Projet de restauration de Notre-Dame de Paris/Deuxième Partie

La bibliothèque libre.

Deuxième Partie.
Description historique de la cathédrale de Paris, depuis l’époque de sa construction jusqu’à nos jours.

Ainsi que nous venons d’avoir l’honneur de le dire, monsieur le Ministre, cette partie importante et difficile de notre travail a nécessité le dépouillement de tous les textes, de tous les renseignemens graphiques et historiques relatifs à la cathédrale de Paris, mais c’est surtout par l’étude sérieuse du monument, par l’examen archéologique des formes qui le caractérisent, qu’il était possible d’arriver à connaissance parfaite des différentes phases de sa construction.

Il fallait que cette analyse minutieuse vint expliquer, compléter, et souvent même rectifier les opinions résultant de l’examen des textes seuls ; car souvent un texte peut se prêter à des interprétations diverses, ou paraître inintelligible, tandis que les caractères archéologiques sont là, comme autant de dates irrécusables, gravées sur l’ensemble et jusque sur les moindres détails du monument.

Il suffira de citer un exemple bien frappant, pris dans le monument même qui fait l’objet de ce travail. Si l’on s’en rapportait seulement aux textes, il faudrait admettre que la porte rouge, côté du nord, a été bâtie dans le XVe siècle. Or, cette porte est évidemment du XIVe, et du commencement. Le caractère de son architecture, et la vigueur de l’ornementation ne permettent aucun doute à cet égard. Dans cette immense cathédrale, on distingue trois grandes époques, et cependant les adjonctions qui, pendant trois siècles, sont venues se souder aux premières constructions, n’ont pas ôté à l’édifice une certaine unité, une grandeur de conception bien rares dans des monumens élevés avec tant de lenteur.

La partie la plus ancienne de l’église Notre-Dame est bâtie par Maurice de Sully, dans la seconde moitié du XIIe siècle ; avant lui, les constructions n’étaient arrivées qu’au niveau du sol. Cet évêque employa toute sa fortune à la construction du chœur et d’une partie de la nef.

Plusieurs auteurs[1] et la tradition disent que Notre-Dame est bâtie sur pilotis, et cependant, en 1699, des fouilles faites à l’occasion de la construction du tour du chœur en marbre, et du maître-autel, prouvèrent que cette opinion est erronée[2]. Ce qui fut encore confirmé par d’autres fouilles exécutées en 1774[3].

Maurice de Sully, qui mourut en 1196, laissa 5,000 livres pour couvrir le chœur en plomb ; ainsi, à cette époque, le chœur était entièrement terminé. Après lui, les constructions furent heureusement continuées suivant les premières dispositions, pendant assez de temps pour permettre l’achêvement du vaisseau.

L’église de Maurice de Sully forme comme le noyau de la cathédrale de Paris, et il est facile encore de la distinguer malgré la richesse de la décoration dont les XIIIe et XIVe siècles sont venus l’envelopper. Ainsi que nous le prouvons plus loin, c’est aux premières années du XIIIe siècle que l’on doit faire remonter la construction de la magnifique façade occidentale, celle des éperons et des galeries de la nef, ainsi que l’arrangement des grandes fenêtres, et c’est encore dans la seconde moitié de ce siècle que furent ajoutées les chapelles de la nef. Enfin les deux façades des transcepts, les chapelles du chœur, et une grande partie des arcs-boutans appartiennent au XIVe siècle.

Un fait assez rare et qui peut être observé à Notre-Dame, c’est que les XVe, XVIe et XVIIe siècles n’ont rien ajouté à cette église déjà complète.

Les grosses colonnes rondes intérieures, les galeries supérieures du chœur et les grandes parties de murs élevés sur ces galeries appartiennent à la construction primitive. Alors ces murs étaient percés de fenêtres beaucoup moins longues que celles qu’on y voit aujourd’hui, quoi qu’elles aient conservé leurs colonnettes et arcs anciens. Deux de ces fenêtres à doubles biseaux se voient encore à l’entrée de la nef. Par leur élévation au-dessus des galeries, elles avaient permis la construction d’un comble d’une seule pente, dont on voit encore la trace le long du mur de la tour ; les filets et les jets d’eau existent encore sur toute la face méridionale, et les deux grands éperons qui viennent maintenir les deux extrémités du transcept étaient destinés, en même temps qu’ils contrebutaient, à former les pignons de ces combles. Les grandes fenêtres que l’on y voit les éclairaient ainsi que les galeries. Cette disposition, plus simple que celle actuelle, laissait intérieurement au-dessus de l’arcature des galeries supérieures, un grand espace vide destiné peut-être à recevoir des peintures.

Le chœur conserve, au-dessous de la corniche actuelle, une large ceinture de damiers qui tiennent à la construction primitive. Quant aux arcs-boutans, ils étaient probablement comme les deux qui existent encore contre les murs du chœur, côté du midi, couvert de dalles, ornés d’une dentelure peu saillante. Soit que les fonds aient manqué, soit que l’architecte ait, après la mort de Maurice de Sully, changé la disposition première, les galeries supérieures n’ont pas été terminées.

Des arcs doubleaux, engagés dans les murs qui les ferment aujourd’hui, feraient penser que ces galeries devaient être doubles comme les bas-côtés ; quoi qu’il en soit, elles ont été bouchées provisoirement, et avec assez peu de soin, lorsque dans le XIIIe siècle les travaux furent repris avec une grande activité.

Du reste, il y a cela de remarquable dans cette première construction de l’église Notre-Dame, depuis 1161 jusqu’en 1196, mort de Maurice, que pendant cette période on peut suivre une des transitions les plus curieuses de l’art chrétien.

Le chœur, par lequel l’évêque fondateur commença son œuvre, est encore empreint du caractère roman, et la nef construite à la fin de sa vie, ou peu de temps après sa mort, est déjà soumise au goût gothique.

Un fait intéressant nous donne la date de la construction de la belle façade occidentale.

Lebœuf nous apprend que c’est en 1218 que l’on abattit la vieille église St-Étienne, qui gênait la construction de la partie méridionale de la nouvelle basilique, et que le bas-relief du tympan de la porte Ste-Anne, sur la façade de Notre-Dame, provient de cette vieille église, ainsi que les statues qui décoraient le parvis de cette porte avant 1793[4].

L’année de la démolition de l’église Saint-Étienne, et le replacement des sculptures qui la décoraient, à la porte Sainte-Anne, nous donnent la date positive de la construction de la façade occidentale de Notre-Dame, ce qui du reste s’accorde parfaitement avec le caractère architectonique de cette façade. Malheureusement, des statues si curieuses, qui ornaient cette porte, il ne reste plus que celle de Saint-Marcel, restaurée maladroitement en 1818.

Nous pouvons donc regarder la façade occidentale de la cathédrale de Paris comme bâtie dans la première moitié du XIIIe siècle ; son style est plein de grandeur et d’unité ; la similitude des profils qui la décorent depuis le bas jusqu’au sommet des tours, ne peut pas laisser douter qu’elle n’ait été construite d’un seul jet, et sans interruption. Cependant les tours restèrent inachevées, les flèches en pierre qui devaient les terminer, et dont on voit parfaitement la naissance dans la construction intérieure, ne furent pas élevées.

Le style particulier à cette façade se retrouve encore dans la grande corniche qui pourtourne l’édifice, et dans les éperons de la nef.

La flêche en bois, revêtue de plomb, qui s’élevait sur le comble au milieu du transcept, devait être aussi, d’après les dessins et gravures qui seuls peuvent nous en donner une idée, de l’époque de la façade, ainsi que toute la charpente du grand comble. Un chapiteau fort curieux, taillé dans le poinçon qui existe encore au centre de la souche de cette flêche, suffit pour fixer d’une manière précise l’époque de sa construction, ainsi celle de la charpente, évidemment du XIIIe siècle. Cette flêche, qui contenait six cloches, fut détruite en 1793.

C’est après la construction de la façade occidentale, et vers le milieu du XIIIe siècle que des modifications graves furent apportées à la basilique de Maurice de Sully. Les fenêtres de la nef et du chœur, dont nous avons déjà parlé, furent alors élargies et allongées jusque sur l’arcature des galeries, et des meneaux furent placés dans ces fenêtres avec assez peu de goût. Cette nouvelle disposition eut cela de fâcheux, qu’elle fit substituer aux combles simples qui couvraient les galeries des terrasses avec doubles cheneaux, qui entretiennent une humidité constante sur les voûtes.

Là commencent déjà les mutilations innombrables que Notre-Dame a subies depuis, car ces grandes fenêtres ogivales, non concentriques avec les anciennes, outre qu’elles ne sont pas en proportion avec tout ce qui les entoure, sont une cause de ruine pour l’édifice, et à laquelle il est difficile d’apporter un remède efficace.

Soit que les portails des transcepts n’aient pas été achevés ou même construits par Maurice de Sully, soit que leur décoration ne fût plus dans le goût du XIIIe siècle, soit que les fenêtres de la nef et du chœur ayant déjà été agrandies, fissent paraître trop petits les jours du transcept, c’est en 1257, sous le règne de Saint-Louis, que Regnault de Corbeil, évêque de Paris, fit élever ou refaire par maître Jean de Chelles le portail méridional du transcept, ainsi que le constate l’inscription curieuse que l’on y voit encore, malgré toutes les mutilations qu’elle subit chaque jour[5]. Tout le premier système d’architecture fut modifié, et des roses furent substituées aux fenêtres.

Jusqu’en 1270, les bas côtés de la cathédrale n’étaient pas ornés de chapelles, cette disposition plus simple et plus grandiose fut abandonnée à cette époque. Jean de Paris, archidiacre de Soissons, mort vers 1270, légua cent livres tournois pour élever ces chapelles[6] qui furent construites entre les contreforts, et ornées extérieurement de pignons et statues[7]. Il est probable que les chapelles qui sont au commencement du chœur furent construites, sinon à la même époque que celles des bas-côtés de la nef, du moins peu de temps après celles-ci, car elles présentent les mêmes caractères.

Le portail septentrional fut bâti cinquante ans après celui du midi, c’est-à-dire vers l’an 1312 ou 1313. Philippe-le-Bel employa à sa construction une partie des biens des Templiers, après la suppression de l’ordre. Ainsi que nous l’avons dit plus haut, la construction de la porte rouge doit être de cette époque, quoique le docteur Grancolas dans son histoire abrégée de l’église et de l’université de Paris, prétende qu’elle ait été bâtie par Jean-Sans-Peur, depuis 1404 jusqu’en 1419 :

Les chapelles qui font le tour du chœur ainsi que les fenêtres qui décorent la galerie supérieure dans cette partie de l’édifice sont du commencement du XIVe siècle. Cette époque fit pour les fenêtres de la galerie ce qui avait été fait dans le XIIIe siècle pour les grandes fenêtres ; et tous les inconvéniens causés par les eaux pluviales sur les galeries supérieures, se reproduisent sur les voûtes des chapelles du chœur. Les actes de fondation de quelques-unes de ces chapelles, faits en 1324, donnent l’époque de leur fondation, qui s’accordent parfaitement avec leur caractère archéologique[8].

Intérieurement, les XIIe et XIIIe siècle dominent, l’importance de la nef laisse à peine apercevoir toutes les constructions faites dans le XIVe siècle.

Il ne reste plus aujourd’hui qu’une partie des bas-reliefs qui ornaient le tour du chœur, ceux qui se trouvaient dans le rond-point ont été détruits ainsi que le jubé qui en fermait l’entrée. Une inscription placée du côté du nord, au-dessus d’une figure d’homme à genoux, donnait la date de cette charmante imagerie[9].

Le père Dubreul nous donne des renseignemens curieux sur cette partie intéressante de l’ornementation de Notre-Dame, dont il ne reste que les portions adossées aux stalles[10].

Il existe un procès-verbal, daté de 1699, de la démolition de l’ancien autel qui indique d’une manière fort exacte la disposition si intéressante de cet autel, de ce qui l’entourait, sa décoration, et jusqu’aux plus menus détails. Ce procès-verbal décrit aussi très minutieusement et la châsse de Saint-Marcel, qui était placée derrière le maître-autel avec son riche dais supporté par quatre colonnes de cuivre, et le petit autel des ardens, placé derrière cette châsse[11].

Trois siècles avaient travaillé à l’achèvement de cette reine des cathédrales de France, trois siècles avaient jeté dans ce grand monument tout ce qu’ils avaient pu réunir de plus riche ; tout leur art, toute leur science. Trois siècles enfin étaient parvenus à parfaire l’œuvre commencée par le pieux évêque Maurice de Sully. Le monument était complet. Pourquoi ne pas l’avoir conservé ainsi ? À partir du XIIIe siècle ce n’est plus, pour l’église Notre-Dame, qu’une suite de mutilations, de changemens sous prétexte d’embellissemens.

De cette époque, ce ne sont plus tant les intempéries des saisons qui détruisent une si belle œuvre que la main des hommes.

Lorsqu’on énumère cette suite de destructions, on ne comprend pas comment il reste encore de si beaux vestiges de l’ancien édifice. Nous allons passer rapidement sur tous ces actes de vandalisme que notre époque veut enfin réparer.

En 1507, le parlement ordonna que la rue qui conduit du pont Notre-Dame au Petit-Pont, serait remblayée jusqu’à dix pieds de hauteur, attendu qu’il fallait trop descendre pour arriver à Notre-Dame, et trop monter pour y entrer[12]. Ainsi furent enterrées les 13 marches qui précédaient les portes de la façade occidentale. Peu après, le sol du parvis finit par atteindre celui de l’église, et même par le dépasser. En 1699, l’exécution par Louis XIV du vœu de Louis XIII, fit détruire les bas-reliefs du rond-point, l’ancien maître-autel, les stalles en boiseries du XIVe siècle, le dais de la châsse Saint-Marcel et l’autel des ardens. Cette charmante décoration, dont quelques rares dessins, tapisseries et gravures nous ont laissé l’aspect, fut remplacée par la lourde architecture qui nous cache les belles colonnes du chœur. En 1725, le cardinal de Noailles fit refaire intérieurement la rose, une partie du pignon et les clochetons du côté du midi, en modifiant tous les profils et ornemens.

Ce prélat, plein d’un zèle fatal au monument, fit abattre les saillies et gargouilles qui ornaient les contreforts, et qui servaient à jeter les eaux pluviales ; il les fit remplacer par des tuyaux en plomb.

L’ancien jubé, dont l’ensemble est indiqué dans une gravure de Viator et quelques fragmens dans un dessin curieux[13], fut détruit par le cardinal de Noailles, qui le fit remplacer par une lourde décoration dont la révolution de 1789 a fait justice. C’est à cette époque que l’église fut badigeonnée pour la première fois ! Cet archevêque de Paris, nous devons lui rendre cette justice, ne borna pas ses soins à embellir, suivant le goût de son époque, l’église de Notre-Dame. En 1726, il fit refaire toute la couverture en plomb[14], quelques parties de la grande charpente plusieurs arcs-boutans, les galeries, terrasses, et reconstruire la grande voûte de la croisée qui menaçait ruine.

En 1741, les vitraux peints des fenêtres de la nef, qui représentaient des évêques et personnages de l’ancien testament, furent détruits. En 1753, on enleva également ceux du sanctuaire qui représentaient le Christ entre la Vierge et saint Jean-Baptiste.

Le chapitre de Notre-Dame fit briser ces verrières, dont le père Dubreul parle comme d’une merveille ; ce fut un certain Le Viel, maître-vitrier, fort versé dans la théorie de la peinture sur verre, auteur d’un Traité pratique et historique sur cet art[15], qui fut chargé de remplacer cette magnifique décoration par des verres blancs, entourés de bordures fleurdelisées. Nous ne savons si le sieur Le Viel comprenait ainsi la partie pratique et historique de son art ; mais ce qu’il y a de curieux, c’est que ce malheureux ouvrier fut tellement satisfait de son œuvre de destruction, qu’il peignit sur l’une des verrières une longue inscription latine, dans laquelle il dit pompeusement que les vitraux ont été refaits en verres blancs de France, et les bordures en verres bleus de Bohême ; il termine ainsi : « Le tout fait et peint par Pierre et Jean Le Viel frères, maîtres-vitriers à Paris. »

Nous ne comprenons pas ce que le mot peint peut avoir à faire ici. Cet acte de barbarie fut malheureusement répété bien des fois, à cette époque, dans nos cathédrales. Les chapitres voulurent trouver leurs églises trop sombres ; à Chartres, à Paris, à Reims, et dans cent autres édifices, les verres blancs remplacèrent les verrières peintes, et le badigeonnage acheva d’enlever à nos temples leur mystérieuse obscurité. Mais, à Notre-Dame, on ne se contenta pas de briser les vitraux ; les meneaux des grandes croisées furent encore recoupés, retaillés de la façon la plus déplorable, sans doute pour donner plus d’éclat et de développement aux nouveaux vitraux peints des sieurs Leviel.

Ce fut cependant peu de temps après cette dernière destruction que fut enlevé le curieux vitrail du XIVe siècle, placé dans la chapelle d’Harcourt[16].

Nous voici arrivés à l’une des mutilations les plus importantes de l’église Notre-Dame ; nous voulons parler de celle qu’a subie la porte principale du portail actuel. Ce fut le 1er juillet 1771 que Soufflot posa la première pierre de la nouvelle construction, chose monstrueuse qui coûta la destruction de la figure du Christ, posée sur le trumeau du milieu, et d’une partie du beau bas-relief représentant le Jugement dernier. Cet architecte avait déjà marqué son passage à Notre-Dame, en 1756, par la construction de la nouvelle sacristie, qui vient si lourdement s’accoler aux chapelles méridionales de la cathédrale. C’est vers la même époque, en 1766, que fut construite la grande cave pratiquée sous la nef depuis les piliers de la tour jusqu’à ceux du transcept. En 1772, le chapitre fait restaurer à ses frais plusieurs des figures qui décorent les voussures de la porte de la Vierge, sur la façade occidentale[17]. À partir de cette époque, les destructions deviennent si fréquentes jusqu’à nos jours, que nous avons peiné à les classer.

Le dallage du chœur est remplacé de 1769 à 1775, ainsi que celui de la nef et des bas-côtés. En faisant cette opération, on élève le sol de l’église, et les bases des colonnes sont plaquées en marbre de Languedoc. Déjà, en 1699, en fondant le maître-autel, on avait constaté l’existence de deux dallages superposés, dont l’un était composé de petits carreaux octogones en marbre blanc ; ainsi, le sol actuel de l’église doit être beaucoup plus élevé que l’ancien. C’est en 1771 que fut posée la grille qui se voyait devant le portail occidental.

En 1773, l’architecte Boulland supprime toute la décoration du mur des chapelles de la nef, du côté méridional, et la remplace par un mur lisse surmonté d’un cheneau[18].

En 1780, on badigeonne de nouveau toute l’église, et la statue colossale de saint Christophe, placée devant le premier pilier à droite en entrant, est enlevée et détruite.

En 1782, le chapitre fait remplacer le petit pavé de grès qui formait le sol de la galerie de la Vierge par un dallage en liais ; puis les arcs-boutans du chœur, du côté du midi, sont engagés dans une lourde maçonnerie qui, faite dans le but de les consolider, les entraîne vers une ruine certaine.

En 1787, la façade occidentale[19] est livrée à un sieur Parvy, architecte, qui imagina un moyen de restauration fort simple : il prit le parti de couper toutes les saillies, gargouilles, moulures, colonnes mêmes, chapiteaux, enfin, tout ce qui pouvait présenter quelques difficultés à réparer. Cet architecte parvint encore à enlever à la grande galerie à jour toute son élégance, en bouchant les trèfles de son arcature avec de mauvaises dalles. Ce fut lui qui fit couper à vif tous les ornemens et moulures qui décoraient la grande rose de cette façade ; qui reconstruisit, en la dénaturant, l’une des galeries de la cour des réservoirs, et qui, par une raison impossible à deviner, transforma toute l’arcature de la grande galerie, du côté de cette cour, en un parement lisse.

Ces dévastations n’étaient que le prélude de celles que la révolution de 1789 devait faire subir à Notre-Dame de Paris.

Des câbles, attachés aux statues de rois qui décoraient la galerie occidentale, les arrachèrent de leurs niches séculaires. Les saints, les apôtres des façades, furent jetés sur la place. Un grand nombre de ces débris resta long-temps après la révolution amoncelé le long des chapelles du nord. Les statues du portail méridional furent ensevelies pour servir de bornes rue de la Santé. L’un de nous en constata l’existence en décembre 1839, et les fit transporter, aux frais de la ville, au Palais des Thermes.

Les sépultures et monumens votifs intérieurs furent brisés et enlevés. Quelques-uns de ces fragmens, déposés au musée des Petits-Augustins, furent, depuis, transportés à Saint-Denis et à Versailles. Il serait peut-être à désirer que ces objets fussent rendus à la cathédrale dépouillée ; dans tous les cas, nous en donnons ici une note exacte[20].

Tout le sol du chœur était pavé de tombes de cuivre très remarquables ; elles furent détruites et fondues, ainsi que la curieuse statue

équestre de Philippe-le-Bel[21]. Les cercueils en plomb servirent à faire des balles ; enfin, le trésor[22], dont il ne reste que quelques morceaux, fut jeté dans le creuset de la Monnaie ou dispersé.

Retracer toutes ces dévastations est une chose impossible ; et, d’ailleurs, qui ne se les rappelle ou n’a entendu les raconter cent fois ?

La belle flèche en bois du XIIIe siècle ne résista pas à l’orage révolutionnaire, elle fut abattue, les plombs fondus, et aujourd’hui le milieu du transcept n’en laisse plus voir que la souche mutilée. La vieille basilique chrétienne, ainsi dépouillée de tout ce que la religion y avait réuni pendant six cents ans, devint un temple à la Raison.

Depuis cette époque, des modifications sérieuses furent encore apportées aux anciennes constructions. En 1809, un jubé en marbre, orné d’abeilles de bronze doré, et des grilles d’une belle exécution, en fer poli, et enrichies de cuivre, furent posées autour et devant le chœur. En 1811, on fit placer à toutes les fenêtres des chapelles des grilles en fer, qui masquent les meneaux de la manière la plus fâcheuse.

En 1812 et 1813, le mur des chapelles de la nef, côté septentrional, fut refait, les pignons en mauvais état furent remplacés par des frontons qui n’appartiennent à aucune époque. La corniche ancienne fut déposée et reposée dans de nouvelles conditions ; les gargouilles supprimées et remplacées par des tuyaux de descente, les arcatures des fenêtres coupées à vif et modifiées, les gargouilles des piscines brisées, et les murs incrustés de pierres neuves. Le portail du nord ne fut pas plus respecté, des restaurations sans nom modifièrent entièrement le caractère de son ornementation. Cette façade est aujourd’hui d’un effet déplorable.

En 1817, un des arcs-boutans du chœur, côté du midi, est restauré à neuf, sans tenir compte de l’ancien appareil.

En 1818, la chapelle de l’extrémité du chœur est modifiée, la fenêtre centrale est bouchée par une niche portée extérieurement sur une trompe. Ce changement fait à l’abside, au point le plus en vue, est une tache choquante sur la gracieuse ceinture des chapelles qui entourent le chœur.

C’est à la même époque, en nettoyant les figures de la porte de la Vierge, que l’on découvrit des traces de peinture et de dorure parfaitement conservées[23].

En 1819, la chapelle de la Vierge est décorée ; elle se composait de trois chapelles dédiées à saint Louis, à saint Rigobert, et à saint Nicaise. Dans cette dernière se voyait l’apothéose de saint Nicaise, peinte sur le mur. Cette peinture a été détruite, ou peut-être cachée seulement par le badigeon. À l’entrée de cette chapelle se voyait la statue de Matiffas de Bucy, évêque de Paris, puis de Soissons. Cette statue, exhumée depuis peu des caveaux de la sacristie, était placée sur un socle orné d’une inscription.

En 1820, le département de la Seine alloue 50 000 fr. à la restauration de Notre-Dame, mais malheureusement cette somme est dépensée à faire des reprises en mastic de Dhil, qui aujourd’hui sont tombées presque partout, et à badigeonner de nouveau tout l’intérieur de l’église.

En 1831 les émeutes du mois de février détruisent l’archevêché et la vieille chapelle de l’ancien évêché.

La croix du chevet est renversée, elle brise en tombant une portion de la balustrade du grand comble, et défonce une voûte des galeries supérieures. L’un des auteurs de cet acte de vandalisme a écrit son nom sur le mur de la galerie intérieurement, avec ses qualités et la constatation du fait.

La démolition de l’archevêché entraîna avec elle la mutilation du portail du midi, si remarquable par ses bas-reliefs et son inscription.

L’état d’abandon dans lequel resta si long-temps cette partie de Notre-Dame, excita l’indignation de tous les amis de nos beaux édifices du moyen-âge. Les murs de cette façade devinrent un dépôt d’immondices, et les enfans brisèrent à coups de pierres les bas-reliefs de ce portail, que le temps avait respectés l’espace de six cents ans.

En 1837, par l’intervention de l’administration de l’intérieur, des cultes, et de l’instruction publique, et sur le rapport de l’un de nous, le remblai du jardin du côté du midi fut suspendu, et la préfecture de la Seine fit faire une nouvelle étude du nivellement.

Enfin, c’est en 1840 que furent exécutés les derniers essais de restauration en mastic des clochetons du nord et de la première chapelle de la nef, côté méridional. Malheureusement au lieu de chercher à rétablir les pignons aigus qui existaient dans l’origine, on s’est contenté de copier les lourds frontons ajoutés sur la face du nord en 1812 et 1813.


  1. Corrozet.
  2. « Est à noter que la fondation où sont les piliers qui portent les arcades et le mur en pourtour du chœur de l’église Notre-Dame, a dix-huit pieds de profondeur au-dessous de leurs bases qui sont enterrées six pouces plus bas que le rez-de-chaussée du pavé de la même église, posées sur la glaise ferme, sans pilotis ni plates formes, construites par le haut au-dessous du rez-de-chaussée avec trois assises de pierre de taille dure dans tout le pourtour d’une égale hauteur, et faisant retraite les unes sur les autres, posées et taillées proprement, et le surplus au-dessus de gros mœllons et mortier de chaux et sable plus dur que la pierre. » (Procès-verbal de la pose du maître-autel.)
  3. À cette époque (en 1774), le sieur Boullaud, architecte du chapitre, fit faire, derrière le chœur, une fouille de vingt-quatre pieds de profondeur et d’une grande longueur, et se trouva à un pied au-dessous des fondations, et découvrit sous chaque pilier trois assises égales de libages en pierre de Conflans, d’une grande hauteur, parfaitement conservées et posées sur terre franche. Entre les piliers, existe une bonne maçonnerie de moellon et de mortier.
  4. Ces statues, données par Montfaucon dans la monarchie française, comme celles des rois de France, étaient, ainsi que le disent très bien Lebœuf et Corrozet, celles des rois de Juda.
  5. ANNO. DOMINI. MCCLVII. MENSE. FEBRVARIO. IDUS. SECUNDO. HOC. FUIT. INCEPTUM. CHRISTI. GENITRICIS. HONORE. KALLENSI. LATHOMO. VIVENTE. JOHANNE. MAGISTRO.
  6. Lebœuf. Observations sur l’antiquité de l’édifice de Notre-Dame.
  7. Plan de Turgot. — Corrozet. (Voir les dessins, preuves à l’appui.)
  8. Dissertations sur l’Histoire ecclésiastique et civile de Paris, 1739, t. I, p. 75 et 112. — Nécrologie du XIIIe siècle. M. S., fonds de N.-D., Bibliot. du Roi, no 3883.
  9. C’est maître Jean Ravy, qui fut maçon de Notre-Dame de Paris l’espace de vingt-six ans, et commença ces nouvelles histoires ; et maître Jean Bouteillier les a parfaites en l’an MCCCLI.
  10. Le chœur de l’église Notre-Dame est clos d’un mur percé à jour autour du grand autel, au haut duquel sont représentés en grands personnages de pierre, dorés et bien peints, l’Histoire du Nouveau-Testament, et, plus bas, l’Histoire du Vieux-Testament, avec des écrits au-dessous qui expliquent lesdites histoires. Le grand Crucifix qui est au-dessus de la grande porte du chœur avec la croix, n’est que d’une pièce ; et le pied d’iceluy, fait en arcade, d’une autre seule pièce, qui sont deux chefs-d’œuvre de taille et de sculpture. (Dubreul. — Théâtre des antiquités de Paris.)
  11. Descriptions historiques des curiosités de l’église de Paris, par M. C. P. G., 1763. Paris.
  12. Sauval. — Histoire des Antiquités de Paris, t. I.
  13. Bib. royale. Estampes. — Topographie, et Artifices de la perspective, de Viator, trad. Pellegrin.
  14. Poids total du plomb : 220,240 livres.
  15. Curiosités de l’église de Paris, par M. C. P. G. 1763.
  16. Ce vitrail représentait la cour céleste des papes, des empereurs, des rois, des reines, des légats, des cardinaux, des archevêques, des évêques, des religieux et religieuses de différens ordres. Il n’en existe plus qu’une description dans les Curiosités de l’église de Paris
  17. Recueil des conclusions du Chapitre de 1767 à 1772.
  18. Ce travail coûta 40,000 livres.
  19. Description historique de la basilique métropolitaine de Paris, par A. P. M. Gilbert.
  20. Monumens enlevés de l’église Notre-Dame de Paris, transférés au musée des Petits-Augustins, leur destination actuelle. 1o Une pierre octogone ayant servi de support à une statue de l’évêque Matiffas de Bucy. Elle porte cette inscription :
    Ci est le ymage de bonne mémoire Simō

    Matiffas de Buci de le esveschie de Soissons jadis esveques de Paris par qui furent fondées premièrement ces trois chapeles ou il gist en lā de grace MCCXXIIII et XVI et puis lē fit toutes les autres envirn̄ le cœur de ceste eglise. Pies pour lui.

    La statue de l’évêque, posée debout sur ce support, ne s’est pas retrouvée ; mais la pierre, dont l’inscription vient d’être reproduite, est à Saint-Denis, dans la cour des Valois, où elle se dégrade. M. Debret la tient, depuis plusieurs mois, à la disposition du Ministre de l’Intérieur, afin qu’elle soit réintégrée à Notre-Dame.

    2o Une statue en pierre, de grandeur naturelle, représentant Adam. Cette figure est nue. Adam se couvre les parties sexuelles d’une large feuille de figuier.

    Monument de la fin du XIIIe siècle, provenant, suivant Lenoir, d’un des portails de Notre-Dame. La statue a été portée à Saint-Denis, où elle gît en ce moment couchée par terre dans la cour des Valois. Les déplacemens qu’elle a subis l’ont privée des deux jambes, qui existent encore, mais séparées du corps.

    3o Les deux statues à genoux, en pierre peinte, de Jean Juvenal des Ursins, et de sa femme, Michelle de Vitry. XVe siècle.

    Ces deux statues font maintenant partie du musée de Versailles.

    4o Inscription funéraire en l’honneur de la famille des Ursins, sur marbre blanc. XVIIIe siècle.

    Cette épitaphe, long-temps abandonnée dans une cour des Petits-Augustins, a été, dit-on, employée comme un marbre ordinaire pour servir de revêtement. Il pourrait se faire qu’elle eût été simplement retournée, et qu’une nouvelle inscription eût été gravée sur le revers de l’ancienne.

    5o La Figure agenouillée du chanoine Pierre de Fayel, avec ses armoiries, et une inscription indicative des sommes données par lui pour les sculptures de la clôture du chœur de Notre-Dame. XIVe siècle.

    Cette Figure, en demi-relief, qui faisait elle-même partie de la clôture du chœur, a été portée à Versailles. Elle n’a point encore été placée dans les galeries du musée, et se trouve au rez-de-chaussée, dans une salle de dépôt, près de la galerie des tableaux-plans.

    6o Une Mort, squelette d’albâtre, peint couleur de bronze, attribuée par Lenoir au sculpteur François Gentil. Ce monument, placé originairement au cimetière des Innocens, fut transféré à Notre-Dame, lors de la suppression du cimetière.

    La Mort tient une faulx, et s’appuie sur un cartel portant cette inscription :

    Il n’est vivant tant soit plein d’art
    Ni de force pour résistance,
    Que je ne frappe de mon dart
    Pour donner aux vers leur pitance.
    Priez Dieu pour les trépassés.

    La figure de la Mort est déposée au palais des Beaux-Arts, dans une des salles du rez-de-chaussée, au fond de la troisième cour, à droite en regardant l’hémicycle.

    7o Une Vierge en marbre blanc de grandeur naturelle. XIVe siècle.

    On ignore ce que ce monument est devenu.

    8o Le célèbre tableau représentant toute la famille des Ursins. XVe siècle.

    Ce tableau est au musée de Versailles, dans la première salle de la collection des portraits.

    9o Plusieurs Vierges en pierre peinte ont été transportées du musée des Petits-Augustins à Saint-Denis. Une de ces statues provenait de Notre-Dame.

    10o Statue en marbre, à genoux, du cardinal Pierre de Gondi, évêque de Paris, placée sur un entablement que portent quatre colonnes de marbre noir, au milieu desquelles on voit un grand cénotaphe de pareil marbre, chargé d’atributs et d’une inscription. XVIIe siècle.

    La Statue est à Versailles. Les autres parties du tombeau ont été dispersées, l’entablement se voit encore au Salon des Beaux-Arts, dans le cloître près de la chapelle. On fera remarquer à ce sujet que lors de la translation des monumens historiques de l’ancien musée des Petits-Augustins, à Versailles, on enleva un certain nombre de mausolées dont les statues ont seules reparu dans le nouveau musée, dépourvues de la décoration qui les accompagnait originairement. Pour citer quelques exemples, les armoiries, l’épitaphe, les pilastres du tombeau du cardinal Mazarin, la décoration architectorale du tombeau du commandant de Souvré, les épitaphes de Caylus et de Chérin, l’écusson, l’épitaphe et la tombe de Raymond Philippeaux, conseiller d’état, etc., etc., transférés à Versailles, n’ont pas été rétablis dans les galeries du musée.

    11o Statue en marbre blanc, à genoux, d’Albert de Gondi, duc de Retz, maréchal de France.

    Monument composé comme celui du cardinal de Gondi. XVIIe siècle.

    Même observation.

    L’effigie du maréchal fait partie du musée de Versailles.

    12o Louis XIV, à genoux, statue en marbre blanc, par Coyzevox.

    Rendu à Notre-Dame en 1816, enlevée en 1832, puis transportée dans la chapelle de Versailles.

    13o Louis XIII, à genoux, sculpté en marbre blanc, par Guillaume Coustou.

    Même observation que pour la statue de Louis XIV.

    14o Groupe de la descente de croix, par Nicolas Coustou.

    Réintégré à Notre-Dame.

    15o Mausolée du comte d’Harcourt, par Pigalle.

    Réintégré à Notre-Dame, maladroitement restauré.

    16o Le Christ au tombeau, bas-relief, par Vassé.

    À Notre-Dame, au maître-autel,

    17o Statues, en marbre blanc, de Saint-Louis et de Saint-Maurice, sculptées en marbre blanc, par Jacques Rousseau, pour la chapelle de Noailles, XVIIIe siècle.

    Ces figures ont été données à l’église de Choisy-le-Roy.

  21. Il existe aux Archives du royaume des dessins très complets et très bien exécutés de toutes ces tombes. M. Gilbert, conservateur de Notre-Dame, possède un dessin, peut-être unique, de la statue de Philippe-le-Bel.
  22. Voir aux Archives du royaume, les procès-verbaux détaillés de tous les objets qui composaient le trésor.
  23. Gilbert.