semble pas qu’on l’ait appliqué dans toute l’Allemagne. Quoi qu’il en soit l’existence même de cette lettre prouve que les dirigeants du Corps des chefs se servaient de cet organisme à une fin manifestement illégale, avec participation de ses membres jusqu’aux Ortsgruppenleiter.
Le Corps des chefs fut utilisé à des fins qui sont criminelles, d’après le Statut, et qui comprenaient la germanisation des territoires occupés, la persécution des Juifs, l’application du programme du travail obligatoire et les mauvais traitements des prisonniers de guerre. Les accusés Bormann et Sauckel, qui étaient membres de cette organisation, furent parmi ceux qui s’en sont servis dans ce sens. Les Gauleiter, les Kreisleiter, et les Ortsgruppenleiter ont participé à ces programmes criminels à des degrés divers. La Direction du Reich (Reichsleitung), en tant qu’organisation des cadres du Parti, est également responsable de ces programmes criminels, de même que les chefs des différentes organisations des cadres des Gauleiter et des Kreisleiter. La décision du Tribunal, en ce qui concerne ces organisations des cadres, ne s’applique qu’aux chefs de service ou chefs des cadres de la Direction du Reich, des directions des Gaue et des Kreis. En ce qui concerne les autres membres du Corps des chefs, et les organisations du Parti rattachées au Corps des chefs, autres que les chefs de services précités, le Tribunal adopte le point de vue de l’Accusation qui les exclut de cette déclaration.
Le Tribunal déclare criminel au sens du Statut, le groupement composé des membres du Corps des chefs qui ont rempli les fonctions énumérées au paragraphe ci-dessus, qui sont devenus ou sont restés membres de cette organisation sachant qu’elle servait à commettre les actes déclarés criminels par l’article 6 du Statut ou qui ont effectivement participé à ces crimes. La base de ces conclusions est la participation de l’organisation aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité en rapport avec la guerre, et c’est pourquoi le Tribunal exclut du groupement déclaré criminel, les personnes qui ont cessé de remplir les fonctions énumérées au paragraphe ci-dessus, avant le 1er septembre 1939.
Le Ministère Public a désigné la « Geheime Staatspolizei » (Gestapo) et le « Sicherheitsdienst des Reichsführers SS » (SD) comme des groupements ou organisations qui devaient être considérés comme criminels. Le Ministère Public a présenté l’accusation de la Gestapo et du SD en même temps, déclarant qu’il était nécessaire de procéder ainsi à cause de leur collaboration étroite. Le Tribunal a permis au SD de présenter sa défense séparément, parce qu’il revendiquait un conflit d’intérêts avec la Gestapo. Après avoir examiné les témoignages, le Tribunal a décidé de traiter de la Gestapo et du SD en commun.
La Gestapo et le SD eurent leur premier lien commun, le 26 juin 1936, par la nomination de Heydrich, qui était chef du SD, au poste de chef de la Police de sûreté, ce qui comprenait à la fois la Gestapo et la Police criminelle ou Kripo. Avant cette date, le SD avait été le service de renseignements, d’abord des SS et, après le 4 juin 1934, du parti nazi tout entier. La Gestapo était composée des divers éléments de la police politique des différents États fédéraux allemands qui avaient été unifiés sous la direction personnelle de Himmler, avec l’aide de Goring. Himmler avait été nommé chef de la Police allemande au ministère de l’Intérieur, le 17 juin 1936. En sa qualité de Reichsführer SS et de chef de la Police allemande, il promulgua le décret du 26 juin 1936, qui incorporait la Police criminelle et la Gestapo dans la Police de sûreté, et qui plaçait la Police de sûreté et le SD sous les ordres de Heydrich.
La réunion, sous la direction de Heydrich, de la Police de sûreté, organisation d’État, et du SD, organisation du Parti, devint officielle à la suite du décret du 27 septembre 1939, lequel réunit les différents services de l’État et du Parti qui dépendaient de Heydrich, en tant que chef de la Police de sûreté et du SD, en une seule unité administrative : le Service principal de la sûreté du Reich (RSHA). Ce service était à la fois l’un des principaux services (Hauptämter) des SS, sous la direction de Himmler, en tant que Führer SS du Reich, et un service au ministère de l’Intérieur, sous la direction de Himmler, en tant que chef de la Police allemande, La structure interne du RSHA montre la façon dont il réunit les bureaux de la Police de sûreté et ceux du SD. Le RSHA était divisé en sept bureaux (Ämter) dont deux (Amt I et Amt II) s’occupaient des questions administratives. La Police de sûreté était représentée par l’Amt IV, bureau central de la Gestapo, et par l’Amt V, bureau central de la Police criminelle. Le SD était représenté par l’Amt III, bureau central des activités du SD à l’intérieur de l’Allemagne, par l’Amt VI, bureau central des activités du SD en dehors de l’Allemagne, et par l’Amt VII, bureau des recherches idéologiques. Peu de temps après la création du RSHA, en novembre 1939, la Police de sûreté fut assimilée aux SS par l’inscription de tous les fonctionnaires de la Gestapo et de la Police criminelle sur les listes des SS, avec des grades équivalents à leur poste.
La création du RSHA constituait une reconnaissance officielle, à l’échelon supérieur, des rapports existant entre la Police de sûreté et le SD qui lui servait d’agence de renseignements. Une coordination analogue existait dans les bureaux régionaux. En Allemagne, et dans les régions incorporées au Reich dans le but de se voir imposer une administration civile, les bureaux régionaux de la Gestapo, de la Police criminelle et du SD étaient officiellement séparés. Ils étaient pourtant soumis à une certaine coordination par des inspecteurs de la Police de sûreté et du SD, pris dans le personnel des chefs régionaux des SS et de la Police, et l’une des principales fonctions des unités locales du SD consistait à servir d’agence de renseignements aux unités locales de la Gestapo. Dans les territoires occupés, les rapports existant entre les unités locales de la Gestapo, de la Police criminelle et du SD étaient un peu plus étroits. La Police de sûreté et le SD étaient organisés en unités locales et étaient placés sous le contrôle du RSHA et du chef des SS et de la Police qui était nommé par Himmler pour servir dans le personnel de l’autorité occupante. Les Services de la Police de sûreté et du SD en territoire occupé étaient composés de sections correspondant aux différents Ämter du RSHA. Dans les territoires occupés qui étaient encore considérés comme zones d’opérations militaires ou bien où le contrôle allemand n’avait pas été formellement établi, l’organisation de la Police de sûreté et du SD n’était que légèrement modifiée. Les membres de la Gestapo, de la Kripo et du SD étaient réunis dans des organisations de type militaire connues sous le nom d’Einsatzkommandos et d’Einsatzgruppen. Dans ces organisations, les postes de premier plan étaient occupés par les membres de la Gestapo, de la Kripo et du SD. De même, les membres de la Police d’ordre, des Waffen SS et même de la Wehrmacht étaient utilisés comme auxiliaires. Ces organisations étaient sous le contrôle d’ensemble du RSHA, mais dans les régions du front elles étaient sous le contrôle du Bureau des opérations du Commandant d’armée qualifié.
On observe ainsi que, du point de vue fonctionnement, la Gestapo et le SD étaient des groupes importants et ayant des rapports étroits au sein de l’organisation de la Police de sûreté et du SD. La Police de sûreté et le SD étaient sous un commandement unique, celui de Heydrich, et plus tard de Kaltenbrunner. En tant que chef de la Police de sûreté et du SD, ils avaient un Quartier général unique, le RSHA ; ils avaient leur propre hiérarchie de commandement et travaillaient comme une organisation unique à la fois en Allemagne, dans les territoires occupés et dans les régions immédiatement à l’arrière du front. Pendant la période dont s’occupe principalement le Tribunal, les candidats à des postes dans la Police de sûreté et le SD faisaient un stage dans tous ces services : Gestapo, Police criminelle et SD. Une certaine confusion est née du fait qu’une partie de l’organisation était théoriquement une formation du parti nazi, tandis qu’une autre partie de l’organisation était un service du Gouvernement. Ceci n’a pas d’importance particulière, vu la loi du 1er décembre 1933 établissant l’unité du parti nazi et de l’État allemand.
La Police de sûreté et le SD étaient des organisations de volontaires. Il est vrai que plusieurs fonctionnaires et membres de l’administration furent transférés dans la Police de sûreté. Prétendre que ce transfert était obligatoire n’a pas plus de valeur que de prétendre qu’ils devaient accepter ce transfert ou se démettre de leurs fonctions, en risquant de s’exposer à une disgrâce officielle. Pendant la guerre, un membre de la Police de sûreté et du SD ne pouvait choisir librement son affectation au sein de l’organisation et ce refus d’accepter un poste déterminé, en particulier lorsqu’il s’agissait de poste en territoire occupé, aurait pu entraîner un grave châtiment. Le fait demeure cependant que tous les membres de la Police de sûreté et du SD ont volontairement adhéré à l’organisation sans avoir été autrement contraints que par le désir de garder leur poste de fonctionnaire.
L’organisation de la Police de sûreté et du SD comprenait également trois unités spéciales dont voici le rôle :
La première était la Police frontalière ou « Grenzpolizei » qui passa sous le contrôle de la Gestapo en 1937. Elle avait pour fonction de surveiller les frontières de l’Allemagne et d’arrêter les personnes qui les franchissaient illégalement. Il a été prouvé que la Police frontalière a reçu des instructions de la Gestapo tendant à l’envoi dans les camps de concentration des travailleurs étrangers qu’elle avait appréhendés. Elle demandait aussi l’accord des services régionaux de la Gestapo pour envoyer des personnes arrêtées dans les camps. Le Tribunal estime que la Police frontalière doit être comprise dans l’incrimination de la Gestapo.
La Police de protection des frontières et de la douane ou « Zollgrenzschutz » fut versée dans la Gestapo au cours de l’été 1944. Les fonctions de cet organisme étaient semblables à celles de la Police frontalière. Elles consistaient à renforcer le contrôle des frontières et, plus spécialement, à empêcher la contrebande. Il ne semble pas cependant que son transfert fut complet, car la moitié de son personnel, évalué à cinquante-quatre mille personnes, continua à relever de l’administration des Finances du Reich ou de celle de la Police d’ordre. Peu de jours avant la fin de la guerre, toute l’organisation fut réintégrée dans l’administration des Finances du Reich. Le transfert de l’organisation à la Gestapo fut fait si tard et elle participait si peu à son activité générale, que le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de s’occuper de ce groupe au sujet de la criminalité de la Gestapo.
La troisième organisation était ce qu’on appelait la « Sûreté aux armées », organisation qui dépendait, à l’origine, de l’Armée, mais qui, en 1942, sur l’ordre de l’autorité militaire, fut mutée dans la Police de sûreté. La Sûreté aux armées s’occupait de questions de sécurité au sein de l’Armée, dans les territoires occupés. Elle devait également empêcher les civils d’attaquer les installations ou les unités militaires. Il ne semble pas, cependant, qu’elle ait constitué une partie de la Gestapo, réserve faite du cas des membres qui ont pu être transférés dans l’Amt IV du RSHA ou qui auraient été membres d’organisations déclarées criminelles par le présent jugement, et le Tribunal estime qu’elle ne doit pas être considérée comme tombant sous le coup de l’Acte d’accusation.
À l’origine, l’une des fonctions primordiales de la Gestapo consistait à empêcher toute opposition au régime politique, fonction qu’elle a accomplie avec l’aide du SD. L’arme principale employée pour accomplir cette fonction était le camp de concentration. La Gestapo n’avait pas de pouvoir de contrôle sur l’administration des camps de concentration, mais par l’intermédiaire du RSHA, la Gestapo était responsable de l’internement de prisonniers politiques dans ces camps ; les fonctionnaires de la Gestapo étaient généralement chargés des interrogatoires que l’on faisait subir à ces prisonniers dans les camps.
La Gestapo et le SD s’occupaient également des questions de trahison, et des questions concernant la presse, l’Église et les Juifs. Parallèlement à l’intensification du programme nazi de persécution des Juifs, le rôle joué par ces groupes devint de plus en plus important. Au début de la matinée du 10 novembre 1938, Heydrich envoya un télégramme à tous les bureaux de la Gestapo et du SD contenant des instructions en vue de l’organisation de pogroms pour ce jour-là, et pour l’arrestation d’autant de Juifs, « spécialement des riches », qu’en pouvaient contenir les prisons ; il ajoutait qu’il fallait faire attention à ce que les Juifs arrêtés soient en bonne santé et pas trop vieux. Le 11 novembre 1938, vingt mille Juifs étaient arrêtés et beaucoup étaient envoyés dans des camps de concentration. Le 24 janvier 1939, Heydrich, chef de la Police de sûreté et du SD, fut chargé de mener à bonne fin l’émigration et l’évacuation des Juifs hors de l’Allemagne et, le 31 juillet 1941, il reçut la mission de donner une « solution définitive » au problème juif dans l’Europe occupée. Une section spéciale du RSHA, bureau de la Gestapo, sous les ordres du Standartenführer Eichmann, fut mise sur pied avec la charge des affaires juives ; elle employa ses propres agents à étudier le problème juif dans les territoires occupés. Les bureaux locaux de la Gestapo furent utilisés, d’abord pour diriger l’émigration des Juifs et, plus tard, pour les déporter vers l’Est, à la fois hors de l’Allemagne et hors des territoires occupés pendant la guerre. Les Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD, opérant derrière les lignes du front de l’Est, s’employèrent au massacre massif des Juifs. Une section spéciale, versée du Quartier général de la Gestapo dans le RSHA, fut utilisée pour faciliter la déportation des Juifs des pays satellites de l’Axe vers l’Allemagne, afin qu’il y soit procédé à la « solution finale ».
Les services locaux de la Police de sûreté et du SD jouaient un rôle décisif dans l’administration allemande des territoires occupés. La nature de leur participation ressort des mesures prises par la Gestapo et le SD, au cours de l’été 1938, dans la préparation de l’attaque contre la Tchécoslovaquie à laquelle on pensait déjà à ce moment-là. Les Einsatzgruppen de la Gestapo et du SD étaient organisés pour suivre l’Armée à l’intérieur de la Tchécoslovaquie, afin de garantir la sécurité de la vie politique des territoires occupés. Des plans furent faits pour permettre une infiltration préalable des hommes du SD dans la zone en question et la constitution de dossiers qui indiqueraient les habitants de ces régions qu’il convenait de mettre sous surveillance, ceux qu’on devrait priver de passeports et ceux qu’il conviendrait d’exterminer. Ces plans furent considérablement modifiés du fait que l’on renonça à l’attaque contre la Tchécoslovaquie, mais, au cours des opérations militaires qui furent effectivement menées, particulièrement au cours de la guerre contre l’URSS, les Einsatzgruppen de la Police de sûreté et du SD entrèrent en action et employèrent concurremment des mesures brutales pour la pacification de la population civile et l’assassinat massif des Juifs. Heydrich donna l’ordre, en 1939, de créer sur la frontière germano-polonaise des incidents qui permettraient à Hitler de trouver un prétexte suffisant pour justifier une attaque contre la Pologne. Les troupes de la Gestapo et du SD prirent part toutes les deux à ces opérations.
Les unités locales de la Police de sûreté et du SD continuèrent à opérer dans les territoires occupés quand ceux-ci eurent cessé d’être zones d’opérations. La Police de sûreté et le SD se livrèrent à des arrestations importantes parmi la population civile de ces pays occupés ; ils emprisonnèrent un grand nombre d’individus dans des conditions inhumaines, les soumirent aux méthodes brutales du troisième degré, et en envoyèrent un grand nombre dans des camps de concentration.
Des unités locales de la Police de sûreté et du SD prirent également part à l’exécution d’otages, l’internement de familles, l’exécution de personnes accusées de terrorisme et de sabotage, sans jugement préalable, ainsi qu’à la mise en vigueur du décret « Nacht und Nebel » aux termes duquel les personnes inculpées de certains délits considérés comme compromettant la sécurité des Forces d’occupation étaient, soit punies de mort dans l’espace d’une semaine, soit emmenées immédiatement et secrètement en Allemagne sans pouvoir communiquer avec leurs familles ou leurs amis.
Les services de la Police de sûreté et du SD participèrent à l’exécution du programme du travail obligatoire. Dans certains territoires occupés, ils aidèrent les autorités locales du travail à se procurer les contingents imposés par Sauckel. Les services de la Gestapo en Allemagne étaient chargés de la surveillance des travailleurs forcés et de l’arrestation de ceux qui désertaient le lieu de leur travail. La Gestapo était également chargée des camps de travail dits d’entraînement. Quoique les travailleurs allemands aussi bien qu’étrangers pussent être envoyés dans ces camps, ils jouèrent un rôle significatif en contribuant à forcer les travailleurs étrangers à participer à l’effort de guerre allemand. Dans les dernières étapes de la guerre, alors que les SS abordaient un programme de travail obligatoire qui leur était propre, on se servait de la Gestapo pour arrêter des ouvriers afin d’assurer le contingent de travailleurs nécessaires pour les camps de concentration.
Les services locaux de la Police et du SD furent aussi impliqués dans la perpétration des crimes comprenant le mauvais traitement et l’assassinat des prisonniers de guerre. Les prisonniers de guerre soviétiques, dans les camps de prisonniers de guerre en Allemagne, étaient triés par les Einsatzkommandos agissant sous les ordres des services locaux de la Gestapo. Ceux qui furent identifiés par les Einsatzkommandos comme étant commissaires, Juifs, membres de l’intelligentzia, « communistes fanatiques » et même les malades considérés comme incurables, étaient jugés « intolérables » et on les exterminait. Les services locaux de la Police de sûreté et du SD furent également impliqués dans l’application de l’action « Kugel » entrée en vigueur le 4 mars 1944, selon laquelle certaines catégories de prisonniers de guerre, qui étaient repris, n’étaient pas traités comme tels, mais emmenés secrètement à Mauthausen et fusillés. Des membres de la Police de sûreté et du SD furent aussi accusés d’avoir mis en application le décret ordonnant de fusiller les parachutistes et les membres des commandos.
On se servit de la Gestapo et du SD à des fins considérées comme criminelles par le Statut et comprenant la persécution et l’extermination des Juifs, les brutalités et assassinats dans les camps de concentration, les excès commis dans l’administration des pays occupés, l’exécution du programme du travail forcé, les mauvais traitements et la mise à mort des prisonniers de guerre. L’accusé Kaltenbrunner, qui était membre de cette organisation, figure au nombre de ceux qui l’ont utilisée à ces fins. En traitant du cas de la Gestapo, le Tribunal entend comprendre tous les fonctionnaires s’occupant des opérations et de l’administration de l’Amt IV du RSHA, ou faisant partie de l’administration de la Gestapo dans d’autres services du RSHA, ainsi que tous les fonctionnaires de la Gestapo locale, en fonction à l’intérieur et à l’extérieur de l’Allemagne, y compris les membres de la Police frontalière (Grenzpolizei), mais à l’exclusion des membres de la Police de protection des frontières et de la douane (Zollgrenzschutz) et de la Sûreté aux armées, compte tenu de la réserve formulée ci-dessus à l’égard de certains d’entre eux. Sur la proposition du Ministère Public, le Tribunal n’englobe pas dans cette définition les personnes employées par la Gestapo uniquement à un travail de bureau, de sténographie, à titre de concierge ou à d’autres emplois similaires, en dehors des fonctions officielles. En traitant le cas du SD, le Tribunal comprend les Ämter III, VI et VII du RSHA et tous les autres membres du SD, y compris tous les représentants et agents régionaux, honoraires ou autres, qu’ils aient été ou non inscrits comme membres des SS, mais non compris les informateurs officieux qui n’étaient pas membres des SS et les membres de l’Abwehr qui avaient été transférés au SD.
Le Tribunal déclare criminel, au sens du Statut, le groupe des membres de la Gestapo et du SD occupant les postes énumérés au paragraphe précédent et qui devinrent ou restèrent membres de cette organisation tout en sachant qu’elle servait à la perpétration des actes déclarés criminels par l’article 6 du Statut, ou qui étaient personnellement, en tant que membres de l’organisation, impliqués dans la perpétration de tels crimes. Cette accusation repose sur la participation de l’organisation aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité en rapport avec la guerre. Le Tribunal exclut donc, du groupe déclaré criminel, les personnes qui avaient cessé, avant le 1er septembre 1939, d’occuper les postes énumérés au paragraphe précédent.
Le Ministère Public a demandé que les « Schutzstaffeln der Nationalsozialistischen Deutschen Arbeiterpartei » (connues habituellement sous le nom de SS) fussent déclarées organisation criminelle. La partie de l’Acte d’accusation relative aux SS comprend aussi le « Sicherheitsdienst des Reichsführers-SS » (habituellement connu sous le nom de SD). Cette dernière organisation qui, à l’origine, était une section de renseignements des SS, devint plus tard une partie importante de la Police de sûreté et du RSHA. Le jugement du Tribunal concernant la Gestapo règle la question du SD.
Les SS ont été créées par Hitler, en 1925, pour constituer une section d’élite des SA. Elles servaient dans des buts politiques sous le prétexte de protéger les orateurs dans les réunions publiques du parti nazi. Lorsque les nazis eurent pris le pouvoir, les SS furent utilisées pour maintenir l’ordre et pour surveiller le public pendant les démonstrations de masse. Elles furent chargées, en outre, par un décret du Führer, de veiller à la « sécurité intérieure ». Les SS jouèrent un rôle important lors de l’épuration de Roehm, le 30 juin 1934, et en reconnaissance de leurs services, on en fit, peu après, une unité indépendante du parti nazi.
En 1929, lorsque Himmler fut nommé Reichsführer, les SS se composaient de 280 hommes, considérés comme particulièrement dignes de confiance. En 1933, elles se composaient de 52.000 hommes recrutés dans toutes les classes sociales.
La première formation de SS appelée Allgemeine SS s’était développée en 1939 en un corps de 240.000 hommes organisé militairement en divisions et en régiments. Pendant la guerre, ses effectifs se réduisirent à moins de 40,000 hommes.
Au début, les SS comprenaient deux autres formations : la « SS Verfügungstruppe », unité se composant de membres des SS engagés volontaires pour un service militaire de quatre ans, en remplacement du service militaire obligatoire dans l’Armée, et les « SS Totenkopf Verbände », troupes spéciales utilisées pour la garde des camps de concentration, qui passèrent sous le contrôle des SS en 1934. La SS Verfügungstruppe était organisée comme unité militaire pour servir avec l’Armée, en cas de mobilisation. En été 1939, la Verfügungstruppe reçut l’équipement d’une division motorisée, afin de constituer le noyau des forces qui, en 1940, furent denommées « Waffen SS ». En 1940, les Waffen SS comprenaient 100.000 hommes, dont 56.000 provenaient de la « Verfügungstruppe » et, le reste, des « Allgemeine SS » et des « Totenkopf Verbände ». On estime qu’à la fin de la guerre les Waffen SS comptaient 580.000 hommes et 40 divisions. Au point de vue tactique, les Waffen SS étaient soumises au commandement de l’Armée, mais elles étaient équipées et ravitaillées par les sections administratives des SS. Les SS en assuraient la surveillance au point de vue de la discipline.
L’organisation centrale des SS comprenait douze services principaux. Les plus importants en étaient : le RSHA, dont il a déjà été question, le WVHA ou Service principal d’administration économique, qui administrait notamment les camps de concentration, un service appelé « Rasse und Siedlung », travaillant en collaboration avec les services auxiliaires chargés du rapatriement des personnes de race allemande (Volksdeutsche Mittelstelle). L’organisation centrale des SS avait aussi un service juridique et les SS avaient leur propre système juridique ; son personnel était du ressort des tribunaux spéciaux. Une fondation pour les recherches, connue sous le nom de Ahnenerbe, faisait également partie des services principaux SS. Les techniciens attachés à cette organisation soutinrent qu’ils n’étaient membres des SS qu’à titre honorifique. Pendant la guerre, un Institut de recherches militaires scientifiques fut attaché à l’Ahnenerbe. Il réalisait de vastes expériences sur des êtres humains vivants. Un employé de cet Institut, un certain Dr Rascher faisait des expériences. Les travaux du Dr Rascher furent entrepris avec la pleine connaissance de l’Ahnenerbe et furent financés sous le patronage du Reichsführer SS qui avait la charge de cette fondation.
À partir de 1933, il se fit une fusion graduelle mais totale entre la Police et les SS. En 1934, Himmler, le Reichsführer SS devint chef de la Police allemande, avec autorité sur la Police en uniforme aussi bien que sur la Police de sûreté. Himmler établit un système suivant lequel les chefs SS et de la Police, nommés pour chaque Wehrkreis, lui servaient de représentants personnels et coordonnaient l’activité de la Police d’ordre, de la Police de sûreté, du SD et des Allgemeine SS, dans leur ressort. En 1939, on fusionna les SS et la Police en incorporant aux SS tous les fonctionnaires de la Police de sûreté et de la Police d’ordre, avec un grade SS correspondant au grade qu’ils avaient dans la Police.
Jusqu’en 1940, les SS étaient une organisation dont tous les membres étaient volontaires. Après la création des Waffen SS, en 1940, il y eut un nombre toujours croissant d’affectés d’office aux Waffen SS.
Il semble qu’un tiers environ du nombre total des Waffen SS y furent affectés d’office. La proportion de ceux-ci fut plus grande à la fin de la guerre qu’au début mais, jusqu’à la fin de la guerre, il resta cependant une proportion élevée de volontaires.
Les unités de SS prirent une part active aux mesures qui conduisirent à la guerre d’agression. Les Verfügungstruppen furent utilisées pour l’occupation du territoire des Sudètes, de la Bohême-Moravie, et de Memel. Le corps franc de Henlein relevait de l’autorité du Reichsführer SS lors des opérations dans le territoire des Sudètes en 1938, et la « Volksdeutsche Mittelstelle » y finança les activités de la Cinquième colonne.
Les SS prirent même une part plus générale à la perpétration des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité. Par le contrôle qu’elles exerçaient sur l’organisation de la Police, et spécialement sur la Police de sûreté et le SD, les SS furent impliquées dans tous les crimes qui ont été mentionnés dans la partie traitant de la Gestapo et du SD. D’autres sections des SS participèrent à ces programmes criminels. Il est établi que certaines divisions de Waffen SS avaient pour méthodes habituelles de fusiller les prisonniers de guerre désarmés. Le 1er octobre 1944, on transmit à Himmler la garde des prisonniers de guerre et des internés. Himmler chargea à son tour le SS Obergruppenführer Berger et le SS Obergruppenführer Pohl, de la question des prisonniers de guerre.
Le service « Race et Colonisation » (Rasse und Siedlung) des SS, en collaboration avec la « Volksdeutsche Mittelstelle », réalisa activement les plans de germanisation des territoires occupés, suivant les principes raciaux du parti nazi. Ces services s’occupaient de la déportation des Juifs et de ressortissants étrangers. On se servait, pour l’exécution de ces plans, d’unités de Waffen SS et d’Einsatzgruppen opérant sous les ordres directs du service principal des SS. Ces unités participaient aussi aux exterminations en masse et aux mauvais traitements infligés aux populations civiles des territoires occupés. Sous prétexte de combattre les unités de partisans, les formations SS exterminaient les Juifs et les personnes qu’elles estimaient indésirables du point de vue politique. Leurs rapports relatent l’exécution d’une très grande quantité de personnes. Les divisions de Waffen SS portent la responsabilité d’un grand nombre de massacres et d’atrocités tels que les massacres d’Oradour et de Lidice, dans les territoires occupés.
Depuis 1934, les SS étaient chargées de la garde et de l’administration des camps de concentration.
Les preuves produites ne laissent aucun doute sur le fait que le traitement brutal infligé sans répit aux internés des camps de concentration résulte des directives générales des SS. Les témoignages prouvent également que les internés étaient considérés comme des êtres de race inférieure que l’on ne pouvait traiter qu’avec mépris. Il a été prouvé que, lorsque l’état des effectifs le permettait, Himmler faisait alterner les bataillons de gardes, afin d’instruire tous les membres des SS sur l’attitude convenable à prendre envers les races considérées comme inférieures. Après 1942, lorsque les camps de concentration furent placés sous le contrôle du WVHA, ils servirent au recrutement en vue du travail obligatoire. Un accord conclu le 18 septembre 1942, avec le ministère de la Justice, prévoyait que les éléments antisociaux qui avaient terminé leur peine d’emprisonnement devaient être livrés aux SS afin que celles-ci les anéantissent par le travail. Des dispositions furent continuellement prises avec la contribution de la Police de sûreté et du SD, et même des Waffen SS, en vue d’assurer aux SS un recrutement suffisant des travailleurs des camps de concentration, pour l’exécution de leurs projets. En ce qui concerne l’administration des camps de concentration, les SS se livrèrent à une série d’expériences sur des êtres humains choisis parmi des prisonniers de guerre ou des internés des camps de concentration. Ces expériences consistaient notamment à provoquer la mort par congélation et à pratiquer l’assassinat par balles empoisonnées. Les SS purent obtenir des fonds du Gouvernement pour ce genre de recherches, à condition de se procurer un matériel humain que les autres services n’avaient pas à leur disposition.
Les SS jouèrent un rôle particulièrement important dans la persécution des Juifs. Elles participèrent directement aux manifestations du 10 novembre 1938. L’évacuation des Juifs des territoires occupés fut effectuée sous la direction de SS assistées d’unités de Police SS. L’extermination des Juifs était effectuée sous la direction des organisations centrales des SS.
Celle-ci était l’œuvre même des formations de SS. Les Einsatzgruppen se livrèrent à des massacres en masse de Juifs. Des unités de Police SS y participèrent également. Ainsi, le massacre des Juifs du ghetto de Varsovie fut exécuté sous les ordres du Brigadeführer et général de la police Stroop. Un groupe spécial de l’organisation centrale des SS s’occupait de la déportation des Juifs des divers pays satellites de l’Axe. Leur extermination avait lieu dans les camps de concentration dirigés par le WVHA.
Il est impossible de trouver une seule unité des SS qui n’ait pas participé à ces activités criminelles. L’Allgemeine SS prit une part active à la persécution des Juifs et servit de source de recrutement pour la garde des camps de concentration. Des unités de la Waffen SS contribuèrent directement au meurtre des prisonniers de guerre et aux atrocités dans les pays occupés. Celle-ci fournit des effectifs aux Einsatzgruppen et assura le commandement des gardes des camps, après incorporation des SS Totenkopf, chargés, à l’origine, de ces fonctions. Diverses unités de Police SS furent également utilisées pour accomplir des atrocités dans les territoires occupés, ainsi que pour exterminer des Juifs. L’organisation centrale des SS contrôlait les activités de ces différentes formations et était responsable des opérations spéciales telles que les expériences humaines et la « solution finale » de la question juive.
Le Tribunal estime que l’existence de ces activités criminelles fut suffisamment notoire pour justifier une déclaration selon laquelle les SS constituèrent une organisation criminelle dans la mesure ci-après déterminée. Il semble bien que des tentatives aient été faites en vue de maintenir secrètes certaines de ses activités, mais ses programmes criminels étaient si répandus, ils impliquaient le massacre sur une échelle si gigantesque, que ses activés criminelles doivent avoir été universellement connues. Il faut reconnaître cependant que les activités criminelles des SS furent la conséquence logique des principes sur lesquels cette organisation se basait. L’on s’était efforcé au maximum de faire des SS, une organisation de haute discipline, composée de l’élite du national-socialisme. Himmler avait déclaré qu’il y avait en Allemagne des gens « qui se trouvaient mal à la vue de ces vestes noires » et qu’il ne s’attendait pas à ce que les SS « soient aimés de trop de gens ». Himmler exprima aussi son point de vue selon lequel c’était aux SS qu’il appartenait de perpétuer l’élite raciale dont le but était de faire de l’Europe un continent germanique. Les SS furent désignées pour assister le gouvernement nazi dans la domination finale de l’Europe et dans l’élimination de toutes les races considérées comme inférieures. Cette croyance mystique et fanatique dans la supériorité de l’Allemand nordique se développa en un mépris calculé et même en une haine des autres races, à un tel point que les activités criminelles du type décrit ci-dessus étaient considérées comme une chose normale, sinon un objet de fierté. Les agissements d’un soldat des Waffen SS qui, en septembre 1939, tua de sa propre initiative cinquante travailleurs juifs qui se trouvaient sous sa garde, furent décrits en remarquant qu’en qualité de SS, il était « particulièrement sensible à la vue des Juifs », et qu’il avait agi « d’une manière tout à fait irréfléchie, et poussé par un esprit d’aventure juvénile ». La condamnation à trois ans de prison dont il fut l’objet fut effacée par une amnistie. Avec raison, Hess écrivit que les Waffen SS étaient particulièrement qualifiées, en raison de leur entrainement intensif, pour accomplir certaines tâches relatives aux questions de race et de nationalité. Himmler, dans une série de discours faits en 1943, exprima sa fierté devant l’aptitude des SS à accomplir ces actes criminels. Il encouragea ses hommes à être « durs et sans pitié », il parla de fusiller des « milliers de Polonais importants », et les remercia de leur coopération et de leur résistance à la nausée devant les centaines et les milliers de cadavres de leurs victimes. Il prôna la cruauté dans l’extermination de la race juive et, plus tard, décrivit ce procédé comme de l’« épouillage ». Ces discours montrent que l’attitude générale qui dominait chez les SS concordait avec ces actes criminels.
Les SS étaient employées à des fins qui étaient criminelles aux termes du Statut et qui comportaient la persécution et l’extermination des Juifs, les brutalités et les exécutions dans les camps de concentration, les abus dans l’administration des territoires occupés, la mise en pratique du programme du travail obligatoire, les mauvais traitements et l’assassinat des prisonniers de guerre. L’accusé Kaltenbrunner était membre des SS et impliqué, de ce fait, dans ces activités. En traitant de la question des SS, le Tribunal comprend tous les bureaux, services et formations des SS, y compris les Allgemeine SS, les Waffen SS, les SS Totenkopf Verbände et les membres de la Police qui avaient été officiellement acceptés comme membres des SS. Le Tribunal n’y inclut pas ce qu’on appelait les unités de cavaliers SS (Reiterkorps). Le « Sicherheitsdienst des Reichsführers SS » (communément connu sous le nom de SD) est traité dans le jugement du Tribunal sur la Gestapo et le SD.
Le Tribunal déclare être criminel, au sens du Statut, le groupe composé des membres des SS énumérés au paragraphe précédent, qui sont devenus ou restés membres de l’organisation en sachant qu’elle était utilisée pour commettre les actes considérés comme crimes par l’article 6 du Statut, ou qui ont personnellement, comme membres de l’organisation, participé à ces crimes, à l’exclusion cependant dans cette seconde catégorie, de ceux qui furent d’office incorporés par l’État dans cette organisation et qui n’ont pas commis de tels crimes. Cette conclusion est basée sur la participation de l’organisation aux crimes de guerre. Le Tribunal exclut, par conséquent, du groupe déclaré criminel, les personnes ayant cessé d’appartenir aux organisations énumérées au paragraphe précédent, avant le 1er septembre 1939.
L’Accusation a demandé que les « Sturmabteilungen der Nationalsozialistischen Deutschen Arbeiterpartei » (communément connues sous le nom de SA) soient déclarées organisation criminelle.
Les SA furent fondées en 1921 dans un but politique. Elles furent organisées sur le plan militaire. Les membres portaient un uniforme spécial et avaient leur discipline et leurs règlements particuliers. Après que les nazis eurent obtenu le pouvoir, le nombre des membres des SA augmenta considérablement grâce à l’incorporation aux SA de certaines sociétés d’anciens combattants. En avril 1933, à la suite d’un accord entre Hitler et Seldte, chef du « Stahlhelm » (Casque d’acier), cette organisation d’un million et demi de membres, fut incorporée aux SA, à l’exception de ceux de ses membres âgés de plus de quarante-cinq ans et de quelques autres. Une autre association d’anciens combattants, appelée le « Kyffhäuserbund », fut incorporée de la même façon, ainsi qu’un certain nombre d’organisations rurales d’équitation.
De toute évidence, l’appartenance aux SA fut volontaire jusqu’en 1933. Après 1933, une certaine pression politique et économique fut exercée sur les fonctionnaires pour les faire entrer dans les SA. Les membres du Stahlhelm, du Kyffhäuserbund et des sociétés rurales d’équitation furent incorporés aux SA à leur insu, mais le Tribunal n’est pas convaincu que, d’une manière générale, les membres de ces groupements essayèrent de protester contre cette incorporation. Il n’est pas convaincu, non plus, qu’à l’exception de cas particuliers, une attitude de refus ait entraîné des conséquences : le Tribunal en conclut donc que l’appartenance aux SA était généralement volontaire.
Vers la fin de 1933, les SA comptaient quatre millions et demi d’hommes. Par suite des changements effectués après 1934, les SA avaient, en 1939, un million et demi de membres.
Au début du mouvement nazi, les SA opérèrent en tant « qu’hommes de main » du Parti. Elles prirent part aux rixes dans les brasseries et on les employa dans les combats de rues, dans les batailles contre des adversaires politiques. On employa également les SA pour répandre l’idéologie nazie et la propagande, et ils insistèrent particulièrement sur la propagande antisémite, la doctrine du « Lebensraum », la révision du Traité de Versailles et le retour à l’Allemagne de ses colonies.
Après l’arrivée des nazis au pouvoir, et particulièrement après les élections du 5 mars 1933, les SA jouèrent un rôle important dans l’instauration du règne de la terreur nazie en Allemagne. Les SA furent impliquées dans le déchaînement des violences contre les Juifs ; elles furent utilisées pour l’arrestation des adversaires politiques et pour la garde des camps de concentration. À cette occasion, elles firent subir des mauvais traitements aux prisonniers.
Le 30 juin et les 1er et 2 juillet 1934, on procéda à une épuration des chefs SA. Le prétexte pour expliquer cette épuration, au cours de laquelle eut lieu l’exécution de Roehm, chef d’État-Major des SA, et de plusieurs autres chefs SA, était l’existence d’un complot contre Hitler. Cette épuration eut pour résultat une importante diminution de l’influence des SA. Après 1934, leur importance politique déclina rapidement.
Après 1934, les SA se livrèrent à certaines formes d’entraînement militaire et paramilitaire. Les SA continuèrent à répandre la propagande nazie. Des unités isolées de SA prirent part aux mesures qui conduisirent à la guerre d’agression, et à la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Elles furent parmi les premières à occuper l’Autriche, en mars 1938. Les SA fournirent de nombreux hommes et une grande partie de l’équipement du corps franc sudête de Henlein, bien qu’il semble que ce corps ait été placé sous l’autorité des SS, pendant qu’il opérait en Tchécoslovaquie.
Après l’occupation de la Pologne, le groupe SA des Sudètes fut employé au transport des prisonniers de guerre. Des unités SA furent employées à la garde des prisonniers à Dantzig, Posen, en Silésie et dans les États Baltes. Certaines unités SA furent utilisées pour faire sauter les synagogues lors des pogroms des 10 et 11 novembre 1938. Des groupes de SA furent mêlés aux mauvais traitements des Juifs dans les ghettos de Vilna et de Kaunas.
Jusqu’à l’épuration, qui commença le 30 juin 1934, les SA constituaient un groupe d’individus redoutables et violents qui participèrent aux attentats nazis de cette période. Il n’a cependant pas été démontré que ces activités fissent partie d’un plan précis de guerre d’agression, et le Tribunal ne peut, en conséquence, soutenir que ces activités étaient criminelles aux termes du Statut. Après l’épuration, les SA furent réduites à l’état de groupes de partisans nazis sans importance. Bien que dans des cas particuliers, des unités SA aient été employées à la perpétration de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité, on ne peut dire que les membres des SA aient en général, participé à des actes criminels ou en aient eu connaissance. Pour ces motifs, le Tribunal ne déclare pas les SA organisation criminelle, dans le sens de l’article 9 du Statut.
L’Accusation a désigné comme organisation criminelle le Cabinet du Reich (Die Reichsregierung), composé de membres du Cabinet régulier, tel qu’il était après le 30 janvier 1933, de membres du Conseil des ministres pour la Défense du Reich et de membres du Conseil de Cabinet secret. Le Tribunal estime que le Cabinet du Reich ne doit pas être déclaré criminel pour deux raisons :
1o Parce qu’il n’a pas été établi que postérieurement à 1937 il ait réellement fonctionné en tant que groupe ou organisation ;
2o Étant donné que le groupe de personnes dont il s’agit est si restreint qu’on pourrait facilement juger les membres individuellement sans qu’il soit nécessaire de déclarer que le Corps auquel ils appartenaient était lui-même criminel.
En ce qui concerne le premier motif de sa décision, le Tribunal estime devoir remarquer qu’à partir du moment où l’on peut admettre qu’il y a eu complot en vue d’une guerre d’agression, le Cabinet du Reich ne constituait plus un organisme dirigeant, mais ne représentait qu’un ensemble de fonctionnaires soumis au contrôle absolu de Hitler. Après 1937, il n’y eut plus une seule réunion du Cabinet du Reich, cependant des lois furent promulguées au nom d’un ou de plusieurs de ses membres. Le Conseil secret ne se réunit jamais. Certains membres du Cabinet étaient sans aucun doute associés au complot ourdi en vue de la guerre d’agression, mais c’était à titre individuel. Il n’est pas prouvé que le Cabinet en tant que groupe ou organisation, ait participé à ces crimes. On se rappellera que, lorsque Hitler a dévoilé ses projets d’agression criminelle à la « Conférence de Hossbach », il ne le fit pas devant le Cabinet et il ne le consulta pas à ce sujet. Au contraire, il le fit en secret, devant un groupe restreint de personnes auxquelles il était obligé de faire confiance pour la préparation de la guerre. De même, l’invasion de la Pologne ne fut pas approuvée par une décision du Cabinet. L’accusé Schacht a déclaré qu’il essaya d’empêcher l’invasion en faisant valoir auprès du Commandant en chef de l’Armée que l’ordre de Hitler constituait une infraction à la Constitution parce qu’il n’était pas approuvé par le Cabinet.
Il apparaît bien que diverses lois autorisant des actes tenus pour criminels par le Statut furent communiquées aux membres du Cabinet du Reich, signées par les représentants des Ministères intéressés, puis promulguées. Il n’en résulte pas cependant que le Cabinet du Reich ait réellement agi, postérieurement à 1937, en tant qu’organisation.
En ce qui concerne le second motif, il est évident que les membres du Cabinet du Reich qui ont commis des crimes doivent être jugés. Certains d’entre eux comparaissent actuellement devant le Tribunal. On a compté que le groupe comprenait quarante-huit membres, dont huit sont morts et dix-sept en instance de jugement ; il en reste donc vingt-trois au plus pour lesquels la déclaration pourrait avoir une portée. Les autres coupables doivent également être jugés, mais on ne faciliterait pas leur jugement en déclarant que le Cabinet du Reich est une organisation criminelle. Lorsqu’une organisation comptant de nombreux membres est utilisée dans un but criminel, une déclaration de criminalité dispense d’établir son caractère criminel lors de procès individuels ultérieurs intentés à ses membres, et permet de gagner du temps et de prévenir des difficultés. Mais cet avantage n’existe pas dans le cas d’un groupe restreint comme le Cabinet du Reich.
L’Accusation a demandé également que soit considéré comme organisation criminelle l’État-Major général et le Haut Commandement des Forces armées allemandes. Le Tribunal estime qu’une déclaration de criminalité ne doit pas être faite en ce qui concerne l’État-Major général et le Haut Commandement. Bien que le nombre de personnes ici visées soit plus élevé que dans le cas du Cabinet du Reich, il est suffisamment restreint pour que des procès individuels de ces officiers constituent une procédure plus opportune qu’une déclaration générale de criminalité. Un motif plus important résulte du fait que, selon l’avis du Tribunal, l’État-Major général et le Haut Commandement ne constituent ni une « organisation », ni un « groupement » au sens de l’article 9 du Statut.
Un examen de la nature de ce prétendu groupement s’impose. D’après l’Acte d’accusation, et d’après les témoignages produits devant le Tribunal, ce groupe se compose d’environ cent trente officiers, vivants ou disparus, qui, à un moment quelconque de la période de février 1938 à mai 1945, depuis la réorganisation des Forces armées par Hitler, à la défaite de l’Allemagne, ont occupé certains postes dans la hiérarchie militaire. Ces hommes étaient des officiers ayant des grades élevés dans les trois branches de l’Armée : OKH (Armée de terre) ; OKM (Marine) ; OKL (Aviation). À l’échelon supérieur, il y avait l’autorité suprême des Forces armées, l’OKW, Haut Commandement des Forces armées allemandes, dont Hitler était le chef suprême. Les officiers de l’OKW, y compris l’accusé Keitel, comme chef du Haut Commandement, constituaient, dans une certaine mesure, l’État-Major personnel de Hitler. Au sens le plus large, ils coordonnaient les trois branches de l’Armée et les dirigeaient. Leur fonction principale était l’élaboration des plans de guerre et la conduite des opérations.
Les divers officiers de ce prétendu groupement se trouvaient à un moment quelconque, dans l’une des autres catégories suivantes :
1. Commandants en chef de l’une des trois branches de l’Armée ;
2. Chefs d’État-Major général dans l’une des trois branches ;
3. « Oberbefehlshaber » ou commandants en chef en campagne de l’une des trois branches, ce qui comprenait naturellement la plus grande partie de ces officiers ;
4. Officier de l’OKW ; il y en avait trois : les accusés Keitel et Jodl, et le remplaçant de ce dernier, Warlimont.
Voilà ce qu’entend l’Acte d’accusation par l’expression « État-Major général et Haut Commandement ».
L’Accusation s’est limitée à ces catégories. N’est pas accusé l’échelon suivant de la hiérarchie militaire, se composant des commandants de corps d’armée et des titulaires des grades équivalents de la Marine et de l’Aviation, ni l’échelon inférieur des commandants de division ou des titulaires des grades équivalents dans les autres branches de l’Armée. Sont exclus également les officiers d’État-Major des États-Majors suprêmes de l’OKW, OKH, OKM et OKL, et les spécialistes qu’on avait coutume d’appeler officiers d’État-Major général.
Par conséquent, les accusés sont les dirigeants militaires suprêmes du Reich. On n’a pas examiné sérieusement la question de savoir s’ils formaient une « organisation » au sens de l’article 9. On a plutôt prétendu qu’ils formaient un « groupement », terme général et plus large que celui d’organisation.
Le Tribunal n’est pas de cet avis. Il résulte des preuves produites que leurs plans à l’échelon de l’État-Major, les conférences continuelles entre les officiers d’État-Major et les commandants en campagne, leur méthode d’opérations en campagne et dans les quartiers généraux étaient à peu près comparables à ceux des forces terrestres, navales et aériennes des autres pays. L’effort général de l’OKW en vue de la coordination et de la direction, avait une contre-partie semblable, sinon identique dans le système d’organisation des forces armées alliées, tel que l’État-Major général combiné anglo-américain.
De l’avis du Tribunal, il n’est pas logique de conclure à l’existence d’une association ou d’un groupe de l’examen de cet aspect de leurs activités. D’après cette théorie, les commandants en chef des autres pays constituent exactement une telle association, alors qu’ils apparaissent en réalité comme un groupement de militaires, un certain nombre d’individus qui, à un moment donné, se trouvent occuper des postes militaires élevés.
Une grande partie des preuves et des discussions a porté sur la question de savoir si l’appartenance à ces organisations était volontaire ou non ; dans le cas présent, le Tribunal estime que cela est tout à fait en dehors du sujet. Cette prétendue organisation criminelle possède une caractéristique déterminante, qui la distingue nettement des cinq autres organisations mises en accusation. Lorsqu’un individu entrait dans les SS, par exemple, son adhésion était volontaire ou non, mais il savait certainement qu’il adhérait à une organisation quelconque. Dans le cas de l’État-Major général et du Haut Commandement, il ne pouvait pas savoir qu’il entrait dans un groupement ou une association, puisque cette association n’a pas existé jusqu’à sa création par l’Acte d’accusation. Il savait seulement qu’il était parvenu à un certain rang élevé dans l’une des trois armes, et ne pouvait se rendre compte qu’il devenait membre de quelque chose d’aussi tangible qu’un « groupement » dans le sens où l’on emploie couramment ce terme. Ses rapports avec les autres officiers de son arme, et ses relations avec ceux des deux autres armes étaient en général les mêmes que dans tous les pays du monde.
En conséquence, le Tribunal ne déclare pas organisation criminelle l’État-Major général et le Haut Commandement.
Bien que le Tribunal estime que le terme de « groupement » figurant dans l’article 9 doit signifier quelque chose de plus que cette réunion d’officiers de l’Armée, il a entendu de très nombreux témoignages sur la participation de ces officiers à la préparation et à la conduite de la guerre d’agression, ainsi qu’à l’accomplissement de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Pour beaucoup d’entre eux, ces témoignages sont nets et convaincants.
Ils sont largement responsables des malheurs et des souffrances de millions d’êtres humains. Ils ont discrédité l’honorable métier militaire. Privées de la conduite de ces centaines de chefs de l’Armée, les visées agressives de Hitler et des autres nazis seraient restées théoriques et stériles. Bien qu’ils n’aient pas constitué un groupement aux termes du Statut, ils ont sûrement formé une caste militaire impitoyable. Le militarisme allemand contemporain a trouvé, avec son allié récent, le national-socialisme, un bref épanouissement, comparable ou supérieur à celui des générations précédentes.
Le monde doit savoir que beaucoup de ces hommes ont tourné en dérision le serment du soldat. Ils devaient obéir, disent-ils maintenant lorsque cela convient à leur défense ; ils ont désobéi, disent-ils maintenant, lorsqu’il s’avère qu’ils étaient au courant des crimes brutaux de Hitler. La vérité est qu’ils ont pris une part active à ces crimes ou qu’ils ont gardé le silence, assistant à la perpétration de crimes commis dans les proportions les plus vastes et les plus effroyables que le monde ait jamais eu le malheur de connaître. Ceci doit être dit.
Là où les faits justifient cette procédure, ces hommes devraient être individuellement poursuivis, afin que ceux d’entre eux qui sont coupables de ces crimes n’échappent pas au châtiment.
RESPONSABILITÉS INDIVIDUELLES.
L’article 26 du Statut prévoit qu’en ce qui concerne la culpabilité ou l’innocence de chaque accusé, le jugement du Tribunal devra être motivé.
Le Tribunal en conséquence va maintenant énoncer les motifs sur lesquels se fondent ses déclarations d’innocence ou de culpabilité.
Göring est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Les preuves versées au débat montrent qu’il était la seconde personnalité du régime nazi, placé immédiatement au-dessous du chancelier du Reich. Commandant en chef de la Luftwaffe, plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, il a joui d’une influence considérable auprès de Hitler jusqu’en 1943, date à laquelle leurs relations se sont tendues au point d’aboutir en 1945 à son arrestation. Il a déclaré, dans sa déposition, que Hitler le tenait au courant de toutes les questions d’ordre militaire et politique importantes.
Depuis le moment où il devint membre du Parti en 1922, et où il prit la tête des SA, organisation destinée à la guerre des rues, Göring fut le conseiller, l’agent actif de Hitler et l’un des principaux chefs du mouvement nazi. Comme représentant politique de Hitler, il contribua, pour une large part, à amener les nationaux-socialistes au pouvoir en 1933 et fut chargé de consolider leur puissance, en même temps que d’accroître la force militaire de l’Allemagne. Il développa la Gestapo et créa les premiers camps de concentration, dont il devait, en 1934, transférer la direction à Himmler. Il procéda, la même année, à l’« épuration Rœhm » et porte la responsabilité des mesures odieuses qui contraignirent von Blomberg et von Fritsch à quitter l’Armée. En 1936, il devint plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, c’est-à-dire théoriquement et pratiquement le directeur économique du Reich. Peu après la signature de l’Accord de Munich, il annonça qu’il allait rendre la Luftwaffe cinq fois plus importante qu’elle n’était et accélérer l’armement, en développant particulièrement les armes offensives.
Göring fut l’une des cinq personnalités qui prirent part à la conférence du 5 novembre 1937, dite « Conférence Hossbach », et il assista également aux conférences essentielles dont ce jugement a déjà fait état.
Il joua dans l’Anschluss de l’Autriche le rôle principal, celui d’un chef de bande ; il a déclaré à l’audience : « J’accepte de prendre sur moi cent pour cent de la responsabilité… J’ai même vaincu les objections du Führer et conduit les choses jusqu’au bout ». Lors de l’annexion des Sudètes, il prépara, en tant que chef de la Luftwaffe, une offensive aérienne qui s’avéra d’ailleurs inutile, et, comme homme politique, il tranquillisa les Tchèques par de mensongères protestations d’amitié. Il a reconnu devant le Tribunal qu’au cours d’une conférence tenue avec Hitler et Hacha il avait, la nuit précédant l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’annexion de la Bohême-Moravie, menacé de bombarder Prague, si le Président Hacha ne se soumettait pas.
Göring assista, le 23 mai 1939, à la réunion de la Chancellerie du Reich au cours de laquelle Hitler déclara à ses chefs militaires : « Il ne peut, par conséquent, être question d’épargner la Pologne ». Il assista aussi à la réunion du 22 août 1939 à Obersalzberg où Hitler distribua ses ordres. Il est prouvé qu’il a joué un rôle actif dans les manœuvres diplomatiques qui suivirent. De connivence avec le Chancelier du Reich et par l’intermédiaire de l’homme d’affaires suédois Dahlerus, il essaya, comme ce dernier en a témoigné devant le Tribunal, d’empêcher le Gouvernement britannique de tenir la promesse de garantie faite aux Polonais par ce gouvernement.
Il commanda la Luftwaffe lors de l’attaque de la Pologne et au cours des guerres d’agression ultérieures.
Même s’il est vrai, comme il l’a prétendu, qu’il s’est opposé aux plans de Hitler dirigés contre la Norvège et l’Union Soviétique, il n’est pas douteux qu’il le fit uniquement pour des raisons stratégiques. Lorsque Hitler eut pris sa décision, il le suivit sans hésiter. Il a explicitement déclaré, dans sa déposition, que ses différends avec Hitler n’ont jamais été d’ordre idéologique ou juridique. L’invasion de la Norvège le « mit en fureur », mais uniquement parce qu’on ne lui avait pas donné la possibilité de préparer l’offensive de la Luftwaffe. Il a reconnu qu’il avait approuvé le principe de cette agression : « Mon attitude était absolument favorable ». Il participa efficacement à la préparation et à l’exécution des campagnes de Yougoslavie et de Grèce, et il a déclaré que le plan d’attaque de la Grèce (dit « Plan Marita ») avait été préparé longtemps à l’avance. Il considérait l’Union Soviétique comme « la plus grande menace pour l’Allemagne », tout en estimant que, du point de vue militaire, une attaque immédiate ne s’imposait pas. En fait, sa seule objection à une guerre d’agression contre l’URSS portait sur le choix du moment ; pour des raisons d’ordre stratégique, il aurait voulu attendre que l’Angleterre fût conquise : « Mon point de vue, a-t-il déclaré dans sa déposition, n’a été déterminé que par des considérations militaires et politiques. »
Après les aveux qu’il a faits devant ce Tribunal et en raison des postes qu’il a occupés, des conférences auxquelles il a assisté et des paroles qu’il a prononcées en public, il n’est pas permis de douter que, immédiatement après Hitler, Göring a été le véritable promoteur des guerres d’agression. Il est à l’origine de tous les plans de la guerre poursuivie par l’Allemagne et il en réalisa tous les préparatifs militaires et diplomatiques.
Les dossiers sont remplis des aveux de Göring sur le rôle qu’il a joué dans l’emploi des travailleurs forcés. « Nous avons, dit-il, utilisé ces travailleurs pour des raisons de sécurité, afin qu’ils ne fussent pas employés dans leur propre pays et ne pussent pas travailler contre nous. D’autre part, ils ont contribué à la poursuite de la guerre économique. » Il a déclaré en outre : « On contraignait les travailleurs à venir dans le Reich. C’est un fait que je n’ai pas nié. » Il faut se rappeler que c’est lui qui était plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans et chargé du recrutement et de la répartition de la main-d’œuvre. En sa qualité de Commandant en chef de la Luftwaffe, il demanda à Himmler de lui fournir un plus grand nombre de travailleurs forcés pour ses usines souterraines d’aviation. « Il est exact, dit-il, que j’ai demandé des internés des camps de concentration pour travailler à l’armement de la Luftwaffe et il faut considérer cela comme une chose naturelle. »
En sa qualité de plénipotentiaire, Göring signa un ordre concernant le traitement des travailleurs polonais en Allemagne et le fit appliquer par les instructions qu’il donna au SD, notamment à propos du « traitement spécial ». Il ordonna d’employer les prisonniers de guerre français et soviétiques dans l’industrie d’armement. Il parlait aussi d’appréhender des Polonais et des Hollandais, de les considérer, au besoin, comme des prisonniers de guerre et de les utiliser pour le travail. Il a reconnu, à l’audience, que l’on utilisait des prisonniers de guerre soviétiques pour servir les batteries de DCA.
Toujours en sa qualité de plénipotentiaire, Göring joua un rôle actif dans le pillage des territoires conquis. Pour parvenir à ce but, il établit des plans, bien avant que fût déclenchée la guerre avec l’Union Soviétique. Deux mois avant celle-ci, Hitler donna à Göring la direction suprême de l’administration économique des territoires qui seraient envahis. À cet effet, Göring mit sur pied un État-Major économique. Parce qu’il était Reichsmarschall du « Reich Grand Allemand », ses ordres s’étendaient à tous les domaines économiques, y compris le ravitaillement et l’agriculture. Aux termes de ce que l’on appelle son « Dossier Vert », imprimé par les soins de la Wehrmacht, un État-Major exécutif économique de l’Est fut créé. Les directives contenues dans ce dossier tendaient au pillage et à l’abandon de toutes les industries qui se trouvaient dans les régions déficitaires au point de vue du ravitaillement ; quant aux denrées des régions excédentaires, elles devaient être envoyées en Allemagne pour servir aux besoins de la population. Göring prétend que ses intentions ont été mal comprises, mais il reconnaît qu’il était « naturel et obligatoire pour nous d’utiliser la Russie au mieux de nos intérêts ».
Il participa à la conférence du 16 juillet 1941, au cours de laquelle Hitler déclara que les nationaux-socialistes n’avaient pas l’intention de jamais quitter les pays occupés et qu’ils prendraient les mesures appropriées telles que celles consistant à fusiller ou transplanter les habitants, etc.
À la suite des manifestations de novembre 1938, Göring imposa aux Juifs une amende d’un milliard de Reichsmark. Il les persécuta non seulement en Allemagne, mais aussi dans les territoires conquis. Les déclarations qu’il a faites à cette époque, autant que sa déposition à la barre, montrent qu’il s’intéressait surtout à la question de savoir comment évincer les Juifs de la vie économique de l’Europe et s’emparer de leurs biens. Il étendit aux pays occupés les lois antisémites du Reich, au fur et à mesure de l’avance de l’armée allemande dans ces territoires. Le Reichsgesetzblatt des années 1939, 1940 et 1941, contient plusieurs décrets antisémites signés par Göring. Bien que Himmler fût chargé de l’extermination des Juifs, Göring, malgré ses protestations à l’audience, était loin, en cette matière, d’être indifférent ou inactif. Par décret du 31 juillet 1941, il ordonna à Himmler et à Heydrich d’aboutir à une « solution totale de la question juive dans la sphère d’influence allemande en Europe ».
Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en faveur de Göring. Il fut souvent — et l’on pourrait dire presque toujours — l’élément dynamique du Parti, placé immédiatement après Hitler. II fut le promoteur des guerres d’agression, aussi bien comme chef politique que comme chef militaire. Il dirigea le programme du travail forcé et fut l’instigateur des mesures de persécution contre les Juifs et d’autres races, tant en Allemagne qu’à l’étranger. Tous ces crimes, il les a reconnus sans détour.
Les témoignages peuvent différer sur certains points particuliers mais, en général, les propres aveux de Göring sont plus que suffisants pour permettre de conclure à sa culpabilité. Cette culpabilité est unique dans son étendue. Rien, dans son dossier, ne peut servir d’excuse à cet homme.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Göring est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
Hess est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1920 et participa au putsch de Munich du 9 novembre 1923. Il fut emprisonné avec Hitler dans la forteresse de Landsberg en 1924, et devint son confident personnel le plus intime ; il le resta jusqu’à sa fuite en Angleterre. Le 21 avril 1933, il fut nommé représentant du Führer et, le 1er décembre, ministre du Reich sans portefeuille. Le 4 février 1938, il devint membre du Conseil de Cabinet secret et, le 30 août 1939, membre du Conseil des ministres pour la Défense du Reich. En septembre 1939, Hitler le désigna officiellement comme son successeur, après Goring. Le 10 mai 1941, il quitta l’Allemagne par avion et gagna l’Écosse.
Représentant du Führer, Hess fut l’homme le plus haut placé du parti nazi. Toutes les questions intéressant le Parti en général lui étaient confiées et, en ce qui concernait plus particulièrement la direction, il était autorisé à prendre des décisions au nom de Hitler. En tant que ministre du Reich sans portefeuille, il avait le pouvoir d’approuver, avant leur mise en vigueur, tous les actes législatifs proposés par les différents ministres. À ces divers titres, Hess prit une part active à la préparation de la guerre. Sa signature figure au bas de la loi du 16 mars 1935 qui instituait le service militaire obligatoire. Tout au long de ces années, il soutint par de nombreux discours la politique hitlérienne de réarmement intensif. Il demanda au peuple de consentir des sacrifices et répandit le slogan « des canons au lieu de beurre ».
Il est vrai qu’entre 1933 et 1937 Hess prononça des discours dans lesquels il exprimait son désir de paix et plaidait pour une coopération économique internationale. Mais rien, dans le contenu de ces discours, ne peut changer quoi que ce soit au fait que Hess savait mieux qu’aucun des autres accusés combien Hitler était déterminé à réaliser ses ambitions, combien c’était un homme fanatique et violent et combien il était peu probable qu’il s’abstînt de recourir à la force, si c’était le seul moyen qui lui permît d’atteindre ses buts.
Hess prit part, en connaissance de cause et de son plein gré, aux agressions allemandes contre l’Autriche, la Tchécoslovaquie et la Pologne. Il fut en rapport avec le parti nazi illégal d’Autriche et lui donna ses instructions pendant toute la période s’étendant entre l’assassinat de Dollfuss et l’Anschluss. Hess se trouvait à Vienne le 12 mars 1938, lorsque les troupes allemandes y firent leur entrée ; le 13 mars, il signa la loi qui incorporait l’Autriche au Reich allemand. Une loi du 10 juin 1939 prévoyait sa participation à l’administration de l’Autriche. Le 24 juillet 1938, dans un discours qu’il prononça en commémoration de la tentative de putsch entreprise par les nationaux-socialistes, quatre ans auparavant, il célébra les étapes qui avaient abouti à l’Anschluss et justifia l’occupation de l’Autriche par l’Allemagne.
Pendant l’été 1938, Hess fut en rapports suivis avec Henlein, chef du parti allemand des Sudètes en Tchécoslovaquie. Le 27 septembre 1938, au moment de la crise de Munich, il s’entendit avec Keitel pour exécuter les instructions de Hitler visant à faire fonctionner le mécanisme du parti nazi en vue d’une mobilisation secrète. Le 14 avril 1939, Hess signa un décret incorporant au Reich le territoire de Sudètes, et une ordonnance du 10 juin 1939 prévoyant sa participation à l’administration de ce territoire. Le 7 novembre 1938, Hess avait intégré dans le parti nazi allemand le parti de Henlein, et avait déclaré, dans un discours, que Hitler n’aurait pas hésité à s’emparer du pays des Sudètes par la force, si les circonstances l’avaient exigé. Le 27 août 1939, l’attaque contre la Pologne ayant été provisoirement ajournée dans l’espoir de persuader la Grande-Bretagne d’abandonner la garantie donnée par elle à ce pays, Hess vanta publiquement « l’offre magnanime » de Hitler à la Pologne et accusa cette dernière d’agitation belliciste, attitude dont l’Angleterre, selon lui, était responsable. Après l’invasion de la Pologne, Hess signa des décrets qui incorporaient au Reich Dantzig et certains territoires polonais et créaient le Gouvernement Général.
Ces mesures, prises par l’accusé pour soutenir les plans d’agression de Hitler, ne montrent pas encore toute l’étendue de sa responsabilité. Jusqu’à sa fuite en Angleterre, Hess fut le confident personnel le plus intime du Chancelier du Reich et, à ce titre, fut certainement au courant des plans d’agression dès leur conception. Il favorisa l’exécution de ces plans, chaque fois que cela fut nécessaire.
Il partit pour l’Angleterre avec certaines propositions de paix que, d’après lui, Hitler considérait comme acceptables. Il est significatif que ce voyage ait eu lieu dix jours seulement après que Hitler eut fixé au 22 juin 1941 la date de l’attaque contre l’Union Soviétique. Dans les entretiens qu’il eut après son arrivée en Grande-Bretagne, Hess soutint avec ardeur tous les actes d’agression commis jusqu’à ce moment et essaya de justifier l’attitude de l’Allemagne vis-à-vis de l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Norvège, le Danemark, la Belgique et les Pays-Bas. Il accusa l’Angleterre et la France d’être responsables de la guerre.
D’après certaines preuves soumises au Tribunal, la Chancellerie du Parti aurait, sous la direction de Hess, participé à la transmission des ordres relatifs à la perpétration des crimes de guerre, et Hess aurait eu connaissance des crimes commis dans l’Est, même s’il n’y a pas participé ; il aurait aussi proposé des lois d’exception contre les Juifs et les Polonais et aurait signé des décrets obligeant certaines catégories de Polonais à accepter la nationalité allemande. Toutefois, le Tribunal estime que les preuves invoquées pour démontrer la participation de Hess à ces crimes ne suffisent pas à établir sa culpabilité.
Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, le Tribunal a estimé, après un examen médical complet et un rapport sur l’état de santé de Hess, qu’il devait être jugé sans ajournement. On a demandé depuis, à plusieurs reprises, qu’il soit examiné à nouveau. Le Tribunal, après un rapport du psychiatre de la prison, a rejeté ces requêtes.
Il est possible que Hess agisse d’une manière anormale, qu’il souffre d’amnésie partielle et que ses facultés intellectuelles se soient affaiblies au cours du Procès, mais rien ne prouve qu’il ne saisisse pas la nature de l’accusation qui pèse sur lui ou qu’il ait été incapable de se défendre. Il a été régulièrement représenté au Procès par un avocat désigné à cet effet par le Tribunal. Il n’a pas été allégué que Hess ne fut pas complètement sain d’esprit lorsqu’il a commis les crimes dont il est accusé.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Hess est coupable des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation.
Que l’accusé Hess n’est pas coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Von Ribbentrop est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1932. L’année suivante, il devint, en matière de politique étrangère, le conseiller de Hitler et le représentant du parti nazi. En 1934, il fut nommé délégué aux questions de désarmement et, en 1935, ministre plénipotentiaire sans portefeuille ; c’est en cette dernière qualité qu’il négocia l’Accord naval anglo-allemand en 1935 et le Pacte antikomintern en 1936. Le 11 août 1936, il fut envoyé comme ambassadeur en Angleterre. Le 4 février 1938, il succéda à von Neurath comme ministre des Affaires étrangères du Reich, au cours du remaniement général qui suivit le renvoi de von Fritsch et celui de von Blomberg.
Von Ribbentrop n’assista pas à la conférence du 5 novembre 1937, dite « Conférence Hossbach », mais le 2 janvier 1938, alors qu’il était encore ambassadeur en Angleterre, il envoya un mémorandum à Hitler indiquant que, à son avis, une modification favorable à l’Allemagne du statu quo à l’Est ne pouvait être obtenue que par la force et proposant des moyens d’empêcher l’Angleterre et la France d’intervenir dans une guerre européenne faite à cette fin. Quand von Ribbentrop devint ministre des Affaires étrangères, Hitler lui déclara que l’Allemagne avait encore quatre problèmes à résoudre, l’Autriche, les territoires des Sudètes, Memel et Dantzig, et mentionna la possibilité « d’abattre son jeu » et de recourir à un « règlement militaire » pour les résoudre.
Le 12 février 1938, von Ribbentrop assista à l’entretien au cours duquel Hitler força Schuschnigg, par des menaces d’invasion, à faire une série de concessions destinées à renforcer la position des nazis en Autriche et qui comprenaient notamment la nomination de Seyss-Inquart au poste de ministre de la Sûreté et de l’Intérieur, avec contrôle de la police. Von Ribbentrop était à Londres quand l’occupation de l’Autriche fut réalisée et, grâce aux renseignements que lui fournit Göring, il informa le Gouvernement britannique du fait que l’Allemagne n’avait pas présenté à l’Autriche un ultimatum, mais n’était intervenue que pour empêcher une guerre civile. Le 13 mars 1938, von Ribbentrop signa la loi incorporant l’Autriche au Reich allemand.
Von Ribbentrop participa aux plans d’agression contre la Tchécoslovaquie. Dès mars 1938, il se tint en contact étroit avec le parti allemand des Sudètes et lui donna des instructions qui avaient pour but de continuer à faire du problème des Sudètes une question brûlante, susceptible de servir d’excuse à l’attaque projetée contre la Tchécoslovaquie. En août 1938, il participa à une conférence dont l’objet était d’obtenir l’appui des Hongrois en cas de guerre avec la Tchécoslovaquie. Après le Pacte de Munich, il continua d’exercer une pression diplomatique en vue d’occuper le reste de ce pays. Il contribua à inciter les Slovaques à proclamer leur indépendance. Il assista à la conférence des 14 et 15 mars 1939, au cours de laquelle Hitler, sous la menace d’une invasion, obligea le président Hacha à consentir à l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne. Après l’entrée des troupes allemandes, von Ribbentrop signa la loi établissant un protectorat sur la Bohême et la Moravie.
Von Ribbentrop joua un rôle particulièrement important dans l’activité diplomatique qui conduisit à l’agression contre la Pologne. Il prit part, le 12 août 1939, à une conférence dont le but était d’obtenir l’appui de l’Italie si l’attaque conduisait à une guerre générale en Europe. Dans la période comprise entre le 25 et le 30 août 1939, von Ribbentrop exposa à l’Ambassadeur britannique les demandes allemandes concernant Dantzig et le corridor polonais ; il savait pourtant que l’attaque contre la Pologne n’avait été provisoirement ajournée que pour inciter les Anglais à se dégager de la garantie qu’ils avaient donnée à ce pays. La manière dont il mena ces discussions montre clairement qu’il n’y prit pas part de bonne foi, dans l’espoir d’aplanir le différend germano-polonais.
Von Ribbentrop fut informé à l’avance des attaques qui devaient être effectuées contre la Norvège et le Danemark, d’une part, les Pays-Bas, de l’autre ; il prépara les mémorandums officiels du ministère des Affaires étrangères qui essayaient de justifier ces actes d’agression.
Von Ribbentrop assista à la conférence du 20 janvier 1941, au cours de laquelle Hitler et Mussolini envisagèrent l’attaque contre la Grèce, et à la conférence du même mois qui permit à Hitler d’obtenir d’Antonesco que les troupes allemandes fussent autorisées à traverser la Roumanie pour effectuer cette attaque. Lorsque, le 25 mars 1941, la Yougoslavie adhéra au Pacte Tripartite, elle avait reçu de von Ribbentrop l’assurance que l’Allemagne respecterait sa souveraineté et son intégrité territoriale. Le 27 mars 1941, à la suite du coup d’état yougoslave dirigé contre l’Axe, l’accusé assista à une réunion au cours de laquelle furent élaborés des plans en vue de réaliser l’intention qu’avait proclamée Hitler de détruire la Yougoslavie.
En mai 1941, von Ribbentrop assista à une conférence entre Hitler et Antonesco, au sujet de la participation roumaine à l’attaque contre l’URSS. Il s’entretint également avec Rosenberg de l’établissement d’un plan prémilitaire d’exploitation politique des territoires soviétiques. En juillet 1941, après le déclenchement de la guerre contre l’Union Soviétique, il pressa le Japon d’attaquer ce pays.
Von Ribbentrop participa à une réunion le 6 juin 1944, au cours de laquelle fut décidé le lynchage systématique des aviateurs alliés effectuant des attaques à basse altitude. En décembre 1944, le ministre des Affaires étrangères fut mis au courant des plans d’assassinat d’un général français, prisonnier de guerre, et il invita ses subordonnés à veiller à ce que les détails de cette opération fussent exécutés de façon à éviter qu’elle ne fût découverte par les puissances protectrices.
Von Ribbentrop est également responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité en raison de son activité à l’égard des pays occupés et des satellites de l’Axe. Le fonctionnaire allemand le plus important au Danemark et dans la France de Vichy était un représentant du ministère des Affaires étrangères et von Ribbentrop est donc responsable des mesures économiques et politiques appliquées pendant l’occupation de ces pays. Il incita les Italiens à adopter des méthodes impitoyables en Yougoslavie et en Grèce.
Il joua un rôle important dans la « solution finale » de la question juive. En septembre 1942, il ordonna aux représentants diplomatiques allemands accrédités auprès de certains satellites de l’Axe d’accélérer la déportation des Juifs vers l’Est. En juin 1942, l’ambassadeur d’Allemagne à Vichy demanda à Laval de livrer cinquante mille Juifs pour les déporter vers l’Est. Le 25 février 1943, von Ribbentrop protesta auprès de Mussolini contre la lenteur des Italiens à déporter les Juifs de la zone d’occupation italienne en France. Le 17 avril 1943, il assista à un entretien entre Hitler et Horthy au sujet de la déportation des Juifs de Hongrie et fit connaître au Régent de ce pays que les « Juifs devaient être soit exterminés, soit mis dans des camps de concentration ». À la même conférence, Hitler avait assimilé les Juifs à des « bacilles tuberculeux » et dit que s’ils ne travaillaient pas, il fallait les fusiller.
Von Ribbentrop, pour se défendre contre les accusations portées contre lui, prétend que Hitler prenait toutes les décisions importantes et que lui-même, en admirateur et fidèle disciple, ne mettait jamais en doute les assertions répétées de Hitler concernant son désir de paix, ou le bien-fondé des raisons qu’il donnait pour justifier sa politique d’agression. Le Tribunal estime que cette explication n’est pas conforme aux faits.
En résumé, von Ribbentrop a participé à toutes les agressions nazies, depuis l’occupation de l’Autriche jusqu’à l’invasion de l’Union Soviétique. Encore qu’il soit personnellement impliqué dans la préparation diplomatique plutôt que dans la réalisation militaire de ces actes, il n’en reste pas moins que tous ses efforts de diplomate étaient en liaison si étroite avec la guerre qu’il ne pouvait ignorer le caractère agressif des actes de Hitler. Dans l’administration des territoires dont l’Allemagne s’était injustement emparée, von Ribbentrop a participé à l’application de méthodes criminelles incluant en particulier celles qui ont abouti à l’extermination des Juifs. Au surplus, de nombreuses preuves démontrent que von Ribbentrop était en complet accord avec la doctrine du parti nazi et que c’est sans réserve qu’il a collaboré avec Hitler et d’autres accusés à la perpétration de crimes contre la Paix, de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. C’est en raison de son accord total avec la politique et les plans de Hitler, que von Ribbentrop l’a suivi si complaisamment jusqu’au bout.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé von Ribbentrop est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
Keitel est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il fut chef d’État-Major du ministre de la Guerre von Blomberg depuis 1935 jusqu’au 4 février 1938 ; à cette date Hitler prit le commandement des armées allemandes et nomma Keitel chef du Haut Commandement des Forces armées. Ce poste ne lui conférait pas le pouvoir de donner des ordres aux trois armes de la Wehrmacht, qui dépendaient directement du Chef Suprême et, en fait, l’OKW constituait l’État-Major militaire de Hitler.
Keitel assista, ainsi que deux autres généraux, à l’entrevue qui eut lieu avec Schuschnigg au mois de février 1938. Il a reconnu que leur présence à tous trois était une « démonstration militaire », mais a expliqué que, ayant été nommé chef de l’OKW seulement une semaine auparavant, il ne savait pas pour quelle raison on l’avait convoqué, Hitler et Keitel continuèrent par la suite à exercer une pression sur l’Autriche, en émettant des messages radiodiffusés et de fausses rumeurs et en organisant des mouvements de troupes. Keitel dirigeait toutes ces manœuvres et Jodl a noté dans son journal que « l’effet fut rapide et énergique ».
Lorsque Schuschnigg eut décidé d’organiser un plébiscite, Keitel, la même nuit en informa Hitler et ses généraux ; et Hitler publia le « Cas Otto » que Keitel parapha.
Le 21 avril 1938, Hitler et Keitel examinèrent la façon dont on pourrait utiliser un « incident » — tel que l’assassinat du Ministre allemand à Prague — comme prétexte à l’attaque contre la Tchécoslovaquie. Keitel signa de nombreuses directives et de nombreux mémorandums concernant le « Cas Vert » et, entre autres, l’instruction du 30 mai qui contenait la déclaration suivante de Hitler :
« C’est ma décision irrévocable d’écraser la Tchécoslovaquie par une action militaire dans un avenir très proche. » Après Munich, Keitel parapha l’ordre de Hitler concernant l’attaque contre la Tchécoslovaquie et ajouta deux suppléments. Le second précisait que l’attaque devrait apparaître à l’étranger comme « un acte de simple pacification et non pas comme une entreprise belliqueuse ». Keitel assista aussi aux négociations entre Hitler et Hacha à l’issue desquelles ce dernier finit par céder.
Il était encore présent, le 23 mai 1939, lorsque Hitler annonça sa décision « d’attaquer la Pologne à la première occasion favorable ». Déjà, il avait signé l’ordre enjoignant à la Wehrmacht de soumettre pour le 1er mai à l’OKW l’horaire des opérations du « Cas Blanc ».
Le 12 décembre 1939, Keitel étudia avec Hitler, Jodl et Raeder, la question de l’invasion de la Norvège et du Danemark, et une instruction du 27 janvier 1940 lui donna « la direction personnelle et immédiate » des plans concernant la Norvège. Hitler ayant déclaré, le 23 mai 1939, qu’il ne tiendrait aucun compte de la neutralité de la Belgique et des Pays-Bas, Keitel signa les ordres d’attaque les 15 octobre, 20 et 28 novembre 1939. Par la suite, les dix-sept ordres repoussant la date de l’attaque jusqu’au printemps 1940 furent tous signés par Keitel et par Jodl.
Les préparatifs concernant l’attaque de la Grèce et de la Yougoslavie avaient commencé officiellement en novembre 1940. Le 18 mars 1941, Keitel entendit Hitler déclarer à Raeder que l’occupation complète de la Grèce était la condition indispensable qui devait précéder tout règlement ; il entendit également Hitler affirmer le 27 mars que la destruction de la Yougoslavie serait menée avec une « dureté impitoyable ».
Quant à l’invasion de l’Union Soviétique, Keitel a témoigné qu’il s’y était opposé à la fois pour des raisons militaires et parce que cela constituerait une violation du Pacte de non-agression. Malgré cela, il revêtit de ses initiales le « Cas Barbarossa », signé par Hitler le 18 décembre 1940, et assista à la réunion du 3 février 1941 entre celui-ci et les représentants de l’OKW. Keitel, le 13 mars, ajouta un additif pour régler les rapports entre les chefs militaires et les chefs politiques. Il établit aussi, le 6 juin, l’horaire des opérations d’invasion et assista à la conférence du 14 juin au cours de laquelle les généraux firent leurs derniers rapports avant l’attaque.
Il nomma Jodl et Warlimont pour représenter l’OKW auprès de Rosenberg, en ce qui concernait les questions se rapportant aux territoires de l’Est. Le 16 juin, il ordonna à toutes les unités de l’Armée d’appliquer les directives économiques que Göring avait données dans le « Dossier Vert » pour l’utilisation des produits alimentaires et des matières premières fournis par le territoire russe.
Le 4 août 1942, Keitel émit une directive d’après laquelle les parachutistes devaient être livrés au SD. Le 18 octobre, Hitler publia l’ordre relatif aux commandos qui fut appliqué en maintes occasions. Après le débarquement en Normandie, Keitel réitéra cet ordre, puis l’étendit aux unités alliées combattant aux côtés des groupes de résistance. Il reconnaît avoir su que l’ordre était illégal, mais prétend n’avoir pas pu empêcher Hitler de le promulguer.
Après la publication par l’OKW, le 8 septembre 1941, de règles impitoyables pour le traitement des prisonniers de guerre soviétiques, Canaris écrivit à Keitel que le SD, en s’occupant de cette question, violait les règles du Droit international. Sur ce mémorandum, Keitel, le 23 septembre, écrivit de sa main et parapha la note suivante : « On élève des objections inspirées par une conception chevaleresque de la guerre, mais il s’agit ici de détruire une idéologie. Par conséquent, j’approuve et soutiens ces mesures. » Keitel a déclaré qu’en réalité il était d’accord avec Canaris et qu’il avait discuté de cette question avec Hitler mais sans succès.
Keitel donna aux autorités militaires l’ordre de coopérer avec l’Einsatzstab Rosenberg pour le pillage des biens culturels dans les territoires occupés.
Lahousen a déclaré à la barre que Keitel lui avait dit, le 12 septembre 1939, dans le train spécial de Hitler, qu’il fallait supprimer la classe intellectuelle, la noblesse et les Juifs de Pologne. Le 20 octobre, Hitler dit à Keitel qu’on empêcherait les intellectuels de demeurer une classe dirigeante, que le standard de vie resterait peu élevé et qu’on n’utiliserait la Pologne que pour en tirer de la main-d’œuvre. Keitel ne se souvient pas de sa conversation avec Lahousen mais admet qu’une telle politique fut effectivement poursuivie et qu’il avait fait à ce sujet de vaines protestations auprès de Hitler.
Le 16 septembre 1941, il ordonna qu’aux attaques dont étaient victimes les soldats allemands dans l’Est, on répondît par la mise à mort de cinquante à cent communistes pour un soldat allemand, en ajoutant ce commentaire que « dans l’Est, une vie humaine était moins que rien ». Le 1er octobre, il donna l’ordre aux chefs militaires de détenir, en permanence, des otages prêts à être exécutés, pour le cas où des soldats allemands seraient attaqués. Terboven, commissaire du Reich pour la Norvège, ayant écrit à Hitler que la proposition de Keitel, tendant à rendre les parents des travailleurs responsables des actes commis par ces derniers, ne pourrait être appliquée que si l’on autorisait l’emploi de pelotons d’exécution. Keitel écrivit dans la marge de ce mémorandum : « Oui, c’est ce qu’il y a de mieux. »
Le 12 mai 1941, cinq semaines avant l’invasion de l’Union Soviétique l’OKW insista auprès de Hitler pour qu’il approuvât une directive de l’OKH, ordonnant à l’Armée de « liquider » les commissaires politiques. Keitel admet que cette directive fut transmise aux commandants en campagne. Le 13 mai, Keitel signa un ordre d’après lequel on devait exécuter sans jugement les civils que l’on soupçonnait d’avoir commis des crimes contre les troupes ; par contre on ne devait pas poursuivre les soldats allemands ayant commis les mêmes actes contre des civils. Le 27 juillet, on décida la destruction de toutes les copies de cet ordre, sans que, pour autant, celui-ci cessât d’être valable. Quatre jours avant, Keitel avait signé un autre ordre qualifiant d’insuffisants les châtiments légaux, et précisant que les troupes devaient user de méthodes terroristes.
Le 7 décembre 1941, Keitel signa le décret « Nacht und Nebel » déjà mentionné et qui prévoyait que les civils ne seraient poursuivis dans les territoires occupés que si une condamnation à mort était probable ; dans les autres cas, ils devaient être livrés à la Gestapo pour être emmenés en Allemagne.
Keitel ordonna aussi que les prisonniers de guerre soviétiques fussent employés dans l’industrie de guerre allemande. Le 8 septembre 1942, il ordonna d’affecter des citoyens français, hollandais et belges, à la construction du « Mur de l’Atlantique ». Enfin, il était présent lorsque le 4 janvier 1944, Hitler donna à Sauckel l’ordre de recruter dans les territoires occupés quatre millions de nouveaux travailleurs.
Devant de tels documents, Keitel ne nie pas avoir participé aux actes énumérés ci-dessus. Il invoque, pour sa défense, sa qualité de soldat et l’argument de l’« ordre supérieur », que l’article 8 du Statut rejette comme moyen de défense.
Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en sa faveur. Les ordres supérieurs, même donnés à un soldat, ne peuvent constituer des circonstances atténuantes, là où des crimes aussi révoltants que nombreux ont été commis sciemment, impitoyablement et sans la moindre justification militaire.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Keitel est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
Kaltenbrunner est inculpé des crimes visés par les premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. En 1932, il adhéra au parti nazi autrichien et aux SS. En 1935, il devint chef des SS pour l’Autriche. Après l’Anschluss, il fut nommé secrétaire d’État à la Sûreté en Autriche, puis, lorsque ce poste fut supprimé, en 1941, chef de la Police et des SS, Le 30 janvier 1943, il devint chef de la Police de sûreté et du SD et chef du Bureau central de sûreté du Reich (RSHA), poste qui avait été occupé par Heydrich jusqu’à son assassinat en juin 1942. Il avait le rang d’Obergruppenführer dans les SS.
Comme chef des SS en Autriche, Kaltenbrunner joua un rôle actif dans le complot formé contre le Gouvernement de Schuschnigg. Dans la nuit du 11 mars 1938, après que Göring eut donné l’ordre aux nationaux-socialistes autrichiens de s’emparer du Gouvernement, cinq cents SS, sous le commandement de Kaltenbrunner, encerclèrent la Chancellerie fédérale ; un détachement spécial y pénétra sous la conduite de l’adjoint de Kaltenbrunner, pendant que Seyss-Inquart négociait avec le Président Miklas. Mais rien, par ailleurs, ne prouve que Kaltenbrunner ait participé aux divers plans de guerre d’agression. L’Anschluss, bien qu’il ait été un acte d’agression, n’est pas considéré comme une guerre d’agression et les charges que l’on peut relever contre Kaltenbrunner dans le domaine du premier chef d’accusation, ne constituent pas, selon le Tribunal, la démonstration de sa participation directe à un plan établi en vue d’une guerre de cette nature.
Quand il devint le 30 janvier 1943, chef de la Police de sûreté et du SD ainsi que chef du RSHA, Kaltenbrunner prit en charge une organisation qui comprenait les principaux services de la Gestapo, du SD et de la Police criminelle. En tant que chef du RSHA, il avait qualité, soit pour ordonner les mises en « détention de protection » dans les camps de concentration, soit pour faire libérer des internés. Les ordres, dans ce domaine, portaient habituellement sa signature.
Kaltenbrunner avait connaissance des conditions de vie qui régnaient dans les camps de concentration. Il avait certainement visité Mauthausen, et il résulte de plusieurs témoignages qu’il y a vu des prisonniers exécutés, à titre de démonstration, par diverses méthodes : pendaison, coup de feu dans la nuque et asphyxie par les gaz. Kaltenbrunner a personnellement ordonné des exécutions d’internés et son service servait à transmettre aux camps de concentration les ordres d’exécution émanant du bureau de Himmler. À la fin de la guerre, Kaltenbrunner participa à l’organisation de l’évacuation des internés des camps et à l’extermination de beaucoup d’entre eux, afin de les soustraire aux armées alliées qui allaient les libérer.
Le RSHA — pendant la période où Kaltenbrunner le dirigea — fut utilisé pour la réalisation d’un vaste programme de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Des prisonniers de guerre furent maltraités et assassinés. Ceux de l’Union Soviétique furent passés au crible par des Einsatzkommandos, opérant sous le contrôle de la Gestapo ; les Juifs, les commissaires et les autres personnes jugées hostiles à l’idéologie du régime nazi, étaient signalés au RSHA ; celui-ci les faisait transférer dans des camps de concentration où ils étaient exécutés. Pendant la même période, le RSHA promulgua un ordre dit « Action Kugel », en vertu duquel certains prisonniers de guerre, évadés et repris, devaient être amenés à Mauthausen et fusillés. Un ordre prévoyant l’exécution des groupes de commandos fut étendu par la Gestapo aux parachutistes. Un autre ordre, enfin, interdisant à la Police d’intervenir dans les attaques dont les aviateurs alliés obligés d’atterrir étaient l’objet de la part de la population, fut signé par Kaltenbrunner lui-même. En décembre 1944, Kaltenbrunner participa à l’organisation de l’assassinat d’un général français prisonnier de guerre.
Pendant la période où Kaltenbrunner fut chef du RSHA, la Gestapo et le SD continuèrent à maltraiter et à exterminer la population des territoires occupés, à utiliser des méthodes telles que la torture et l’internement dans les camps de concentration ; ils agissaient en général en vertu d’ordres sur lesquels était apposé le nom de Kaltenbrunner.
La Gestapo était responsable de l’application de la discipline rigide à laquelle furent soumis les travailleurs forcés et une série de camps de représailles furent créés à cet effet par Kaltenbrunner. Quand les SS entreprirent la réalisation pour leur compte d’un programme de travail forcé, elles utilisèrent la Gestapo pour obtenir les travailleurs dont elles avaient besoin et firent envoyer ceux-ci dans des camps de concentration.
Le RSHA joua un rôle capital dans la réalisation de la « solution définitive » de la question juive, qui n’était autre chose que l’extermination des Juifs. Une section spéciale, placée sous l’autorité de l’Amt IV du RSHA fut créée pour faire exécuter ce programme. Sous sa direction, six millions de Juifs environ furent tués, dont deux millions par les Einsatzgruppen et par les autres unités de la Police de sûreté. Kaltenbrunner, lorsqu’il était chef de la Police et des SS, connaissait l’activité particulière de ces Einsatzgruppen qui continuèrent d’opérer quand il fut devenu chef du RSHA.
L’assassinat de près de quatre millions de Juifs dans les camps de concentration a déjà été décrit. Le RSHA, sous la direction de Kaltenbrunner, contrôlait l’exécution de cette partie du programme : des groupes spéciaux parcoururent les territoires occupés et les pays satellites de l’Axe, afin d’y rechercher des Juifs et de les déporter vers les lieux où ils étaient exterminés. Kaltenbrunner était au courant de ces actions criminelles. Dans une lettre écrite par lui le 30 juin 1944, il décrivait l’embarquement de douze mille Juifs pour Vienne et il ordonnait que « tous ceux qui étaient incapables de travailler soient tenus prêts pour une « action spéciale », ce qui voulait dire leur extermination.
Kaltenbrunner a nié l’authenticité de sa signature au bas de cette lettre, ainsi qu’il l’a fait à l’occasion de nombreux ordres portant sa signature, tapée à la machine ou imprimée à l’aide d’un tampon, et d’autres ordres moins nombreux signés à la main. Il est inconcevable qu’à l’occasion de questions d’une telle gravité sa signature ait pu apparaître si souvent sans son autorisation.
Kaltenbrunner soutient qu’avant d’accepter les postes de chef du RSHA et de chef de la Police de sûreté et du SD, il se mit au préalable d’accord avec Himmler pour que son rôle fût limité au domaine des renseignements à l’étranger et ne consistât pas en une surveillance générale des agissements du RSHA. Il prétend aussi que l’exécution du programme criminel avait commencé avant qu’il occupât son poste ; qu’il était rarement mis au courant des actions entreprises par le RSHA et que, lorsqu’il les connaissait, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les arrêter. Il est exact qu’il s’est intéressé particulièrement à la question des renseignements à l’étranger, mais il a exercé un contrôle sur l’ensemble du RSHA, il a eu connaissance des crimes commis par cette formation et a participé activement à nombre d’entre eux.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Kaltenbrunner n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Kaltenbrunner est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Rosenberg est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1919, participa au putsch de Munich le 9 novembre 1923 et essaya de maintenir le parti nazi, devenu illégal, pendant que Hitler était en prison. Reconnu comme l’idéologue du Parti, il développa et répandit les doctrines nazies dans les journaux Völkischer Beobachter et N. S. Monatshefte, dont il était l’éditeur, et dans de nombreux ouvrages. Son livre Le Mythe du vingtième siècle fut tiré à plus d’un million d’exemplaires.
En 1930, Rosenberg fut élu au Reichstag et devint le représentant du Parti au ministère des Affaires étrangères. En avril 1933, il fut nommé Reichsleiter et directeur du Service des affaires étrangères du Parti (le APA). En janvier 1934, Hitler fit de Rosenberg son adjoint pour le contrôle de toute l’éducation spirituelle et idéologique du Parti. En janvier 1940, il fut désigné pour fonder la « Hohe Schule », centre de recherches idéologiques et pédagogiques nationales-socialistes et organisa en même temps l’« Einsatzstab Rosenberg ». Le 17 juillet 1941, il fut nommé ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est.
Comme directeur de l’APA, Rosenberg était chargé d’une organisation dont les agents participaient aux intrigues nazies dans toutes les parties du monde. Ses propres rapports affirment que l’APA joua, par exemple, un rôle important dans l’adhésion de la Roumanie à l’Axe. Comme directeur de l’APA, il prit une large part à la préparation matérielle et stratégique de l’attaque contre la Norvège.
Rosenberg fut, avec Raeder, à l’origine du plan d’attaque de la Norvège, à laquelle il s’intéressait depuis l’entretien qu’il avait eu avec Quisling, au mois de juin 1939. Quisling avait souligné l’importance de la côte norvégienne au cas d’un conflit entre l’Allemagne et l’Angleterre et avait exprimé la crainte que la Grande-Bretagne ne fût aidée par les Norvégiens. À la suite de cette conférence, Rosenberg prit des dispositions pour que Quisling collaborât étroitement avec les nazis et bénéficiât de leur appui politique.
Quand la guerre éclata, Rosenberg soutint le point de vue de Quisling, qui craignait une intervention britannique en Norvège, et communiqua à Raeder un projet qui visait à utiliser Quisling pour un coup de main en Norvège. Ce fut Rosenberg qui ménagea entre Hitler et Quisling les entrevues de décembre 1939 qui aboutirent aux préparatifs de l’attaque contre la Norvège, et au cours desquelles le Chancelier du Reich promit à Quisling une aide financière. À la suite de ces conférences, Hitler chargea Rosenberg de l’« exploitation politique » de la Norvège et, deux semaines après l’invasion de ce pays, lui déclara que le motif de sa décision d’attaquer la Norvège « résultait des avertissements répétés de Quisling, tels qu’ils lui avaient été communiqués par le Reichsleiter Rosenberg ».
Rosenberg est l’un des principaux responsables de l’élaboration et de l’exécution des mesures qui furent adoptées dans les territoires occupés de l’Est. Le 2 avril 1941, il fut informé par Hitler de l’imminence de l’attaque contre l’Union Soviétique et il accepta d’y apporter sa collaboration à titre de « conseiller politique ». Le 20 avril 1941, il fut nommé commissaire au Contrôle central des affaires d’Europe orientale. Au cours de la préparation des plans d’occupation, il eut de nombreuses conférences avec Keitel, Raeder, Göring, Funk, von Ribbentrop et d’autres personnalités importantes du Reich. En avril et en mai 1941, il établit plusieurs projets de règlements relatifs à l’organisation de l’administration des territoires occupés de l’Est. Le 20 juin 1941, deux jours avant le déclenchement de l’attaque contre l’URSS, il fit un discours à ses adjoints au sujet des problèmes posés par l’occupation et des mesures à envisager. Le 16 juillet 1941, il assista à la conférence de Hitler, au cours de laquelle les méthodes d’administration et d’occupation furent examinées. Le 17 juillet 1941, Hitler nomma Rosenberg ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est et lui confia officiellement la responsabilité de l’administration civile.
Rosenberg est responsable du pillage systématique des biens publics et privés qui fut pratiqué dans tous les pays envahis d’Europe. Agissant d’après les ordres donnés par Hitler, au mois de janvier 1940, pour fonder la « Hohe Schule », il organisa et dirigea l’« Einsatzstab Rosenberg » qui pilla des musées et des bibliothèques, confisqua des œuvres d’art et des collections, et mit à sac des habitations privées. Ses propres rapports montrent l’importance revêtue par ces confiscations. Au cours de l’« Action M » (Möbel), lancée en décembre 1941 sur la suggestion de Rosenberg, soixante-neuf mille six cent dix-neuf demeures juives furent pillées dans l’Ouest, dont trente-huit mille à Paris seulement, et il fallut vingt-six mille neuf cent quatre-vingt-quatre wagons de chemin de fer pour transporter en Allemagne les meubles confisqués. À la date du 14 juillet 1944, vingt et un mille neuf cent trois objets d’art comprenant des peintures célèbres et des pièces de musée avaient déjà été saisis dans l’Ouest par l’Einsatzstab.
Nommé, le 17 juillet 1941, ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, Rosenberg fut investi de l’autorité suprême pour ces régions. Il aida à l’élaboration de la politique de germanisation, d’exploitation, de travail forcé, d’extermination des Juifs et des adversaires du nazisme, et il organisa l’administration qui mit cette politique à exécution. Il prit part à la conférence du 16 juillet 1941, au cours de laquelle Hitler déclara : « Nous avons maintenant la tâche de partager le grand gâteau suivant nos besoins, afin de pouvoir : d’abord le dominer, ensuite l’administrer et enfin l’exploiter » ; Hitler ajouta qu’il fallait agir impitoyablement. Rosenberg entra en fonctions le lendemain.
Rosenberg était parfaitement au courant des traitements brutaux et de la terreur auxquels étaient soumis les habitants des régions de l’Est. Il ordonna de ne pas considérer comme applicables dans ces territoires occupés les règles de la Convention de la Haye concernant la guerre terrestre. Il était au courant de l’enlèvement de matières premières et de produits alimentaires des régions conquises à l’Est et de leur expédition vers l’Allemagne, et il prit une part active à ce pillage. Il déclara que la première demande à présenter aux pays de l’Est était de ravitailler le peuple allemand, et que ce serait le peuple soviétique qui en souffrirait. Ses directives prévoyaient la mise à l’écart des Juifs et leur envoi dans les ghettos. Ses subordonnés prirent part aux massacres des Juifs et quant à ses fonctionnaires de l’Est, ils estimaient qu’il était indispensable de débarrasser des Juifs ces territoires. En décembre 1941, il proposa à Hitler que les cent otages qui devaient être fusillés en France fussent choisis uniquement parmi les Juifs. Rosenberg était au courant de la déportation des travailleurs des régions orientales, des méthodes de « recrutement », de l’horreur des déportations et des traitements infligés dans le Reich aux déportés. Il indiqua à ses fonctionnaires le nombre des travailleurs qui devaient être envoyés dans le Reich coûte que coûte. Son consentement à la « Heu Aktion » est indiqué par la signature qu’il apposa sur l’ordre du 14 juin 1944 concernant l’arrestation de quarante à cinquante mille enfants, âgés de dix à quatorze ans, pour leur envoi en Allemagne.
De temps en temps, Rosenberg s’opposa aux excès et aux atrocités commis par ses subordonnés, et notamment par Koch, mais ces excès continuèrent et il garda son poste jusqu’à la fin.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Rosenberg est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
Frank est inculpé des crimes visés par les premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1927. Il fut élu au Reichstag en 1930, nommé ministre de la Justice pour l’État de Bavière en mars 1933, puis, lorsque ce poste fut rattaché au Gouvernement du Reich en 1934, ministre du Reich sans portefeuille. Il fut nommé Reichsleiter du parti nazi chargé des questions juridiques en 1933, et, la même année, président de l’Académie allemande de droit. Il lui fut aussi conféré le grade, à titre honorifique, d’Obergruppenführer des SA. En 1942, Frank se trouvait en désaccord avec Himmler au sujet du système juridique qui devait exister en Allemagne. Au cours de la même année, il fut destitué de ses fonctions de Reichsleiter du parti nazi et de président de l’Académie allemande de droit.
Les preuves soumises n’ont pas établi que la participation de Frank au plan concerté en vue de déclencher une guerre d’agression ait été assez importante pour permettre au Tribunal de le déclarer coupable des crimes visés au premier chef.
Frank fut nommé chef de l’Administration civile des territoires polonais occupés et, le 12 octobre 1939, il en devint gouverneur général. Le 3 octobre 1939, il décrivit la politique qu’il avait l’intention d’adopter, dans les termes suivants : « La Pologne sera traitée comme une colonie ; les Polonais seront les esclaves du Plus Grand Reich allemand. » Les preuves versées aux débats indiquent clairement que cette politique d’occupation impliquait la destruction totale de la Pologne en tant qu’entité nationale et l’exploitation impitoyable de ses ressources humaines et économiques pour l’effort de guerre allemand.
Toute résistance fut écrasée avec une extrême rigueur. Un régime de terreur fut instauré, renforcé par des tribunaux sommaires qui ordonnaient, par exemple, des exécutions publiques de groupes de vingt à deux cents Polonais ou des exécutions massives d’otages. Le système des camps de concentration fut introduit dans le Gouvernement Général ; les camps fameux de Treblinka et de Maidaneck furent établis. Dès le 6 février 1940, Frank dévoila lui-même ce régime de terreur, en commentant cyniquement, au cours d’un reportage, l’affiche où von Neurath annonçait l’exécution des étudiants tchèques : « Si je prescrivais que des affiches soient collées aux murs chaque fois qu’on fusille sept Polonais, les forêts de Pologne ne suffiraient pas à la fabrication du papier nécessaire. » Le 30 mai 1940, Frank déclara, dans une réunion de policiers, qu’il mettait à profit l’offensive d’Europe occidentale, qui détournait de la Pologne l’attention du monde, pour liquider des milliers de Polonais susceptibles de s’opposer à la domination allemande, y compris « les principaux représentants de l’élite intellectuelle polonaise ». Conformément à ces instructions, l’action brutale « A. B. » fut commencée : elle permettait à la Police de sûreté et au SD d’accomplir des exterminations qui n’étaient guère gênées par la procédure judiciaire. Aux termes d’un décret de Frank, du 2 octobre 1943, tout individu de nationalité non allemande qui sabotait des travaux effectués pour le compte du Reich dans le Gouvernement Général était jugé par des tribunaux sommaires de la Police de sûreté et du SD et condamné à mort.
Les exigences, en matière économique, auxquelles fut soumis le Gouvernement Général, dépassaient de beaucoup les besoins de l’armée d’occupation ; elles étaient hors de proportion avec les ressources du pays. Les denrées alimentaires furent expédiées en Allemagne en si grande quantité que le ravitaillement des territoires occupés fut réduit à un niveau de famine et que des épidémies se propagèrent rapidement. Certaines mesures furent prises pour assurer l’alimentation des travailleurs agricoles employés aux labours et aux récoltes, mais les besoins du reste de la population furent négligés. Il est certain, comme l’a montré l’avocat de la Défense, que les ravages de la guerre et la confusion économique qui s’ensuivit, rendaient inévitables certaines souffrances dans le Gouvernement Général. Mais ces souffrances furent intensifiées par une politique concertée d’exploitation économique.
Dès les premiers temps de son administration, Frank inaugura la déportation d’ouvriers pour le travail forcé en Allemagne. Le 25 janvier 1940, il exprima son intention de déporter un million de travailleurs et fit entendre, le 10 mai 1940, que ce chiffre devait être atteint par des rafles de police. Le 18 août 1942, Frank annonça qu’il avait déjà fourni huit cent mille travailleurs au Reich et qu’il comptait pouvoir en livrer encore cent quarante mille avant la fin de l’année.
Les persécutions de Juifs commencèrent immédiatement. À l’origine, le territoire contenait deux millions cinq cent mille à trois millions cinq cent mille Juifs. Ils furent tous contraints de vivre dans des ghettos, soumis à des lois d’exception, privés de la nourriture nécessaire à leur subsistance, finalement exterminés systématiquement et brutalement. Le 16 décembre 1941, Frank déclara aux membres de son Cabinet : « Il nous faut exterminer les Juifs, où que nous les trouvions et partout où c’est possible, afin de maintenir la structure et la cohésion du Reich. » Dès le 25 janvier 1944, Frank estimait qu’il ne restait plus que cent mille Juifs.
Au début de sa déposition, Frank a déclaré ressentir une « terrible culpabilité » en ce qui concerne les atrocités commises dans les territoires occupés. Mais sa défense s’est bornée généralement à tenter de prouver qu’en fait il n’était pas responsable, qu’il n’a ordonné que les mesures de pacification nécessaires, que les excès furent dus aux activités d’une police qui n’était pas placée sous son contrôle, et qu’il n’eut même jamais connaissance du régime des camps de concentration. Il a également été soutenu que la famine ne fut qu’une conséquence de la guerre et de la politique suivie en vertu du Plan de quatre ans, que le programme du travail forcé était placé sous la direction de Sauckel, et que l’extermination des Juifs fut effectuée par la Police et les SS sous les ordres directs de Himmler.
Il est indiscutable que la majeure partie du programme criminel dont Frank est accusé fut exécutée par la Police, que Frank eut des conflits de compétence avec Himmler au sujet du contrôle de la Police et que Hitler donna raison à Himmler dans un grand nombre de cas. Il se peut donc que certains des crimes commis dans le Gouvernement Général l’aient été à l’insu de Frank et même parfois malgré lui. Peut-être aussi certaines méthodes criminelles ne furent-elles pas instaurées par Frank, mais exécutées en application d’instructions reçues d’Allemagne. Mais il est également vrai que Frank participa volontairement et consciemment aux mesures de terreur en Pologne, à l’exploitation économique de ce pays qui entraîna la famine et la mort d’un grand nombre de personnes, à la déportation, pour le travail forcé en Allemagne, de plus d’un million de Polonais. Il participa au programme qui amena le meurtre d’au moins trois millions de Juifs.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Frank n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Frank est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Frick est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Spécialiste reconnu des questions administratives, il fit partie du premier Cabinet de Hitler, à titre de ministre de l’Intérieur du Reich. Il occupa ce poste important jusqu’en août 1943, date à laquelle il fut nommé protecteur du Reich pour la Bohême-Moravie. Grâce à ces fonctions qui le plaçaient au centre de toute l’administration interne du pays, il devint ministre de l’Intérieur de Prusse, directeur des Élections du Reich, plénipotentiaire général à l’Administration, ainsi que membre du Conseil de Défense du Reich, du Conseil des ministres pour la Défense du Reich et du « Conseil des Trois ». Lorsque les divers pays qui devaient être incorporés au Reich furent envahis, Frick fut placé à la tête des services centraux chargés de ces incorporations.
Encore que Frick n’ait adhéré officiellement au parti nazi qu’en 1925 il s’était déjà, lors du putsch de Munich et alors qu’il était fonctionnaire du Département de la Police de cette ville, rangé aux côtés de Hitler et de la cause nationale-socialiste. Élu membre du Reichstag en 1924, il devint Reichsleiter, en sa qualité de chef du groupe national-socialiste de cette Assemblée.
Frick, nazi ambitieux, contribua activement à soumettre l’Allemagne à la domination absolue du Parti. Dès que Hitler fut devenu Chancelier du Reich, le nouveau ministre de l’Intérieur commença à grouper les gouvernements régionaux sous la souveraineté du Reich. Les nombreuses lois qu’il élabora, signa et fit appliquer, eurent pour effet de supprimer tous les partis d’opposition et ouvrirent en outre la voie à la Gestapo et aux camps de concentration que celle-ci utilisait pour anéantir toute opposition individuelle. Il fut l’auteur principal et impitoyable de la législation qui visait à éliminer les syndicats, les Églises et les Juifs.
Jusqu’à l’agression contre l’Autriche, Frick ne s’occupa que de l’administration intérieure du Reich. Il n’est pas prouvé qu’il ait assisté à aucune des conférences au cours desquelles Hitler exposa ses intentions agressives. Le Tribunal estime, en conséquence, que Frick n’a pas participé au plan concerté ou complot en vue d’une guerre d’agression, tel qu’il est défini dans ce jugement.
Six mois après l’annexion de l’Autriche, Frick devint, en vertu de la loi de défense du Reich du 4 septembre 1938, plénipotentiaire général à l’Administration du Reich. Il fut prévu, au surplus, que, dans le cas où Hitler proclamerait l’« état de défense », Frick serait chargé de l’administration de guerre, exception faite pour le secteur militaire et économique. Les ministères de la Justice, de l’Éducation et des Cultes furent, ainsi que l’Office des questions d’espace, placés sous son autorité. En s’acquittant de la tâche qui lui était confiée, Frick mit sur pied une organisation administrative qui était adaptée aux conditions de guerre et qui, selon ses propres déclarations, entra en jeu lorsque l’Allemagne eut décidé d’adopter une politique de recours à la force.
Frick signa la loi du 13 mars 1938, qui réunissait l’Autriche au Reich et il fut chargé de son exécution. Il établit en Autriche une administration allemande et prit des mesures législatives qui introduisaient dans ce pays les lois du Reich, y compris les décrets de Nuremberg et la loi sur le service militaire ; il confia les questions de police à Himmler.
C’est Frick, encore, qui signa les lois incorporant au Reich le Pays des Sudètes, Memel, Dantzig, les territoires de l’Est (Prusse occidentale et Posnanie) ainsi que ceux d’Eupen, de Malmédy et de Moresnet. Il fut chargé de l’exécution effective de ces incorporations et de l’établissement d’une administration allemande dans ces territoires. Il signa la loi établissant le Protectorat de Bohême et de Moravie.
En sa qualité de chef des Services centraux pour la Bohême et la Moravie, pour le Gouvernement Général et pour la Norvège, il eut la mission de susciter une étroite coopération entre les administrateurs allemands de ces territoires et les autorités suprêmes du Reich. Dans tous les pays occupés, il nomma le personnel administratif et tint Rosenberg au courant des désignations effectuées dans les territoires de l’Est. Enfin, il signa les lois qui nommaient Terboven commissaire du Reich en Norvège, et Seyss-Inquart commissaire du Reich en Hollande.
Antisémite fanatique, Frick prépara, signa et fit appliquer un grand nombre de lois destinées à éliminer les Juifs de la vie et de l’économie allemandes. Son œuvre législative fut à la base des décrets de Nuremberg, qu’il s’occupa activement à appliquer. Après avoir interdit aux Juifs l’exercice de certaines professions et confisqué leur fortune, il signa finalement, en 1943, après les exterminations massives de Juifs opérées à l’Est, un décret qui les plaçait « hors la loi » et remettait leur sort aux mains de la Gestapo. Ces mesures, qui ouvraient la voie à la « solution finale », furent étendues par l’accusé aux territoires incorporés ainsi qu’à certains des territoires occupés. Pendant la période où il fut protecteur du Reich pour la Bohême et la Moravie, des milliers de Juifs furent transférés du ghetto de Terezin, en Tchécoslovaquie, à Auschwitz, où ils furent tués. Il institua par décret une procédure pénale d’exception, applicable aux Juifs et aux Polonais du Gouvernement Général.
Bien que la Police fût théoriquement subordonnée au ministre de l’Intérieur, Frick avait, en fait, peu d’autorité sur Himmler et sur les questions de police en général. Quoi qu’il en soit, c’est lui qui avait signé la loi nommant Himmler chef de la Police allemande, ainsi que les décrets plaçant les camps de concentration sous l’autorité de la Gestapo et réglementant l’exécution des ordres d’internement de protection. Étant donné les nombreuses plaintes dont Frick eut connaissance et compte tenu des témoignages produits au cours des débats, le Tribunal estime que l’accusé connaissait les atrocités commises dans ces camps. En pleine connaissance des méthodes qu’employait Himmler, Frick l’autorisa, par décret, à prendre, dans certains des territoires occupés, les mesures de sécurité qu’il jugerait nécessaires. Or, on sait ce que furent ces « mesures de sécurité ».
En sa qualité d’autorité suprême du Reich en Bohême et en Moravie, Frick porte la responsabilité générale des actes d’oppression qui furent commis dans ce territoire après le 20 août 1943 : mesures de terreur contre la population, travail forcé, déportation et extermination des Juifs dans les camps de concentration. Il est vrai que les attributions que conférait à Frick son poste de protecteur du Reich étaient beaucoup plus restreintes que celles de son prédécesseur ; il est encore vrai qu’il n’avait aucun pouvoir législatif et que son autorité personnelle dans le Protectorat était limitée. Néanmoins, Frick savait parfaitement en quoi consistait à cette époque la politique nazie d’occupation, en particulier à l’égard des Juifs. En acceptant ce poste de protecteur du Reich, il assuma la responsabilité de l’exécution de cette politique en Bohême et en Moravie. Les questions de nationalité, tant dans les pays occupés que dans le Reich, étaient placées sous sa juridiction lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. Après avoir établi un registre racial des personnes d’origine allemande, Frick conféra à certaines catégories de citoyens de pays étrangers la nationalité allemande. Il est responsable de la germanisation qui fut pratiquée en Autriche, dans le pays des Sudètes, à Memel, à Dantzig, dans les territoires de l’Est (Prusse occidentale et Posnanie), et dans ceux d’Eupen, Malmédy et Moresnet. Il imposa aux ressortissants de ces régions les lois allemandes, les tribunaux allemands, l’éducation allemande, la police allemande, ainsi que le service militaire obligatoire.
Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’euthanasie fut pratiquée, pendant la guerre, dans des sanatoriums, des hôpitaux et des asiles placés sous l’autorité de Frick. Il savait que des aliénés, des personnes malades et âgées, des « bouches inutiles », étaient mis à mort d’une façon systématique ; des plaintes lui parvinrent au sujet de ces meurtres, mais il ne fit rien pour faire cesser ces agissements. Un rapport de la Commission tchécoslovaque des Crimes de guerre a estimé que, parmi les personnes atteintes de déficience mentale ou âgées dont Frick avait la charge, deux cent soixante-quinze mille furent victimes de ces mesures.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Frick n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Frick est coupable des crimes visés par les deuxième, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Streicher est inculpé des crimes visés par les premier et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Inscrit dès l’origine au parti nazi auquel il adhéra en 1921, il prit part au putsch de Munich. De 1925 à 1940, il fut Gauleiter de Franconie. Élu au Reichstag en 1933, il devint général des SA à titre honoraire. La violente campagne qu’il mena contre les Juifs est universellement connue. De 1923 à 1945, il édita le journal hebdomadaire anti-sémite, Der Stürmer, dont il fut le rédacteur en chef jusqu’en 1933.
Membre du parti nazi, Streicher fut un adepte convaincu de la politique générale de Hitler, mais aucune preuve n’établit qu’il ait jamais été un des conseillers intimes du Führer, ni qu’il ait, au cours de sa carrière, participé à l’élaboration de la politique qui conduisit à la guerre. En particulier, il n’assista jamais à aucune des importantes conférences au cours desquelles Hitler fit part à ses collaborateurs de ses décisions ; et, bien qu’il ait occupé le poste de Gauleiter, il n’a pas été prouvé qu’il ait eu connaissance de celles-ci. Le Tribunal, en conséquence, estime que la preuve de la participation de Streicher au complot ou plan concerté ayant pour but de déclencher une guerre digression, tel qu’il a été défini dans ce jugement, n’a pas été apportée.
Ayant, pendant vingt-cinq ans, prêché, par la parole et par la plume, la haine des Juifs, Streicher était universellement connu comme leur ennemi le plus acharné. Dans ses discours et ses articles hebdomadaires ou mensuels, il sema dans l’esprit allemand le virus de l’antisémitisme et poussa le peuple à se livrer à des actions hostiles à l’égard des Juifs. Chaque numéro du Stürmer, qui en 1935 atteignait un tirage de six cent mille exemplaires, était rempli d’articles en ce sens, souvent même licencieux et abjects.
Streicher fut chargé du boycottage des entreprises juives qui débuta le 1er avril 1933. Il prit parti pour les décrets de Nuremberg de 1935. Il est responsable de l’incendie de la synagogue de Nuremberg du 10 août 1938, et, le 10 novembre, il préconisa publiquement le pogrom qui eut lieu à cette date.
Mais ce ne fut pas seulement contre les Juifs d’Allemagne que Streicher développa ses doctrines. Dès 1938, il commença à demander l’anéantissement de la race juive. Vingt-trois articles du journal Der Stürmer, écrits entre 1938 et 1941, et dans lesquels était prônée une « élimination » des Juifs, ont été versés aux débats à titre d’exemple caractéristique de ses enseignements. Un éditorial, paru en septembre 1938, traitait le Juif de « bacille », de fléau, déclarait qu’il n’était pas un être humain et l’accusait d’être « un parasite, un être nuisible, un malfaiteur et un propagateur de maladies, qui doit être détruit dans l’intérêt de l’Humanité ». D’autres articles proclamaient que le problème juif ne pourrait être résolu que lorsque la « Juiverie internationale » aurait été anéantie et prédisaient que, d’ici cinquante ans, les tombes juives « attesteraient que ce peuple d’assassins et de criminels a bel et bien trouvé le sort qu’il méritait ».
En février 1940, Streicher publia la lettre d’un lecteur du Stürmer comparant les Juifs à des essaims de sauterelles qui devaient être totalement exterminés. Tel fut le poison que Streicher versa dans l’esprit de milliers d’Allemands ; il leur fit accepter la politique nationale-socialiste de persécution et d’extermination des Juifs. Un éditorial du Stürmer, publié en mai 1939, montre clairement l’intention dans laquelle il a été écrit :
« Une expédition punitive doit se faire en Russie contre les Juifs, qui leur réservera le même sort que celui auquel doit s’attendre tout meurtrier et tout criminel : condamnation à mort et exécution. Les Juifs de Russie doivent être tués. Ils doivent être extirpés et exterminés. »
La guerre ayant amené d’abord l’acquisition par le Reich de territoires de plus en plus vastes, Streicher redoubla d’efforts pour exciter partout les Allemands contre les Juifs. Vingt-six articles du Stürmer, parus entre le mois d’août 1941 et le mois de septembre 1944, figurent au dossier. Douze de ces articles, signés par Streicher, réclament l’anéantissement et l’extermination en termes non équivoques. Le 25 décembre 1941, il écrivait :
« Si le danger de voir se réaliser la malédiction divine que constitue le sang juif doit être évité, il n’y a qu’un moyen pour y parvenir ; l’extermination de ce peuple dont le père est le diable. »
Et en février 1944, il affirmait dans un article signé de lui :
« Quiconque agit comme un Juif est une canaille, un criminel, celui qui répète ce que dit un Juif ou veut l’imiter mérite le même sort que ce dernier : l’extermination, la mort. »
Quand il fut informé de la disparition des Juifs des territoires de l’Est, l’accusé continua, par ses articles, à poursuivre sa propagande meurtrière. Au cours de sa déposition devant le Tribunal, il a nié avec véhémence avoir jamais eu connaissance des exécutions massives de Juifs. Mais les preuves produites indiquent clairement qu’il était tenu régulièrement au courant des progrès de la « solution définitive ». Le photographe de son journal fut envoyé en mission au printemps de 1943 pour visiter les ghettos de l’Est, au moment même de la destruction de celui de Varsovie. Le journal juif Israelitisches Wochenblatt, que Streicher recevait et lisait, publiait dans chaque numéro des bulletins relatifs aux atrocités commises dans l’Est ; ce journal donnait des comptes rendus indiquant le nombre des Juifs qui avaient été déportés et tués. Par exemple, certains numéros, publiés au cours de l’été et de l’automne de l’année 1942, signalèrent la mort de soixante-douze mille sept cent vingt-neuf Juifs à Varsovie, de dix-sept mille cinq cent quarante-deux à Lodz, de dix-huit mille en Croatie, de cent vingt-cinq mille en Roumanie, de quatorze mille en Lettonie, de quatre-vingt-cinq mille en Yougoslavie et de sept cent mille dans toute la Pologne. En novembre 1943, Streicher cita textuellement un article de l’Israelitisches Wochenblatt qui affirmait que les Juifs avaient effectivement disparu d’Europe ; il ajouta en commentaire : « Ceci n’est pas un mensonge juif ». En décembre 1942, Streicher, faisant allusion à un article paru dans le London Times relatif aux atrocités et aux exterminations, souligna que Hitler avait averti que la deuxième guerre mondiale amènerait la destruction des Juifs. En janvier 1943, il publia un article indiquant que la prédiction de Hitler était en cours de réalisation, que l’on était en train d’éliminer la juiverie mondiale, et qu’il était merveilleux d’apprendre que Hitler libérait le monde de ses bourreaux juifs.
Streicher ne peut guère prétendre, en présence de ces preuves, que la solution préconisée par lui était limitée au classement des Juifs parmi les étrangers et à l’institution d’une législation d’exception, comme les lois de Nuremberg ; d’après lui, ces dispositions seraient complétées, si possible, par un accord international créant, en un lieu quelconque, un État juif vers lequel tous les Israélites devraient émigrer.
Le fait que Streicher poussait au meurtre et à l’extermination, à l’époque même où, dans l’Est, les Juifs étaient massacrés dans les conditions les plus horribles, réalise « la persécution pour des motifs politiques et raciaux » prévue parmi les crimes de guerre définis par le Statut, et constitue également un crime contre l’Humanité.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Streicher n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Streicher est coupable des crimes visés par le quatrième chef de l’Acte d’accusation.
Funk est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Ancien journaliste spécialisé dans les questions financières, il adhéra au parti nazi en 1931 et, peu après, devint l’un des conseillers particuliers de Hitler pour les affaires économiques. Le 30 janvier 1933, il fut nommé chef de la Presse dans le Gouvernement du Reich, devint, le 11 mars, sous-secrétaire d’État au ministère de la Propagande puis, peu après, commença à jouer un rôle prépondérant dans les différentes organisations nazies dont le but était de contrôler la presse, le cinéma et les maisons d’éditions littéraires et musicales. Dès le début de 1938, il assuma les fonctions de ministre de l’Économie nationale et de plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, puis celles de président de la Reichsbank en janvier 1939 ; dans ces trois postes, il succédait à Schacht. En août 1939, il fut nommé membre du Conseil des ministres pour la Défense du Reich, et en septembre 1943, membre du Comité central du Plan.
L’activité de Funk, dans le domaine économique, commença à une époque où les plans nazis de guerre d’agression avaient déjà pris une forme définitive. Un de ses représentants assista, le 14 octobre 1938, à une réunion au cours de laquelle Göring annonça que la production des armements devait s’accroître dans des proportions énormes et donna au ministère de l’Économie nationale des instructions pour que les exportations soient augmentées de façon à procurer à l’Allemagne les devises nécessaires. Le 28 janvier 1939, l’un des subordonnés de Funk adressa à l’OKW un mémoire proposant l’utilisation des prisonniers de guerre pour combler les vides qui se manifesteraient dans la main-d’œuvre au cas d’une mobilisation. Le 30 mai 1939, le sous-secrétaire d’État au ministère de l’Économie nationale assista à une réunion au cours de laquelle des plans détaillés furent établis pour le financement de la guerre.
Le 25 août 1939, Funk adressa à Hitler une lettre dans laquelle il exprimait sa reconnaissance pour la possibilité qui lui était donnée de jouer un rôle dans des événements entraînant de telles répercussions pour le monde ; par la même occasion, il annonçait qu’il avait terminé les plans pour le « financement de la guerre », pour le contrôle des salaires et des prix et pour le renforcement de la position de la Reichsbank, et qu’ainsi, il avait converti en or, sans que cela pût se remarquer, toutes les ressources en devises dont disposait l’Allemagne. Le 14 octobre 1939, une fois la guerre déclenchée, il déclara dans un discours que les services économiques et financiers de l’Allemagne, travaillant au Plan de quatre ans, avaient participé en secret depuis plus d’un an à la préparation économique de la guerre.
Funk collabora aux plans économiques qui préparaient l’attaque de l’URSS. Son représentant tenait quotidiennement des réunions avec Rosenberg afin d’examiner les problèmes économiques que soulèverait l’occupation du territoire soviétique. Funk participa, en personne et avant l’attaque, aux projets d’impression, en Allemagne, de roubles qui devaient servir de monnaie d’occupation en URSS. Après l’attaque, il prononça un discours dans lequel il décrivit les préparatifs qu’il avait faits pour l’exploitation économique des « vastes territoires de l’Union Soviétique » qui seraient une source de matières premières pour l’Europe.
Funk ne joua pas un rôle prépondérant dans l’élaboration des plans nazis de guerre d’agression. Son activité dans les sphères économiques se déroula sous la haute direction de Göring, plénipotentiaire général pour le Plan de quatre ans. Mais Funk participa aux préparatifs économiques de certaines des guerres d’agression, notamment des guerres contre la Pologne et l’Union Soviétique ; il peut, en conséquence, être déclaré coupable des crimes visés par le deuxième chef de l’Acte d’accusation.
En sa qualité de sous-secrétaire au ministère de la Propagande et de vice-président de la Chambre de culture du Reich, Funk avait pris part, dès le début, au programme nazi de mesures d’exception appliquées aux Juifs, sur le plan économique. Le 12 novembre 1938, après les pogroms qui eurent lieu au cours de ce mois, il assista à une réunion tenue sous la présidence de Göring, afin de discuter la solution du problème juif et proposa qu’un décret fût pris pour exclure les Juifs de toute activité commerciale, décret que Göring publia le jour même dans le cadre du Plan de quatre ans. Dans sa déposition, Funk a déclaré qu’il avait été choqué par les excès du 10 novembre ; on sait pourtant qu’il prononça, le 15 novembre, un discours dans lequel il décrivait ces excès comme « l’expression violente du dégoût qu’inspirait au peuple allemand l’attaque criminelle que les Juifs dirigeaient contre lui » ; il y affirmait aussi que l’exclusion totale des Juifs de toute activité économique devait logiquement découler de leur exclusion de la vie politique.
En 1942, Funk conclut avec Himmler un accord aux termes duquel la Reichsbank devait recevoir des SS certaines quantités d’or, de bijoux et de devises ; il ordonna à ses subordonnés, qui allaient fixer les détails de cet accord, de ne pas poser trop de questions. En application de cette convention, les SS envoyèrent à la Reichsbank tout ce qui avait appartenu aux personnes exterminées dans les camps de concentration. La Reichsbank gardait l’argent et les billets de banque et envoyait les bijoux, montres et autres effets personnels aux monts-de-piété de la municipalité de Berlin. Quant à l’or provenant des montures de lunettes ou arraché aux dentitions, il était déposé dans les sous-sols de la Reichsbank. Funk a affirmé n’avoir eu connaissance d’aucun de ces dépôts. Le Tribunal estime, néanmoins que, ou bien il avait connaissance de ce que la Reichsbank recevait, ou bien il fermait délibérément les yeux sur ce qui se passait.
En tant que ministre de l’Économie nationale et président de la Reichsbank, Funk participa à l’exploitation économique des territoires occupés. Il était président de la Compagnie continentale des Pétroles, chargée de l’exploitation des gisements pétrolifères des territoires de l’Est. Il fut responsable de la saisie des réserves d’or de la Banque nationale tchécoslovaque et de la liquidation de la Banque nationale yougoslave. Le 6 juin 1942, son représentant adressa à l’OKW une lettre demandant que des fonds fussent prélevés sur la Caisse des frais d’occupation de la France, afin de servir à des achats au marché noir. Il connaissait la politique allemande d’occupation, puisqu’il assista à la réunion du 8 août 1942 au cours de laquelle Göring, s’adressant aux divers chefs des territoires occupés, leur indiqua quels produits alimentaires ils devaient en retirer et ajouta : « Il m’est absolument indifférent que vous me disiez que, à la suite de ces mesures, vos populations meurent de faim. »
En automne 1943, Funk devint membre du Conseil central du Plan qui fixait le chiffre total d’ouvriers nécessaires à l’industrie allemande et exigeait que Sauckel les fournît, la plupart du temps, en les déportant des territoires occupés. Funk ne paraît pas s’être particulièrement intéressé à cet aspect du programme de travail forcé ; il envoyait généralement aux réunions du Conseil un représentant qui était souvent son collaborateur le général des SS Ohlendorf, ancien chef du SD et ancien commandant de l’Einsatzgruppe D ; Funk savait cependant que le conseil dont il était membre exigeait la déportation en Allemagne, pour le travail forcé, d’ouvriers qu’il répartissait ensuite parmi les industries placées sous son contrôle.
En sa qualité de président de la Reichsbank, Funk fut aussi indirectement mêlé à l’utilisation de la main-d’œuvre provenant des camps de concentration. Sous sa direction, la Reichsbank ouvrit aux SS un crédit de douze millions de reichsmark comme fonds de roulement pour la construction d’usines utilisant les travailleurs de ces camps.
En dépit du fait qu’il occupa des postes officiels importants, Funk ne joua jamais un rôle prépondérant dans les différents programmes auxquels il participa. C’est une circonstance atténuante que le Tribunal retient en sa faveur.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Funk n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Funk est coupable des crimes visés par les deuxième, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation ;
Schacht est inculpé des crimes visés par les premier et second chefs de l’Acte d’accusation. De 1923 à 1930, il fut Commissaire aux questions monétaires et président de la Reichsbank ; il fut de nouveau nommé à ce dernier poste le 17 mars 1933 ; il devint ministre de l’Économie en août 1934 et plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre en mai 1935. Il se démit de ces deux fonctions en novembre 1937, et fut nommé ministre sans portefeuille. Le 16 mars 1937, il redevint président de la Reichsbank pour une durée d’un an et le 9 mars 1938 pour une durée de quatre ans, mais il fut relevé de ce poste le 20 janvier 1939, de même que de celui de ministre sans portefeuille, le 22 janvier 1943.
Schacht fut un partisan actif du national-socialisme avant l’accession du Parti au pouvoir le 30 janvier 1933 et favorisa la nomination de Hitler au poste de Chancelier. Après cette date, il joua un rôle important dans l’exécution du programme de réarmement intensif qui fut adopté par l’Allemagne en mettant au maximum les possibilités de la Reichsbank au service de cet effort. La Reichsbank, qui a de tout temps été l’agent financier du Gouvernement allemand, émit des emprunts d’État à long terme dont le montant fut employé au réarmement. L’accusé imagina un système selon lequel des billets de banque à échéance de cinq ans, connus sous le nom de billets Mefo furent utilisés pour obtenir de fortes sommes provenant du marché des devises à court terme pour le réarmement. Le remboursement de ces billets était garanti, mais en fait cette garantie ne provenait que du fait que la Reichsbank était banque d’émission.
En sa qualité de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre, Schacht s’occupa d’organiser l’économie allemande en vue de la guerre. Il fit des plans détaillés pour une mobilisation industrielle et la coordination de l’Armée avec l’industrie en cas de guerre.
Plus particulièrement, et pour pallier la pénurie de matières premières, il entreprit de réaliser un plan de stockage et un système de contrôle des changes. Il espérait ainsi éviter que la faible position de l’Allemagne vis-à-vis de la monnaie étrangère pût gêner l’acquisition à l’étranger de matières premières nécessaires au réarmement. Le 3 mai 1935, il déclarait dans un mémoire adressé à Hitler : « … la réalisation rapide d’un vaste programme d’armement est le problème essentiel de la politique allemande ; tout doit en conséquence être subordonné à ce but. »
En avril 1936, Schacht commença à voir sa position centrale perdre son influence dans l’effort de réarmement allemand lorsque Göring fut chargé de la coordination des questions de matières premières et de devises étrangères. Göring se fit l’avocat d’un programme étendu de production de matières premières synthétiques, malgré l’opposition de Schacht qui estimait que l’effort financier qu’il faudrait fournir pourrait conduire à l’inflation. L’influence de Schacht diminua encore davantage quand, le 16 octobre 1936, Göring fut nommé plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, ce qui le chargeait de mettre « toute l’économie en état d’alerte en vue de la guerre » dans un délai de quatre ans. Schacht s’était opposé à la publication de ce plan et à la nomination de Göring à sa tête ; la décision de Hitler montrait qu’il trouvait la politique économique de Schacht trop conservatrice pour la politique de réarmement intensif qu’il voulait appliquer.
Schacht et Göring, après la nomination de ce dernier, commencèrent immédiatement à se quereller. En plus de raisons personnelles qui dominaient leurs disputes, certains principes politiques les divisaient. Schacht, pour des raisons financières, préconisait une réduction du programme de réarmement, réprouvait, comme contraire aux principes d’économie, une augmentation aussi considérable des moyens de production, en particulier celle des produits synthétiques, et demandait une réduction sévère des crédits accordés au Gouvernement et une prudence plus vigilante dans le maniement des réserves en devises étrangères de l’Allemagne. À la suite de ces disputes et d’une discussion particulièrement acerbe au cours de laquelle Hitler accusa Schacht de bouleverser ses plans par ses méthodes financières, l’accusé quitta le ministère de l’Économie le 5 septembre 1937 pour partir en congé et il donna sa démission de ministre de l’Économie et de plénipotentiaire général pour l’Économie de guerre le 16 novembre 1937.
En sa qualité de président de la Reichsbank, Schacht devait encore prendre part à des discussions. Pendant toute l’année 1938, la Reichsbank continua à fonctionner comme banquier du Gouvernement allemand en émettant des emprunts à long terme pour financer les armements. Mais le 31 mars 1938, Schacht cessa d’émettre des billets à court terme garantis par la Reichsbank pour subvenir aux dépenses engagées pour l’armement. À la fin de l’année 1938, Schacht voulut essayer de reprendre, par l’intermédiaire de la Reichsbank, le contrôle de la politique financière et refusa, dans cet espoir, d’ouvrir, sur la demande instante du ministre des Finances du Reich, un crédit spécial permettant de payer les salaires des fonctionnaires, crédit qui n’était pas couvert par les fonds existants. Le 2 janvier 1939, Schacht tint une conférence avec Hitler au cours de laquelle il lui demanda instamment de réduire les dépenses d’armement. Le 7 janvier 1939, Schacht présenta à Hitler un rapport signé des directeurs de la Reichsbank demandant avec insistance que les dépenses d’armement soient énergiquement réduites et que le budget soit enfin équilibré. C’était, disait ce rapport, la seule méthode susceptible d’éviter l’inflation. Le 19 janvier, Hitler destitua Schacht de ses fonctions de président de la Reichsbank et le 22 janvier 1943, de celles de ministre sans portefeuille en raison de « son attitude générale durant la lutte décisive de la nation allemande ». Le 23 juillet 1944, Schacht fut arrêté par la Gestapo qui l’envoya dans un camp de concentration jusqu’à la fin de la guerre.
Il est évident que Schacht occupa une situation importante dans le programme de réarmement de l’Allemagne, et que les mesures qu’il prit, en particulier dans les premiers jours du régime nazi, ont causé l’ascension rapide de l’Allemagne nazie en tant que puissance militaire. Mais le réarmement, en lui-même, ne constitue pas un crime aux termes du Statut. Pour en faire un crime contre la Paix, aux termes de l’article 6 du Statut, il faudrait prouver que Schacht réalisa ce réarmement parce que cela faisait partie des plans faits par les nazis en vue d’une guerre d’agression.
Schacht a argué qu’il avait pris part au programme de réarmement seulement parce qu’il voulait construire une Allemagne forte et indépendante qui imposerait par sa politique étrangère autant de respect que les autres pays européens. Il a soutenu qu’il découvrit que les nazis réarmaient dans un but d’agression, et qu’à ce moment il essaya de ralentir la cadence du réarmement ; après la révocation de von Fritsch et de von Blomberg, il aurait pris part à l’élaboration de plans visant à se débarrasser de Hitler, d’abord en le renversant, puis en l’assassinant.
Pour des raisons financières, Schacht commença, dès 1936, à se déclarer en faveur d’une limitation du programme de réarmement. Si l’Allemagne avait adopté la politique que préconisait Schacht, elle n’aurait pas été en mesure de prendre part à une guerre européenne généralisée. L’insistance dont il faisait preuve pour défendre les méthodes qu’il préconisait amena sa révocation définitive de tous les postes économiques importants qu’il occupait en Allemagne. D’autre part, Schacht, grâce à sa connaissance approfondie des finances allemandes, était particulièrement à même de comprendre le sens véritable du réarmement frénétique entrepris par Hitler et de réaliser que la politique économique qui avait été adoptée n’avait qu’un seul but : la guerre. Schacht continua d’ailleurs à prendre part à la vie économique allemande et même, d’une façon accessoire, à certaines des premières agressions nazies. Avant l’occupation de l’Autriche, il établit le taux d’échange entre le mark et le schilling. Après cette occupation, il prit des dispositions pour incorporer la Banque nationale autrichienne à la Reichsbank, et prononça un discours faisant preuve de sentiments extrêmement nazis dans lequel il déclarait que la Reichsbank resterait nationale-socialiste aussi longtemps qu’il en ferait partie ; il y louait Hitler, défendait l’occupation de l’Autriche, tournait en dérision les critiques adressées à la manière dont elle avait été réalisée, et terminait par ces paroles : « Un triple Sieg Heil pour notre Führer ». Il n’a pas prétendu que ce discours n’exprimât pas son état d’esprit à cette époque. Après l’occupation du territoire des Sudètes, il prit des mesures en vue d’un changement de la monnaie et en vue d’incorporer à la Reichsbank les différentes banques tchèques d’émission. Le 29 novembre 1938, il prononça un discours dans lequel il souligna avec fierté sa politique économique, qui avait fait de l’armement allemand ce qu’il était, et ajouta que cet armement avait permis de réaliser la politique étrangère de l’Allemagne.
Schacht n’a participé à l’établissement des plans d’aucune des guerres d’agression, respectivement visées au chef d’accusation no 2. Il est vrai qu’il a pris part à l’occupation de l’Autriche et à celle du territoire des Sudètes (qui ne sont d’ailleurs ni l’une ni l’autre considérées comme guerres d’agression), mais ce fut dans une mesure trop restreinte pour que son action constituât une participation au plan commun visé au premier chef de l’Acte d’accusation.
De toute évidence, il n’avait pas trempé étroitement dans l’élaboration de ce plan, comme d’autres collaborateurs intimes de Hitler qui le considéraient avec une hostilité non déguisée. La déposition de Speer établit que Schacht fut arrêté le 23 juillet 1944, tout autant par suite de l’hostilité que manifestait Hitler à son égard à cause de son attitude avant la guerre, que par suite du fait qu’on le soupçonnait d’avoir participé au « complot de la bombe ».
Les accusations portées contre Schacht ne pourraient, en conséquence, être maintenues que dans la mesure où Schacht aurait effectivement eu connaissance des plans d’agression nazis.
Le Ministère Public a fourni des preuves relatives à cette question qui est très grave, et une masse de documents et de témoignages ont été produits par la Défense. Le Tribunal a examiné très attentivement toutes ces preuves et il en conclut que l’accusation contre lui est trop douteuse pour être retenue.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Schacht n’est pas coupable des crimes visés par l’Acte d’accusation ;
Et ordonne :
Que l’officier attaché au Tribunal prenne toutes dispositions pour que Schacht soit mis en liberté dès que l’audience sera levée.
Donitz est inculpé des crimes visés par les premier, deuxième et troisième chefs de l’Acte d’accusation. En 1935, il prit le commandement de la première flottille de sous-marins qui fut constituée après 1918 ; en 1936, il devint commandant en chef de l’arme sous-marine ; il fut nommé vice-amiral en 1940, amiral en 1942 et, le 30 janvier 1943, commandant en chef de la Marine allemande. Le 1er mai 1945, succédant à Hitler, il devint chef de l’État.
Il n’a pas été prouvé que Dönitz, bien qu’il eût construit et entraîné l’arme sous-marine allemande, ait participé au complot ourdi en vue de faire des guerres d’agression ou qu’il ait préparé et déclenché ces guerres. Il travaillait dans la section des opérations et s’occupait uniquement des questions tactiques. Il n’a pas assisté aux importantes conférences au cours desquelles furent exposés les plans de guerre d’agression et il n’est pas prouvé qu’il ait été au courant des décisions prises à ces conférences. Dönitz, cependant, a mené une guerre d’agression au sens que le Statut donne à ce mot. La guerre sous-marine qui a été déclenchée immédiatement après le début des hostilités, a été menée en pleine coordination avec les autres branches de la Wehrmacht ; il est clair que les sous-marins de Dönitz quoique peu nombreux à l’époque, étaient pleinement préparés à faire la guerre.
Il est vrai que, jusqu’à sa nomination, le 30 janvier 1943, au poste de commandant en chef, Dönitz n’était pas un « Oberbefehlshaber ». Cependant, il ne faut pas sous-estimer l’importance de sa position : il n’était pas un simple commandant d’armée ou de division. L’arme sous-marine que commandait Dönitz constituait l’élément principal de la flotte allemande. En effet, si la flotte de haute mer a bien fait quelques raids spectaculaires, ceux-ci ont été en réalité peu importants et les coups les plus graves que les Alliés ont reçus leur ont été portés par les sous-marins ; les milliers de tonnes de navires alliés et neutres envoyés par le fond en témoignent. De cette guerre, Dönitz était le seul responsable ; la Direction des opérations navales se réservait seulement la tache de décider du nombre de sous-marins à affecter à chaque zone.
Comme préparation à l’invasion de la Norvège, Dönitz fit, en octobre 1939, à propos de la question des bases sous-marines, des suggestions dont il prétend qu’elles ne constituaient qu’une étude d’état-major et, en mars 1940, il lança les ordres d’opérations qui concernaient les sous-marins de renfort et dont il a été déjà fait mention.
Le rôle important qu’on lui reconnaissait dans l’effort de guerre allemand ressort clairement du fait que Raeder le désigna comme son successeur et que Hitler le nomma, le 30 janvier 1943, commandant en chef de la Marine. Hitler, lui aussi, connaissait la part essentielle prise par l’arme sous-marine dans la guerre maritime menée par l’Allemagne.
À partir de janvier 1943, Dönitz fut consulté presque continuellement par Hitler. Il est prouvé qu’au cours de la guerre, ils se sont rencontrés environ cent vingt fois pour discuter des problèmes navals.
En avril 1945, date à laquelle il reconnaît avoir enfin compris que la lutte était sans espoir, Donitz exhorta la Marine à continuer le combat. Le 1er mai 1945, il devint le chef de l’État et, jusqu’à la capitulation du 9 mai 1945, il ordonna à la Wehrmacht de continuer la guerre à l’Est. Donitz a expliqué qu’en donnant ces ordres il voulait assurer l’évacuation de la population civile allemande et permettre à l’Armée de se retirer de l’Est en bon ordre.
Les preuves ont convaincu le Tribunal de la participation active de Dönitz à la conduite de la guerre d’agression.
Donitz est accusé d’avoir mené une guerre sous-marine totale contrairement aux règles fixées par le Protocole naval de 1936 que l’Allemagne avait accepté et qui posait une fois de plus les règles de la guerre sous-marine, telles qu’elles étaient énoncées dans l’Accord naval de Londres de 1930.
Le Ministère Public a exposé que, le 3 septembre 1939, les sous-marins allemands, méconnaissant cyniquement le Protocole, commencèrent à torpiller tous les navires marchands sans restriction, tant ennemis que neutres et que, tout au long de la guerre, un effort calculé fut poursuivi pour voiler ces méthodes en invoquant hypocritement les règles du Droit international et les prétendues violations de ce Droit commises par les Alliés.
Dönitz insiste maintenant sur le fait que la Marine s’est toujours tenue dans les limites fixées par le Droit international et par le Protocole. Il a déclaré qu’au commencement de la guerre, l’ordonnance sur les prises allemandes, extraite presque textuellement du Protocole, était le code de la guerre sous-marine et que, en accord avec la façon de voir de l’Allemagne, il avait ordonné aux sous-marins d’attaquer tous les navires de commerce voyageant en convoi, ainsi que tous ceux qui refusaient de s’arrêter ou qui, à la vue d’un sous-marin, faisaient usage de leur radio. Quand il eut reçu des rapports signalant que des navires de commerce britanniques avaient donné des renseignements par sans-fil, qu’ils étaient armés et qu’ils attaquaient les sous-marins dès qu’ils les apercevaient, il ordonna, le 17 octobre 1939, à ses sous-marins, d’attaquer tous les navires de commerce ennemis sans avertissement et motiva cette décision par le fait que l’on devait s’attendre à une résistance. Déjà, le 21 septembre 1939, des ordres avaient été donnés d’attaquer tous les navires, les neutres y compris, qui naviguaient de nuit, sans feux, dans la Manche.
Le 24 novembre 1939, le Gouvernement allemand adressa un avertissement aux navires de commerce neutres, selon lequel leur sécurité ne pouvait plus être garantie dans les eaux britanniques et françaises, en raison des combats fréquents qui mettaient aux prises, dans ces parages, des sous-marins allemands et des navires marchands alliés ; ces derniers étaient, en effet, armés et avaient reçu l’ordre de se servir de leurs armes aussi bien que d’éperonner les sous-marins.
Le 1er janvier 1940, le Haut Commandement des sous-marins allemands, agissant selon les instructions de Hitler, ordonna aux sous-marins d’attaquer tous les navires de commerce grecs dans la zone entourant les Îles Britanniques, zone qui était interdite à leurs propres navires par les États-Unis, ainsi que les navires de commerce de toute nationalité, dans la zone limitée du canal de Bristol. Cinq jours plus tard, un autre ordre fut donné aux sous-marins, selon lequel ils « devaient immédiatement et sans restriction faire usage de leurs armes contre tous les navires » dans une zone déterminée de la mer du Nord. En fin de compte, le 18 janvier 1940, les sous-marins reçurent l’autorisation de couler sans avertissement tous les navires se trouvant « dans les parages des côtes ennemies où l’on peut présumer que des mines ont été posées ». On fit une exception pour les navires des États-Unis, de l’Italie, du Japon et de l’Union Soviétique.
Peu de temps après le début de la guerre, l’Amirauté britannique, conformément à son Manuel d’instructions pour la Marine marchande de 1938, arma ses navires de commerce, les fit souvent convoyer par une escorte armée et donna l’ordre de transmettre des rapports de position dès que l’on apercevait des sous-marins ; de cette façon, les navires de commerce devenaient partie intégrante du réseau avertisseur du Service naval de renseignements. Le 1er octobre 1939, l’Amirauté britannique annonça qu’elle avait donné aux navires de commerce britanniques l’ordre d’éperonner les sous-marins toutes les fois que cela était possible.
Vu ces données de fait, le Tribunal n’est pas disposé à admettre la culpabilité de Dönitz en ce qui concerne la guerre sous-marine qu’il a menée contre des navires de commerce britanniques armés.
Cependant, le fait que certaines zones furent déclarées zones d’opérations et que des navires de commerce neutres pénétrant dans ces zones furent coulés, pose une question différente. Cette pratique fut suivie par l’Allemagne pendant la guerre de 1914-1918 et fut adoptée par la Grande-Bretagne en guise de représailles. La Conférence de Washington de 1922, l’Accord naval de Londres de 1930 et le Protocole de 1936 furent conclus en pleine connaissance du fait que pendant la première guerre mondiale de telles zones avaient été établies. Néanmoins, le Protocole ne fit aucune exception pour les zones d’opérations. Le Tribunal estime donc que l’ordre de Dönitz de couler à vue et sans avertissement les bâtiments neutres naviguant dans ces zones représente par conséquent une violation du Protocole.
Il a été également soutenu que les sous-marins allemands, non seulement n’observèrent pas les stipulations du Protocole relatives aux sommations et au sauvetage, mais que Dönitz ordonna délibérément d’exécuter les survivants des navires naufragés, qu’ils fussent ennemis ou neutres. Le Ministère Public a fourni de nombreux documents relatifs à deux ordres de Dönitz, l’ordre de guerre no 154, datant de 1939, et l’ordre concernant le Laconia, datant de 1942. La Défense allègue que ces ordres, ainsi que les documents qui s’y rapportent ne révèlent pas l’existence d’une telle politique, et a fourni un grand nombre de preuves contraires. Le Tribunal estime qu’au cours des débats il n’a pas été établi avec une certitude suffisante que Dönitz ait ordonné délibérément l’exécution des survivants naufragés. Il n’est pourtant pas douteux que ces ordres étaient ambigus et que Dönitz encourt, de ce fait, de graves reproches.
Ce qui est prouvé cependant, c’est que les stipulations relatives au sauvetage ne furent pas observées et que l’accusé ordonna qu’elles ne le fussent pas. L’argument présenté en réponse par la Défense est que, suivant une règle maritime primordiale, la sécurité du sous-marin remporte sur le sauvetage rendu impossible par suite du développement de l’aviation. Il peut en être ainsi, mais le Protocole est explicite. Aux termes de ce dernier, un commandant de sous-marin ne peut couler un navire marchand que s’il est en mesure d’opérer le sauvetage de l’équipage ; sinon, il doit le laisser passer sain et sauf devant son périscope. Dönitz est donc, par les ordres qu’il a donnés, coupable de violation du Protocole.
Vu les faits, vu en particulier un ordre de l’Amirauté britannique en date du 8 mai 1940, suivant lequel tous les bateaux naviguant de nuit dans le Skagerrak devaient être coulés, et vu les réponses données par l’amiral Nimitz aux questionnaires qui lui furent adressés et indiquant qu’une guerre sous-marine sans restriction fut menée par les États-Unis dans l’océan Pacifique, dès le premier jour de leur entrée en guerre, Dönitz ne peut être condamné pour violation du Droit international en matière de guerre sous-marine.
Dönitz est, en outre, rendu responsable de l’ordre de Hitler du 18 octobre 1942, dit « ordre des commandos ». Il a admis qu’il avait reçu cet ordre et qu’il en avait pris connaissance alors qu’il était commandant en chef de l’arme sous-marine, mais il a décliné sa responsabilité à ce sujet. Il a fait remarquer que l’ordre excluait expressément les hommes faits prisonniers au cours de la guerre maritime, que la Marine n’exerçait pas de commandement à terre, et que des commandants de sous-marins ne pouvaient pas entrer en contact avec des commandos.
Une seule fois, cependant, au cours de l’année 1943, alors que l’accusé était commandant en chef de la Marine, les membres de l’équipage d’une vedette lance-torpilles alliée furent faits prisonniers par les Forces navales allemandes. En vue d’obtenir des renseignements intéressant le contre-espionnage, les services de l’amiral commandant la région les soumirent à un interrogatoire et les remirent ensuite entre les mains du SD qui les fusilla. Dönitz a dit que l’exécution des membres de l’équipage fut faite en violation de l’ordre des commandos, étant donné que leur capture avait été effectuée par la Marine, qu’au reste l’exécution ne fut pas publiée dans le communiqué de la Wehrmacht et qu’il n’avait jamais eu connaissance de l’incident. Il a fait remarquer que l’amiral en question n’était pas sous ses ordres, mais sous ceux du général de l’Armée de terre, commandant les territoires occupés de la Norvège. Cependant, Dönitz permit que l’ordre des commandos restât pleinement valable quand il devint commandant en chef, et c’est dans cette mesure qu’il est responsable.
Dönitz a déclaré, dans une réunion tenue le 11 décembre 1944 : « Douze mille prisonniers des camps de concentration seront employés comme main-d’œuvre supplémentaire dans les chantiers navals. » À cette époque-là, il n’avait pas d’ailleurs le contrôle des constructions navales et il prétend maintenant que c’était seulement une suggestion qu’il fit à cette réunion, qu’il voulait simplement que les fonctionnaires responsables prissent des mesures pour construire des navires, qu’il ne fit rien pour obtenir ces ouvriers, puisque cette question échappait à sa compétence et qu’au reste il ignore si cette main-d’œuvre a jamais été recrutée. Il reconnaît pourtant avoir eu connaissance de l’existence des camps de concentration. Un homme qui occupait une situation telle que la sienne a évidemment dû savoir qu’un très grand nombre d’habitants des pays occupés étaient enfermés dans les camps de concentration.
En 1945, Hitler demanda à Jodl et à Dönitz s’ils estimaient que la dénonciation de la Convention de Genève serait opportune. Dönitz, ainsi qu’en témoigne le compte rendu de l’entretien du 20 février 1945, entre les deux chefs militaires, exprima alors l’opinion qu’un acte de ce genre engendrerait des inconvénients plus importants que les avantages qui en découleraient. L’attitude adoptée par Dönitz est résumée dans cette phrase extraite des notes prises par un officier :
« Il vaudrait mieux mettre à exécution sans préavis les mesures nécessaires et sauver la face, à tout prix, vis-à-vis du monde extérieur. »
Le Ministère Public souligne que lorsqu’il est parlé de « mesures à mettre à exécution », cela signifie que si la Convention ne devait pas être dénoncée, elle pouvait être violée à volonté. L’explication fournie en réponse par la Défense consiste à dire que Hitler voulait enfreindre la Convention pour deux raisons : d’une part pour enlever aux troupes allemandes la protection qu’elle leur accordait, ce qui les empêchait de continuer à se rendre en masse aux Anglais et aux Américains, et d’autre part pour permettre d’exercer des représailles contre les prisonniers de guerre alliés en réponse aux bombardements aériens alliés. Dönitz prétend que par « mesures », il entendait des mesures disciplinaires contre les troupes allemandes pour les empêcher de se rendre et que ce mot n’avait aucun rapport avec des mesures à prendre contre les Alliés ; qu’il ne s’agissait que d’une suggestion et qu’en tout cas on ne prit jamais aucune mesure de ce genre, soit contre les Alliés, soit contre les Allemands. Le Tribunal, cependant, n’ajoute pas foi à cette explication. Quoi qu’il en soit, la Convention de Genève ne fut pas dénoncée par l’Allemagne. La Défense a versé aux débats plusieurs déclarations écrites prouvant que des prisonniers de guerre appartenant à la marine britannique et détenus dans des camps qui dépendaient de Dönitz étaient traités strictement d’après la Convention et le Tribunal retient ce fait comme circonstance atténuante.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Dönitz n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Dönitz est coupable des crimes visés par les deuxième et troisième chefs de l’Acte d’accusation.
Raeder est inculpé des crimes visés au premier, au deuxième et au troisième chefs de l’Acte d’accusation. En 1928, il devint chef de la Direction de la Marine et, en 1935, commandant en chef de la Marine de guerre (OKM) ; en 1939, Hitler le fit Grand-Amiral. Il était membre du Conseil de la Défense du Reich. Le 30 janvier 1943, à sa demande, il fut remplacé par Dönitz et reçut le titre honorifique d’Amiral Inspecteur de la Marine.
Au cours des quinze années de son commandement, Raeder reconstruisit la flotte allemande et la mena au combat ; il en accepta la pleine responsabilité jusqu’à sa mise à la retraite en 1943. Il reconnaît que la Marine a violé le Traité de Versailles, mais affirme que « tout homme y eût mis son point d’honneur ». Il allègue d’ailleurs que ces violations furent minimes pour la plupart et que les constructions navales de l’Allemagne étaient restées en deçà de la limite permise. Ces violations, ainsi que celles de l’Accord naval germano-britannique de 1935, ont été analysées dans une autre partie du Jugement.
Raeder reçut de von Blomberg les directives du 24 juin 1937, qui prescrivirent d’effectuer des préparatifs spéciaux en vue de la guerre contre l’Autriche. Il fut l’une des cinq personnalités présentes à la conférence du 5 novembre 1937, dite « Conférence de Hossbach ». Il prétend que, lors de cette réunion, Hitler désirait seulement stimuler l’Armée afin d’obtenir un réarmement plus rapide. Raeder affirme aussi que, personnellement, il croyait que les questions d’Autriche et de Tchécoslovaquie seraient réglées de manière pacifique, ainsi qu’elles l’ont été d’ailleurs, ajoute-t-il. Il cite également l’accord naval qui venait d’être signé à ce moment-là. Il ne reçut aucune directive en vue d’accélérer la construction des sous-marins et en conclut que Hitler ne préparait pas de guerre.
Raeder reçut les directives concernant le « Cas Vert » et le « Cas Blanc » à partir du 3 avril 1939 ; la première ordonnait à la Marine de seconder l’Armée de terre par une intervention navale. Raeder fut l’un des chefs militaires présents à la réunion du 23 mai 1939 et, le 22 août, il prit part à la réunion d’Obersalzberg au cours de laquelle furent données les directives générales.
C’est dans l’esprit de Raeder et non dans celui de Hitler que prit naissance l’idée d’envahir la Norvège. En dépit du désir, exprimé par Hitler dans sa directive d’octobre 1939, de maintenir la neutralité de la Scandinavie, la Marine examina dès cette époque l’avantage qui résulterait de l’établissement de bases navales dans ces parages. L’amiral Karls fit valoir tout d’abord auprès de Raeder l’intérêt de bases situées en Norvège, Un questionnaire, en date du 3 octobre 1939, fut distribué à la Direction des opérations navales en vue de recueillir des informations sur l’utilité de ces bases. Le 10 octobre, Raeder discuta de ces questions avec Hitler ; il note, à cette date, dans son journal de guerre, que Hitler avait l’intention de prendre l’affaire en considération. Quelques mois après, ce dernier s’entretint avec Raeder, Quisling, Keitel et Jodl ; en même temps que l’OKW commençait à dresser des plans, l’État-Major de la Marine travaillait en liaison avec les officiers d’État-Major de l’OKW. Raeder reçut, le 27 janvier 1940, l’ordre de Keitel concernant la Norvège et, le 1er mars, l’ordre que Hitler donna ensuite.
Raeder tente de justifier son activité en affirmant qu’il s’agissait d’une opération destinée à devancer les Britanniques. Il n’est pas utile de revenir sur ce moyen de défense que le Tribunal a déjà réfuté en concluant que l’invasion allemande de la Norvège et du Danemark constituait une guerre d’agression. Dans une lettre adressée à la Marine, Raeder déclarait : « Les opérations navales liées à l’occupation de la Norvège resteront à tout jamais la grande contribution apportée par la Marine à cette guerre ».
Raeder reçut les ordres et les nombreux contre-ordres concernant l’attaque à l’Ouest. Le 18 mars 1941, lors d’une réunion à laquelle assistait Hitler, il conseilla avec insistance d’occuper toute la Grèce. Il prétend que, d’une part, il fit cette recommandation seulement après que les Britanniques eurent débarqué et que Hitler eut ordonné l’attaque et que, d’autre part, la Marine elle-même ne s’intéressait pas à la Grèce. Il reçut aussi l’ordre de Hitler concernant la Yougoslavie.
Raeder s’efforça de dissuader Hitler d’entreprendre l’invasion de l’URSS et l’incita en septembre 1940, à adopter plutôt une politique d’agression en Méditerranée. Le 14 novembre, il conseilla d’activer la guerre contre l’Angleterre, l’« ennemie principale », et affirma que la construction de la flotte sous-marine et de l’aviation navale devait être poursuivie. D’après les notes de l’État-Major naval de guerre allemand, il souleva des « objections sérieuses contre une campagne de Russie entreprise avant la défaite de l’Angleterre ». Il affirme aujourd’hui que ses objections étaient fondées sur le désir de ne pas violer le Pacte de non-agression, aussi bien que sur des considérations stratégiques. Mais une fois que la décision eut été prise, il donna, six jours avant l’invasion de l’Union Soviétique, l’autorisation d’attaquer les sous-marins russes dans la mer Baltique, dans les limites d’une zone déterminée. Il excuse cette attitude en alléguant que ces sous-marins se livraient à des opérations de reconnaissance. Il s’ensuit que Raeder a participé à la préparation et à la conduite de guerres d’agression.
Raeder est accusé aussi de crimes de guerre commis en haute mer. L’Athenia, paquebot britannique non armé, fut coulé, le 3 septembre 1939, au cours de sa traversée vers l’Amérique. Deux mois plus tard, les Allemands prétendirent que M. Churchill avait délibérément coulé l’Athenia pour exciter l’hostilité des Américains à l’égard de l’Allemagne. En fait, ce paquebot fut torpillé par le sous-marin allemand U-30. Raeder prétend qu’un commandant de sous-marin inexpérimenté l’avait coulé par erreur, croyant avoir affaire à un navire de commerce armé et que l’on apprit la vérité seulement au retour de l’U-30, plusieurs semaines après que le démenti allemand eut été donné. Hitler ordonna alors à la Marine et au ministère des Affaires étrangères de continuer à nier le fait. Raeder affirme que pour sa part, il n’a pas eu connaissance de la campagne de propagande menée contre M. Churchill.
L’accusation la plus grave qui pèse sur Raeder est celle d’avoir mené une guerre sous-marine totale, comprenant le torpillage des navires marchands désarmés alliés et neutres, l’abandon des survivants et leur mitraillage, en violation du Protocole de Londres de 1936.
Sur ce point, le Tribunal aboutit aux mêmes conclusions au sujet de Raeder qu’au sujet de Dönitz, compte tenu du fait que Raeder fut mis à la retraite le 30 janvier 1943.
L’ordre sur les commandos, du 18 octobre 1942, qui, de façon expresse, ne s’appliquait pas à la guerre sur mer, fut transmis par la Direction des opérations navales aux différents commandants de la Marine avec des instructions selon lesquelles cet ordre devait être communiqué verbalement par les chefs de flottilles et les chefs de sections à leurs subordonnés. Les membres de deux commandos furent ainsi mis à mort à Bordeaux, le 10 décembre 1942, par la Marine, et non pas par le SD. Le commentaire de la Direction des opérations navales constatait que cette exécution était « conforme à l’ordre spécial du Führer, mais représentait néanmoins une innovation en Droit international, puisque les soldats fusillés étaient en uniforme ». Raeder admet avoir transmis l’ordre par la voie hiérarchique et ne pas avoir opposé d’objection à Hitler.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Raeder est coupable des crimes visés par les premier, deuxième et troisième chefs de l’Acte d’accusation.
Von Schirach est inculpé des crimes visés par les premier et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. En 1925, il adhéra au parti nazi et aux SA. En 1929, il devint le chef de l’Union des étudiants nationaux-socialistes. En 1931, il fut nommé chef pour le Reich de la Jeunesse du Parti et chargé de la direction de toutes les organisations de jeunesse nazies, y compris la Jeunesse hitlérienne. En 1933, après la prise du pouvoir par les nazis, von Schirach fut nommé chef de l’ensemble de la Jeunesse du Reich allemand, poste qui dépendait à l’origine du ministère de l’intérieur, puis à partir du 1er décembre 1936, du Cabinet du Reich. En 1940, von Schirach se démit de ses fonctions de chef de la Jeunesse hitlérienne et de chef de la Jeunesse du Reich allemand, mais conserva son poste de Reichsleiter chargé de la direction de l’éducation de la jeunesse. En 1940, il fut nommé Gauleiter du territoire de Vienne, gouverneur de cette ville et commissaire à la Défense du Reich pour ce territoire.
Après la prise du pouvoir par les nazis, von Schirach usant à la fois de violence et d’autorité, supprima ou reprit en mains tous les groupes qui étaient en compétition avec la Jeunesse hitlérienne. Un décret de Hitler du 1er décembre 1936 incorporait toute la jeunesse allemande dans la Jeunesse hitlérienne. Lorsque l’inscription devint officiellement obligatoire en 1940, 97% des intéressés étaient déjà membres de la Jeunesse hitlérienne.
Von Schirach se servit de la « Hitler Jugend » pour donner à la jeunesse une éducation conforme « à l’esprit du national-socialisme» et la soumit à un programme intensif de propagande nazie. Il fit de la « Hitler Jugend » une organisation susceptible de fournir en hommes les formations du Parti. En octobre 1938, il conclut avec Himmler un accord aux termes duquel les membres de la « Hitler Jugend » qui répondaient aux conditions requises devaient être considérés comme la principale réserve des SS.
Von Schirach se servit également de la « Hitler Jugend » comme école de préparation militaire. Des unités spéciales furent créées en vue essentiellement de former des spécialistes pour les diverses branches de l’Armée. Le 11 août 1939, il conclut avec Keitel un accord aux termes duquel les membres de la « Hitler Jugend » acceptaient d’effectuer leur préparation militaire d’après les directives de la Wehrmacht. Celle-ci devait former chaque année 30.000 instructeurs destinés à la « Hitler Jugend ». Cette dernière s’attachait particulièrement à développer l’esprit militaire et son programme d’entraînement soulignait l’importance du retour des colonies au Reich, la nécessité de l’espace vital et la noblesse du destin qui consistait pour la jeunesse allemande à mourir pour Hitler.
Malgré le caractère militaire de l’activité de la « Hitler Jugend », il ne semble cependant pas que von Schirach ait joué un rôle quelconque dans la réalisation des projets de Hitler visant à une expansion territoriale par le moyen de guerres d’agression, ou qu’il ait participé en quoi que ce soit à l’élaboration des plans ou à la préparation de l’une de ces guerres.
En juillet 1940, von Schirach fut nommé, pour le territoire de Vienne, Gauleiter et gouverneur du Reich. Il devint commissaire à la Défense du Reich, d’abord pour la XVIIe Région militaire comprenant les Gaue de Vienne, du Haut-Danube et du Bas-Danube, puis à partir du 17 novembre 1942, pour le Gau de Vienne seulement. En sa qualité de commissaire à la Défense du Reich, il avait le contrôle de l’économie de guerre. Comme gouverneur du Reich, il dirigeait l’administration municipale de la ville de Vienne et il était chargé, sous la direction du ministre de l’Intérieur, de l’administration gouvernementale dans cette ville.
Von Schirach n’est pas inculpé de crimes de guerre, mais seulement de crimes contre l’Humanité. En effet, étant donné que l’Autriche avait été occupée conformément à un plan concerté d’agression, cette occupation constitua aux termes de l’article 6, c du Statut, un crime « relevant de la juridiction du Tribunal ». Par suite, « le massacre, l’extermination, l’esclavage, la déportation et autres actes inhumains, ainsi que la persécution pour des raisons politiques, raciales ou religieuses », liés à cette occupation, constituent des crimes contre l’Humanité tels qu’ils sont définis par le Statut
Comme Gauleiter de Vienne, et ainsi que tous les autres Gauleiter, von Schirach devint, en application du décret pris par Sauckel le 6 avril 1942, le délégué de celui-ci pour les questions de main-d’œuvre, avec pouvoir de contrôle sur l’utilisation et le traitement de cette main-d’œuvre dans le ressort de son Gau. Les directives de Sauckel prévoyaient que les travailleurs forcés devaient être nourris, logés et traités de manière à en obtenir le rendement maximum avec le minimum de frais.
Lorsque von Schirach devint Gauleiter de Vienne, la déportation des Juifs avait déjà commencé et sur les 190.000 qu’il y avait à Vienne au début, il n’en restait plus que 60.000. Le 2 octobre 1940, il assista, dans le bureau de Hitler, à une conférence au cours de laquelle il dit à Frank qu’il y avait à Vienne 50.000 Juifs dont le Gouvernement Général aurait à le débarrasser. Le 3 décembre 1940, l’accusé reçut une lettre de Lammers disant qu’après avoir reçu les rapports de von Schirach, Hitler avait décidé, en raison de la crise de logement qui sévissait à Vienne, de déporter dans le Gouvernement Général les 60.000 Juifs qui se trouvaient encore dans cette ville. La déportation des Juifs commença donc et se poursuivit jusqu’au début de l’automne 1942. Le 15 septembre 1942, von Schirach prononça un discours par lequel il expliquait qu’il avait poussé « les Juifs dans le ghetto de l’Est par dizaines de milliers » pour « apporter sa contribution à la culture européenne ».
Pendant que les Juifs étaient déportés de Vienne, le service de von Schirach recevait des rapports concernant l’extermination des Juifs par les Einsatzgruppen, qui lui étaient adressés officiellement et qui émanaient du Service du chef de la Police de sûreté et du SD. Un grand nombre de ces rapports portaient les initiales de l’un des principaux représentants de von Schirach. Le 30 juin 1944, le service de von Schirach reçut également une lettre de Kaltenbrunner qui lui faisait savoir qu’un convoi de 12.000 Juifs allait arriver à Vienne pour effectuer des travaux de guerre urgents, et que tous ceux qui seraient incapables de travailler devraient être gardés pour être prêts à subir une « action spéciale ».
Le Tribunal estime que von Schirach, bien que n’ayant pas provoqué la politique de déportation des Juifs de Vienne, a participé à cette déportation après être devenu Gauleiter de cette ville. Il savait que ce que les Juifs pouvaient espérer de plus favorable, c’était de vivre une existence misérable dans les ghettos de l’Est. Son service recevait des rapports sur l’extermination des Juifs.
Pendant qu’il était Gauleiter de Vienne, von Schirach continua à exercer ses fonctions de Reichsleiter pour l’éducation de la jeunesse, et en cette qualité, il fut informé du rôle joué en automne 1944 par la « Hitler Jugend » dans l’exécution d’un plan selon lequel 50.000 jeunes gens, âgés de dix à vingt ans, en provenance des territoires récemment repris par les Forces soviétiques furent évacués vers l’Allemagne et y furent employés comme apprentis dans l’industrie ou comme auxiliaires dans des unités des Forces armées. Au cours de l’été 1942, von Schirach envoya à Bormann un télégramme pour proposer qu’une ville anglaise d’intérêt culturel soit bombardée en représailles de l’assassinat de Heydrich qui, selon lui, avait été organisé par la Grande-Bretagne.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé von Schirach n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé von Schirach est coupable des crimes visés par le quatrième chef de l’Acte d’accusation.
Sauckel est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti nazi en 1923 et devint Gauleiter de Thuringe en 1927. Il fut député à l’assemblée législative de Thuringe de 1927 à 1933, fut nommé en 1932 Reichsstatthalter pour la Thuringe, et en mai 1933, ministre de l’Intérieur et président du Conseil de l’État de Thuringe. Il fut élu au Reichstag en cette même année et reçut le grade d’Obergruppenführer honoraire dans les SA et dans les SS.
Les preuves n’ont pas établi que Sauckel ait pris une part suffisamment importante dans le plan concerté en vue de la guerre d’agression, d’une part, et dans la préparation ou la conduite des guerres d’agression, d’autre part, pour permettre au Tribunal de le condamner pour les crimes visés aux premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation.
Le 21 mars 1942, Hitler nomma Sauckel plénipotentiaire général pour l’Utilisation de la main-d’œuvre, avec le pouvoir de coordonner « l’utilisation de toute la main-d’œuvre disponible, y compris l’utilisation des ouvriers recrutés à l’étranger et des prisonniers de guerre ». Sauckel devait agir dans le cadre du Plan de quatre ans, et, le 27 mars 1942, Göring, en sa qualité de commissaire à ce Plan, promulgua un décret par lequel ses services de la main-d’œuvre étaient transférés à Sauckel. Le 30 septembre 1942, Hitler donna à Sauckel, autorité pour nommer des commissaires dans les différents territoires occupés et « pour prendre toutes les mesures nécessaires en vue de l’exécution » du décret du 21 mars 1942.
Grâce aux pouvoirs qui lui furent ainsi conférés, Sauckel établit un programme de mobilisation de toutes les ressources de main-d’œuvre dont pouvait disposer le Reich.
L’un des aspects principaux de cette mobilisation fut l’exploitation systématique, et par la force, du potentiel de travail des territoires occupés. Peu de temps après que Sauckel fut entré en fonctions, il fit promulguer par les autorités gouvernementales des différents territoires envahis, des décrets établissant le service du travail obligatoire en Allemagne. En vertu de ces décrets, les commissaires de Sauckel, soutenus par les autorités de police des régions occupées, recrutèrent et envoyèrent en Allemagne le nombre d’ouvriers nécessaire pour atteindre les contingents fixés par Sauckel. Le système de recrutement prétendu « volontaire » a été décrit par lui au cours d’une conférence comme mis en œuvre par « une bande d’agents des deux sexes qui opéraient selon des méthodes utilisées à Shanghaï, comme au bon vieux temps ». La déclaration de Sauckel du 1er mars 1944, suivant laquelle « sur les cinq millions de travailleurs étrangers qui sont en Allemagne, il n’y avait même pas deux cent mille volontaires », montre que le recrutement réellement volontaire était exceptionnel. Bien qu’il prétende maintenant que cette déclaration est inexacte, les circonstances dans lesquelles elle fut faite, de même que les preuves versées aux débats, permettent de dire sans aucun doute qu’elle était dans son ensemble conforme à la vérité.
On a déjà décrit la façon dont ceux qui étaient malheureusement contraints au travail obligatoire étaient rassemblés et transportés en Allemagne et le sort qui leur était réservé. Sauckel prétend qu’il n’est pas responsable des excès commis au cours de l’exécution du programme. Il explique que le nombre total des ouvriers qu’il fallait recruter était établi d’après les besoins de l’agriculture et de l’industrie, que les autorités d’occupation devaient trouver les ouvriers nécessaires, et que les chemins de fer allemands avaient la charge de les acheminer vers l’Allemagne ; à leur arrivée dans le Reich, ils étaient placés sous le contrôle des ministères du Travail et de l’Agriculture, du Front allemand du Travail et des différentes industries intéressées. Il a déclaré devant le Tribunal que, dans la mesure où il avait un pouvoir quelconque, il réclamait sans cesse un traitement humain pour les ouvriers.
Il n’en est pas moins vrai que Sauckel eut incontestablement une responsabilité générale dans l’ensemble du programme de travail obligatoire. À l’époque dont il s’agit, il exerçait certainement un contrôle sur les domaines dont il prétend maintenant que d’autres avaient la charge. Les règlements qu’il édictait donnaient à ses commissaires le pouvoir de recruter la main-d’œuvre ; et il s’appliquait constamment à surveiller les mesures prises. Il avait connaissance des méthodes impitoyables employées pour le recrutement et soutenait pleinement ces méthodes en se fondant sur ce qu’elles étaient nécessaires afin d’atteindre les contingents fixés.
Il résulte des directives de Sauckel qu’il avait la responsabilité du transport des ouvriers en Allemagne, de leur répartition entre les employeurs, de leur logement et de leur subsistance, et que tous les organismes qui s’occupaient de ces questions lui étaient subordonnés. Il connaissait les conditions défectueuses dans lesquelles vivaient les travailleurs. Il ne semble pas qu’il ait été, par principe, favorable à des méthodes brutales d’extermination par le travail, comme l’était Himmler, Son attitude s’exprime ainsi dans un règlement :
« Tous les hommes doivent être nourris, logés et traités de façon à en obtenir le rendement maximum avec le minimum de frais. »
Il a été démontré que Sauckel était chargé d’un programme qui impliquait, pour plus de cinq millions d’êtres humains, la déportation en vue du travail obligatoire et que, pour beaucoup d’entre eux, cette déportation s’effectuait dans des conditions de cruauté effroyables.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Sauckel n’est pas coupable des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Sauckel est coupable des crimes visés dans les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Jodl est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. De 1935 à 1938, il fut chef de la Section de la Défense nationale dans le Haut Commandement des Forces armées. Après une année passée dans une unité, il devint, en août 1939, chef de l’État-Major d’opérations du Haut Commandement des Forces armées. Bien qu’il ait eu Keitel comme supérieur immédiat, il était en relations directes avec Hitler, pour toutes les questions d’opérations militaires. Du point de vue strictement militaire, Jodl fut le véritable instigateur de la guerre et l’un des principaux responsables de la stratégie et de la conduite des opérations.
Jodl allègue pour sa défense le fait qu’il était un soldat, forcé à l’obéissance, et non pas un politicien ; il ajoute que son travail d’État-Major prenait tout son temps. Il a dit que, lorsqu’il signait ou contresignait des ordres, des mémorandums et des lettres, il le faisait souvent au nom de Hitler et de Keitel, en l’absence de ce dernier. Bien que devant obéissance à Hitler en tant que soldat, il prétend avoir souvent essayé de s’opposer à certaines mesures en les retardant, et y avoir parfois réussi. Il en fut ainsi quand il résista à Hitler qui demandait que fût donné l’ordre de lyncher les « aviateurs terroristes » alliés.
D’après le journal de Jodl, en date des 13 et 14 février 1938, Hitler donna à ce dernier, ainsi qu’à Keitel, l’ordre de maintenir la pression armée que, lors de la conférence avec Schuschnigg, l’on avait commencé d’exercer contre l’Autriche, en simulant des mesures militaires qui, d’ailleurs, atteignirent leur but. Quand Hitler décida de « ne pas tolérer » le plébiscite de Schuschnigg, Jodl produisit, au cours de la conférence, « l’ancien projet », c’est-à-dire le plan tel que l’avait conçu l’État-Major. Son journal montre, le 10 mars, que Hitler ordonna alors la préparation du « Cas Otto » par une directive que contresigna Jodl.
Jodl publia, le 11 mars, des instructions additionnelles et parapha l’ordre d’invasion donné par Hitler pour le jour même.
D’après les notes de Schmundt, Jodl fut très actif dans les préparatifs d’attaque contre la Tchécoslovaquie. Il parapha les articles 14, 17, 24, 36 et 37 de ces notes. Jodl reconnaît qu’il était d’accord avec l’OKH pour que l’« incident » qui devait fournir un prétexte à l’intervention de l’Allemagne se produisît au plus tard à quatorze heures, le jour X-1, jour précédant l’attaque ; et il admet, en outre, avoir précisé que l’heure fixée pour cet incident devait être telle que les conditions atmosphériques fussent favorables au vol. Avec les spécialistes de la propagande, il s’entretint des « tâches communes imminentes » résultant notamment des violations du Droit international par l’Allemagne, de leur exploitation par l’ennemi et de leur réfutation par les Allemands, « tâches » que Jodl jugeait « particulièrement importantes ».
Après Munich, Jodl écrivait :
« La Tchécoslovaquie a disparu en tant que puissance … Le génie du Führer et sa détermination à ne pas reculer, même devant une guerre mondiale, ont permis à nouveau de remporter la victoire, sans recourir à la force. Nous gardons l’espoir que les incrédules, les faibles et les hésitants sont maintenant convertis et le resteront. »
Peu après l’occupation des Sudètes, Jodl fut détaché dans une unité, il ne devint chef de l’État-Major d’opérations de l’OKW qu’à la fin du mois d’août 1939.
Le 12 décembre 1939, Jodl discuta de l’invasion de la Norvège avec Hitler, Keitel et Raeder ; son journal est rempli de notes postérieures sur le rôle qu’il avait joué dans les préparatifs de cette attaque. Jodl explique que son commentaire selon lequel Hitler cherchait encore une « excuse » pour entrer en action, signifiait qu’il attendait des renseignements dignes de foi sur les plans britanniques et il justifie l’invasion comme une opération nécessaire pour prévenir l’exécution de ces plans. Son témoignage montre que, depuis le mois d’octobre 1939, Hitler projetait d’attaquer les nations de l’Ouest en passant par la Belgique, mais ne pensait pas pouvoir envahir la Hollande avant la mi-novembre. Le 8 février 1940, Jodl, son représentant Warlimont et Jeschonnek, chargés des questions stratégiques aériennes, discutèrent la « nouvelle idée » d’attaquer la Norvège, le Danemark et la Hollande, tout en garantissant la neutralité de la Belgique. La plupart des dix-sept ordres qui, pour différentes raisons, notamment à cause des conditions atmosphériques, remettaient au mois de mai 1940, l’attaque à l’Ouest, furent signés par Jodl.
Il s’occupa activement des préparatifs d’attaque contre la Grèce et la Yougoslavie et parapha l’ordre d’intervenir en Albanie, qu’avait donné Hitler le 11 janvier 1941. Le 20 janvier, quatre mois avant l’attaque, Hitler, au cours d’une réunion des généraux allemands et italiens à laquelle assistait Jodl, déclara que les troupes allemandes rassemblées en Roumanie devaient être utilisées contre la Grèce. Le 18 mars, Jodl était présent encore lorsque Hitler dit à Raeder que toute la Grèce devait être occupée avant qu’une solution ne pût intervenir. C’est en sa présence également que, le 27 mars, Hitler déclara, devant le Haut Commandement, que la Yougoslavie devait être anéantie avec une « rigueur impitoyable » et que Belgrade devait être bombardée sans déclaration de guerre.
Jodl a déclaré que Hitler craignait une attaque de la Russie et que c’est pour cette raison qu’il attaqua le premier. Ces préparatifs avaient commencé presque un an avant l’invasion. Dès le 29 juillet 1940, en effet, Jodl invita Warlimont à dresser des plans en lui disant que Hitler avait décidé d’attaquer ; plus tard, Hitler dit à Warlimont qu’il avait pris cette décision dès le mois d’août 1940, mais qu’il en avait retardé l’exécution pour des raisons militaires. Jodl parapha la directive de Hitler du 12 novembre 1940, selon laquelle les préparatifs ordonnés verbalement devaient être poursuivis et, le 18 décembre, parapha également le « Cas Barbarossa ». Le 3 février 1941, Jodl discuta avec Hitler et Keitel de l’invasion et, le 14 juin, il était présent lorsque furent faits les derniers rapports sur le « Cas Barbarossa ».
Le 18 octobre 1942, Hitler édicta l’ordre sur les commandos et, le lendemain, fit une note explicative supplémentaire à l’intention des officiers seulement. Le mémorandum qui accompagnait cet ordre était signé par Jodl et les avant-projets avaient été établis par ses services et d’accord avec lui. L’accusé a déclaré dans sa déposition qu’il était fermement opposé à l’esprit de ces directives au point de vue moral et juridique, mais qu’il ne put refuser de les transmettre. Il insiste sur le fait qu’il essaya d’amoindrir les effets de ces mesures en ne faisant pas connaître à Hitler les cas où elles n’étaient pas exécutées. Il parapha le mémorandum de l’OKW, en date du 25 juin 1944, qui maintenait l’ordre après les débarquements de Normandie.
La directive relative au « Cas Barbarossa » contenait un plan d’élimination des commissaires soviétiques, d’après lequel ces derniers pouvaient être exécutés sans jugement, sur la seule décision d’un officier. Un projet, contenant une note manuscrite de Jodl, suggérait que de telles mesures fussent présentées comme mesures de représailles. L’accusé a soutenu néanmoins dans sa déposition que, par la façon dont il a rédigé cette note, il a tenté de s’opposer à l’exécution de cet ordre.
Quand Hitler, en 1945, envisagea de dénoncer la Convention de Genève, Jodl lui fît remarquer qu’il en résulterait plus d’inconvénients que d’avantages. Le 21 février, il lui déclara que le fait d’avoir signé la Convention ne gênait pas la conduite de la guerre et lui cita, en exemple, le cas d’un navire-hôpital anglais coulé en représailles, et qu’il qualifia d’erreur. Il a affirmé avoir adopté cette attitude, parce que c’était la seule que Hitler pût prendre en considération et que les arguments moraux ou légaux ne servaient à rien, il prétend avoir ainsi empêché Hitler de dénoncer la Convention.
Les preuves montrant que Jodl se serait occupé activement du programme de travail obligatoire ont été peu nombreuses. Il eut, en effet, à s’absorber dans ses préparatifs stratégiques. Cependant, dans son discours aux Gauleiter, le 7 novembre 1943, il affirma la nécessité d’obliger, avec une vigueur et une résolution impitoyables, les travailleurs du Danemark, de la France et des Pays-Bas à construire le « Mur de l’Atlantique ».
Par un télétype du 28 octobre 1944, Jodl ordonna l’évacuation de tous les habitants de la Norvège septentrionale et l’incendie de leurs maisons pour les empêcher d’aider les Russes. Jodl affirme qu’il était opposé à ces mesures mais qu’elles furent ordonnées par Hitler et ne furent d’ailleurs pas totalement exécutées. Un document émanant du Gouvernement norvégien déclare pourtant que cette évacuation de la Norvège septentrionale a bien eu lieu et que trente mille maisons d’habitations ont été endommagées.
Le 7 octobre 1941, Jodl signa un ordre communiquant la décision de Hitler de ne pas accepter la reddition de Léningrad ni celle de Moscou, qui d’ailleurs ne furent jamais offertes ; l’accent était mis au contraire sur la nécessité qu’il y avait de raser ces villes. Jodl prétend que cette décision était dictée par la crainte qu’elles ne fussent minées par les Russes comme l’avait été Kiev.
Sa défense repose, dans ses grandes lignes, sur la théorie des « ordres supérieurs » qui a été rejetée par l’article 8 du Statut. Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée en sa faveur. Aucun soldat n’a jamais été tenu de participer à de tels crimes et Jodl ne peut se justifier de les avoir commis, en s’abritant derrière la mystique d’une obéissance militaire aveugle.
Le Tribunal déclare :
Que Jodl est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
Von Papen est inculpé des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation. Il fut nommé Chancelier du Reich le 1er juin 1932 et remplacé par von Schleicher le 2 décembre suivant. Il devint le 30 janvier 1933 vice-chancelier dans le cabinet formé par Hitler et le 13 novembre plénipotentiaire pour les affaires sarroises. Le 26 juillet 1934, il fut nommé ministre à Vienne, d’où il fut rappelé le 4 février 1938. Le 29 avril 1939, il fut nommé ambassadeur en Turquie. Il revint en Allemagne quand la Turquie rompit les relations diplomatiques avec son pays en août 1944.
En 1932 et 1933, von Papen employa son activité à aider Hitler à former un ministère de coalition et favorisa sa nomination de chancelier le 30 janvier 1933. Au cours de cette année, comme vice-chancelier dans le ministère, il participa à la consolidation du pouvoir nazi. Toutefois, le 16 juin 1934, von Papen prononça à Marbourg un discours dans lequel il dénonçait les efforts entrepris par les nazis pour supprimer la liberté de la presse et de l’Église ; il dénonça aussi le régime de terreur et la confusion que faisaient les « nazis 150% » entre « brutalité » et « dynamisme ». Le 30 juin 1934, au cours de la vague de violence qui accompagna ce qu’on appelle le putsch de Roehm, von Papen fut emprisonné par les SS. Son personnel fut arrêté et deux de ses secrétaires dont celui qui avait participé à la préparation du discours qu’il avait prononcé à Marbourg, furent assassinés. Von Papen fut relâché le 3 juillet 1934.
Malgré l’assassinat de ses collaborateurs, von Papen accepta le 26 juillet 1934, au lendemain de l’assassinat de Dolfuss, le poste de ministre en Autriche. Sa nomination lui fut communiquée par une lettre dans laquelle Hitler lui donnait mission de faire en sorte que les relations entre les deux pays suivent « un cours normal » et l’assurait de sa « confiance entière et sans réserve ». Comme ministre en Autriche, von Papen déploya tous ses efforts pour renforcer la situation du parti nazi autrichien et pour faciliter l’Anschluss. Au début de l’année 1935, il assista à une réunion tenue à Berlin, au cours de laquelle fut fixée la politique consistant à éviter tout ce qui pourrait donner l’impression d’une intervention allemande dans les affaires intérieures autrichiennes. Cependant, il fit envoyer deux cent mille mark par mois aux « nationaux-socialistes persécutés en Autriche ». Le 17 mai 1935, il communiqua à Hitler les résultats d’un entretien qu’il avait eu avec le capitaine Léopold, chef des nazis autrichiens, et il insista auprès de Hitler pour que ce dernier fît une déclaration reconnaissant l’indépendance nationale de l’Autriche. Von Papen prévoyait que cette déclaration pourrait aider à la formation d’une coalition contre Starhemberg entre les chrétiens sociaux de Schuschnigg et les nazis autrichiens. Le 21 juillet 1935, il fit connaître à Hitler qu’à son avis la réunion de l’Autriche à l’Allemagne ne pourrait pas être opérée par une pression venant de l’extérieur, mais seulement par la force du mouvement national-socialiste. Il proposa que le parti nazi autrichien changeât son caractère de parti centralisé dans le Reich et devînt un centre de ralliement pour toutes les personnes de race allemande.
Dans différentes circonstances, von Papen prit part à des démonstrations politiques nazies, appuya l’action de la propagande, envoya des comptes rendus détaillés de l’activité du parti nazi et fit des rapports réguliers concernant les installations militaires autrichiennes. Sa politique vis-à-vis de l’Autriche eut pour conséquence l’accord du 11 juillet 1936, qui restaurait, en apparence, les relations entre ce pays et l’Allemagne sous une « forme normale et amicale », mais qui était suivi d’un appendice secret prévoyant l’amnistie pour les nazis autrichiens, la suppression de la censure pour leurs publications, la reprise de l’activité politique de leur parti et la nomination d’hommes favorables aux nazis dans le Cabinet Schuschnigg.
Après la signature de cet accord, von Papen offrit sa démission, mais celle-ci ne fut pas acceptée. Il continua par la suite à exercer une pression permanente sur le Gouvernement autrichien afin d’obtenir que des nazis soient appelés au sein du Cabinet Schuschnigg et qu’ils soient investis de fonctions importantes dans le « Vaterländische Front », seul parti autorisé en Autriche. Le 1er septembre 1936, von Papen écrivit à Hitler pour l’avertir que certains adversaires du national-socialisme qui se trouvaient dans le ministère autrichien de la Sécurité freinaient l’infiltration des nazis dans le Gouvernement et pour lui recommander « d’intensifier peu à peu la pression exercée en vue d’obtenir un changement de régime ».
Le 4 février 1938, au moment où von Fritsch, von Blomberg et von Neurath étaient révoqués, von Papen fut informé qu’il était rappelé de son poste de ministre en Autriche. Il fit part à Hitler de ses regrets d’avoir été démis de ses fonctions alors qu’il avait essayé, depuis le mois de novembre 1937, d’amener Schuschnigg à rencontrer Hitler et que Schuschnigg s’était déclaré disposé à le faire. Suivant les instructions de Hitler, von Papen revint alors en Autriche et prépara la rencontre qui eut lieu à Berchtesgaden le 12 février 1938. Von Papen y accompagna Schuschnigg et donna à ce dernier, à la fin de l’entrevue, le conseil de céder aux demandes de Hitler. Le 10 mars 1938, Hitler ordonna à von Papen de rentrer à Berlin. Celui-ci se trouvait à la Chancellerie le 11 mars quand l’ordre d’occuper l’Autriche fut lancé. Il n’a pas été prouvé que von Papen était partisan de cette occupation par la force et il a affirmé à l’audience qu’il avait insisté auprès de Hitler pour qu’elle n’eût pas lieu.
Après l’annexion de l’Autriche, von Papen se retira de la vie publique et aucune preuve n’a été apportée qu’il ait dès lors pris une part quelconque à la politique. En avril 1939, il accepta le poste d’ambassadeur en Turquie, mais aucune preuve n’a été fournie au Tribunal tendant à établir que, pendant qu’il occupait ce poste, von Papen ait manifesté une activité permettant de l’impliquer dans des actes criminels.
Aucun doute ne peut subsister sur le fait que ses desseins, au cours de sa mission en Autriche, étaient de saper le régime de Schuschnigg, d’accroître la force des nazis autrichiens et d’arriver par ces moyens à l’Anschluss. Pour réaliser ce plan, il eut recours à la fois à des intrigues et à des manœuvres d’intimidation. Mais aux termes du Statut ces infractions à la morale politique, si graves soient-elles, ne constituent pas un crime. D’après le Statut, von Papen ne pourrait être considéré comme coupable que s’il avait participé à la préparation d’une guerre d’agression. Or, rien ne montre qu’il ait joué un rôle dans le plan général en vertu duquel l’occupation de l’Autriche n’était qu’une étape vers des opérations agressives ultérieures, voire même dans le plan consistant à occuper l’Autriche pour une guerre d’agression, si elle s’avérait nécessaire. Un doute subsiste donc sur ses véritables intentions et le véritable caractère de son activité ; en conséquence, le Tribunal ne peut retenir qu’il ait fait partie du plan concerté visé par le premier chef de l’Acte d’accusation, ou qu’il ait participé à la préparation des guerres d’agression visées par le deuxième chef de l’Acte d’accusation.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé von Papen n’est pas coupable des crimes visés par l’Acte d’accusation.
Et ordonne :
Que l’officier attaché au Tribunal prenne toutes dispositions pour que von Papen soit mis en liberté dès que l’audience sera levée.
Seyss-Inquart est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Seyss-Inquart, avocat autrichien, fut nommé conseiller d’État en Autriche en mai 1937, à la suite de la pression allemande. Depuis 1931 il avait collaboré au parti nazi autrichien avec lequel il eut de nombreuses difficultés ; il n’adhéra effectivement au parti nazi que le 13 mars 1938. Il fut nommé ministre de la Sûreté et de l’Intérieur d’Autriche et investi de pouvoirs sur la Police ; c’était l’une des conditions que Hitler avait imposées à Schuschnigg lors de la conférence de Berchtesgaden du 12 février 1938.
Seyss-Inquart participa à la dernière phase des tractations qui précédèrent l’occupation de l’Autriche par l’Allemagne et fut nommé Chancelier d’Autriche à la suite de menaces d’invasion par les troupes allemandes faites à ce pays.
Le 12 mars 1938, Seyss-Inquart rencontra Hitler à Linz et prononça un discours souhaitant la bienvenue aux Forces allemandes et prônant la réunion de l’Allemagne et de l’Autriche. Le 13 mars, il obtint la promulgation d’une loi suivant laquelle l’Autriche devenait une province de l’Allemagne et il succéda à Miklas dans la fonction de Président de la République lorsque ce dernier préféra démissionner plutôt que de signer la loi. Le titre de Seyss-Inquart fut changé en celui de gouverneur d’Autriche pour le Reich le 15 mars 1938, et le même jour il reçut le grade de général SS. Il fut nommé ministre du Reich sans portefeuille le 1er mai 1939.
Le 11 mars 1939, il se rendit à Bratislava où il rencontra les membres du Cabinet slovaque qu’il amena à déclarer l’indépendance du pays ; cette déclaration fut effectuée en coordination étroite avec l’offensive lancée par Hitler contre la Tchécoslovaquie.
En tant que gouverneur d’Autriche, Seyss-Inquart institua un programme de confiscation des biens juifs. Pendant qu’il était au pouvoir, les Juifs furent forcés d’émigrer, furent internés dans des camps de concentration et furent victimes de pogroms. Enfin il coopéra avec la Police de sûreté et le SD à la déportation de Juifs d’Autriche vers l’Est. Pendant qu’il était gouverneur d’Autriche, des adversaires politiques des nazis furent envoyés dans des camps de concentration par la Gestapo, maltraités et souvent tués.
En septembre 1939, Seyss-Inquart fut nommé chef de l’administration civile de la partie sud de la Pologne. Le 12 octobre 1939, il devint l’adjoint de Frank, gouverneur général de la Pologne. Le 18 mai 1940, il fut nommé commissaire du Reich pour les Pays-Bas. Dans ces trois fonctions, il administrait des territoires occupés à la suite de guerres d’agression. Ce rôle était d’une importance primordiale pour les autres guerres déclenchées par l’Allemagne.
En sa qualité d’adjoint au gouverneur général pour le Gouvernement Général de la Pologne, Seyss-Inquart approuva les méthodes utilisées pendant l’occupation de ce pays. En novembre 1939, au cours d’un voyage d’inspection dans le Gouvernement Général, Seyss-Inquart déclara que l’administration de la Pologne devait aboutir à l’exploitation de ses ressources économiques au profit de l’Allemagne. Il préconisa aussi la persécution des Juifs ; il eut connaissance d’ailleurs du début de « l’action AB » qui entraîna l’assassinat d’un grand nombre d’intellectuels polonais.
En sa qualité de commissaire du Reich pour les territoires occupés des Pays-Bas, Seyss-Inquart appliqua impitoyablement des mesures de terreur destinées à réprimer toute opposition à l’occupation allemande, programme qui, disait-il, était destiné à « annihiler » ses adversaires. En collaboration avec les chefs locaux des SS et de la Police, il joua un certain rôle dans les exécutions d’otages effectuées à l’occasion de délits commis contre les autorités d’occupation, et dans l’envoi dans des camps de concentration de tous ceux qui étaient suspects d’opposition à la politique d’occupation, y compris les prêtres et les professeurs. Sous la menace de représailles contre leurs familles, de nombreux policiers hollandais furent contraints à prendre part à l’exécution de ce programme. Les tribunaux hollandais durent également y participer, mais quand ils montrèrent leur répugnance à prononcer des peines d’emprisonnement qui conduisaient le plus souvent à l’assassinat du prisonnier, on généralisa l’emploi des tribunaux d’exception.
Du point de vue économique, Seyss-Inquart administra les Pays-Bas au mépris des règles posées par la Convention de La Haye qu’il considérait comme périmée. Bien plus, une politique d’exploitation maxima du potentiel économique du pays fut adoptée et appliquée sans aucun égard ou presque pour les répercussions qu’elle pouvait avoir sur ses habitants. Un pillage généralisé des biens publics et privés fut effectué par Seyss-Inquart qui lui donna par ses ordonnances un semblant de légalité, et qui fit procéder à des manipulations financières destinées à faciliter ce pillage.
En sa qualité de commissaire du Reich pour les Pays-Bas, Seyss-Inquart commença immédiatement à envoyer des travailleurs forcés en Allemagne. Jusqu’en 1942, le service du travail était volontaire en principe, mais en réalité rendu obligatoire par la forte pression économique et gouvernementale qui était exercée. En 1942, Seyss-Inquart décréta formellement le service du travail obligatoire et utilisa la Police de sûreté et le SD pour empêcher qu’on pût se soustraire à son ordre. Pendant l’occupation, plus de cinq cent mille personnes furent envoyées des Pays-Bas dans le Reich comme travailleurs et une très faible proportion seulement fut réellement volontaire.
L’une des premières mesures de Seyss-Inquart en sa qualité de commissaire du Reich pour les Pays-Bas consista à mettre en vigueur une série de lois économiques d’exception visant les Juifs. Puis vinrent des décrets exigeant qu’ils soient recensés, les obligeant à vivre dans des ghettos et à porter l’étoile de David ; ils furent également arrêtés périodiquement et détenus dans des camps de concentration, et finalement, sur la proposition de Heydrich, déportés en masse : près de cent vingt mille Juifs sur les cent quarante mille qui vivaient en Hollande furent envoyés à Auschwitz en vue de la « solution finale ». Seyss-Inquart admet qu’il a connu leur destination, mais il prétend qu’il avait entendu dire, de personnes qui avaient été à Auschwitz, que les Juifs y étaient relativement bien traités et qu’il croyait qu’on les retenait là en vue d’un transfert dans un autre pays, après la guerre. À la lumière des preuves, et étant donné la position officielle qu’il occupait, il est impossible d’ajouter foi à cette affirmation.
Seyss-Inquart prétend qu’il n’est pas responsable de la plupart des crimes commis au cours de l’occupation des Pays-Bas parce qu’ils étaient soit ordonnés par le Reich et exécutés par l’Armée, sur laquelle il n’avait aucun contrôle, soit ordonnés par le chef allemand des SS et de la Police qui, affirme-t-il, n’en rendait compte qu’à Himmler. Il est vrai que l’Armée porte la responsabilité de certains des excès commis, et que le chef des SS et de la Police, bien qu’il fût à la disposition de Seyss-Inquart, pouvait toujours envoyer directement ses rapports à Himmler. Il est également vrai que Seyss-Inquart s’opposa parfois aux mesures violentes prises par d’autres organismes ; ainsi, il réussit dans une large mesure à empêcher l’Armée de se livrer à une politique de « terre brûlée », et insista auprès de chefs des SS et de la Police pour que soit réduit le nombre des otages à fusiller. Mais le fait demeure que Seyss-Inquart participa, volontairement et en connaissance de cause, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’Humanité qui ont été commis au cours de l’occupation des Pays-Bas.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Seyss-Inquart n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Seyss-Inquart est coupable des crimes visés par les deuxième, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Speer est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. En 1932, il adhéra au parti nazi. En 1934, il fut choisi comme architecte par Hitler et devint son conseiller intime. Peu après, il fut nommé chef du Service du Front du travail, et chargé officiellement, dans l’État-Major du Délégué du Führer, de tout ce qui concernait la construction. Il occupa ces postes jusqu’en l’année 1941. Le 15 février 1942, après la mort de Fritz Todt, Speer fut appelé à la tête de l’Organisation Todt et nommé ministre des Armements et Munitions du Reich, (des Armements et de la Production de guerre après le 2 septembre 1943). À ces postes, s’ajoutèrent ceux qu’il occupa à la suite de ces nominations, en mars et avril 1942, comme Plénipotentiaire général pour les Armements et membre du Comité central du Plan, postes qui, tous deux, dépendaient du Plan de quatre ans. Speer fut député au Reichstag de 1941 jusqu’à la fin de la guerre.
Le Tribunal estime que les activités de Speer ne comportaient pas l’initiative ou la préparation des guerres d’agression, ni la participation à un complot ourdi à cet effet. Il prit la tête de l’industrie des armements longtemps après que toutes les guerres eurent été déclenchées. Comme chef de la production de guerre allemande, il favorisa l’effort de guerre, tout comme les chefs d’entreprises privées peuvent le faire. Mais le Tribunal n’estime pas qu’il ait, par là, participé ni au plan concerté en vue de poursuivre une guerre d’agression ni à la conduite d’une telle guerre, au sens des premier et second chefs de l’Acte d’accusation.
Les preuves présentées contre Speer pour étayer les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation sont toutes relatives à sa participation au programme de travail forcé. Speer lui-même n’avait pas de pouvoirs administratifs directs dans l’exécution de ce programme. Bien qu’il ait préconisé la nomination d’un plénipotentiaire général pour l’utilisation de la main-d’œuvre, parce qu’il désirait ne passer que par une seule autorité centrale pour traiter ces questions, il n’obtint pas que Sauckel fût placé administrativement sous son contrôle. Sauckel fut nommé directement par Hitler en vertu du décret du 21 mars 1942, qui le rendait responsable devant le plénipotentiaire pour le Plan de quatre ans, c’est-à-dire devant Göring.
Comme ministre du Reich pour les Armements et les Munitions et comme plénipotentiaire général aux Armements dans le cadre du Plan de quatre ans, Speer exerçait des pouvoirs étendus sur la production. Au début, il était chargé de la direction de la construction et de la fabrication d’armes pour l’OKW. Son autorité fut progressivement étendue aux armements navals, à la production civile et, enfin, le 1er août 1944, à l’armement aéronautique. Il occupait une situation prédominante dans le Comité central du Plan qui jouissait de l’autorité suprême sur les plans de l’économie allemande, ainsi que sur la répartition des matières premières et l’augmentation de leur production. L’attitude adoptée par Speer consista à affirmer que le Plan avait le pouvoir, pour les industries se trouvant sous son contrôle, de donner à Sauckel des instructions concernant le recrutement des ouvriers ; malgré les objections de ce dernier, Speer réussit à faire prévaloir son point de vue. En pratique, Speer indiquait à Sauckel le nombre approximatif des travailleurs nécessaires ; Sauckel obtenait la main-d’œuvre et la répartissait dans les différentes industries d’après les instructions transmises par Speer.
Quand Speer adressait ses demandes à Sauckel, il savait qu’on lui fournirait des travailleurs étrangers recrutés par la force. Il prit part à des conférences où une extension du programme de travail obligatoire fut envisagée pour satisfaire à ses demandes. Du 10 au 12 août 1942, il assista à une conférence avec Hitler et Sauckel, au cours de laquelle il fut convenu que les travailleurs des territoires occupés seraient envoyés de force, par Sauckel, là où c’était nécessaire pour les industries placées sous le contrôle de Speer. De même, Speer assista à une conférence tenue au Quartier Général de Hitler, le 4 janvier 1944, au cours de laquelle il fut décidé que Sauckel devrait obtenir « au moins quatre millions de nouveaux travailleurs provenant des territoires occupés », afin de fournir la main-d’œuvre exigée par Speer, alors que Sauckel prétendait qu’il ne pourrait y parvenir qu’avec l’aide de Himmler.
Sauckel informait constamment Speer et ses délégués du fait que les travailleurs étrangers étaient recrutés par la force. Le 1er mars 1944, le représentant de Speer reprocha vivement à Sauckel de ne pas être en mesure d’envoyer, des territoires occupés, les quatre millions de travailleurs qui devaient être fournis. Dans certains cas, Speer exigea qu’on lui envoyât des travailleurs en provenance de pays étrangers déterminés. Ainsi, à la conférence tenue du 10 au 12 août 1942, Sauckel reçut l’ordre de fournir à Speer encore « un million de travailleurs russes pour l’industrie allemande d’armement, d’ici la fin octobre 1942 ». Au cours d’une réunion qui eut lieu au Comité central du Plan, le 22 avril 1943, Speer examina les plans qui devaient permettre de fournir des travailleurs russes pour les mines de charbon et rejeta catégoriquement la proposition tendant à combler le déficit de main-d’œuvre par des travailleurs allemands.
Speer a prétendu qu’il avait préconisé une réorganisation de la main-d’œuvre dans le but d’augmenter l’utilisation des travailleurs allemands dans la production de guerre en Allemagne et d’utiliser la main-d’œuvre des territoires occupés pour la production locale de denrées de consommation fabriquées auparavant en Allemagne. Speer prit des mesures dans ce sens en instituant dans les territoires occupés ce qu’on appela les « industries bloquées » qui produisaient des marchandises destinées à être ensuite expédiées en Allemagne. Le personnel de ces industries était exempté de la déportation pour le travail forcé, et tous les travailleurs qui avaient reçu l’ordre de partir pour le Reich pouvaient éviter la déportation en travaillant dans les « industries bloquées ». Ce système, qui était un peu moins inhumain que la déportation en Allemagne, était cependant illégal. D’ailleurs, les industries bloquées ne jouèrent qu’un rôle de peu d’importance dans le programme général de travail forcé ; néanmoins Speer voulut coordonner leur utilisation avec l’exécution de ce programme dont il connaissait parfaitement les modalités d’application. Officiellement, il en était le principal bénéficiaire et en demandait constamment l’extension.
En sa qualité de chef de l’Organisation Todt, Speer intervenait également de façon directe dans l’utilisation des travailleurs forcés. L’Organisation Todt fonctionnait surtout dans les territoires occupés, pour des travaux tels que la construction du « Mur de l’Atlantique » et de routes stratégiques ; Speer a reconnu qu’il comptait sur le service obligatoire pour maintenir des effectifs suffisants dans cette organisation. Il recourut aussi à la main-d’œuvre de camps de concentration pour l’utiliser dans les industries placés sous son contrôle. Au début, il ne fit appel à cette source de main-d’œuvre que pour de petites usines isolées et, plus tard, craignant de voir Himmler s’immiscer dans son domaine, il s’efforça d’employer un nombre aussi réduit que possible de travailleurs des camps de concentration.
Speer fut impliqué aussi dans l’emploi de prisonniers de guerre dans les industries d’armements, mais il prétend qu’il a seulement employé des prisonniers de guerre soviétiques dans les industries couvertes par la Convention de Genève.
La position de Speer était telle qu’il n’a pas eu une part directe dans les mauvais traitements résultant de l’application du programme du travail forcé, bien qu’il ait connu leur existence. Par exemple, aux réunions du Comité central du Plan, il fut informé que ses demandes concernant les travailleurs étaient si considérables qu’elles nécessitaient des méthodes violentes de recrutement. À une réunion du Comité central du Plan, le 30 octobre 1942, Speer émit son opinion que nombre des travailleurs forcés étant portés malades n’étaient que des simulateurs et il déclara : « Il n’y a rien à dire contre les SS et la Police qui prennent des mesures rigoureuses et mettent ceux qui sont connus comme fainéants dans des camps de concentration. » Speer, cependant, insistait pour qu’il soit donné aux travailleurs forcés une nourriture suffisante et pour que les conditions matérielles soient telles qu’ils puissent fournir un travail efficace.
Il convient de retenir à sa décharge que l’institution de Speer relative aux industries bloquées laissa beaucoup de travailleurs dans leurs foyers et qu’au moment des phases finales de la guerre il fut un de ceux qui eurent le courage de prévenir Hitler que la guerre était perdue, et de prendre des mesures pour éviter la destruction insensée des moyens de production, à la fois en territoires occupés et en Allemagne. Il s’opposa à la politique hitlérienne de « la terre brûlée », en Allemagne et dans certains pays de l’Ouest, en la sabotant délibérément, prenant ainsi un risque personnel considérable.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Speer n’est pas coupable des crimes visés par les premier et deuxième chefs de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Speer est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Von Neurath est inculpé des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation. Diplomate de carrière, il a rempli les fonctions d’ambassadeur d’Allemagne en Grande-Bretagne de 1930 à 1932. Le 2 juin 1932, il fut nommé ministre des Affaires étrangères dans le Cabinet von Papen, et il garda ce poste dans les Cabinets de von Schleicher et de Hitler. Le 4 février 1938, von Neurath donna sa démission de ministre des Affaires étrangères et devint ministre du Reich sans portefeuille, président du Conseil de Cabinet secret et membre du Conseil de Défense du Reich. Du 18 mars 1939 au 27 septembre 1941, il fut protecteur de Bohème-Moravie. Il avait le grade d’Obergruppenführer honoraire dans les SS.
En tant que ministre des Affaires étrangères, von Neurath assista Hitler de ses conseils en ce qui concerne le retrait de l’Allemagne de la Conférence du Désarmement et de la Société des Nations le 14 octobre 1933, la décision de réarmer, la promulgation de la loi sur le service militaire obligatoire le 16 mars 1935 et la loi secrète sur la défense du Reich le 21 mai. C’est lui, principalement, qui mena les négociations de l’Accord naval conclu entre l’Allemagne et l’Angleterre le 18 juin 1935. Il joua un rôle important auprès de Hitler quand celui-ci décida de réoccuper la Rhénanie, le 7 mars 1936, et il prédit que l’occupation pourrait s’effectuer sans que les Français réagissent. Le 18 mai 1936, il déclara à l’ambassadeur des États-Unis en France que la politique étrangère du Gouvernement allemand se bornait à ne pas bouger jusqu’à ce que « la Rhénanie fut digérée » et qu’une fois les fortifications de la Rhénanie achevées, les pays d’Europe centrale, se rendant compte que la France ne pouvait pas entrer en Allemagne à sa guise, « envisageront leur politique étrangère d’une façon toute différente, et que de nouvelles sphères d’influence pourront être alors établies ».
Von Neurath prit part à la « Conférence Hossbach » du 5 novembre 1937. Il a dit, dans sa déposition, que les déclarations de Hitler l’avaient tellement impressionné qu’il avait eu une crise cardiaque. Peu après, il offrit sa démission, qui fut acceptée le 4 février 1938, à l’époque même où von Fritsch et von Blomberg furent destitués. Tout en connaissant les plans d’agression de Hitler, il conserva un lien officiel avec le régime nazi en ses qualités de ministre du Reich sans portefeuille, de président du Conseil de Cabinet secret et de membre du Conseil de Défense du Reich. Il assuma la direction du ministère des Affaires étrangères au moment de l’occupation de l’Autriche et affirma à l’ambassadeur de Grande-Bretagne que cette occupation n’était pas due à un ultimatum allemand ; il déclara à ce moment-là au ministre de Tchécoslovaquie que l’Allemagne avait l’intention de respecter sa convention d’arbitrage avec ce pays. Von Neurath a pris part à la phase des négociations qui précédèrent l’Accord de Munich ; il prétend qu’il n’avait participé à ces discussions que pour obtenir de Hitler que ce dernier évitât le recours à la guerre dans la solution des différends.
Le 18 mars 1939, von Neurath fut nommé protecteur de Bohême-Moravie. La Bohême-Moravie fut occupée par la force armée. Le consentement de Hacha, qui fut, comme on le sait, obtenu par la force, ne peut suffire à justifier cette occupation. Un Protectorat fut établi sur ce pays par le décret de Hitler en date du 16 mars 1939, qui déclarait en outre que ce nouveau territoire « appartiendrait désormais au Reich allemand », ce qui supposait que la République de Tchécoslovaquie avait cessé d’exister. Mais le statut de la Bohême-Moravie, tel qu’il était défini par cette proclamation, s’inspirait également de la thèse suivant laquelle ces pays conservaient leur souveraineté dans la mesure où les intérêts de l’Allemagne représentés par le Protectorat n’y étaient pas contraires. En conséquence, même s’il admettait que la doctrine de l’incorporation puisse s’appliquer à un territoire occupé à la suite d’un acte d’agression, le Tribunal ne déduirait pas pour autant de cette proclamation que l’incorporation ainsi effectuée ait été suffisante pour justifier l’application de cette thèse. Il y a donc lieu de considérer l’occupation de la Bohême et de la Moravie comme une occupation militaire soumise aux lois de la guerre. Bien que la Tchécoslovaquie n’ait pas adhéré à la Convention de La Haye de 1907, les lois de la guerre sur terre énoncées dans cette Convention constituent l’expression du Droit international tel qu’il existait à l’époque, et sont par conséquent applicables en l’espèce.
En sa qualité de protecteur du Reich, von Neurath institua en Bohême-Moravie une réglementation semblable à celle de l’Allemagne. La presse libre, les partis politiques et les syndicats furent supprimés. Tous les groupements qui pouvaient être utilisés par l’opposition furent interdits. L’industrie tchèque fut incorporée dans le cadre de la production de guerre allemande et exploitée au profit de l’effort de guerre. La politique d’antisémitisme fut également introduite dans la législation. Les Juifs furent exclus des positions importantes qu’ils occupaient au Gouvernement et dans les affaires.
En août 1939, von Neurath publia une proclamation mettant la population en garde contre le sabotage, et déclarant que « la responsabilité de tout acte de sabotage ne retomberait pas seulement sur ses auteurs pris individuellement, mais sur l’ensemble de la population tchèque ». Lorsque la guerre éclata, le 1er septembre 1939, la Police de sûreté arrêta huit mille notables Tchèques et les mit en détention préventive. Un grand nombre de ceux-ci sont morts dans des camps de concentration à la suite des mauvais traitements qu’ils avaient subis.
En octobre et novembre 1939, les étudiants tchèques organisèrent une série de manifestations. À la suite de ces dernières, sur l’ordre de Hitler, toutes les Universités furent fermées. Douze cents étudiants furent jetés en prison et les neuf meneurs de la manifestation furent fusillés par la Police de sûreté et le SD. Von Neurath a dit au cours de sa déposition qu’il n’a pas été prévenu à l’avance de cette action qui fit ensuite l’objet d’une proclamation portant sa signature et affichée dans tout le Protectorat. Il affirme toutefois que cela fut fait à son insu.
Le 31 août 1940, von Neurath remit à Lammers un mémorandum qu’il avait rédigé, sur l’avenir du Protectorat, et un autre concernant la même question, écrit par Karl Hermann Frank, qu’il avait approuvé. Tous deux traitaient du problème de la germanisation et proposaient que la majorité des Tchèques fussent assimilés à la race allemande. Tous deux recommandaient l’élimination de l’« intelligentzia tchèque » et d’autres groupes susceptibles de se montrer hostiles à la germanisation ; von Neurath, quant à lui, préconisait l’expulsion et Frank l’expulsion ou le « traitement spécial ».
Von Neurath a prétendu que les mesures de répression furent, en fait, exécutées par la Police de sûreté et le SD, qui se trouvaient placés sous les ordres de son Secrétaire d’État, Karl Hermann Frank ; ce dernier avait été nommé sur la proposition de Himmler et lui rendait directement compte de son activité de chef des SS et de la Police. Von Neurath allègue en outre que les mesures antisémites et celles qui permirent l’exploitation économique du pays, furent mises en vigueur dans le Protectorat à la suite de décisions prises par le Gouvernement du Reich. Quoi qu’il en soit, l’accusé fut le principal haut fonctionnaire allemand dans le Protectorat à une époque où il était important que ce territoire soit administré en corrélation avec la conduite des guerres d’agression menées par l’Allemagne à l’Est. Et von Neurath n’ignorait pas qu’à ce moment-là des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité étaient couverts par son autorité.
Il convient de retenir à sa décharge qu’il intervint auprès de la Police de sûreté et du SD pour faire relâcher une grande partie des Tchèques qui avaient été arrêtés le 1er septembre 1939, et des étudiants emprisonnés quelques semaines après. Le 23 septembre 1941, Hitler fit venir von Neurath et lui reprocha son manque de fermeté ; il lui annonça également qu’il envoyait Heydrich dans le Protectorat pour combattre les groupes de résistance tchèques. Von Neurath essaya de dissuader Hitler d’envoyer Heydrich mais en vain. C’est pourquoi il offrît sa démission. Celle-ci ne fut d’ailleurs pas acceptée ; il partit néanmoins en congé le 27 septembre 1941 et refusa ensuite de reprendre ses fonctions de Protecteur. Sa démission fut acceptée officiellement en août 1943.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé von Neurath est coupable des crimes visés par les quatre chefs de l’Acte d’accusation.
Fritzsche est inculpé des crimes visés par les premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Il était particulièrement connu comme commentateur de la Radiodiffusion allemande qui émettait son programme personnel hebdomadaire : « Hans Fritzsche parle » où il traitait des événements d’actualité. Il commença ses émissions en septembre 1932 ; en cette même année, il fut nommé directeur du Service du Journal parlé qui dépendait du Gouvernement du Reich. Quand, le 1er mai 1933, les nationaux-socialistes incorporèrent ce service au ministère de l’Éducation nationale et de la Propagande, Fritzsche devint membre du parti nazi et entra dans ce Ministère. En décembre 1938, il devint directeur de la Section de la Presse nationale au Ministère ; en octobre 1942, il fut promu au rang de Directeur ministériel. Après avoir servi quelque temps sur le front de l’Est dans une compagnie de propagande, il fut, en novembre 1942, nommé directeur de la Section de Radiodiffusion au ministère de la Propagande et Plénipotentiaire à l’Organisation politique de la Radiodiffusion de la Plus Grande Allemagne.
En sa qualité de directeur de la Section de la Presse nationale, Fritzsche contrôlait l’ensemble de la Presse allemande, c’est-à-dire deux mille trois cents journaux quotidiens. Dans l’exercice de cette fonction, il tint chaque jour des conférences de presse pour transmettre à ces journaux les directives du ministère de la Propagande. Il était cependant subordonné au chef de la Presse du Reich, Dietrich, qui était lui-même sous les ordres de Goebbels. C’était Dietrich qui recevait de Goebbels les directives destinées à la presse ainsi que celles d’autres ministres du Reich, et les rédigeait sous forme d’instructions qu’il transmettait ensuite à Fritzsche à l’intention de la presse.
De temps à autre, les Paroles quotidiennes du chef de la Presse du Reich — (telle était la désignation de ces instructions) — ordonnaient à la Presse d’entretenir les lecteurs de certains thèmes, tels que le « Führer Prinzip », le problème juif, le problème de l’espace vital ou autres idées nazies classiques. Une campagne vigoureuse était menée avant chaque acte d’agression de quelque importance ; ainsi pendant la période où il fut à la tête de la Section de la Presse nationale, Fritzsche instruisit les journalistes de la façon dont ils devraient présenter les manœuvres ou les guerres menées contre la Bohême et la Moravie, la Pologne, la Yougoslavie et l’Union Soviétique. Fritzsche n’avait aucune autorité pour l’élaboration de cette propagande. Il servait simplement d’agent de transmission aux instructions remises par Dietrich pour la Presse. Ainsi, en février 1939, et avant l’incorporation de la Bohême et de la Moravie, par exemple, il reçut de Dietrich l’ordre de porter à l’attention de la presse les efforts entrepris par la Slovaquie pour maintenir son indépendance, ainsi que les méthodes et la politique antigermaniques du Gouvernement de Prague de l’époque. Cet ordre que reçut Dietrich émanait du ministère des Affaires étrangères.
La Section de Radiodiffusion, dont Fritzsche devint le chef en novembre 1942, était l’une des douze sections du ministère de la Propagande. Au début, Dietrich et d’autres chefs de section usaient de leur autorité pour orienter la politique que devait suivre la radio. Vers la fin de la guerre, cependant, Fritzsche devint le seul à exercer un pouvoir en matière de radiodiffusion au Ministère. En cette qualité, il composa et publia les « Paroles » quotidiennes de la radio destinées à tous les services de propagande du Reich et conformes à la politique générale du régime nazi ; elles étaient soumises aux directives de la section politique de Radiodiffusion du ministère des Affaires étrangères ainsi qu’au contrôle personnel de Goebbels.
Fritzsche, de même que d’autres fonctionnaires du ministère de la Propagande, assista aux conférences quotidiennes que Goebbels tenait avec ses collaborateurs. L’objet de ces conférences était de renseigner les assistants sur les nouvelles et sur la propagande du jour. Après 1943, Fritzsche tint quelquefois lui-même ces conférences, mais seulement quand Goebbels et ses secrétaires étaient absents. Et même alors, sa seule fonction consistait à transmettre les directives de Goebbels qui lui étaient données par téléphone.
Tels sont, rappelés brièvement, les postes que Fritzsche occupa et l’influence qu’il exerça au sein du IIIe Reich. Il n’eut jamais une situation assez importante pour assister aux conférences où furent élaborés les plans qui menèrent à la guerre d’agression ; il n’eut certainement jamais aucune conversation avec Hitler, car sa propre déposition en ce sens n’a pas été réfutée au cours des débats. Rien ne prouve non plus qu’il ait été informé des décisions prises au cours des conférences qui viennent d’être mentionnées. En conséquence, les activités de l’accusé ne peuvent pas être comprises dans la définition du plan commun de guerre d’agression ainsi qu’il a déjà été exposé plus haut.
Le Ministère Public a soutenu que Fritzsche avait incité et encouragé la perpétration de crimes de guerre en falsifiant sciemment des nouvelles pour exciter dans le cœur des Allemands les passions qui les conduisirent à commettre les atrocités visées par les troisième et quatrième chefs d’accusation. Son poste et ses responsabilités officielles n’étaient cependant pas assez importants pour faire supposer qu’il participa à l’élaboration et à la rédaction des campagnes de propagande.
Des extraits de ses discours ont été cités à l’audience qui montrent un antisémitisme convaincu. Ainsi, il déclara à la radio que la guerre avait été provoquée par les Juifs et que le sort de ceux-ci était devenu « aussi malheureux que le Führer l’avait prédit ». Mais ces discours ne poussaient pas à la persécution ou à l’extermination des Juifs. Rien n’établit qu’il ait connu leur extermination dans l’Est. En outre, il a été prouvé qu’il essaya par deux fois de faire cesser la publication du journal antisémite Der Stürmer, mais sans succès.
Dans ces programmes radiodiffusés, Fritzsche répandit quelquefois de fausses nouvelles, mais il n’a pas été prouvé qu’il les connût comme telles. Par exemple, il déclara qu’il n’y avait aucun sous-marin allemand dans le voisinage de l’Athenia quand celui-ci fut coulé. Cette nouvelle était fausse, mais Fritzsche, l’ayant reçue de la Marine allemande, n’avait aucune raison de la croire inexacte.
Il semble que Fritzsche ait quelquefois au cours de ses émissions fait des déclarations énergiques qui n’étaient autre chose que de la propagande. Mais le Tribunal n’en infère pas pour autant qu’elles aient eu pour but d’inciter les Allemands à commettre des atrocités sur les peuples conquis. On ne peut donc pas l’accuser d’avoir participé aux crimes en question. En fait, il cherchait plutôt à susciter un mouvement d’opinion favorable à Hitler et à l’effort de guerre allemand.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Fritzsche n’est pas coupable des crimes visés par l’Acte d’accusation.
Et ordonne :
Que l’officier attaché au Tribunal prenne toutes dispositions pour que Fritzsche soit mis en liberté dès que l’audience sera levée.
Bormann est inculpé des crimes visés au premier, troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation. Il adhéra au parti national-socialiste en 1925, fit partie de l’État-Major du Commandement suprême des SA de 1928 à 1930, fut chargé du Fonds de secours du Parti et occupa le poste de Reichsleiter de 1933 à 1945. De 1933 à 1941, il fut chef de Cabinet du Délégué du Führer et, le 12 mai 1941, après la fuite de Hess en Angleterre, il fut nommé chef de la Chancellerie du Parti. Le 12 avril 1943, il devint secrétaire du Führer. Il était chef politique et technique du « Volkssturm » et général des SS.
Bormann, qui au début, avait dans le Parti un rang assez inférieur, s’éleva peu à peu jusqu’à un poste de direction et, particulièrement vers la fin du régime, exerça une grande influence sur Hitler. Il prit une part active à l’accession du Parti au pouvoir et une part encore plus active à la consolidation de ce pouvoir. Il consacra une grande partie de son activité à la persécution des Églises et des Juifs en Allemagne.
Les preuves ne montrent pas que Bormann ait eu connaissance des plans de Hitler qui visaient à préparer, à déclencher ou à mener des guerres d’agression. Il n’assista à aucune des importantes conférences où Hitler, peu à peu, révéla ses plans d’agression, et l’on ne peut déduire, à coup sûr, des fonctions occupées par l’accusé, qu’il ait été tenu au courant de ces plans. Ce fut seulement lorsqu’il devint chef de la Chancellerie du Parti, en 1941, et secrétaire du Führer, en 1943, qu’il put assister à la plupart des conférences de Hitler.
Le Tribunal, suivant en cela l’opinion qu’il a déjà exprimée à propos de la guerre d’agression, et devant l’insuffisance des preuves, déclare que Bormann ne peut être inculpé des crimes visés par le premier chef d’accusation.
En vertu du décret du 29 mai 1941, Bormann succéda à Hess dans les postes que ce dernier occupait et hérita de ses pouvoirs. Par décret du 24 janvier 1942, ceux-ci furent étendus jusqu’à lui permettre de contrôler toutes les lois et directives émanant de Hitler. Il porte ainsi la responsabilité des lois et des ordres promulgués postérieurement à cette date. Le 1er décembre 1942, tous les Gaue devinrent des « districts de défense » du Reich, et les Gauleiter du Parti, responsables devant Bormann, furent nommés commissaires à la Défense du Reich, ce qui revenait à soumettre à leur administration tout l’effort de guerre de la population. Leur rôle s’étendait non seulement à l’Allemagne, mais aussi aux territoires conquis et incorporés au Reich.
Grâce à ce système, Bormann dirigeait l’exploitation impitoyable de la population qui était sous ses ordres. Son ordre du 12 août 1942 met toutes les agences du Parti à la disposition de Himmler pour l’exécution, par la force, de son programme de colonisation et de « dénationalisation » des habitants des pays occupés. Trois semaines après l’invasion de l’Union Soviétique, il assista à la conférence du 16 juillet 1941, qui eut lieu au Quartier Général d’opérations de Hitler et à laquelle assistaient également Göring, Rosenberg et Keitel. Le rapport de Bormann montre qu’on y dressa des plans détaillés visant à réduire en esclavage et à exterminer la population de ces territoires. Le 8 mai 1942, il discuta avec Hitler et Rosenberg du transfert en Lettonie de nationaux hollandais, du programme d’extermination des populations soviétiques et de l’exploitation économique des territoires de l’Est. Il fut mêlé aussi, dans ce territoire, à la confiscation d’œuvres d’art et d’autres biens. Par une lettre du 11 janvier 1944, il demandait la création d’une vaste organisation chargée de prendre dans les territoires occupés ce qui pourrait être utile aux Allemands victimes des bombardements.
Bormann joua un rôle actif dans la persécution des Juifs, tant en Allemagne que dans les pays occupés. Il prit part aux discussions qui conduisirent à transférer en Pologne soixante mille Juifs de Vienne, avec l’aide des SS et de la Gestapo. Il signa le décret du 31 mai 1941 qui étendait l’application des lois de Nuremberg aux territoires annexés de l’Est. Dans un ordre en date du 9 octobre 1942, il déclara que l’élimination permanente des Juifs des territoires de la Plus Grande Allemagne ne pouvait plus être effectuée par l’émigration, mais seulement par l’emploi d’une « force impitoyable » dans les camps spéciaux de l’Est. Le 1er juillet 1943, il signa une ordonnance qui privait les Juifs de la protection des tribunaux ordinaires et les plaçait sous la juridiction exclusive de la Gestapo de Himmler.
Bormann joua un rôle prépondérant dans le programme de travail forcé. Les chefs du Parti contrôlaient, dans leurs Gaue respectifs, les questions s’y rapportant, y compris l’embauchage, les conditions de travail, de nourriture et de logement. Par sa circulaire du 5 mai 1943, adressée au Corps de chefs politiques du Parti et transmise même aux Ortsgruppenleiter, Bormann donna des instructions pour le traitement des travailleurs étrangers, en soulignant qu’ils devaient être placés sous la direction des SS, quant aux questions de sécurité, et ordonna de mettre fin aux mauvais traitements qui leur étaient infligés jusqu’à ce moment. Un rapport du 4 septembre 1942, concernant le transfert de cinq cent mille ouvrières de l’Est vers l’Allemagne, montre que la direction de ces opérations appartenait à Sauckel, Himmler et Bormann. Sauckel, par un décret en date du 8 septembre, ordonna aux Kreisleiter de contrôler la répartition et l’affectation de ces ouvrières.
Bormann envoya également aux chefs du Parti une série d’ordres relatifs au traitement à infliger aux prisonniers de guerre. Le 5 novembre 1941, il interdit d’enterrer décemment les prisonniers de guerre russes. Le 25 novembre 1943, il ordonna aux Gauleiter de lui rendre compte des cas dans lesquels les prisonniers de guerre étaient traités avec mollesse. Le 13 septembre 1944, il ordonna aux Kreisleiter de se mettre en rapport avec les commandants des camps pour déterminer comment il était possible d’utiliser les prisonniers de guerre dans le cadre du programme de travail forcé. Le 29 janvier 1943, il transmit aux chefs qui lui étaient subordonnés, les instructions de l’OKW autorisant les punitions corporelles et l’usage des armes à feu contre les prisonniers de guerre récalcitrants, ce qui était contraire aux règlements relatifs à la guerre sur terre. Le 30 septembre 1944, il signa un décret qui transférait de l’OKW à Himmler et aux SS la compétence pour les questions ayant trait aux prisonniers de guerre.
Bormann est responsable du lynchage d’aviateurs alliés. Le 30 mai 1944, il interdit de prendre des mesures de police ou d’exercer des poursuites pénales contre les personnes qui avaient participé au lynchage de ces aviateurs. Parallèlement, Goebbels poursuivait sa propagande d’excitation pour inciter le peuple allemand à agir de cette façon contre les aviateurs. Une conférence fut tenue le 6 juin 1944, au cours de laquelle on discuta des règles relatives à l’application du lynchage.
L’avocat de Bormann, dans sa tâche difficile, n’a pas réussi à réfuter toutes ces preuves. En face des documents qui portent la signature de Bormann, il ne semble pas d’ailleurs que la présence même de l’accusé aurait facilité une telle réfutation.
Le défenseur de Bormann a prétendu que ce dernier était mort et a dénié au Tribunal le droit de se prévaloir de l’article 12 du Statut qui permet de poursuivre une procédure par contumace. Mais cette mort n’ayant pas été prouvée de façon irréfutable, le Tribunal, ainsi qu’il l’a déjà déclaré, a décidé de juger Bormann par contumace.
Au cas où Bormann serait encore en vie et viendrait à être arrêté, le Conseil de Contrôle pour l’Allemagne pourrait, en vertu de l’article 29 du Statut, examiner tout fait atténuant et modifier ou réduire la condamnation s’il le juge convenable.
Le Tribunal déclare :
Que l’accusé Bormann n’est pas coupable des crimes visés par le premier chef de l’Acte d’accusation ;
Que l’accusé Bormann est coupable des crimes visés par les troisième et quatrième chefs de l’Acte d’accusation.
Signé : | Geoffrey Lawrence, Président ; |
Signé : | Norman Birkett ; |
Francis Biddle ; | John J. Parker ; | ||
H. Donnedieu de Vabres ; | R. Falco ; | ||
Nikitchenko. | A. Volchkov. |