Projet de construction d’un grand ballon captif à vapeur par M. Henry Giffard
Lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1867, on se rappelle que M. Henry Giffard construisit, au Champ de Mars, le premier ballon captif à vapeur. Ce matériel aérostatique absolument nouveau eut le privilège d’attirer vivement l’attention du public et des hommes compétents. On admira ce globe, aux proportions imposantes, où 5 000 mètres cubes d’hydrogène se trouvaient pour la première fois emprisonnés dans une étoffe imperméable ; le public ne se lassa pas d’exécuter des ascensions à 250 mètres au-dessus du sol, à l’extrémité d’un câble, qu’une machine à vapeur enroulait autour d’un treuil. Mais là où grand nombre de visiteurs ne virent qu’un objet de curiosité peu commun, les ingénieurs et les aéronautes ne manquèrent pas d’apercevoir de difficiles et importants problèmes résolus ; ils reconnurent que l’aéronautique venait de faire, entre les mains habiles de l’inventeur, un grand pas en avant. Les physiciens et les météorologistes applaudirent aussi à ce nouveau venu qui pouvait leur permettre de s’élever constamment dans l’atmosphère pour y entreprendre une série de recherches et d’observations.
Les organisateurs de l’Exposition de Philadelphie n’ont pas manqué de s’adresser à M. Henry Giffard, en lui demandant de doter leur installation d’un matériel semblable, si bien fait pour offrir aux étrangers, dans des conditions exceptionnelles, le panorama d’une grande ville. Mais le célèbre ingénieur ne voulut pas entendre les propositions qui lui étaient faites, se promettant de réserver une surprise aérostatique aux visiteurs de la prochaine Exposition internationale de Paris.
M. Henry Giffard a le projet de construire en 1878 un nouveau ballon captif à vapeur, et d’incessantes études lui ont permis de concevoir un appareil qui, par ses proportions gigantesques, par ses dispositions ingénieuses, savamment conçues, aussi bien que par sa puissance exceptionnelle et sa solidité à toute épreuve, sera, incontestablement, la plus grande merveille mécanique du Champ-de-Mars.
L’inventeur de l’injecteur a bien voulu me faire l’honneur de me choisir comme son représentant pour soumettre aux organisateurs de l’Exposition internationale de 1878 les plans relatifs à cette construction grandiose.
Après avoir fait les demandes nécessaires et avoir rencontré partout l’accueil le plus encourageant, nous croyons devoir publier quelques détails précis destinés à faire connaître d’une façon plus complète ce que sera cette vaste entreprise. Le ballon captif à vapeur de M. Henry Giffard sera formé d’une étoffe résistante, solide, absolument imperméable au gaz hydrogène, fabriquée au moyen de toiles et de feuilles de caoutchouc alternativement superposées, protégée extérieurement par plusieurs couches de vernis et revêtue d’une peinture blanche pour amoindrir les effets des rayons solaires. Ce ballon cubera environ 20 000 mètres ; il formera une sphère immense, la plus grande qui ait jamais été faite et dont le diamètre n’aura pas moins de 34 mètres. Il sera muni à sa partie supérieure et à sa partie inférieure de deux vastes soupapes. Celle du haut pourra être ouverte par les aéronautes dans la nacelle, celle du bas s’ouvrira automatiquement, pour laisser écouler le gaz quand il se dilatera. L’aérostat, amarré à terre, formera au-dessus du sol un dôme monumental, de 50 mètres de hauteur, dépassant de 5 mètres le couronnement de l’Arc-de-Triomphe de Paris.
Pour joindre les fuseaux de ce ballon, qui pèsera près de 4 000 kilogrammes, il faudra exécuter environ six kilomètres de couture. Les cordes du filet auront une longueur totale de trente-cinq kilomètres
et un poids de 3 000 kilogr. Le filet, terminé à sa partie inférieure par une série de pattes d’oie et de poulies, sera attaché par 6 cordes à un cercle métallique capable de résister dans tous les sens à des tractions de 100 000 kilogrammes. Ce premier cercle sera relié à un second situé à un niveau inférieur et autour duquel s’attacheront les cordes de la nacelle.
La nacelle formera une galerie circulaire de 15 mètres de circonférence ; un espace annulaire central de 3 mètres de diamètre y sera ménagé ; c’est au centre de cet espace que le câble, corde puissante de 25 centimètres de circonférence, se reliera au cercle supérieur, par l’intermédiaire d’un peson, muni de cadrans verticaux, où des aiguilles indiqueront constamment la force ascensionnelle de l’aérostat. La galerie circulaire sera pourvue d’un double fond, où seront, emprisonnés 3 000 kilogr. de guides-rope, de lest, d’ancres et de grappins.
L’aérostat sera fixé à terre par huit câbles, attachés à des anneaux de fer scellés dans un mur de maçonnerie ; la nacelle se trouvera suspendue au-dessus d’une vaste cuvette conique. On montera dans la galerie par l’intermédiaire de deux passerelles mobiles, comme cela se pratique habituellement dans les ports pour se rendre à bord des bateaux à vapeur. Quarante à cinquante personnes pourront prendre place à chaque ascension.
Le câble descendra au fond de la cuvette, il s’enroulent autour d’une poulie métallique montée sur une suspension à la Cardan qui sera un modèle d’élégance et de sûreté ; puis il circulera dans un tunnel de 50 mètres d’étendue et viendra s’enrouler autour d’un treuil de fonte de 2 mètres de diamètre, de 7 mètres de longueur, commandé par deux roues d’engrenage de 3m,50 de diamètre, qu’une machine à vapeur de 200 chevaux mettra en mouvement par l’intermédiaire d’un pignon de petit diamètre (0m,25). Cette machine, à 4 cylindres de 0m,26 de diamètre et de 0m,30 de course, pourra travailler jusqu’à 9 ou 10 atmosphères. Le câble aura 550 mètres de longueur ; il ne pèsera pas moins de 2 500 kilogrammes. L’excédant de la force ascensionnelle ordinaire de l’aérostat, avec les voyageurs, sera de 5 000 kilogrammes, double du poids du câble.
Le ballon captif sera situé au milieu d’une enceinte circulaire de 100 mètres de diamètre ; des treuils, placés de distance en distance sur la circonférence, serviront pendant le gonflement, à attacher les cordes fixées à l’équateur de l’immense sphère aérostatique. Le ballon ne sera plus entouré, comme en 1867, d’une charpente circulaire couverte de toiles et formant un tableau peu gracieux ; il dominera les jardins élégants, dont on pourra couvrir son enceinte, et formera le dôme le plus élevé de toutes les constructions du Champ de Mars.
M. Henry Giffard donnera à ce matériel une telle puissance, que l’aérostat amarré à terre pourra, d’après des calculs certains, résister impunément à l’action de vents de 50 à 60 mètres à la seconde. Le ballon ne serait pas endommagé par le souffle des typhons de la mer des Indes, à plus forte raison résistera-t-il aux coups de vent plus cléments de nos climats. Le câble qui dans aucun cas pendant les ascensions n’aura à supporter des tractions supérieures à 10 000 kilogrammes, sera éprouvé tous les quinze jours à l’aide des machines montées à une pression plus élevée que dans le service courant (8 atmosphères au lieu de 5) et soumis dans toute son étendue à un effort bien supérieur à celui qu’il supportera dans l’atmosphère.
Les précautions prises pour vérifier constamment l’état du matériel tout entier rendront illusoire la crainte de tout accident. Nous rappellerons d’ailleurs que le ballon captif de 1867 a fonctionné précédemment sans la moindre mésaventure.
Les appareils à gaz, destinés à remplir le ballon captif et à lui donner une force ascensionnelle capable d’enlever une locomotive de nos chemins de fer, seront formés de cylindres garnis de plomb, enfouis sous terre ; on les remplira de tournure de fer. En ouvrant un simple robinet, on y fera tomber de l’acide sulfurique qui se mélangera automatiquement avec dix fois son volume d’eau. Le gaz hydrogène dégagé arrivera dans le ballon par un tuyau souterrain, après avoir traversé des épurateurs destinés à le sécher et à le purifier. Le liquide chargé de sulfate de fer, résultant de la réaction, sera déversé au dehors par des conduites souterraines. Le gonflement du ballon captif exigera une consommation de plus de cinquante mille kilogrammes de tournure de fer, de plus de cent mille kilogrammes d’acide sulfurique et durera environ 48 heures.
Nous ferions injure à nos lecteurs si nous supposions qu’il soit nécessaire d’insister longuement sur l’importance du merveilleux matériel que nous venons de décrire, et sur les avantages qu’il peut offrir à des points de vue très-divers.
Les grands spectacles aériens n’ont pu être admirés jusqu’ici que par un petit nombre de voyageurs, qui n’ont pas craint d’affronter les aventures du ballon libre. Avec le ballon captif, plus de 200 000 visiteurs pourront être enlevés à 500 mètres au-dessus du sol, pendant la durée de l’Exposition. Ils contempleront à une hauteur qui dépassera celle de onze arcs de triomphe superposés l’imposant tableau de la ville de Paris, et ils verront que les scènes décrites par les aéronautes ne sont pas des peintures exagérées.
L’époque de la construction d’un matériel aérostatique si puissant comptera comme une date mémorable dans les annales de la navigation aérienne. M. Giffard, en effet, en enfermant 20 000 mètres cubes d’hydrogène, dans une enveloppe imperméable, en mettant au jour un aérostat qui sera aux ballons ordinaires ce qu’un navire transatlantique est à une méchante barque de pêcheur, aura singulièrement rapproché le moment où planera dans l’espace le navire aérien dirigeable, qui nécessite, comme on le sait, un grand volume et une grande puissance.
Nous parlions récemment ici même de la mémorable journée du 22 août, où les savants les plus éminents de la France et de l’étranger inauguraient avec éclat l’observatoire météorologique du Puy-de-Dôme ; l’inauguration du ballon captif à vapeur de M. Giffard sera aussi une fête pour la science, car ce magnifique appareil pourra être pourvu de tous les instruments que nécessitent les observations météorologiques ; une partie de la nacelle sera disposée pour constituer un véritable cabinet de physique aérien.
Le ballon captif à vapeur pourrait trouver sa place au centre du grand parc de l’Exposition de 1878, entre le palais et le pont d’Iéna. On y circulerait tout autour par une allée, et l’enceinte qui lui serait réservée se transformerait, comme nous l’avons dit, en un lieu de repos : le visiteur y trouverait des jardins, des tentes élégantes où il serait commodément assis, il y jouirait mieux des harmonies de l’orchestre qui se fait entendre habituellement aux heures de la promenade, en certains points des expositions.
M. Henry Giffard, que ses découvertes ont fait riche, et que la fortune n’a pas détourné des grandes et belles entreprises, propose de construire à ses frais ce matériel immense. Le grand ballon captif de 1878 coûtera plusieurs centaines de mille francs, somme insignifiante, du reste, eu égard aux ressources de l’inventeur. Une œuvre si hardie et si étonnante ne manquera pas de faire honneur aux organisateurs de l’Exposition Internationale de 1878, aussi bien qu’à la Ville de Paris et à la science française.