Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/9

La bibliothèque libre.

Séance du 19 mars 1858.


Présidence de M. A. COMBES.


M. l’inspecteur d’académie en résidence à Albi, remercie la Société de l’envoi du sommaire de ses travaux, et annonce l’intention d’assister aux séances toutes les fois que ses occupations le lui permettront.

M. le président de la Société météorologique de France, répond aux demandes qui lui avaient été faites, relativement aux observations sur lesquelles il avait appelé l’attention et la bonne volonté de la Société littéraire et scientifique. Il indique la marche suivie d’un commun accord, afin de rendre les études plus méthodiques et plus utiles.

La réunion de documents de toute sorte qui peuvent résulter des observations météorologiques faites sur divers points, dans des conditions différentes, permettront, sans doute, d’arriver à formuler des lois sur des phénomènes pour lesquels on est encore aux probabilités. Ce sera un service véritable rendu à la science. Chaque Société sera jalouse d’apporter son tribut à ce travail, et les observations déjà acquises, fortifiées ou rectifiées par des études nouvelles, mettront peut-être sur la voie d’explications plus complètes et plus satisfaisantes.

Une commission composée de MM. de Barrau, Contié et Parayre, est chargée de recueillir tous les documents et de concentrer les observations qui doivent former la base du travail destiné à la Société météorologique de France.

La première livraison d’un ouvrage de M. J. Azaïs père, ancien président de la Société archéologique de Béziers, est déposée. Elle a pour titre : Dieu, l’homme, et la parole, ou la langue primitive. L’examen en est confié à M. V. Canet.

M. Félix Fabre, instituteur libre à Béziers, adresse un exemplaire d’un alphabet rectolégique, par figures, destiné à corriger le bégaiement, le mutisme incomplet et les fausses articulations. Le rapport sera fait par M. V. Canet.

Le bureau a reçu un volume intitulé : Sirven, étude historique, d’après les documents originaux et la Correspondance de Voltaire, par M. Camille Rabaud, pasteur à Mazamet. L’examen en est renvoyé à M. Eugène Ducros.


M. A. COMBES dépose une pièce de monnaie trouvée dans une maison de la rue Henri IV. Elle porte d’un côté une double effigie, dans le genre des as romains représentant Janus. On sait que cette marque était consacrée, parce que Janus passait pour l’inventeur de la monnaie d’airain. Seulement la double effigie parait être ici une représentation impériale. Celle de droite est couronnée de lauriers. Un cordon semblable à celui des Semis ou demi as, entoure la pièce, et peut-être le mot indiquant cette valeur se lit-il au sommet. Au bas, le mot Divi, en assez gros caractères, peut être une désignation relative à l’effigie impériale. Sur le revers, on distingue le crocodile et le palmier, symboles de la colonie de Nîmes. Ces souvenirs existent encore en assez grand nombre dans nos contrées. On sait que jusqu’au règne d’Auguste, la fabrication de la monnaie d’or et d’argent était concentrée à Rome. Celle des monnaies d’airain se pratiquait aussi dans les municipes et dans les colonies. Nîmes, issu de Marseille, mais arrivé à un grand développement sous les empereurs, a jeté ses monnaies en grand nombre sur tout le littoral de la Méditerranée, et aussi fort avant dans les terres. Les fouilles faites sur le plateau de St-Jean, ont mis au jour un grand nombre de ces pièces d’airain. Jusqu’à présent, il n’en avait pas été trouvé dans l’intérieur de la ville, et il ne serait pas étonnant que celle qui va entrer dans la collection de la Société, quoique trouvée dans la rue Henri IV, eût cette origine.

Une nouvelle brochure de M. A. Chevallier est renvoyée à la commission chargée de l’examen des envois précédents.


M. Maurice de BARRAU rend compte de deux livraisons adressées par la Société d’agriculture, industrie, sciences et arts de la Lozère. Les questions traitées dans les diverses séances sont nombreuses, et portent sur des sujets différents. M. M. de Barrau appelle particulièrement l’attention de la Société sur celles qui sont relatives à l’agriculture et à l’industrie. Elles renferment des détails intéressants et d’utiles indications.

M. le président rappelle l’invitation adressée à la Société par M. l’inspecteur d’Académie en résidence à Albi, au nom de M. le recteur de Toulouse. Il s’agit de contribuer à un vaste travail d’ensemble destiné à combler une lacune de notre histoire nationale, en réunissant tous les éléments relatifs à la topographie des Gaules jusqu’au Ve siècle.

Il serait à désirer que les travaux des membres de la Société fussent réunis, de manière à présenter un tout complet, d’où résulterait la confirmation des études faites jusqu’à présent sur les environs de Castres, et consignées dans des ouvrages spéciaux, ou leur rectification d’ensemble et de détail.


M. C. VALETTE offre à la Société deux dessins reproduisant les deux faces d’un monument en pierre qu’il a étudié au Mas-Cabardés, petit village situé sur la limite du Tarn et de l’Aude. Il accompagne cet hommage à la Société d’une note dans laquelle il analyse les scènes représentées.

Le premier groupe est celui de la Vierge. L’art du moyen-âge se déploie dans cette composition avec toute sa grâce naïve et sa délicate simplicité. La Vierge vêtue selon la tradition biblique, repose sur un socle en saillie, au-dessus du chapiteau d’une colonne aujourd’hui brisée. Elle tient l’enfant Jésus dans ses bras. Sa tendre complaisance s’épanche par un doux sourire ; mais un peu de gravité mélancolique caractérise l’ensemble de sa physionomie. L’enfant est plein de grâce. Une de ses mains saisit le manteau de sa mère, tandis que l’autre porte un cœur, symbole de cet amour pour les hommes, qui le conduisit jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix.

Trois anges d’une finesse de forme qui rappelle les productions des grands maîtres, d’un dessin dont la correction égale la suavité, et d’une hardiesse de pose qui n’enlève rien à la souplesse du mouvement, soutiennent au-dessous de la tête de la Vierge une couronne. Il règne dans ce groupe un air de fête, une joie tranquille, dont l’expression est saisissante.

L’arbre de la croix est surmonté par une figure d’un style sévère. À droite, est représenté Saint-Michel, terrassant l’ange rebelle. Son costume est celui d’un chevalier du moyen-âge. Parallèlement, on remarque un personnage dont les attributs indiquent un docteur et martyr. Son costume appartient à la fantaisie.

L’autre côté du monument représente le Sauveur crucifié au moment où il vient d’expirer. La tête, d’une admirable régularité s’incline doucement, et semble exprimer, par ce qu’il y a de plus doux dans le jeu de la physionomie, que le Rédempteur, en consommant le sacrifice, vient de donner la paix au monde.

La représentation de cette scène a été considérée par tous les artistes comme le sujet le plus difficile à traiter. Raphaël qui a produit plus de trois mille ouvrages, n’a jamais composé de Christ, et l’on assure qu’il a plus d’une fois motivé sa réserve, sur l’impossibilité de traiter convenablement, un sujet si fort élevé au-dessus de la pensée et des conceptions de l’homme.

Les autres parties du Sauveur, sont savamment traitées. Le nimbe qui entoure sa tête est de réminiscence gothique.

L’inscription INRI tracée sur un cartouche, est déroulée, à sa place ordinaire, par un ange d’un dessin irréprochable. La croix est surmontée par une figure pleine de noblesse et de gravité, dont le costume est monacal, mais sans caractère tranché. Les branches latérales ont beaucoup souffert. Elles étaient probablement terminées par des groupes d’anges.

Quoique les pieds du Christ soient attachés à la croix, ils sont supportés par un ange, dont le regard tourné vers le ciel exprime, de la manière la plus touchante, le sentiment d’une vive et profonde compassion.

De l’arbre de la croix, s’échappent deux socles plats supportant à droite, la mère du Rédempteur, et à gauche Marie Magdeleine. La Vierge est accablée par la douleur : on le sent ; mais rien n’accuse en elle un instant de faiblesse : elle est vêtue du costume national du XVIe siècle ; et cette indication, fortifiée par un certain nombre de détails, permet d’assigner au monument une date presque certaine. Magdeleine est enveloppée dans un manteau : les bras sont croisés sur la poitrine, et la tête est légèrement penchée à gauche. Elle est ravissante de beauté ; et l’ensemble est d’une pureté digne des meilleurs temps de la statuaire chrétienne du moyen-âge.

Ce groupe supporté par des anges aux ailes déployées, s’harmonise, par une retraite, avec le galbe des lignes de la colonne hexagonale qui servait de base. Dans l’espace compris entre les anges qui servent de cariatides, on remarque un écusson de forme héraldique, sur lequel est représentée une navette. Cet objet signifie, par la place qu’il occupe, un ex voto, et semble indiquer que le monument a été érigé aux frais d’une corporation de tisserands. Cet écusson est répété sur l’autre face, mais sans emblême.

La Société remercie M. Valette de l’hommage des deux dessins, et décide qu’ils seront encadrés pour rester exposés dans la salle des séances.


M. V. CONTIÉ, professeur au collége, lit la première partie d’une étude sur le Sidobre.

Le Sidobre est digne, par sa configuration, par le nombre, la forme et les dispositions des rochers qui le composent, d’attirer l’attention et d’exciter la curiosité. C’est une nature à part. Elle est assez belle par sa singularité même, par les contrastes qu’elle offre à chaque pas, par les différences qui la séparent des terrains environnants, pour arrêter le simple observateur, et devenir un riche sujet d’étude pour l’investigateur patient et laborieux.

Le Sidobre est un plateau inégal, raviné en tout sens par de petits ruisseaux qui vont jeter leurs eaux directement dans l’Agoût, ou dans ses affluents principaux, le Gijou et la Durenque. Le cours de l’Agoût, de Brassac au pont de Luzières, partage ce plateau en deux parties inégales que l’on pourrait, faute de désignation plus exacte, appeler le Sidobre de Castres et le Sidobre de Vabre. La première région est la plus étendue, comme la plus intéressante.

La latitude du Sidobre est comprise dans le 44me degré, entre 27′ et 32′ ; sa longitude orientale entre et 11′ environ. Les points culminants principaux, dépassent le plateau de Labessonié, dont la hauteur est de 564 mètres. En les joignant, on trouve une ligne de faîte irrégulière. Elle va d’abord du nord au sud des hauteurs dominant le pont de Luzières, ou celles qui s’élèvent au sud du Viala-Vert ; puis à l’est et à l’ouest de ces hauteurs, point culminant du Sidobre, vers celles qui ont à leurs pieds Camp-Soleil, presque parallèlement à la route de Castres à Brassac. La première de ces directions concorde avec celle de la région granitique dite de Lacaune ; la seconde est parallèle à celle des sommets de la Montagne-noire. Cette ligne de faite partage le Sidobre en deux versants inégaux ; l’un en grande partie méridional, peu étendu, assez abrupte, fournissant un petit nombre de cours d’eau ; l’autre en partie occidental, en plus grande partie septentrional, constituant presque tout le plateau par sa vaste étendue. Un assez grand nombre de ruisseaux l’arrosent dans tous les sens. La pente, d’abord peu sensible à cause des nombreux accidents de terrain qui le coupent, devient assez forte au voisinage des schistes, dont l’inclinaison presque verticale semble aller vers le nord.

L’exposition inégale de ce versant regarde plus spécialement le nord. Rien ne l’abrite contre les vents froids de cette région, ni contre les vents pluvieux du couchant. À l’est, il est un peu fermé par sa propre ligne de faite, et par les montagnes granitiques d’Angles. La nudité du sol, le manque de culture, la faible conductibilité des blocs dispersés ou réunis, ajoutent à l’influence fâcheuse de l’exposition sur le climat du Sidobre. Aussi, les saisons y sont-elles très-irrégulières et très-inégales. Il semble qu’elles puissent être réduites à deux : le printemps et l’hiver.

En moyenne, les hivers sont rigoureux sans être pourtant excessifs. Les neiges n’y sont ni très-abondantes, ni de longue durée. Les brouillards paraissent fréquemment et sont parfois très-intenses.

Quelle est la part qu’il faudrait attribuer au déboisement sur la production de ces phénomènes météorologiques ? C’est une question importante qui a été plusieurs fois soulevée, et pour laquelle des solutions diverses ont été données. C’est qu’elle est des plus complexes de sa nature, et qu’une foule de causes viennent agir le plus souvent en sens contraire les unes des autres, pour modifier le climat d’une localité. Si d’un côté, l’on est en droit de conclure que le déboisement provoque ou favorise les maladies épidémiques, rend la température plus variable, et le climat, si non essentiellement plus froid, du moins plus inégal, et par suite plus pernicieux à la vie organique ; de l’autre on constate que ces divers effets ne se produisent pas ailleurs, et qu’il n’est pas possible, en particulier, d’avoir une règle positive pour ce qui regarde la température moyenne.

C’est une de ces questions pour lesquelles des informations complètes manquent encore. On ne peut pas déduire une loi de quelques faits : il faut un ensemble de renseignements assez exacts et assez considérables, pour que la vérité s’échappe des oppositions même. On peut espérer aujourd’hui quelques résultats favorables, grâce aux observations simultanées qui se font sur divers points du territoire, et qui, dirigées vers un même but, conduites par une même méthode, permettront sans doute, de découvrir quelques-unes de ces explications qui sont la récompense du travail et d’une patiente investigation.

Cependant le déboisement est, en lui-même, une tendance funeste. Sans doute, grâce à l’encaissement de l’Agoût, au peu d’étendue du Sidobre, au petit nombre de ses cours d’eau, à la rareté de ses neiges, on n’a pas à se préoccuper du danger des inondations. Mais le Sidobre, en se déboisant, prive la plaine d’un abri contre les vents du nord-est. Il est d’ailleurs imprudent de livrer à une culture pénible et toujours peu fructueuse, des terres qui paraissent providentiellement destinées à rester boisées. Le sol granitique se montre presque partout, sinon infertile, du moins peu propre à une culture étendue de la plupart des plantes alimentaires.

De ces observations physiques, M. V. Contié passe à l’étude des animaux qui peuplent le Sidobre. Il est possible, sans quitter Castres, de se faire une idée de l’ensemble d’êtres ou particuliers à cette contrée, ou semblables à ceux qui vivent dans les environs. M. Brianne a recueilli avec un soin intelligent, il a classé avec une attention scrupuleuse, il conserve surtout par des procédés habiles, le plus grand nombre des animaux qui vivent dans le Sidobre. La collection dont il a doté la ville de Castres est remarquable à plusieurs titres. On peut la dire complète, et c’est là que l’on est sûr de retrouver, en parfait état de conservation, les représentants principaux et caractéristiques de la Faune du Sidobre.

La classe des mammifères fournit quatre ordres : l’ordre des chéiroptères présente quatre espèces de chauves-souris et une espèce d’oreillard ; l’ordre des insectivores, le hérisson commun, deux musaraignes et la taupe commune ; l’ordre des carnivores digitigrades offre le genre putois, le putois commun et la belette. Le genre martre fournit la fouine ; le genre chien, le loup ; et le sous-genre renard, le renard commun. Enfin, l’ordre des rongeurs claviculés est représenté par trois espèces de loirs et de rats ; et celui des rongeurs acléidiens par le lièvre et le lapin. Le loup est devenu fort rare dans le Sidobre ; le renard tend à disparaître.

La classe des oiseaux a de nombreux représentants qui peuvent être distingués en trois catégories : les hôtes de la belle saison, les hôtes de l’hiver et les hôtes sédentaires. Le nombre des premiers est fort considérable, les seconds y viennent en petit nombre, et les derniers sont extrêmement restreints. Les passereaux, les rapaces diurnes, les rapaces nocturnes, les grimpeurs, les gallinacés, les échassiers et les palmipèdes, y sont représentés par plusieurs variétés.

Les reptiles y sont rares. On peut citer pourtant le lézard vert ocellé, la couleuvre des dames, et la couleuvre à collier : les bactraciens produisent la grenouille grise et verte, les rainettes et le crapaud commun. Parmi les mollusques, la classe seule des gastéropodes est représentée par la limace noire, grise, jaune et rouge, par les genres limaçons, planorbe, lymnée, et quelques espèces de la famille des trochoïdes. Mais c’est en annelés que le Sidobre est le plus riche. Presque toutes les classes y ont de nombreux représentants.


M. A. COMBES lit une étude historique sur Joseph-Marie-François Cachin.

Le 2 octobre 1757, un enfant naissait dans la loge du portier du palais épiscopal de Castres, en Languedoc. Baptisé le même jour, il avait pour parrain Joseph-Marie-François de Scaliger de Vérone, secrétaire de Mgr de Barral. Ainsi se manifestait de la part de l’évêque, dès la naissance du fils, l’intérêt protecteur qui avait attaché à Castres le colporteur devenu concierge. Sa bienveillance ne s’arrêta pas là. À peine le jeune Cachin fut-il en état d’apprendre quelque chose, qu’il fut confié aux soins d’un de ces jeunes gens pauvres qui se destinaient à l’état ecclésiastique, et qui payaient en zèle et en dévouement, au profit de plus jeunes qu’eux-mêmes, les avantages dont on les faisait profiter.

Le 17 février 1769, s’ouvrit pour la première fois à Castres, un établissement d’enseignement populaire. Il était gratuit comme l’aumône, charitable comme l’évangile, dévoué jusqu’au sacrifice comme l’esprit et le cœur du saint prêtre qui en avait été le fondateur en France. L’école des Frères des écoles chrétiennes reçut au nombre de ses premiers élèves François Cachin.

Il ne tarda pas à s’y distinguer. M. de Barral suivait avec sollicitude les progrès de celui dont il voulait préparer l’avenir ; il fournissait à tous ses besoins, et lui permettait ainsi d’atteindre jusqu’aux classes les plus élevées des Frères. Il l’envoya ensuite à l’école royale et militaire de Sorèze, où le jeune homme prit place parmi les 72 élèves destinés à une carrière spéciale.

Peut-être la direction de Cachin n’était-elle pas encore bien marquée. Cependant, il avait eu sous les yeux des études et des préoccupations qui devaient avoir laissé sur son âme une de ces impressions qui ne passent pas. M. de Barral portait une attention particulière aux routes de son diocèse. Son esprit pratique avait bien vite vu les avantages qui pouvaient résulter, pour une contrée accidentée comme celle qui environne Castres, de l’ouverture d’un grand nombre de voies. Il faisait lui-même des plans, il travaillait avec les arpenteurs, et son cabinet laissait voir, par de nombreux témoignages, cette tendance de son esprit, et cet emploi d’une grande partie de son temps.

Ce que Cachin avait eu sous les yeux pendant son enfance, pouvait-il rester sans influence sur la direction de ses pensées et le choix de sa carrière ? Ce n’est pas probable.

Cependant Sorèze n’avait pas de cours spéciaux destinés à former des architectes, des arpenteurs et des dessinateurs géographes. Aussi, après la mort de l’évêque, Mlle de Barral, sa sœur, qui avait recueilli comme un héritage, le soin de veiller sur le jeune Cachin, l’envoya-t-elle à Toulouse pour se perfectionner dans ses études.

En 1776, Cachin fut admis dans l’école des ponts-et-chaussées confiée à la direction de Perronnet, premier ingénieur du roi. Il en sortit avec un diplôme. Mais il sentait que ce témoignage de sa capacité, quelque honorable qu’il fût, ne lui suffisait pas. Il obtint de son père et de sa protectrice les moyens de voyager. Il parcourut l’Angleterre et l’Amérique. Il visita avec une attention curieuse ces deux foyers du génie maritime, et étudia avec une patiente ardeur les monuments qu’ils renferment en si grand nombre.

Il sut profiter des leçons qu’il rencontra partout sous ses pas. À son retour, il fut chargé de la direction des travaux ordonnés pour l’amélioration du port de Honfleur. Il s’agissait de la création d’un canal latéral à la Seine ; ce canal paraissait indispensable pour soustraire les bâtiments du commerce aux dangers que présentait la navigation de ce fleuve entre Quillebœuf et son embouchure.

Il fut alors placé à la tête de l’administration municipale de Honfleur, et épousa la veuve du prince de Montbelliard. Elle lui apportait une fortune immense. Cette union ne fut pas heureuse, et une séparation devint bientôt nécessaire.

En 1792, Cachin avait été appelé à faire partie d’une commission nommée par le roi, pour constater les avantages des travaux précédemment exécutés à Cherbourg, proposer les moyens de perfectionnement, et signaler les constructions nouvelles qui seraient jugées utiles au complément d’un vaste établissement maritime.

La commission formula un projet longuement discuté, et dont toutes les parties avaient été l’objet d’une attention minutieuse. Les événements de la révolution le firent tomber dans l’oubli.

Cependant Cachin remplissait les fonctions d’ingénieur en chef du Calvados, et faisait exécuter des travaux d’une importance majeure. Il a laissé dans ce département, le souvenir d’un haut mérite : il y est encore cité comme un administrateur sévère, intègre, exigeant beaucoup de travail de ses subordonnés, mais ne s’épargnant jamais lui-même. À cette époque, il publia sur la navigation de l’Orne-Inférieure, un mémoire que les hommes spéciaux distinguèrent.

Après le 18 brumaire, Cachin rentra au service de la marine. Il avait toujours les yeux fixés sur Cherbourg. Appelé auprès du Gouvernement en 1799, il attira l’attention du premier Consul sur l’importance de la question, et sur les moyens de la résoudre. Un des premiers, il avait reconnu la faiblesse de la rade qu’il était impossible de défendre. Il démontra la nécessité d’établir, au centre de la digue commencée, une batterie, afin de protéger avec plus d’efficacité les vaisseaux contre une attaque de l’ennemi. Cette batterie devait s’élever à vingt pieds au-dessus des plus hautes marées, et être construite de manière à croiser ses feux avec les forts de l’île Pelée et de Querqueville. Enfin, il fallait creuser sur le rivage, entre le fort d’Artois et la ville, un port dont Cachin présentait les plans et les devis.

Un décret impérial du 15 mars 1805, ordonna qu’un port serait creusé pour les plus grands vaisseaux de guerre, dans la rade de Cherbourg. Les plans de Cachin, inspecteur général des ponts-et-chaussées, étaient adoptés, et il devenait directeur des travaux maritimes des ports militaires.

Le 25 prairial, an XII, Cachin avait été nommé chevalier de la Légion-d’Honneur.

Les travaux furent précédés de la publication d’une notice sur la rade de Cherbourg, sur le port Bonaparte et ses accessoires, par un officier français (1805). Cette brochure n’était pas de Cachin ; mais il n’avait pas été fâché de laisser constater l’état dans lequel se trouvait alors le théâtre sur lequel il allait déployer pendant plus de huit années, tant d’énergie, d’intelligence, de ressources et de persévérance.

Les difficultés étaient immenses. On peut en juger, en lisant le travail publié en 1848, par M. Émile Batailler, ingénieur des ponts-et-chaussées, neveu de Cachin. Il porte pour titre : Description générale des travaux exécutés à Cherbourg pendant le Consulat et l’Empire. Il est accompagné de planches et de plans qui permettent de se rendre compte des efforts exigés par les ouvrages qui font la défense de Cherbourg.

Il existe aujourd’hui : un port de commerce avec avant-port et bassin, un chenal de 700 mètres de long sur 50 de large, soutenu par une jetée en granit bordée de parapets et terminée par un musoir ; un vieil arsenal de marine entièrement restauré, d’une longueur de 228 mètres sur 100 ; un port militaire construit sur une côte de rochers schisteux, au fond d’une baie de 7,000 mètres d’ouverture, enveloppée par une enceinte bastionnée, et complétée par un avant-port qui peut contenir 16 vaisseaux de ligne ; quatre cales couvertes avec hangards ; une digue de 3,708 mètres, ayant pour objet de rompre l’effort des vagues et des courants.

Voilà l’œuvre de Cachin, conçue en 1792, méditée pendant dix ans, exécutée avec un succès complet, et inaugurée le 27 août 1813.

Ce succès fit donner à Cachin le titre de baron. Louis XVIII le nomma chevalier de St-Michel. L’Empereur Alexandre voulut visiter son œuvre, et l’Angleterre attaqua ces travaux avec un acharnement qui fait leur plus complet éloge.

Cachin est mort le 23 février 1825.

Quelque temps auparavant, il avait prouvé dans une brochure, que l’Académie des sciences jugea digne d’être insérée dans la collection des mémoires des savants étrangers, qu’il ne restait plus de difficultés à vaincre pour donner à la grande entreprise du développement et de la défense de Cherbourg, toute la perfection que réclament des travaux de ce genre. Ces travaux avaient duré vingt-cinq ans et coûté trente-cinq millions.

M. Combes demande que la Société intervienne auprès de l’administration municipale de Castres, pour faire graver au-dessus de la porte du logement occupé actuellement par le concierge de la mairie : Le baron Cachin est né dans cette maison, le 2 octobre 1757.

La Société accueille cette proposition, et autorise le bureau à en poursuivre l’exécution.


M. V. CANET appelle l’attention de la Société sur un manuscrit en deux volumes qui se trouve à la bibliothèque de Castres.

Ce manuscrit, sur parchemin vélin, de grande dimension, contient plusieurs livres de l’ancien testament, traduits par St-Jérôme, et précédés, presque tous, de ses prologues. Ces deux volumes sont évidemment de la même main. Quoique l’ordre des livres ne soit pas en tout conforme à celui de la traduction de St-Jérôme, il est probable pourtant que ces deux volumes faisaient partie d’une transcription complète de la Bible. L’écriture est gothique, haute, très-nette, avec des abréviations nombreuses, et des réunions de lettres multipliées. Il est possible de relever un certain nombre d’erreurs de copie, dont plusieurs sont signalées à l’encre rouge sur les marges.

Tous les livres commencent par de grandes lettres encadrées et enrichies d’enluminures. Ces ornements, pour la plupart d’une fraîcheur parfaite et de bon goût, ne sont ni de la même main, ni de la même époque. En plusieurs endroits on remarque des retouches nombreuses. Cependant le caractère de la lettre reste partout le même. Les ornements se composent de fleurs ou d’arabesques, sur des fonds différents, mais dans lesquels l’or domine. Au second volume, les lettres initiales des livres et des chapitres, sont entourées d’ornements à la plume, en encre rouge ou bleue, qui se terminent presque toujours par des figures grotesques. La forme, l’attitude, l’expression varient, mais le type de ces figures est presque toujours le même.

M. V. Canet croit ce monument digne d’une attention sérieuse et d’une étude détaillée. La détermination exacte de l’époque à laquelle il remonte pourrait ressortir de l’examen des caractères et des ornements. Tout est parfaitement conservé. L’encre et les couleurs n’ont rien perdu de leur fraîcheur, le parchemin conserve sa teinte blanchâtre, jaunie seulement en quelques endroits. La reliure, quoique ancienne, est évidemment d’une époque postérieure au manuscrit.

En appelant l’attention de la Société sur cet ouvrage, M. V. Canet espère qu’il sera possible de déterminer sa valeur, et, par conséquent, de le faire apprécier. La bibliothèque de Castres n’est pas trop riche en manuscrits, pour qu’on ait le droit de négliger ou de dédaigner une œuvre de ce mérite.