Promenade autour de la Grande Bretagne/Mer d’Allemagne. Hull

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MER D’ALLEMAGNE.


JE m’achemenai vers Glocéster, au travers d’un pays très plat, il est vrai, mais tres abondant et fort bien cultivé. C’est une petite ville, qui n’a conservé de son ancien renom, que la bonté de ses fromages et de son cydre. On est étonné avec juste raison de la voir dans l’état ou elle est, après avoir lu dans l’histoire d’Angleterre que Charles premier perdit un temps precieux a l’assiéger ; a présent il n’y a pas même vestige de muraille. C’était un dimanche, et par curiosité pour la vaste Gothique cathedrale, j’ai suivi les soldats, et la foule qui s’y rendaient ; a peine fus-je entré, qu’un homme vétu de rouge et de noir, avec une grande baguette blanche, m’est venu prier si poliment de m’asseoir sur un banc qu’il m’a ouvert, que je ne crus pas devoir le refuser. Il l’a fermé immédiatement apres, et dans la crainte de faire du bruit, et de causer du scandale en me retirant, il m’a fallu entendre un sermon de deux heures, sans y comprendre un seul mot. Le soir même, ennuyé de n’avoir rien a faire, ni a voir, je fus coucher a Upton, une jolie petite ville de l’autre coté de la riviere, et le lendemain j’arrivai de bonne heure a Worcester.

La Séverne arrose sans contredit le meilleur, le plus riche, et le plus agréable pays de toute l’Angleterre. Il n’a pas le désavantage d’être aussi générallement, que celui près de la Tamise, bas, marécageux, et mal sain. On ne voit de tous cotés des villages propres et florissants, la terre cultivée dans la derniere perfection, et couverte d’arbres fruitiers, croissans avec, la plus grande vigueur ; des prairies immenses, ou l’on peut compter des milliers de béstiaux, dont en voyant l’etat, il est impossible de douter de la bonté du paturage.

Il y a un point de vue, près d’une petite ville entre Glocester et Worcester, qui ressemble allez a l’idée qu’on nous donne de la terre promise ; c’est près de Teuksbury, petite ville allez nette, il y a une colline de sable et de gravier, dont la Severne a rongée une partie, la hauteur perpendiculaire peut être a présent d’une centaine de pieds ; de la, on domine les vastes plaines du Glocestershire, la vallée, dans laquelle la riviere coule, et dont on apperçoit tous les détours, pour plus de trente mille, couverts de bateaux montans ou descendans ; le paysage est animé par la culture la plus recherché, et par la vie et le mouvement qui parait de toutes parts.

Worcester est la ville la plus agréable de ce beau pays ; elle est mediocrement grande, bien bâtie ; les rues bien pavées, et a des promenades charmantes tout autour. La cathédrale, est digne de la remarque du voyageur, quoiqu’elle ne soit pas si considerable, que beaucoup d’autres en Angleterre.

La scene change terriblement de Worcester a Birmingham, comme cette derniere ville, semble être l’attelier de Vulcain, aussi les pays qui en approchent ont ils quelque peu de resemblance avec ceux qui approchaient le Tartare. A dix ou douze milles nord-est de Worcester et de la Severne, on traverse une bruyere longue de quatre a cinq milles, et ce n’est qu’a cinq ou six de Birmingham que l’on retrouve la terre cultivée. On vend indifférement partout ce pays, la bierre, le cydre, ou le perré, a peu près au meme prix.

Birmingham est une grande ville, pouvant contenir soixcente mille habitans, a en juger par l’immense étendue qu’elle occupe, et le mouvement qui y regne. Il n’y a gueres d’autres batimens remarquables, que l’etablissement pour les orphelins des pauvres ouvriers, qui est vaste et bien entretenu. La ville est entourée de canaux, qui joignent d’un coté avec la Severne, et que l’on s’occupe a joindre de l’autre avec l’Humber, et ainsi traverser l’isle.

On apperçoit aussi de tous cotés, de petits jardins avec une petite cabane, c’est la, que les ouvriers fatigués de leurs travaux viennent se délasser d’une maniere utile ; en outre de l’amusement et de l’occupation agréable qu’ils y trouvent, ils jouissent encore du fruit de leur industrie, en recueillant autant de légumes qu’il leur en faut pour eux, et leur famille ; je cite ce petit article avec grand plaisir, parceque je le crois tres utile, et que même je penserais de l’humanité et de l’interet de tous les manufacturiers possibles d’établir et d’encourager la même chose.

Cependant cette nouvelle ville que l’industrie a créé et soutient, n’a rien de bien agréable pour l’étranger, on n’y voit que des ouvriers noircis par la fumée de leurs atteliers. On n’y entend que le bruit du marteau et des chariots chargés de ferraille ou de charbon. Tous les batimens sont noircis par la fumée, et couverts d’une poussiere brune, qui s’attache, et pénétre partout ; la, en se lavant le visage trois fois par jour, on est sur de rendre l’eau presqu’aussi noire que de l’encre.

J’arrivai le soir a Shrewsbury, a travers les mines d’or d’Angleterre, (je parle de son charbon). Le nombre des puits est si considerable qu’il semble de loin, un grand camp. Chaque puit a une pompe a feu qui sert a tirer l’eau et a amener le charbon ; il y a certainement dans cet endroit, beaucoup plus d’habitants dessous la terre que dessus. Les ouvriers travaillent jour et nuit, et se rélévent, les uns les autres.

En déscendant du poste élevé ou je m’étais placé a Birmingham, je me promis bien que ce serait la derniere fois que j’y monterais, quoique ce ne soit point une maniere désagréable de voyager, quand il fait beau ; mais les Anglais sont si fiers et si méprisants pour tout ce qui n’a pas l’apparence de la fortune, que les humiliations que l’on reçoit a chaque instant, sont vraiment cruelles, et qu’il est infiniment préférable d’aller un peu moins vite et indépendant ; car quand je ferais trois cent milles dans un jour, je n’en serais pas moins un étranger, un pauvre diable d’émigré, et que de plus j’aurais dépensé de quoi vivre trois semaines, ou un mois, et n’aurais pas si bien vu le pays ni si bien connu les usages. Aussi de ce moment il est décidé que je n’aurai plus d’obligation a d’autres qu’a mes jambes, pour achever ma course.

Shrewsbury est sur la frontière du pays de Galles, et son nom en Gallois est Sallop ; qui a dire le vrai n’est pas joli en Français. On parle encore Anglais ici, a quelque milles plus loin c’est le Gallois. C’est une ancienne ville, dont les maisons sont mal bâties, mais dont la situation sur la Severne est vraiment charmante. La riviere ne cesse d’être navigable qu’a trente ou quarante milles plus haut, et ainsi peut avoir un cours de près de deux cents milles, aussi est elle de beaucoup la plus considérable de la Grande Bretagne ; Les environs de cette petite ville sont très pittorésque, et fournissent de promenades agréables, plantées d’arbres ; on y distingue le bâtiment de l’hotel de ville, sur lequel on voit une statue de Levellyn, le dernier prince de Galle, avec quelques mots dans la langue Galloise. C’est ici que j’ai regretté de ne pas savoir le Bas Breton, que l’on parle dans trois évêchés de la proVince ou je suis né ; certainement alors n’eusse été que pour savoir s’il est vrai que le Gallois est un idiome du même language, j’aurais fait entièrement le tour du pays ; pourtant afin d’en voir au moins un échantillon, je passai par ce coin du pays de Galles qui borde le Cheshire, et dont les collines me semblerent peu élevées et assez productives ; mais c’est si près de l’Angleterre, et le chemin est tellement frequenté, que je ne remarquai aucune différence entre les habitans.

A la couchée, par un hazard allez extraordinaire, un vieux Turc, dans les habits de son pays, apparement assez misérable, venant de Dublin, pour eviter les frais du coche, était venu a pied depuis Holy-head, n’entendant pas un mot d’Anglais, il parlait par signe. Le voyant embarrassé, et sachant que presque tous les Turcs savent l’Italien, je m’addressai a lui dans cette langue, et lui fis donner les choses dont il manquait. Les ouvriers qui travaillaient a la batisse d’un pont pres de la, s’étaient assemblé pour le voir ; ils le regardaient avec surprise, et furent bien autrement étonnés quand ils m’entendirent lui parler dans une langue que n’était ni Anglais ni Gallois. Cependant, après le premier moment, un d’eux me demanda, Is not that a Frenchman ?

Mon Turc avait donné son turban a blanchir, et lorsqu’on le lui rendit le lendemain, on lui demanda, je crois, quinze pence pour le blanchissage. Le pauvre homme se débattait, et jurait en vrai Turc, que c’était beaucoup trop cher ; la femme diminua de trois ; mais comme l’autre ne voulait encore donner que la moitié de ce qui réstait, et que cela faisait un bruit horrible, je pris la Juive dans un petit coin, la payai du surplus, et lui recomandai de se taire. Je retournai auprès de mon Turc, qui voyant que j’avais fait taire la vieille harpie, me fit mille caresses, et nous déjeunames ensemble, ou il se récria, peutêtre avec raison, sur la dureté et l'esprit intéréssé des aubergistes, et de toute l’éspéce qui a affaire au public, dans ce bons pays comme ailleurs. En nous séparant, le pauvre vieux diable, d’un air vraiment touché et amical, appliqua sa moustache sur ma main, et me souhaita toutes les bénédictions du saint prophète.

J’arrivai le soir a Chéster, dont les gras pâturages et l’éxcéllent fromage sont bien connus. La ville est petite, mais ses bâtimens sont assez agréables ; il n’y a pourtant rien de bien remarquable que la promenade étroite, que l’on a pratiqué sur les anciennes murailles, qui font entièrement le tour de la ville. Au pied des murs à l’ouest, il y a un canal creusé dans le roc vif, a la hauteur de pres de trente pieds, il va joindre la Dee, qui procure un petit commerce de Cabotage a Chester. Traversant cette langue de terre qui sépare la Dee et le Mersey, dont le terroir est tres riche et fort bien cultivé, j’arrivai en face de Liverpool, ou un bateau public vint prendre les passagers qui ainsi que moi l’attendaient. La traversée est de six a sept milles au moins.

Liverpool est très considerable, c’est ici le principal attellier de l’industrie et du commerce Britannique ; je n’ai jamais vu dans aucun port de l’Europe, je n’en excepte pas même Amsterdam, une aussi grande quantité de vaisseaux. On compte sept bassins, peu considérable a la vérité, mais dont le moindre pourrait aisément contenir trente a quarante vaisseaux, et le plus grand, trois ou quatre fois ce nombre. L’eau de la mer y entre a la marée haute, et son propre poids a la marée basse ferme des écluses qui les retiennent, de sorte que les vaisseaux sont toujours a flot, ce qui est un prodigieux avantage ; car le grand nombre des rivieres dans la Grande Bretagne ne sont pas assez profondes pour empêcher les vaisseaux d’etre a sec au reflux. Outre le commerce maritime, on y voit encore une prodigieuse quantité de manufactures de toutes sortes, qui, a dire vrai, par l’épaisseur de la fumée du charbon, qui y est employé font de la ville un séjour si peu agréable, que la plupart des négotiants riches, habitent avec leur famille a quelque distance, et y viennent pour leurs affaires, mais n’y couchent pas.

La grande ville de Liverpool au commerce près, a peu de chose remarquable. L’hotel de ville seul est d’une architecture noble, mais il est tellement situé, que d’une très belle rue, qui semble avoir été bati éxpres pour donner du jour a la façade, on n’én apperçoit que la moitié, et sans contredit la plus belle partie du bâtiment est sur le derriere, dans un endroit ou il ne peut frapper les yeux de personne.

Je présentai a Messrs. Tarleton et Backhouse la léttre de recomandation que j’avais pour eux, et Mr Backhouse le fils eut la bonté de se promener avec moi près des différents bassins, et par occasion, me fit voir trois gros vaisseaux que des corsaires appartenans a son pere, avaient pris aux patriotes, quoiqu’il n’y eut que cinq mois que la guerre fut commencée. Entre ces trois captures il y avait un vaisseau de Nantes, qui n’avait pas été quinze jours en mer, et qui n’était a Liverpool que depuis deux ou trois. J’eus la curiosité de voir les gens de l’équipage, et je le priai de vouloir bien me conduire a la prison, éspérant qu’ils pourraient m’instruire de quelques particularités touchans mon malheureux pays, et peutêtre aussi les parens que j’y avais laissés ; il y consentit de très bonne grace, et nous nous rendimes a la nouvelle prison, dont il me fit ouvrir les portes.

Quand je me trouvai au milieu des sans culottes j’avoue que ma contenance fut un peu embarrassée ; pourtant je m’avanturai a les questionner, mais je pus m’appercevoir bien vite par leur reponses, qu’ils savaient a qu’ils avaient affaire : Ils me firent les choses encore plus mauvaises, qu’elles n’étaient ; aussi je me retirai promptement ayant eu la précaution de ne pas donner mon nom. Officiers, soldats, matelots, mousses, suivant les loix de l’égalité qu’ils reclament sont tous renfermés, et reçoivent six pences par jour pour leur subsistance.

Apres avoir remercié mon conducteur dont le pere eut la complaisance de m’introduire a sa famille, avec laquelle je passai deux ou trois agréables soirées, dont je sentis bien mieux le prix après ma longue marche et ma longue abstinence de societé ; je partis dans la même voiture qui m’avait apporté a Liverpool, et dirigai ma course vers Manchester, ou sans malencontre, mon bâton a la main, j’arrivai modestement le second jour ; comme il se trouvait être un dimanche, bien instruit par la leçon que j’avais reçu a Bath, j’eus la précaution, avant d’entrer dans la ville, d’oter la poussiere de dessus mes bottes, et de mettre de la poudre sur mes cheveux, de sorte que personne ne parut me remarquer ! quand il est si aisé de contenter les gens, on aurait tort de ne le pas faire.

Je fus ici parfaitement reçu par Messrs Rawlinson et Alberti ; bon diner, bon vin, bonne figure d’hote, et le concert après. Les gens de ce pays, malgré toutes leurs honnêtetés, sont d’une jalousie ridicule de leurs manufactures de velours de coton qui sont en tres grand nombre ; ils m’ont laissé voir le roussis du coton, et la maniere dont on coupe les rayes dans le velours, mais non la machine qui fabrique le tissu. J’ai eu beau les assurer en avoir vu une a Nantes qui filait, jusqu’a quatre vingt brins, ils n’ont jamais voulu y consentir, et m’ont seulement dit que la leur allait jusqu’a deux cents, ce qui dans le fait ne demande que plus de force que celle de Nantes, mais doit au surplus être parfaitement la même chose, Quoi qu’il en soit, on ne peut nier qu’ils ne fassent le velours d’une maniere plus parfaite que tous les autres peuples de l’Europe. Le mystere dont ils en couvrent la fabrique a quelque chose de bien extraordinaire, quand on songe que la plupart des commis sont étrangers, et que même grand nombre des chefs de manufacture sont Allemands et Italiens.

La peine de mort est, m’a-t-on-dit, prononcé contre le mortel téméraire qui entreprendrait d’engager pour l’étranger un de leurs ouvriers, par l’appât d’un gain considerable ; ce qu’il y a de sur c’est que lors de mon passage, il y avait dans les prisons un Amériquain, et un Français pour ce sujet. Il me parait incroyable, que s’il est réélement une machine ingenieuse et inconnue, le grand nombre d’étrangers, qui sont employés dans les manufactures ne révèlent pas le secret a leur compatriotes ; cependant je dois dire, qu’aucun commis étranger n’est admis dans les principaux attelliers, qu’après quatre pu cinq ans d’épreuve, et encore lorsqu’il a pris intéret dans quelques unes des maisons de commerce de la ville.

Outre cette manie, j’en trouvai un autre plus ridicule encore, les habitans sont plus d'à demi patriotes, ne parlent de nos constitutionels que comme de gens sublimes qui ont seulement laissé le regret de ne s’être pas déclaré permanents et héréditaires, avec une chambre des pairs et une chambre des communes, tirés de leur propre sein ; voila comme chacun prêche toujours, pour le saint de sa paroisse ; parceque les Anglais ont une Chambre des pairs héréditaire, et une chambre des communes, ils ne peuvent pas s’imaginer qu’aucune nation dans le monde puisse être heureuse et libre sans ces deux choses, ou dumoins leur noms, car c’en est assez pour le peuple de tout pays.

Ainsi l’on voit certaines nations eh Europe, dont les sots admirent le libre gouvernement, parcequ'on voit le mot, Libertas, écrit par tout, même sur la porte de la prison ; tandis que l’on traite d’ésclave et de lâche, d’autres qui ont de tres grands privilèges, vivent tranquilles et heureux, parceque leur souverain dit dans sés edits, tel est notre bon plaisir ; c’est ainsi que la pauvre humanité a toujours été mené par des sons, et que tel, ésclave de la cent millième partie d’un déspote dans son village, se croit libre parceque son pays s’appelle une république, tandis qu’un autre très indépendant, n’obeissant qu’aux loix, payant sss impositions, et vivant heureux sur sa terre avec sa femme et ses enfants, se croit esclave, parceque quelques grimauds ont dit que son souverain était déspote.

La ville de Manchester n’a rien de remarquable que les canaux qui l’entourent et un assez beau pays. Bientôt je laissai cette vaste manufacture, car c’est ainsi qu’on peut justement l’appeller ; ou comme a Birmingham on ne rencontre que des ouvriers, ou la fumée suffoque, et ou jamais le jaloux manufacturier ne peut s’imaginer qu’un étranger vienne les visiter sans motif d’interet. J’en ai essuyé un trait assez curieux ; un petit marchand nouvellement établi, m’ayant vu avec Mr Rawlinson, s’imagina que j’étais venu pour faire des emplettes, et en conséquence desira ma pratique, il me guétta au sortir de mon auberge, et me pria de lui faire l’honneur de visiter son magazin. — Je commençai d’abord par dire que je n’avais besoin de rien ; puis comme il insistait, je le suivis, et il étalla toutes ses marchandises devant moi ; forcé me fut, de faire le connoisseur, je les maniai toutes, admirai leur beauté, leur solidité, fis de bien belles phrases, et sur le roussis, et sur le coupé, et même sur le tissu dont je m’avisai de parler ; tout cela joint a de grands compliments sur son nouvel établissement, paraissait enchanter mon homme, qui me pria de vouloir bien lui donner ma pratique, et de le recommander a mes amis, ce que je lui promis. — Je suis fâché de ne pas me rappeller son nom, je profiterais de cette occasion, pour m’acquiter de ma promesse, et le faire connaître au public.

Apres m’être arrêté a Stockport, jolie petite ville a sept milles de Manchester, bien située sur les bords éscarpés d’une petite riviere bordée de rochers, et pleine de manufactures de coton ; j’arrivai a Buxton Bath, par un chemin peu fréquenté, et ou j’apperçus quelques malheureux a la potence, dansants a tous vents, et offrants un spectacle horrible, mais peutêtre nécéssaire.

Les superbes batimens de Buxton au milieu des montagnes incultes et desertes étonnent vivement le voyageur. La principale auberge, ou se trouve les eaux, est faite en croissant, dans le gout de celui de Bath, mais beaucoup, plus grande et plus ornée, avec des arcades où les buveurs d’eau se promènent pendant la pluie. Il y a peu de souverains a qui un tel palais ne fit honneur. Les écuries, qui forment un grand corps de logis séparé, répondent a la magnificence du principal bâtiment, et peuvent contenir trois a quatre cent chevaux.

Apres m’etre informé de l’état des choses, et avoir su qu’une table d’hôte des personnes aux eaux allait être servi, je témoignai le desir d’y prendre mon diner. Le maitre me fit entendre que je ne pouvais pretendre a cet honneur qu’après avoir changé de linge, et avoir eu mes cheveux accomodés ; en conséquence, ayant mon petit paquet dans la poche, je m’habillai entièrement, et ne vis a mon grand regret que des figures tannées, de femelles vieilles, et quelques hypocondres, mais point cette gaité qui regne dans quelques unes des eaux du continent, et qui y attirent souvent des malades en bonne santé. Je fus dans l’apres midi visiter une caverne assez profonde sous les carrieres abondantes de chaux et de platre, qui couvre la montagne a l’ouest, et qui de Buxton semble par leur nombre et leur blancheur une éspéce de camp.

Le lendemain apres m’être baigné dans les eaux, qui sont très chaudes et très agréables, je traversai dans l’apres midi, quinze ou seize milles d’un assez miserable pays, dans le centre des montagnes près la source de l’Humbre, et passai au pied du pic de Derby, qui peut avoir un peu plus de neuf cent pieds, et m’arêtai pour voir une immense caverne, a qui par parenthese on a donné un nom bien impertinent, le cul du diable. Elle peut avoir sept cent verges de profondeur ; elle est située sur le derrière d’un énorme rocher, au sommet du quel il y a un vieux chateau. J’y étais parvenu de l’autre coté, sans savoir positivement ou était la caverne ; mais seulement par ce qu’il me semblait que la vue devait être pittoresque de cette hauteur. J’appercus de la l’immense entrée de la caverne, qui a cela d’extraordinaire que son ouverture est situé dans un endroit de la montagne qui n’a pas trois cent pieds d’epaisseur, et dont la partie la plus élévée est si etroite qu’en deux pas on peut la parcourir et voir les vallées qui l’entourent. Il y a quelques pauvres familles qui vivent a l’entrée, et y filent du coton a l’abri du vent et de la pluie, mais non de l’humidité, dont pourtant un large ruisseau qui coule de l’interieur, emporte une grande partie. La seule chose qui y soit bien extraordinaire c’est une piece d’eau que l’on passe dans une barque, mais dont le niveau se trouve si pres de la voûte, que l’on est obligé de se coucher entièrement, et que l’homme qui la conduit, la fait aller en appuyant les mains a la voûte.

Ces montagnes du Derbyshire quoique peu élevées, ne laissent pas de paraitre tres hautes a un homme qui vient de Londres. Elles ont cela de particulier sur les montagnes du continent, que leurs sommets sont marécageux et couverts dans quelques endroits de deux ou trois pieds de tourbe, ou comme on l’appelle moss. Je croyais alors que c’était quelque chose de fort extraordinaire, mais j’ai vu depuis en Écosse des montagnes beaucoup plus élévées couverts de six, sept, et même huit pieds de la même matiere. En tout c’est un triste pays, excepté les vallées, ou il y a des ruisseaux, car elles n’en ont pas toutes, et je m’en vis tiré avec le plus grand plaisir, en entrant dans le fertile Yorkshire, ou des le premier pas, hors des montagnes, la terre est en pleine culture et couverte de grandes et belles villes.

La première est Sheffield, encore pleine de manufacture, mais sans aucune chose remarquable, quoique très grande. Puis Doncaster, qui est une charmante place avec de beaux batimens, entr’autres un que je crois l’hotel de ville, avec une noble colonnade ; mais le commerce n’y est pas florissant. C’est une chose digne de remarque, que partout ou les arts fleurissent, le commerce n’a pas tant de vigeur, et que partout ou les pensées continuelles des habitans ont rapport au gain, qu’ils ont fait ou qu’ils doivent faire, les beaux arts sont ordinairement négligés. — Puis traversant un pays entierement semblable à celui de la Vendée en France, coupé de caneaux, de larges fossés, quoique beaucoup plus anciennement tiré de dessous la mer, j’arrivai a Burton, dont la fameuse ale porte le nom, et qui m’induisit dans une erreur assez naturelle, et m’engagea a en demander, mais il n’y en avait pas dans le pays. Ce Burton est un miserable village, qui ne fait rien, et dont les habitans sont pour la plupart pêcheurs.

A douze milles de Burton il y a un autre village beaucoup plus considerable, appellé Barton. C’est la que l’on traverse l’Humbre, presque à son embouchure ; cette riviere peut avoir dix a douze milles de large.

Le diable, qui me poursuit partout, a si bien fait, que la personne a qui j’étais recomandé a Hull est morte la veille de mon arrivée, et ne devait être enterrée que trois ou quatre jours après ; son associé, Mr Fanley, malgré le trouble que lui causait le mort de la veuve Stephenson a eu la bonté de m’accueillir, et de me fournir de lettres de recommendation pour York et Newcastle, en me disant qu’il esperait que ses amis feraient pour moi ce que sa position ne lui permettait pas de faire.

Hull est une petite riviere, qui se jette dans l’Humbre, et dont le nom passe communément a la ville, qui s’appelle Kingston. Il n’y a qu’un bassin, mais il est infiniment plus considerable qu’aucuns de ceux de Liverpool. L’eau y est également retenue a la marée basse par des écluses. Une vieille citadélle avec quelques vieux canons, défendent l’entrée de la riviere ; on voit au milieu de la place une statue dorée de peu de mérite de Guillaume trois. Le Comte d’Artois était, dit-on, ici, a bord d’une frégate Prussienne, il n’y a pas huit jours ; cette circonstance m’avait fait presser mon voyage, mais je suis arrivé trop tard. Hull n’est qu’a 160 milles de Londres, j’en deja fait plus de 600 depuis mon départ, cependant il parait qu’il s’en faut de beaucoup que je fois au milieu de ma course, si j’entreprends d’aller jusqu’au moment marqué pour notre restauration.