Promenade autour de la Grande Bretagne/L’Ecosse

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L’ECOSSE.


A QUELQUES milles de Berwick, on se trouve sur terre d’Ecosse, qui est separée dans cette partie, de la communauté de la ville par un fossé tel que ceux des champs, et plus loin par la Tweed et les Cheviots.

Apres avoir traversé des montagnes assez steriles, qui dans quelques endroits sont couvertes d’une espéce de jonc, avec un houppe de soye blanche, qui fait un fort bel effet sur la terre, et que je suis étonné, qu’on n’ait pas cherché a filer ; On rencontre sur le chemin de Berwick a Dunbar, une vallée étroite et profonde de pres de deux cents pieds, sur laquelle on a jetté un beau pont dont les piles sont bâties dans le ruisseau, qui coule au bas. Dunbar est une petite place ; les ruines de son chateau annonce qu’elle a été plus considerable autrefois. Ce fut pres de la, que Cromwell défit Charles II. au nom de Seigneur, a ce qu’il disait. Quoique j’eus une lettre pour cette ville, ne me trouvant pas fatigué, je continuai mon voyage, et vis a Haddington une foire, qui ressemblait assez a une foire Française ; il y avait des violons, differens instrumens de musique, des farces, et ces bonnes gens dansaient et s’amusaient de tout leur cœur.

Le pays depuis Dunbar jusqu’a Edinbourg est tres fertile ; et ce qui paraîtra singulier, la chaleur dans cette large vallée du Forth m’a semblé plus considerable qu’en Angleterre ; ce qui prouve que ce n’est pas seulement une idée c’est, qu’il y a dans les marchés, autant de fraises que sur le continent a cette époque, et pas beaucoup plus cher.

Edinbourg est une grande ville, et offre un aspect tres extraordinaire a l’étranger ; des maisons de dix, onze, douze étages ; des rues les unes sur les autres, les superieures jointes par de beaux ponts, tout cela fait un spectacle tres surprenant au premier coup d’œil.

La ville neuve, ou les gens riches habitent, est tres régulièrement bâtie, et a de tres beaux édifices ; quoique toutes les maisons ayent plus de nétteté que d’élegance elles se ressemblent presque toutes et tant pour l’intérieur que l’exterieur, semblent avoir été bâties sur le même plan ; on a suivi le gout Anglais, infiniment préférable pour l’agrément ; chacun a sa maison a lui seul, et les gens aisés n’ont jamais le trouble d’un voisin tumultueux au dessus de leur tête, ainsi qu’a Paris, dans toutes les villes de France, et même dans la vieille ville d’Edinbourg, qui est en général laide, sale, et mal batie. On en sera plainement convaincu, quant on saura qu’elle est située sur une colline entourée de deux villaines vallées, marécageuses, autrefois des lacs, l’un desquels a été seché il y a fort longtemps, et est a present bati : l’autre ne peut l’être entièrement, qu’en faisant un canal au milieu : des ruelles étroites de trois, quatre, ou cinq pieds, avec des maisons de sept a huit étages, déscendent presque a pic dans le lac qui a été désséché, et qui forme une rue qu’on appelle Cowgate, ou porte des vaches. Les maisons de cette rue sont certainement de très désagréables habitations, particulièrement les trois ou quatre premiers étages, mais elle parait bien extraordinaire, et a vraiment un coup d’œil unique du pont qui la traverse, juste a la hauteur du quatrieme étage.

Ce pont est d’une seule et large voûte ; de belles maisons ont été bâties des deux cotés, mais pas dessus, ce qui forme une rue dans l’alignement du pont du nord, qui traverse l’autre vallée, et qui joint l’ancienne et la nouvelle ville en face du beau bâtiment des Régistres. Ce dernier pont est vraiment magnifique ! A le voir de dessous les arches, on est étonné de leur hardiesse et de leur élévation ; mais malheureusement il n’y a pas d’eau dessous. Depuis le batiment du collège, qui n’est pas encore fini, et dont la batisse est arrêtée depuis quelque temps, toute cette partie de la ville, tant vieille que moderne, forme le plus beau quartier que j’aye vu dans aucune ville de l’Europe. Il est facheux seulement, que les habitans, ou les magistrats, soient assez insouciants pour laisser cette vilaine vallée qui separe les deux villes, inculte, et dans un état a faire honte même a un simple propriétaire a la campagne. Il semble qu’une ville aussi riche pourrait fournir a la dépense de la faire couvrir de terre végetable, et d’en faire un jardin public, ce qui serait d’autant plus convenable, qu’elle manque absolument de promenade dans l’intérieur, et n’en a d’autre que Prince-street, une longue rue de la nouvelle ville, exposé au midi, qui peut avoir en dirécte ligne trois quart de mille, et qui est juste sur le bord de la vallée dont je parle. On a de cette rue la vue de l’ancienne ville, et du chateau, dont l’irrégularité, joint a la hauteur des maisons, forme un coup d’œil singulier, mais qui pourrait être agréable, s’il était un peu plus soigné, si particulièrement le terrein inculte du coteau était couvert de plantations, ou de jardins, et les vieilles maisons en ruine entièrement abbatues. On apperçoit un tel gout pour les embéllisemens, qu’il n’y a pas de doute que ces défauts disparaitront bientot.

Cependant on doit dire que cette belle et réguliere nouvelle ville, a le défaut commun a toutes les villes si régulierement bâties, et habitées seulement par des gens riches, le manque de boutique la rend trille et peu animée ; c’est le défaut de Nancy en France, de Manheim en Allemagne, et de Turin. Des déblais des terreins pour la batisse des maisons, dans la nouvelle ville, on a fait une jettée immense, qui traverse la vallée, et qui peutetre eussent été mieux employés a en couvrir entièrement le fonds, en prenant la précaution de faire un canal au milieu, et en sa place un pont semblable a l’autre, sous les arches du quel, on eut pu continuer la promenade, et laisser un libre cours a l’air, a fin de chasser les vapeurs qui doivent s’élever de son fonda marecageux. Le chateau est situé a l’extrémité du même roc que la vieille ville, et ne peut être abordé que par la principale rue ; partout ailleurs, le roc est escarpé a l’hauteur d’a peu près deux cent pieds. Il domine la ville de toutes parts, et pourrait dans un moment la foudroyer, quoi qu’il ne puisse là defendre en aucune maniere, ce qui semble un assez mauvais voisinage, car si par quelque accident l’ennemi se présentait, le chateau seule ferait de la résistance, et on ne pourrait l’attaquer ou le défendre, sans la destruction de la ville.

Il y a dans cette direction entre l’océan et la mer Occidentale, plusieurs rochers isolés comme celui d’Edinbourg, dont le coté rapide se trouve toujours tourné a l’ouest, tandis que la montée est aisée de l’autre. Cela a induit beaucoup de gens a faire des conjectures antidiluviennes, aſſez curieuses, mais hors de propos. Cependant il est sur que le coté rapide de la plupart des montagnes d’Ecosse est l’ouest, et que cela, a certainement du être produit par une cause quélconque.

La cathédrale, ou du moins l'eglise qui en servait autrefois, est très vieille, mal située, et divisée en quatre paroisses distinctes, sans beaucoup de goût, a peupres comme toutes les églises d’Ecosse, qui sont surchargées de bancs, les uns sur les autres. Chaque famille a le sien, et il n’y a point de place pour le public, ni même pour l’etranger, ou l’homme d’une autre paroisse, s’il ne plait pas a un habitant de le recevoir dans le sien ; ils sont tous loués a l’année, et dans la plupart des églises, particulièrement chez les Dissenters, forment les appointements des ministres.

On vient de bâtir une renfermerie ou Bridewell, qui est le seul bâtiment que j’aye vu de ce genre. Les différentes loges, ou sont les prisonniers, sont formées en amphithéâtre de quatre étages autour d’une tour, et reçoivent le jour par un toit en verre. Le geôlier est dans la tour, qui voit s’ils s’occupent des ouvrages qui leur ont été distribués, et au pied est la chaire du ministre. L’ancien Parliament House, ou se tient a present la Cour de Session, n’a rien de remarquable quoique la grande salle en soit vaste. On voit, au dessus d’une porte, une belle statue, en marbre blanc, que le corps des Avocats fit ériger a un des juges, par réspest pour la mémoire ; et dans la place devant le bâtiment, une allez belle équéstre de Charle II.

Holyrood house, ou l’Abbaye, l’ancien palais des roys d’Ecosse, est un considérable bâtiment quarré, avec deux tours sur la façade, mais qui en tout n’a rien de bien remarquable, et même a du être une habitation désagréable, la cour de l’interieur étant très étroite et point aérée. On y montre quelques vieux os dans un cavot de la chapelle, dont le toit tomba, il y a près de trente ans, entr’autres le crane de Jacques Premier, roy d’Ecosse ; les os des cuisses de Darnley, l’amant de la Reine Marie sa femme. On y voit aussi un beau monument en marbre blanc, mais que la chute du toit a défigurée en brisant le nez au principal personage. On y voit aussi un gallerie, pleine des portraits des rois d’Ecosse, a ce qu’on dit. Les gens qui montrent ce palais se le sont divisé, pour gagner davantage, et cependant la vue du tout serait bien payé par ce que l’on donne a l’un.

L’hopital est fort bien tenu, et peut contenir trois cents malades. C’est a Edinbourg que viennent étudier en medicine, des jeunes gens de toute l’Angleterre, l’éducation y étant a meilleur marché, et plus vite faite. Il y a des léctures au Collège sur dix huit ou vingt différens sujets, dont le prix est tres modéré, en outre de plusieurs amphithéâtres anatomiques, d’assemblées médicinales, ou les personnes de cette proféssion se rendent, et discutent publiquement différents sujets sur cette matière.

La Salle de Spéctacle m’a semblé petite et mesquine pour une ville aussi considérable. La vraie raison est que les riches habitans ne le suivent pas beaucoup ; qu’ils vivent en famille, et ne paraissent pas se soucier infiniment des assemblées publiques.

Le bâtiment des Régistres contient dans un dôme élevé, et digne de la curiosité du voyageur, les archives de l’Ecosse, tant anciennes que modernes. Les papiers sont rangés dans le plus grand ordre, (quoiqu’un peu couverts de poussiere), avec le nom des comtés auxquels ils appartiennent, écrits dessus en gros caractere. Il n’y a peutêtre pas de pays au monde ou les propriétés soient plus certaines, et ou il y ait moins de danger pour l’acheteur : toutes les déttes hypothéqués sur des terres, pour avoir valeur doivent y être enregistrées, de sorte qu’il voit tout d’un coup, celles dont est chargé la terre dont il veut faire emplette, et ne peut jamais être trompé.

Les montagnes des environs donnent a cette grande ville un coup d’œil pittorésque, et lui fournissent d’agréables promenades ! Arthur-seat peut avoir huit cent pieds d’élévation. L’on découvre a l’est et a l’ouest une étendue de pays de plus de quarante milles ; en outre on a la vue magnifique de l’embouchure du Forth, qui peut avoir huit a neuf milles de large dans cet endroit ; mais, comme c’est un voyage assez fatiguant, et que d’ailleurs il faut avoir la vue très bonne ; Calton-hill (sur laquelle on vient de bâtir la Renfermerie ou Bridewell dans la forme d’un vieux chateau) est une des promenades les plus agréables que j’aye jamais vu. La vue marine du Forth, les belles campagnes du voisinage, et la confusion des batimens de la ville, offre un spectacle que l’on ne saurait imaginer, et qui au dire des voyageurs, n’est surpassé que par celui de Constantinople.

Il est fâcheux que cette ville ne soit pas situé sur une riviere, ou dumoins plus près de la mer, qui en est éloigné de deux milles a peupres ; Leith villaine petite ville, mal bâtie, sert de port a Edinbourg, il est assez convenable, quoique cependant le manque d’eau, laissent les vaisseaux entierement sur le sable a la marée basse : Cela serait tres facile a remedier si l’on voulait, avec une dépense, a ce qui semble, assez modérée, en pratiquant une écluse a l’entrée du port, ainsi qu’on l’a fait a Liverpool et a Hull.

On trouve près de la petite riviere qui passe a Leith, une fontaine minérale d’eaux sulphureuses, qui l’on dit fort bonnes pour le scorbut : Le goût est parfaitement le même que celles d’Aix la Chapelle, mais elles sont froides. Il est assez étonnant que dans un pays aussi montagneux que l’Ecosse, il n’y ait pas une seule source d’eau chaude.

Cette fontaine se trouve sous un petit temple bâti par Lord Gardenston, et qui lui a coûté plus de deux milles livres sterling. L’architécture en est noble, il parait avoir été construit sur le modèle du temple de la Sibylle a Tivoli près de Rome. Pour achever de l’embéllir, Lord Gardenston fit venir de Londres une statue de Hygie, la déésse de la santé. Le sculpteur s’imaginant probablement qu’elle devait être placée sur le dôme, lui en envoya une d’une taille gigantésque, que l’on a gauchement possée sur un petit pied d’éstal ou passe le conduit, par lequel l’eau est distribuée aux buveurs.

Cette maladresse a attiré a la déésse quelques railleries piquantes. Feu Lord H —, un des juges de la Cour de Session, homme tres savant, qui écrivait parfaitement bien en vers Latin, s’en est moqué dans cette épigramme.


Heu ! fuge fatales haustus, fuge virus aquarum,
Quisquis es, et damno disce cavere meo ;
Namque ego morborum domitrix Hygeia, liquorem
Gustavi imprudens facta videbar anus.
Jam demissa humeros, et crure informis utroque
Risubus a populo pretereunte petor.
At tu posthabitis Nymphis, solennia Baccho
Per sacra, telluris sic quoque fecit Herus.


En voici la traduction en vers Anglais qu’un de ses confrères fit a sa solicitation.


A finish’d beauty I from London came,
Grace and proportion had adorn’d my frame,
But rash I tasted this empoison’d welï,
And straight (’tis true, though wonderful to tell)
To fize gigantic all my members swell.
Whether through coal the fountain urge its course,
Or noxious metals taint its hidden source,
Or (envious neighbour) Cloacina stain
The stream with liquid from the Queen-street drain ;
Th’effect is certain, though the cause obscure.
My figure ought to frighten, not allure.

And, blamless tho’the skilful sculptor’s hand,
Not as a statue but a beacon stand.
Thou ! whom amusement or distemper brings,
To view the pillars, or to taste the springs,
Warn’d by my fate the nauseous draught decline,
The Lord Erector’s regimen be thine,
Abstain from water, and indulge in wine.


Comme ces deux pièces n’ont jamais paru, j’espere que le public me saura gré de les lui faire connaître, et éxcusera même la traduction que je lui en donne en Français.


Oh ! qui que vous soyez, fuyez cette eau cruelle,
Voyez dans quel état, m’a réduit son poison !
J’étais la jeune Hygie ; aimable autant que belle,
Je charmais tous les cœurs — la fatalle boisson,
M’a fait venir difforme, hydropique, et vilaine. —
Oh ! qui que vous soyez, fuyez cette fontaine,
Instruit par mon malheur redoutez son venin,
Imitez mon patron — ne buvez que du vin.


J’invite l’étranger a sortir de sa chambre le dimanche au coup de la cloche, soit pour aller soit pour sortir de l’église, et a se promener le long des trottoirs dans le sens contraire des gens qui s’y rendent ou qui en viennent ; je suis persuadé que l’air dévot du grand nombre de jolies personnes qu’il rencontrera sur son chemin, lui donnera plus de ferveur, que n’aurait pu faire tout le clergé d’Ecosse ensemble.

On voit a Edimbourg une piéce rare, et vraiment curieuse dans les circonstances présentes, c’est une espece de Guillotine appellée Maiden. Elle fut apportée de France, d’autres disent de Cornouaille, (ou elle est connue depuis un temps immémorial,) par un Lord Moreton, qui fut le premier sur qui on en fit l’éxpérience, il y a a-peu près deux cents ans ; depuis ce temps elle a servi plusieurs autres fois. Elle est assez semblable à ces balances suspendues sur trois bâtons, dans les ports de mer, la seule difference c’est, que deux sont presque perpendiculaires et très raprochés : il y a un cercle de fer, que l’on pose sur le cou du patient, pour l’assujettir, et un poids de deux cent livres en plomb, armé d’un fer tranchant, le délivre bientôt de cette position incommode.

Vou saurez que j’ai lu pendant mon sejour l’histoire d’Ecosse dans un in quarto, et qu’ils prétendent être le produit d’une émigration Espagnole, forcée par les Carthaginois de se retirer en Irelande, et longtemps après en Calédonie, dont ils forcerent les habitants dé leur céder les côtes de l’ouest. Leur premier roy se nomme Fergus, et fut noyé dans son passage d’Irelande en Écosse a Carrickfergus qui a pris son nom, 330 ans avant Jesus Christ, a peu près a l’époque d’Aléxandfe. Ils en comptent 108, parmi les quels j’en ai trouvé 50 morts violemment, entr’autres trois déposés, mis a mort, et dont on a porté les tetes au bout des piques dans les principaux endroits du royaume. Mais que nous importe les disputes sanglantes d’un petit peuple alors barbare.

Le seul trait de leur histoire qui peutêtre aie plus de rapport a l’Europe qu’on ne l’imagine, c’est la défaite et l’éxpulsion des Pictes, un autre petit peuple qui habitait les côtes de l’est. Apres leur défaite ils furent obligés de laisser leur pays, et d’émigrer en Norvège et en Dannemark. La, trouvant une race de pirates qui ne demandait pas mieux que de prendre leur parti ou tout autre, pour avoir un prétéxte de pillage, ils n’eurent pas de peine a les persuader a s’armer en leur faveur et a faire des descentes sur les côtes d’Écosse, ou ils furent d’abord maltraités, quoiqu’ils réussissent a s’établir dans le pays des Pictes en Fife, et ensuite en Angleterre, en Irelande, et dans les isles de l’ouest. Il paraitrait que par ces expéditions, ces mêmes peuples ayant eu connaissance de la richesse des paya voisins, et leur ambition étant augmentée par le succes, se determinerent aisément a attaquer la France, qui s’est vue obligée, de leur ceder en propriété la Normandie, qui par la suite conquit une seconde fois l'Angleterre.

Cette réflexion sur les éxpéditions des peuples du nord dans le huit, neuf, ou dixième siecle me semble neuve ; et quoique je sois bien loin de prétendre que la défaite et l’émigration d’une horde barbare aye causé toutes ces guerres, toujours me semble-t-il certain que les peuples du nord, prirent les armes a leur instigation, d’abord pour les reméttre en possession de leur pays, et ensuite il est vraisemblable que leur ambition s’etant accrue avec leur succes, ils étendirent leur conquête plus loin.

Ainsi qu’on le peut voir les émigrations sont de vieille date, des Carthaginois font émigrer des Espagnols en Irelande, ils se retirent ensuite en Caledonia, ou Écosse, y forment un peuple, en font émigrer les anciens habitans a leur tour, ceux ci vont porter la fureur d’émigrer en Dannémark et en Norvège, puis bientôt les gens de ce pays font, émigrer les Bretons dans l’Armorique a présent là Bretagne — Ainsi d’émigration en émigration est venue la notre, qui, j’imagine, en doit dégouter pour jamais.

Huit a dix jours d’un repos, bien agréable après mes fatigues, m’ayant complètement réstoré, je me remis en route et passé a Queensferry ce même Forth qui a coûté tant de peine et de sang aux Romains. Pour moi il ne n’en a coûté que deux pences.

Le pays près du Forth est fort bien cultivée, et parait assez bon, on apperçoit de l’autre coté un chateau magnifique, appartenant au comte de Hopeton. La position en est vraiment noble, et vaut la peine de déranger le voyageur de sa route. Les Romains avaient bâtis entre l’embouchure de la Clyde et celle du Forth, leur muraille du nord pour les séparer des barbares qui les obligèrent bientôt a se retirer derrière celle du sud. L’emplacement en est beaucoup plus utilement employé aujourdhui par un superbe canal qui joint les deux mers, et peut avoir sept a huit pieds de profondeur, ce qui est assez pour les petits vaisseaux marchands.

Le lendemain je fus visiter le chateau, ou fut enfermé la reine Marie, dans une petite isle du lac Leven près Kinross, pauvre castel presque démoli, mais qui, par quelque similitude pouvait être intérréssant pour un émigré. Le lac est entouré de hautes montagnes, qui se réfléchissent dans ses eaux pures, et qui jointes aux petites isles qui le couvre, lui donne un coup d’œil très romantique. On voit sur les bords la petite ville de Kinross, et une maison considerable, qui appartient au laird ou seigneur.

Le pays depuis Kinross jusqu’a Alloa par les collines du sud, a dire vrai, n’est pas des meilleurs ; On ne rencontre gueres que des mines de charbon, et fort peu d’autres habitans que des ouvriers. La vallée n’est pas mauvaise, on y voit différentes maisons, qui semblent devoir appartenir a de riches propriétaires. Ce fut dans ce pays que je vis pour la première fois des femmes sans souliers ni bas, et retroussées d’une façon toute particulière. J’avoue, que comme il me paradait très extraordinaire d’en voir une, aller nuds pieds, tandis qu’elle avait un chapeau de soie noire sur sa tete, avec un mantelet de satin, je lui demandai pourquoi elle n’avait pas de souliers ? Mes souliers, me dit-elle, en me les montrant enveloppés dans son mouchoir, — les voila. J’ai vu depuis, que c’est une coutume très commune par toute l’Écosse, pour les femmes du commun, de voyager sans souliers ; elles s’arrêtent a l’entrée des villes et la, méttent de beaux bas blancs et leurs souliers, qu’elles otent en sortant.

A quelque distance d’Alloa, on découvre de dessus la hauteur la riche vallée du Forth, d’une étendue immense, et parfaitment bien cultivée. Stirling est situé en amphithéâtre, sur un roc détaché du reste des montagnes, au sommet du quel a un des bouts de la ville, est le chateau, dont la position n’est pas très différente de celui d’Edimbourg.

Apres quelques momens de repos, malgré la fatigue de la journée je me disposais a l’aller visiter, lors qu’a mon premier pas dans la rue, j’ai rencontré le capitaine Mayne, a qui j’avais été presenté chez Mr Gibson a Edimbourg. Le lendemain il est venu me prendre ; il eut la bonté de me mener a sa campagne ; et comme il est grand fermier, il me fit voir les différents instruments de culture, que je ne me rappelle pas avoir vu aucune autre part qu’en Écosse ; comme, par exemple, une machine très ingénieuse pour battre et vanner le bled, avec laquelle sept hommes et quatre chevaux sont l’ouvrage que 70 auraient de la peine a faire ; une chambre a sécher le grain avant de le moudre ; elle est pavée de plaques de tôles, percées d’un grand nombre de petits trous, sous les quels il y a des conduits de chaleur ; une balance ingénieuse pour peser les bestiaux, et déterminer l’instant de leur vente. Ni le bled ni le foin ne sont placés a couvert, comme ils l’étaient en France, et n’en sont que mieux conservés ; les bestiaux aussi passent tout l’hiver dehors, dans un enclos qui leur est préparé, mais jamais ils ne couchent sous le toit.

Il y a dans le pays d’autres machines a bled, on en fait mouvoir quelques unes avec l’eau, et je présume qu’on pourrait le faire avec le vent.

Au moment de mon départ, je suis entré dans son cabinet, et y ai laissé un billet, ou je disais a peu près, que très sensible a ses bons procédés, je m’éstimerais heureux si jamais les malheurs de la France pouvaient nous permettre de revenir chez nous, de lui témoigner ma reconnaissance, en tachant de recevoir aussi bien en France lui, ou ses enfants. Un instant après il a vu le billet, et a dit, Il est possible qu’un de mes enfans soit fait prisonnier, vous êtes militaire. —

Puis, il m’a conduit au sommet de l' Abbey craig, sur la place que le général Wallace, le héro Écossais occupait, quand il battit, avec une armée de dix mille hommes, les Anglais, qui en avait une de six fois le même nombre. On y voit encore quelque réste de fortification : Mais ce qui est le plus remar quable c’est la beauté de la vue, qui domine un immense pays, dont la fertilité ferait honneur a l’Italie, et qui, par la diversité d’objets, de montagnes, de rivières, et de plaines, me semble préférable a celle de Windsor. On a de la, la vue de Stirling, ce qui en rend le coup d’œil encore plus complet, que du chateau de cette ville ; et en outre celle de l'ouest de la vallée, au milieu de laquelle serpente le Forth, avec des détours si rapides et si considérables, que de Stirling a Alloa il n’y a que huit milles par terre, et vingt par la riviere. On voit a cette colline une des carrières, ou l’on vient chercher des pierres pour le pavé de Londres, que de petits vaisseaux, sont continuellement occupés a charger.

On montrait encore, il y a quelques années près Stirling, un vieux chêne, sur lequel le brave Wallace s’était réposé pendant que les soldats Anglais le cherchaient dans la forêt, et passerent même au pied. On avait pour cet arbre une télle vénération, que lorsque le temps l’eut enfin détruit, on choisit avec peine quelques morceaux de bois qui fut sain, et j’en ai vu des tabatières que l’on regarde avec quelque raison comme précieuses.

Sur la même route, près Falkirk, petite ville fameuse, pour la bataille que le Prétendant y gagna, on rencontre le grand canal d’Ecosse, que sa largeur et sa profondeur, rendent un des plus beaux ouvrages de ce genre, comme un des plus utilles. La petite ville de Grangemouth a été presqu’entierement bâtie depuis sa formation, a la derniere écluse près du Forth. C’est un spectacle très curieux de voir passer les vaisseaux sous les fenêtres des maisons qui bordent le canal ; quoiqu’on sache bien qu’il est tout près, on n’est cependant pas préparé a voir les mâts des vaisseaux presque dans la chambre.

Le pays aux environs, quoiqu’un peu plat, est fort bon et bien cultivé. Les bords du canal y forment des promenades agréables, qui conduisent a quelque distance de Caron-Work ; qui ne pouvait être mieux nommé, car c’est un des principaux atteliers de guerre de la Grande Bretagne, et qui fournit en effect de l’ouvrage au bon vieux batelier.

L’établissement est immense ! a quelque distance on est suffoqué par l’odeur du souffre et de la fumée, — mais lorque parvenu dans l’interieur, lorsqu’assourdi par le bruit de l’enclume, les sifflemens des vents, comprimés dans des machines énormes, qui excitent avec fureur les braziers, ou des Cyclopes d’un bras nerveux, et nud, font voir,

Quod fieri ferro liquidove potest electro,
Quantum ignes animumque valent.


on se croit chez Vulcain, et il n’est pas étonnant que l’on pense a Virgille pour exprimer ses idées.

Cet attelier est situé sur une petite riviere, nommée Carron, très célébre dans les poèmes d’Ossian, qui chante souvent la beauté de ses bords et les héros qui y ont combattu.

Passant au milieu des mines qui fournissent a la flamme de cette forge un éternél aliment, et auprès d’un vieux chateau agréablement situé sur une petite colline, je traversai le Forth vis a vis d’Alioa, petite ville dont les nouveaux quartiers semblent annoncer un commerce assez considerable. Les gros vaisseaux ne peuvent pas remonter plus haut,

Le principal objet du commerce est le charbon de cette partie, qui est réputé éxcéllent ; on voit au près une maison considérable, a laquelle une vieille tour sert d’entrée, on trouve dans le parc de vieux chênes qui donnent a connaître ce que devait être l’Ecosse avant la destruction des bois, qui avaient pourtant quelques inconvénients, comme d’être habités par des ours et des loups, dont le dernier fut tué il y a plus de quarante ans, mais je ne crois pas que cela puisse se mettre, en comparaison avec la tourbe qui les a remplacée.

A deux milles d’Alloa, on voit Clackmannan, qui donne son nom au comté, mais n’a rien de remarquable que son vieux chateaux qui appartint a Robert de Bruce. Du sommet de la tour on a un coup d’œil magnifique, tant sur la campagne que sur l'immense bassin du Forth, ces trois points de vue, de Stirling, d’Abbey Craig, et de Clackmannan, et qui même n’en sont presque qu’un, puisque c’est le même pays, peuvent etre comptés parmi les plus beaux de l’Europe.

Traversant les mines nombreuses de charbon, et bientôt un vallée assez fertile, je m’arrêtai au vieux chateau Campbell, et un peu plus loin au Devil's Mill et le Pont du Diable. C’est une chute d’eau assez considerable au milieu des rochers, sur laquelle on a bati un pont ; et suivant la chaine des montagnes qui s’élèvent tout à coup, je m’arrêtai au sommet de Domahai, dont l’élévation peut être de huit cent pieds au dessus du niveau de la mer, et domine la plaine du Forth, qui commence au pied, et se prolonge a perte de vue.

Il est digne de remarque qu’au nord de cette chaine de montagne, au centre de l’Ecosse, la riviere Tay a l’est, la Clyde a l’ouest, on me trouve plus de charbon, dont aucunes parties de la Grande Bretagne ne sont dépourvues, au sud de ces rivieres. On en a pourtant trouvé dans le Sutherland, le comté le plus au nord, mais il est d’une telle nature, qu’il est a peu-pres inutille, il s’enflamme au contact de l’air apres un certain temps ; on en a vu des exemples funéftes dans quelques bateaux qui ont été consumés ; il semble contenir une grande quantité de matière phosphorique, dont l’industrie pourrait peutêtre faire un grand usage.

Ayant intention de voir Ben lomond, je me dirigeai sur son sommet élevé, et vins le soir coucher au petit village d’Aberfail, qui est au pied des montagnes. J’eus dans ma route, entre Stirling et cette place, occasion de voir un chef d’œuvre d’industrie ; plus de deux milles acres d’un tres bon pays, par la négligence et par le temps, était couverts de six, sept, et même douze pieds de tourbe ou moss. On a pratiqué une grande roue, que fait tourner l’eau d’un ruisseau, dont elle porte une partie a son sommet, et de la est conduite sur le terrein, que des ouvriers en grand nombre sont occupés a deblayer, et jettent les mottes dans le courant, qui les conduit au Forth. Il est calculé que dans vingt ans tout ce terrein doit être découvert ; il est affermé pour quarante ; et le fermier n’a rien du tout a payer les vingts premières années, et n’a que la dépense du déblayement a faire, qui il est sur, est très considérable, et l’opération très lente.

On trouve a sept ou huit pieds dessous la houille de grands arbres pourries, avec leur branches, quelques chênes très sains, et parfaitement bien conservés ; on y a trouvé aussi dès pièces de monaye, des instrumens de fer pour couper le bois, avec quelques marmites de terre. On pense, avec quelques raisons, que les Romains pour parvenir au fonds des retraites des barbares, coupèrent les bois dans differens endroits, et ensuite n’en ayant aucun besoin, les laisserent sur le terrein, puis l’humidité du climat, et la négligence, les firent corrompre, et couvrir de moss.

Le pays pres du petit village d’Aberfail me parut très éxtraordinaire, et peut donner une idée de la maniere dont vivent les Indiens en Amérique. Les habitans de ces montagnes, qui en général ne produisent presque rien, vivent dans des huttes fort basses, et couvertes de terre, d’un coté sont les béstiaux, les hommes de l’autre : Le feu est au milieu de la cabane, dans la terre, ou appuyé contre une pierre : La fumée s’échappe par un trou fait au toit, et par la porte, car quand il y a des fenêtres, elles ne s’ouvrent jamais ; tous leurs meubles sont couverts d’une suie épaisse et reluisante. Il est inconcevable comment les béstiaux peuvent s’accoutumer a être ainsi jambonnés (pour ainsi dire) tout vivans ; quant aux hommes, ils y semblent très habitués, quoique l’étranger qui n’y est pas fait, soit suffoqué, et après une ou deux minutes est presque aveuglé, et pleure abondament. Ils sont assis sur des siéges fort bas, afin a ce que j’imagine d’eviter d’avoir la tête dans le plus épais de la fumée, qui s’élève toujours, et pour comble, ils ne brûlent gueres que de la tourbe, dont l’odeur infect peut être aisément deviné. Ils vivent absolument de laitage, de pommes de terre, et de quelque peu d’un pain d’avoine, qu’ils appéllent cakes, faits, en galétte, ronds, épais d’une ligne, très secs, et ou le son est entièrement. J’ai eu depuis occasion de voir que cela n’était pas particulier aux montagnards ; tous les Écossais en général sont usage de cette sorte de pain, et j’en ai mangé si souvent, que je m’y suis accoutumé, et suis loin de le trouver mauvais.

Ces bonnes gens sont éxtrêmement hospitaliers, et reçoivent l’etranger qui les visite, avec complaisance, sans paroitre aussi surpris de le voir, que l’on pourrait se l’imaginer d’apres le pays. Deux ou trois fois j’ai eu occaston d’entrer chez eux, soit pour éviter la pluie, pour me reposer, ou même par pure curiosité, pour causer avec eux, et voir leur établissement. Sans me faire d’impertinentes quéstions, on me proposait de m’asseoir autour du feu, on m’apportait du petit lait, qui est leur seule boisson, avec quelques peu de leurs cakes, des pommes de terre, ce qu’ils avaient enfin ; et en me retirant, c’était toujours avec beaucoup de peine que je par venais a leur faire accepter quelque chose : Dans tout pays, le pauvre est toujours bien plus prêt a faire part de son nécéssaire, que le riche de son superflu.

Les mœurs des gens de ce pays sont en tout semblables a ceux des autres montagnards d’Ecosse ; cependant le philïbeg n’est pas si commun, et il y a peu personnes qui parlent Gaelic, ce n’est qu’a une vingtaine de mille plus loin, que l’on se trouve réélement dans les montagnes, ou dumoins parmi les vrais montagnards.

Suivant le cours du Forth, le long de quatre ou cinq lacs qu’il traverse, au travers d’un pays très romantique, mais très peu habité, j’arrivai au pied de Ben-lomond, que je distinguai aisement des autres montagnes par l’élévation de sa cime. Il a plus de trois milles pieds de haut, et est presque entièrement couvert de tourbe, dumoins par le côté ou je l’ai gravi ; aussi était ce avec une peine incroyable que je pouvais avancer, enfonçant presque a chaque pas jusqu’a la ceinture, et ayant beaucoup de peine a me tirer de la place ou j’étais tombé, J’étais pourtant arrivé près du sommet, et commençais a être dédommagé de la fatigue de quatre heures de marche, par une vue très étendue, lorsqu’un nuage épais est venu fondre sur moi ; je me vis environné de ténébres, et ne savais plus ou diriger mes pas : Dans cette extrémité, j’appercus un mouton, qui effrayé de l’orage, se glissait avec peine sous une grosse pierre. Instruit par son exemple, j’eus la cruauté de le chasser de sa retraite, et ayant réussi a m’y loger, je tirai mes provisions de ma poche, et attendis en patience l’orage, qui ne tarda pas a tomber avec la derniere violence. Combien de grâces je rendis a la Providence de m’a voir procuré le couvert au sommet d’une telle montagne si loin de toute habitation ! Pourtant après une heure de repos, je fus fort aise de voir que l’orage ayant presque cessé, le tems était redevenu assez clair pour pouvoir se conduire. Prenant pour guide le premier ruisseau que je rencontrai, je me trouvai conduit du coté du lac, et arrivai a une petite auberge sur ses bords. Dans ma course j’avais perdu ma montre, m’en étant bien vite apperçu, apres mon arrivée, je suis retourné sur mes pas, et ce que je regarde comme peu commun, je l’ai retrouvé a un ou deux milles de la maison.

Le lendemain des jeunes gens de Glasgow étant venus visiter Ben-lomond, je leur demandai la permission de les accompagner, et ai remonté la montagne. Rien n’égalle l’immensité vue ; d’un coté Stirling a trente mille, de l’autre Dumbarton a vingt cinq, distants l’un de l’autre de plus de quarante : L’étendue du lac Lomond, les isles qui le couvrent dans la partie du sud, qui a près de neuf milles de large, les hautes montagnes qui en retrécissent la tête, la quantité de petits lacs qui se rencontrent sur le cours du Forth depuis sa source, et ceux qui sont au sommet des montagnes, dont l’aspéct sauvage offre une confusion inéxprimable, qui étonne l’imagination, et aggrandit les idées.

Pour aller plus vite, je me suis avisé en descendant de quitter mes souliers ; mais ce premier essay de suivre les coutumes du pays ne m’a pas réussi, après quelques pas j’ai trouvé une pierre tranchante qui m’a coupé assez fort dessous le pied. J’eusse été obligé de passer quelques jours dans cette petite auberge près du lac pour me guérir de ma bléssure, si le hazard n’eut amené des marins de Greenouck, qui par partie de plaisir étaient venu visiter le lac et Ben-lomond, étant informé qu’un étranger était retenu dans la maison par une blessure au pied, ils m’offrirent une place dans leur bateau, que j’acceptai à baises mains. Ils m’on conduit a Dumbarton a travers les isles charmantes de ce beau lac dont quelques unes sont habitées par deux ou trois familles : Le chateau du Duc de Montrose, Buchanan, est sur ses bords, et c’est dans une des isles que les gens de sa maison sont enterrés. Là vue est vraiment éxtraordinaire, au moment d’entrer dans ce petit Archipel, en regardant la tête du lac, qui se perd au milieu des montagnes qui l’entourent, parmi lesquels on remarque aisément le double sommet de Ben-lomond. Nous apperçumes bientôt l’entrée de la riviere par laquelle le lac se dégorge, et dont nous suivimes le courant ; ses eaux sont aussi pures que celle du lac meme. Les bords en sont tres cultivés, et couvertes de jolis et nombreux villages, et de quantité de manufactures, particulièrement de moussellines et de forges. Je me rappelle avoir vu une haute colonne sur une pointe de terre, je ne puis dire quel en est la raison, j’imagine, simple fantaisie, car elle semble être placée dans un grand jardin auprès d’un village assez considerable. Les matelots qui m’avaient reçu avec tant de complaisance dans leur bateau, et qui voyant la peine que j’avais a marcher avaient offert de m’y porter, me forcèrent a prendre part a leur rafraichissements, et en nous quittant, je ne pus pas prévaloir fur eux d’accepter un seul shelling.

C’est ainsi qu’en nous envoyant les maux, la Providence y applique souvent, un topique qui nous aide a les supporter ! C’est cet accident qui est la cause du long séjour que j’ai fait dans ce pays, car mon intention était de passer en Irelande pour retourner a Londres, après avoir fait dans deux ou trois semaines le tour que j’avais médité en Écosse.

Dumbarton est une très petite ville, qui serait peu remarquable sans son chateau, situé sur un roc isolé au milieu de la plaine, au confluent de la riviere du lac Lomond et de la Clyde : A la marée haute, il semble être au milieu des eaux, quoique on puisse toujours y aller a sec du coté de l’est ; ce rocher a deux têtes separées par une éspece de val lée ; celle du nord est beaucoup plus élevée, et peut avoir quatre cent pieds. De toutes parts le roc est escarpé, et l’on y monte par une rampe très roide, en dedans des fortifications : La porte n’est séparée de la riviere que par un chemin très étroit, ce qui en rendrait l’acces difficile en cas de résistance ; cependant l’histoire d’Écosse rapporte qu’il fut pris et éscaladé par surprise quelque tems après que la Reine Marie eut été déposée, vraisemblablement par la négligence de la garnison, qui prenant trop confiance dans son rocher, pensait peutêtre inutille de se fatiguer a le garder. Si un tel roc était placé au milieu du Rhin, ou sur les frontières de l’Empereur et des Turcs, il ferait d’un prix inestimable pour celui qui en serait maître ! Mais de quelle utilité est il en Écosse, ainsi que le chateau de Stirling, d’Edimbourg, et Fort George, c’est ce que je ne saurais dire.