Promenade d’un Français dans l’Irlande/Limerick
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QUELQUE distance du bac où l’on passe le Cushin, on apperçoit, seul au milieu d’une cour, un arbre d’une grosseur démesurée et entièrement couvert de feuillage ; la singularité me fit approcher et lorsque je fus plus près, je distinguai seulement alors que c’était une de ces tours rondes couverte de Lierre du haut en bas. Il y a vraisemblablement eû quelques églises dans et endroit. Il n’y en avait pas alors la moindre trace. A trois miles de Tarbot je fus voir les ruines considérables d’une Abbaye, j’y trouvai plusieurs hommes faisant leur pélerinage pieds nuds autour d,es murailles ; on à de là, la vue de l’isle sainte au milieu du Shannon : il y avait autrefois onze eglises toutes en ruine à present : on y apperçoit encore une de ces tours rondes qui forme un effet charmant dans le lointain. Il y a à Tarbot, deux batteries avantageusement situées dans un endroit plus étroit du Shannon : elles défendent d’autant mieux le passage de la riviere, qu’il n’y a presque point de profondeur à l’autre rivage et que les vaisseaux sont obligés de venir passer à cinq cents pas des canons, qui sont fort bien disposés et dans le plus grand ordre.
Fatigué de la longue promenade de la veille et de la grande chaleur, je crus à propos de m’arrêter au village de Glin : il donne le titre de Knight, Chevallier, à son propriétaire ; il n’y en a que quatre qui ayent le même privilege en Irlande et tous dans cette partie : ce n’est point un titre d’origine Anglaise. Il fut donné par le souverain à quatre braves du pays, avant où pendant la conquête : ceux qui les portent à présent en sont les descendans.
Je m’informai d’un gros prêtre que je rencontrai, où je pourrais me loger : il me mena dans une misérable gargotte, en m’assurant que c’était la seule auberge du lieu et qu’elle était fort bonne. Je passai la nuit à me defendre contre les monstres qui me regardaient comme leur proie ; à peine le soleil commença-t-il à paraitre, qu’il me fit voir une scène vraiment sanglante ; j’avais l’air d’avoir été à la bataille et j’en venais effectivement. Heureusement que la mer n’était pas loin : je fus vitement y noyer ces hôtes importuns et lorsque l’opération fut finie, j’apperçus mon moine qui venait aussi à l’eau. Je lui fis part de ma misere, mais ces messieurs regardent ceci, comme une chose d’usage et ne s’en soucient gueres : il se mit à rire de toutes ses forces . . . dans ma colere je pensai l’envoyer à tous les diables, mais je me calmai et lui souhaitai seulement plusieurs nuits pareilles, pour le bien de son âme : je partis et en voyant à l’entrée du village une belle auberge, ce fut avec peine que je résistai au désir d’aller lui chanter pouille : je poursuivis ma route cependant. J’apperçus sur une hauteur, les ruines d’un vieux chateau qui soutint un siége contre la Reine Elizabeth : il est encore entouré de ses anciennes fortifications et des ouvrages qui avaient servi à en faire les approches ; il y avait aussi dans le voisinage plusieurs camps retranchés, où Rath. J’avais déja fait dix milles et j’étais debout depuis trois heures du matin, j’entendais avec douleur les gémissemens de mon estomac ; il n’y avait point d’auberge ; je vis de cette hauteur une maison aisée dans le voisinage : je demandai le nom du maitre : John Evan, me dit-on.
J’avais plusieurs fois pensé, que quoique le pauvre fut tres hospitalier et offrit au voyageur fatigué jusqu’à son nécéssaire, que si ce même voyageur se montrait dans une maison aisée, il ne pourrait pas seulement y obtenir un verre d’eau. Parbleu me dis-je, essayons, voici une occasion excéllente, nous vèrrons.
Je me présentai ; Mr. John Evan vint au devant de moi ; " Monsieur, " lui dis-je " je n’ai point l’honneur d’être connu de vous, et je n’ai point de lettre pour vous : mais je vous declare que j’ai grand faim, et que si vous pouvez me donner quelque chose à manger, je vous en ferai fort obligé." " Faith, me répondit-il, you could not come better à propos, car le déjeuner est prêt," Il me fit entrer dans la maison, où je trouvai tout ce que je pouvais désirer. Je fus charmé de m’être trompé dans ma conjecture, mais je me promis bien de ne plus l’essayer, crainte de rencontrer juste.
Faisant un petit zigzag de dix à douze milles, je me rendis à Newcastle, où je fus reçu par Mr. Lock et son frere qui est le ministre de la ville ; elle est située dans une longue vallée très fertile, et qui n’est encore separée de celle de la Black water, que par une petite monticule. Ce chateau appartenait autrefois aux Templiers et devait être très considérable. Il est aujourdhui dans la possession de Lord Courtenay.
Si les grands propriétaires Anglais avaient le bon esprit, de placer sur leurs terres, des hommes de la trempe de celui qui est ici, le pays n’aurait pas de raison de se plaindre de leur absence. Mr. Lock vient d’établir à ses frais des manufactures de toile dans lesquelles les enfants trouvent à être employés dès l’age de cinq ou six ans. Il n’y a pas le moindre doute que ces établissemens ne sauraient se maintenir seuls à présent, mais ils sont d’une telle utilité pour le pays, qu’on ne saurait trop les encourager, et le propriétaire se trouvera amplement dédomagé de ses frais, par l’esprit d’industrie qu’il aura propagé parmi ses paysans.
Le prix du travail n’est dans ce pays, que de cinq à six sous ; on répond communément à cette observation, que le prix des provisions est en conséquence ; mais c’est faux et très faux, car si on excépte les pommes de terre, tout est aussi chèr qu’en Angleterre ; il est sur que le peuple vit entièrement de pommes de terre et boit de l’eau après, ou du lait de beurre ; mais pourquoi les Anglais ne pourraient-ils pas vivre de la même maniere ; si quelqu’un s’avisait en Angleterre d’aller faire cette proposition aux paysans, il ne trouverait plus d’ouvriers. Un grand nombre de paysans en Irlande, savent fort bien que pour le même travail, ils recevraient deux shillings en Angleterre, et six pences en Irlande, et que même ils feraient plus surs de gagner leurs deux shillings dans un pays que six pences dans l’autre. Il en est qui font souvent le voyage, et ces mêmes gens qu’on accuse d’indolence chez eux, sont alors très actifs : ils pratiquent, de plus la même sobriété dont ils usaient dans leur pays (ce qui est une vertu assez rare en Angleterre) et ensuite ils s’empressent de revenir chez eux, lorsque leur travail leur a procuré une petite somme.
Je sens qu’avec toute la bonne volonté possible, un propriétaire ne saurait augmenter le prix du travail, sans s’exposer aux justes reproches de ses voisins, mais en encourageant l’industrie, les bras deviendront plus rares, et le prix du travail augmentera nécessairement. De Newcastle à Limerick le pays est superbe : c’est sans contredit la terre la plus fertile de l’Irlande ; près de Rathcall, j’eus occasion de visiter trois ou quatre villages, habités par les descendans d’une colonie Allemande du Palatinat, que le propriétaire du terrain y établit, il y a près de 80 ans. Ils se sont jusqu’à ces derniers temps toujours mariés entre eux, et ont conservé les manieres de leur pays : il n’éxistait plus, lors de mon passage, qu’un seul homme de ceux qui y vinrent d’abord ; on leur fit il est sùr, des conditions avantageuses ; on donna en propriété, à chaque famille, l’emplacement de sa maison et du jardin, avec quelques arpens de terre en ferme, à un prix tres modéré. Le pays riche et fertile dans lequel ils sont établis, était inculte avant leur arrivée ; leur industrie est encore très remarquable, leurs terres sont certainement mieux cultivées que les autres, et leurs maisons, bâties à la façon de leur pays, sont d’une néteté et d’une aisance qui les fait paraitre comme des palais en comparaison des pauvres cabanes des Irlandais ; l’intérieur surtout, est tenue avec une propreté singuliere et bien distribué. Les femmes portent encore leur grand chapeau de paille et le court jupon qu’elles ont dans le palatinat. Les habitans les haïssaient cordiallement dans le commencement, ils ne les aiment gueres à présent et en sont tres jaloux ; de telles dispositions sont loin de les engager à imiter leur manière où à exercer leur industrie pour égaller où même surpasser celle de ces étrangers. Il s’en suivra tout naturellement, qu’à moins d’événemens extraordinaires, les Palatins finiront par devenir Irlandais, comme leur voisins.
Traversant la longue ville de Rathkale, je me dirigeai vèrs Adair, où je fus reçu par Sir Richard Quin. Cette ville d’Adair, était autrefois pleine de colléges et d’établissemens eclésiastiques ; on y voit encore les ruines parfaitement bien conservées de plusieurs Abbayes considérables ; à quatre où cinq mille de là, à Skelton, on voit encore des ruines d’Abbayes, et peutêtre les plus grandes que j’aye vu dans ce pays.
Les ruines dans l’Ouest de l’Irlande, sont d’un style d’architecture absolument différent de celles de l’Est, qui sont communément très petites, pendant que celles de cette partie sont de la même grandeur et de la même forme, que les Eglises Gothiques sur le Continent.
En faisant refléxion à la quantité prodigieuse de ruines d’Eglises et d’Abbayes, et aux richesses immenses qui restent encore au Clergé de la Religion établie, on serait tenté de croire que l’isle entiere appartenait autrefois aux Prêtres, car si le Clergé Anglican faisait valoir ses terres lui-même, j’imagine que sa part, n’irait pas tres loin de la moitié. La maniere dont ces terres sont affermées l’en empêche : aucun bénéficier ne peut louer son terrain pour plus de vingt et un an, mais ce temps est bien long, pour un homme qui est déjà sur le retour et qui est pressé de jouir, ou de faire quelques fonds afin de pourvoir à sa famille. Pour réparer cela autant que possible, l’Evêque où tout autre bénéficier, renouvelle tous les ans son bail avec son fermier, à condition, qu’il lui donnera, ce que nous appellons, un pot de vin, qui lui met une certaine somme dans la poche et le fait patienter. Tout Ecclesiastique qui prend possession de son bénéfice, est sùr d’après cela, de trouver la ferme renouvellée de l’année d’auparavant et est, en quelque façon, obligé de suivre la même méthode. Je fuis convaincu qu’il y a certains Evêchés, qui ne sont pas ainsi affermés à la dixieme partie de leur valeur et qui produiraient à un renouvéllement de ferme, des sommes de cinquante, soixante, où même cent mille livres sterlings de rente, au lieu de cinq, huit, ou dix mille ... Le Seigneur prend soin de ses serviteurs ...
Je m’acheminai vèrs Limerick et vis, chemin faisant, une Wake dans la maison d’un homme mort ; c’était un dimanche et les bonnes femmes ne crient pas si fort ce jour là ; mais la scêne avait quelque chose de bien singulier ; le mort était sur une table, et la maison était tellement pleine de femmes assises sur leur tallons, que je suis sùr, qu’une balle de fusil n’eut pu arriver jusqu’à terre. Les hommes étaient sur le chemin, au nombre de plus de deux cents, à pied, où à cheval, et un grand nombre attendaient prudemment au Cabaret voisin qu’il plut au mort de marcher.
C’était le temps des courses de chevaux à Limerick, and the duelling season : la confusion était extrême : la ville était pleine de coureurs et de curieux : les habitans étaient tous en l’air. Les ouvriers ne faisaient rien, et cela, pour voir courir quelques Cassè-cous à cheval : il y avait à l’endroit de la course, plus de vingt mille personnes et leur nombre sur une colline assez rapide, formait un grand amphithéatre ; Ce qui faisait courir le peuple avec tant d’empressement, c’est que trois Jockey devaient être des Pairs, je me trompe, c’était trois Pairs qui devaient être Jocquets, commme on voudra, c’est aussi mal avisé l’un que l’autre.
Il était venu aux courses des matamores de Cork et de Youghall, dans la louable intention de mettre du plomb dans la cervelle aux gens de Limerick : ils s’en allaient disant à la premiere personne qu’ils rencontraient ; " voulez vous des balles, de la poudre &c. nous vous en fournirons ?" pendant les huit jours que durérent les courses, il y eut dix ou douze duels : un officier de la brigade Irlandaise fut tué : à la fin cependant, le Chancelier songea à mettre fin à ces querelles et fit des poursuites, qui firent partir ces Messieurs.
Les races finirent enfin, heureusement pour le pays, car si elles avaient durées trois semaines de plus, les habitans des campagnes s’y trouvaient tellement intérréssés, que la récolte serait restée sur la terre. La ville de Limerick est fameuse dans l’histoire, pour le long siége qu’elle soutint contre les troupes du roy Guillaume, en faveur de son malheureux Beaupere ; elle l’est aussi pour la capitulation, que les troupes qui y étaient assiégées firent pour toute l’Irlande ; cette capitulation fut tenue bien, éxactement du vivant du roy Guillaume, mais sans, que l’on en puisse assigner d’autres raisons, que l’envie de décourager la Religion des habitans et les forcer à suivre celle qui est établie ; on l’enfreignit cruellement sous la Reine Anne, les prêtres furent condamnés à être pendus pour dire la Mèsse, et toute personne convaincue de l’avoir entendue, devait souffrir des peines considérables, si ce n’était la même. Je dois ajouter, que la sévérité excessive de ces loix fut un préservatif contre leur rigueur ; les juges eux-mêmes ont souvent cherché des prétextes pour l’éluder, * elles ne furent que rarement, on pourrait presque dire, jamais mises à éxécution : mais le fils, le frere, où même le parent éloigné d’un Catholique, pouvait en devenant Protestant s’emparer de ses biens. Ces loix cruelles ont existé pendant près de quatre vingts ans : ce n’est que depuis quatorze ou quinze, qu’elles sont abrogées et que l’on a enfin, senti la nécéssité de rendre les loix de leur pays supportables aux habitans. Dans ce court espace de temps, l’Irlande a atteint un dégré de prospérité bien extraordinaire et qui donne lieu d’espérer qu’avec le même systême de douceur, on la verra bientôt rivaliser le pays qui la tenait dans cette situation, et ce sera pour le bonheur des deux.
- On m’a rapporté qu’un témoin, dans un procès de cette espèce ayant pris le serment d’avoir vu une personne à la Messe, le juge lui demanda, s’il savait ce que la Messe était ? ne pouvant le dire, Malheureux, repliqua le juge, comment pouvez vous faire serment d’une chose que vous ne connaissez pas ? et il délivra le prisonnier.
La nouvelle ville de Limerick est tres jolie et tres réguliere, mais aussi l’ancienne est assez dégoutante ; un étranger pourrait à peine imaginer que l’on y compte plus de cinquante mille habitans.
J’eus ici le plaisir innéffable de recevoir la visite de deux aimables Banquiers qui me firent l’amitié de m’inviter à quatre où cinq jours de distance. Comme je n’ai point d’argent à faire gagner à ces Messieurs et que de leur côté, ils ne pensent gueres qu’à cela, je ne suis pas communément leur favori ; aussi quand j’en reçois des politesses (ce qui est assez rare) j’en suis plus reconnaissant que d’autres personnes. Dans une société Écossaise à laquelle j’étais recommandé, je rencontrai un Mr. A * * * Banquier d’Edimbourg, qui sachant que je comptais y passer l’hiver après ma promenade, me fit l’amitié de me donner son addresse en public et de m’engager à le venir voir. J’ai gardé cette carte avec bien du soin, je suis sùr que je l’ai fait voyager plus de douze cent milles, et lorsque je suis enfin arrivé au bout de mon voyage, je lui ai présenté sa carte ; j’imagine que l’on ne sera pas étonné quand quand je dirai qu’il l’a reçue avec la même hospitalité, qu’un debiteur a pour son créancier, mais avec cette différence que comme il ne craignait pas l’Huissier, il n’en a tenu compte.
J’ai rencontré dans cette ville un docteur qui a trouvé une nouvelle methode de cultiver les pommes de terre. Elle consiste à couper au printemps les rejettons qui poussent sur cette racine et à les planter : ils produisent aussi bien que les quartiers eux mêmes, et aprés cette opération, la pomme de terre peut encore servir de nourriture .... aux cochons du moins. Ce bon docteur sachant que mon intention était d’écrire la relation de ma promenade, me fit l’amitié de me donner un extrait de sa methode, pour le traduire et le communiquer au public. Pensant qu’il pourra être utile, je l’imprime, comme il eut la complaisance de me l’écrire lui-même.
" In Limerick the Rev. Doctor Maunsell, about three years ago, made the most usefull discovery in agriculture that ever was made, and reduced the culture to a certain system, and that is the producing potatoes from the shoots, that heretofore had been thrown away, as of no kind of value ; this discovery promises fair for feeding the lower orders of the people with food at a very cheap rate, when the culture comes to be in general practice ; this gentleman I am informed has taken great pains to disseminate the culture, and deserves great credit from the public, for the very disinterested manner, in which he has conveyed his discoveries to the world."
Puisque je me suis tant étendu sur les pommes de terre, je crois pouvoir encore parler d’une racine tres délicate que j’ai vu ici pour la premiere fois, on l’appelle pig’s nuts, noix de cochons ; il est dans le fait tres probable que le cochon doit les trouver aussi aisément que les Truffes en Languedoc. Cette racine n’est jamais plus grosse qu’une Aveline et a un gout aussi délicat. Les enfants s’amusent à les déterrer dans les prairies et les mangent cruds comme une noisette : J’ai dans l’idée, que la culture les perfectionnerait et en ferait un aliment sain et tres agréable, c’est par cette raison que j’en ai fait mention ici.
Le Shannon n’est navigable à proprement parler, que jusqu’à Limerick, son cours est ensuite souvent interrompu par des rochers et des cascades qui traversent son lit et au milieu desquels, une planche ne pourrait passer qu’avec peine. Pour supléer au lit de la riviere, on vient dans ces derniers temps de creuser des canaux de communications entre les parties de la riviere où il y a assez d’eau pour porter bateau ; un de ces canaux, d’un mille de long, vient aboutir à Limerick ; dans ce court éspace, l’eau déscend près de trente pieds ; les bateaux ne peuvent remonter dans le canal par les ecluses qu’à la marée haute, qui s’élève ici, jusqu’à douze et quinze pieds, quoique la ville soit à soixante milles de l’embouchure de la riviere. Un ou deux milles plus haut, on trouve un autre canal nouvellement achevé, qui va la joindre à sept ou huit milles près de Castle Connell, où je me rendis par un chemin trop large peutêtre et où je fus reçu par Mr. Geo. Bruce, à qui cette terre appartient.
Mon voyage a toujours été charmant dans les campagnes si j’avais pu sauter à pieds joints par dessus les villes, je l’aurais fait de tout mon cœur : l’hospitalité y est trop cérémonieuse et quoique dans le cours de la vie, il ne soit pas trés désagréable de rencontrer quelques fois de la cérémonie : pour un pélerin comme je l’étais alors, elle est fort gênante. Je serais cependant injuste si je ne reconnaissais le traitement aimable, que je reçus du Doyen Crosbie, pere de cette femme trop jolie, que je rencontrai comme, le poëte Young, de l’autre côté des tombes. Le général Walsh aussi, me voyant embarrassé pour trouver un logement, à cause des courses, eut la bonté de me recevoir dans sa maison.
Je fus obligé à Limerick de renouveller entièrement ma garde-robe : elle ne consistait, comme à mon départ de Dublin, que de mon habit et ce qui pouvait être contenu dans deux bas de soye, dont j’avais coupé le pied. Quoique mon bagage ne fut pas très considérable, je ne manquais cependant de rien et j’avais le moyen de paraitre en société, aussi bien vêtu que les autres.
Pour l’instruction de futurs voyageurs à pied, il me prend la fantaisie de détailler mon bagage. " Un sac à poudre fait avec un gand de femme, un razoir, du fil, des éguilles, des ciseaux, un peigne dans une paire d’éscarpins de bal, une paire de bas de soyes, une culotte d’une étoffe assez fine pour n’être pas plus grosse que le poing lorsqu’elle était pliée : deux chemises tres fines, trois cravattes, trois mouchoirs et l’habillement de route. Tout ceci était divisé en trois paquets ; savoir, les deux bas de soye qui servaient de sacs, et un autre dans lequel était les souliers. Mon habit avait six poches qui recevaient tout cela, lorsque je me présentais à une maison respectable, de sorte que rien ne parraissait : comme sur le chemin c’eût été incommode, je mettais les trois paquets dans un mouchoir et les portais en sautoir au bout de mon bâton à épée, sur lequel j’avais mis un parapluie, qui excitait partout la curiosité et faisait rire les filles, je ne sais pourquoi. Les autres poches de mon habit étaient pour les lettres, le porte-feuille et l’usage ordinaire.
Les personnes chez qui j’étais reçu, et dont je refusais toujours les offres de Linge, étaient fort étonnées de me voir revenir dans le sallon avec des bas soye blancs, de la poudre &c. comme si j’eusse voyagé avec un bagage considérable, fort à mon aise dans une bonne voiture.
En bien, mon cher Monsieur Sterne, que penséz vous de l’état de la garderobe avec laquelle j’ai voyagé six grands mois et été admis dans les maisons les plus respectables ? mon porte-manteau vaut bien le vôtre, je crois.
Castle Connell est un endroit charmant, situé sur le bord du Shannon, qui coule dans cet endroit comme un torrent, au milieu des pierres et des rochers ; les eaux minéralles et la beauté du lieu y attirent un grand nombre d’oisifs de Limerick, qui viennent passer l’été dans le village et chaque matin vont boire un verre d’eau. Les riches étrangers qui s’y rendent y attirent aussi un nombre assez considérable de mendiants, qui sont encore plus nombreux dans cette partie que dans le reste de l’Irlande. C’est une remarque assez singuliere, cependant tres juste ; plus le pays est riche en Irlande, plus le peuple est pauvre, et moindre est le prix des journées ; je crois qu’on pourrait se permettre de dire que cela vient de ce que les vautours que l’on appelle tenants, sous-tenants et sous-tenants encore pensent que ce n’est pas la peine pour eux, de se confiner dans les montagnes où les morasses.
La misere du peuple est généralement attribuée en Irlande à la maniere dont les terres sont affermées ; un homme riche qui veut s’éviter la peine des détails, loue une très grande terre à un seul homme, dont l’intention n’est pas d’y travailler lui-même, mais de la sous-louer à trois où quatre autres ; ceux-cy, dont les portions sont encore très grandes, sous-louent à une vingtaine, qui eux-mêmes sous-louent encore à une centaine de paysans aisés, qui enfin sous-louent à un prix éxorbitant à un millier de pauvres Laboureurs ; la nécessité oblige ces derniers à prendre leur coin de terre à un prix beaucoup au dessus de sa valleur réélle. Ils en cultivent la plus grande partie en pommes de terre, qui sert à nourrir leur famille, et à engraisser un gros cochon et quelques volailles, avec lesquels ils payent communément leur rente. On doit sentir qu’après tant de cascades, c’est beaucoup si le propriétaire reçoit un tiers de l’argent que les Laboureurs sont obligés de payer, et que le reste va dans les profits des fermiers.
Je dois dire avec vérité que ces abus ont été sentis par la plupart des propriétaires, et qu’à ma connaissance plusieurs s’étaient associés dans le nord et avaient résolu d’affermer leur terre eux-mêmes aux laboureurs ; qu’en est-il résulté ? ceux-cy, ne se voyant plus harcelés par les sous-fermiers, n’ont pas payés, et on a été obligés d’avoir recours à l’ancienne méthode. Je ne suis pas grand cultivateur, mais je croirais qu’avec une volonté décidée, on pourrait trouver un moyen d’arranger cela, sans courir les dangers des deux extrêmes.
Plusieurs personnes près de Castle Connell, (entre-autres le Lord Chancellier et Mr. Bruce) en multipliant les travaux, ont augmenté le prix des journées : il n’est pas d’argent mieux employé pour un homme riche, qui veut faire le bien de son pays. J’ai souvent entendu reprocher la paresse et l’ivrognerie au paysan ; mais, lorsqu’on en est réduit à mourir de faim, n’est il pas préférable de ne rien faire, puisque le travail le plus assidu ne saurait en empêcher ? dans cette situation aussi, n’est il pas fort simple de boire, quand on le peut, une goutte du fleuve Léthé pour oublier sa misere ? Si le pauvre voyait clairement que le travail pourrait améliorer sa situation, il abandonnerait bien vite cette apathie et cette indifférence, qui au fait, n’est que l’habitude du déséspoir.
Mr. Bruce a bâti à ses frais un grand nombre de maisons assez propres pour les paysans, et ces bonnes gens que l’on accuse avec tant d’injustice de défauts qui ne leur appartiennent pas, en sont tres reconnaissants ; quand il a besoin de quelques ouvriers il en trouve toujours, dans le temps même que ces voisins en manquent ; on m’a assuré de plus, que ses journaliers ne veulent pas prendre de lui, le prix qu’ils reçoivent des autres.
Les habitans de Castle-Connell s’étaient cottisés pour bâtir une chapelle Catholique ; je ne sais trop quelle faute le Prêtre de la paroisse avait commise vis-à-vis de l’Evêque Catholique de Killaloe, mais il l’avait interdit et l’Eglise restait à demi bâtie et sans toit. On y célébrait la messe cependant, dans un coin que l’on avait couvert de quelques planches ; le peuple y venait comme à l’ordinaire, mais les paroissiens étaient résolus de n’achever l’Eglise, que quand le Prêtre favori serait rappellé.
Traversant les tourbes qui entourent ce village, je m’arêtai au pont d’O’Brian, et je fus me présenter quelques milles plus loin à Glanomore, chez Mr. Thomas Arthur, où je passai quelques jours ; sa maison est au fond d’une petite vallée assez fertile et entourée de montagnes couvertes de tourbe. Je vis, chez lui, les ossemens presqu’entiers de cet animal monstrueux, qu’on appelle dans ce pays, Moss ou Mouse-Deer, et dont je ne saurais dire le nom en Français
La race en est éteinte depuis si longtemps en Irlande, que l’histoire, ou même la tradition, n’en sont aucune mention. C’est une espèce de cerf, mais qui, par les cornes et les ossemens que l’on a trouvé dans les tourbieres devait être au moins trois fois aussi grosse que la notre. Ces cornes ont communément entre sept à huit pieds de haut ; on en a trouvé une qui en avait plus de dix ; les os des jambes sont du double de la grosseur et près du triple de la longueur de ceux d’un bœuf.
Il est fort singulier qu’aucune tradition quelconque ne fasse mention de l’éxistence de cet animal en Irlande : il ne l’est pas moins que l’on n’en ait jamais trouvé de trace sur le continent : à quoi pensait donc la Nature, de loger dans une isle, un animal qui devait s’y croire emprisonné ; il ne parait pas qu’il éxiste dans aucune autre partie du monde que le Nord de l’Amérique et à ce qui semble, en tres petit nombre et d’une espèce plus petite que celle dont on a trouvé les os en Irlande.
Ma qualité de voyageur me permet de faire des rêveries et celle d’ecrivain de voyages me met en quelque façon en droit d’en faire part au public. Lorsque je me serai promené quelques centaines de milles de plus, je serai arrivé à un endroit, d’où je pourrai me permettre d’établir de belles conjectures sur les traditions singulieres du pays. A présent, il vaut mieux me taire la dessus.
Je revins à O’Bryan Bridge et après m’y être plongé dans le Shannon pour me le rendre propice ; je remontai la riviere avec Mr. Waller, dans une petite nacelle à laquelle mon parapluie servait de voile. La riviere était charmante, tres calme et paraissait assez profonde, mais bientôt nous trouvames une chûte d’eau et fumes obligés de venir à terre : on creusait un canal d’une centaine de pieds de long, pour joindre les deux parties de la riviere qui sont navigables : retournant dans le bateau nous voyageames une dixaine de milles et fumes encore obligés de descendre et même de laisser la le bateau ; on fait dans cet endroit, un canal qui peut avoir un mille de long et vient se terminer près du beau palais de l’Evêque de Killaloe : la chûte d’eau est ici très considérable et dans un espace de cinquante pieds, elle tombe de près de quatorze à quinze, au milieu de grosse pierres rondes ; ce sont ces obstruction dans les rivieres qui forment les lacs ; celle-cy forme près de Killaloe un lac immense de trente milles de long, sur douze à quinze de large ; quoiqu’il offre dans bien des endroits des points de vue intéressants : comme la plupart des lacs d’Irlande il a plutôt l’air d’une grande inondation, à laquelle les isles dont il est couvert donnent encore plus d’apparence. Une compagnie avait offert de le déssécher presqu’entièrement, pourvu que les propriétaires riverains voulussent lui accorder la moitié du terrain qu’elle leur procurerait ; il y eut ensuite des difficultés et cela en est résté là : cette compagnie avait calculé qu’en creusant de douze pieds le lit de la riviere à Killaloe, elle devait dessécher quatorze mille arpens de terre ; les frais de cette entreprise lui feraient revenus à vingt et quelques mille livres sterlings, ce n’eut pas encore été payer bien chèr sept mille arpens de terre ; il était à présumer cependant, qu’ils n’eussent pas produit grand chose les premieres années et que sans doute un grand tiers, eut été sablonneux et point propre à la culture.
Les Propriétaires fonciers sont communément trés jaloux, d’une compagnie qui éxécute de pareilles entreprises, ils s’opposent souvent à ses desseins, et préferent avoir leur terre sous l’eau, que de la partager avec elle : mais il y aurait une maniere d’accomoder tous les partis ; chaque propriétaire pourrait s’obliger de payer quatre où cinq livres sterlings pour chaque arpent de terre bon ou mauvais, que la compagnie lui dessecherait à ses frais et risques.
La petite ville de Killaloe est assez laide, la Cathédrale est grande et parait assez bien bâtie ; le pont de pierre qui traverse le Shannon dans cet endroit a dix huit arches, mais elles sont très petites et s’il était à rebâtir, je crois qu’on pourrait n’en faire que neuf à dix modernes. Je me rendis chez le Ministre de la paroisse, qui a une maison superbe à quelque distance de la ville, sur une hauteur qui domine Lough Derg ; on a de là, le point de vue le plus magnifique de cette vaste pièce d’eau, dont les bords sont presque partout très élevés et cultivés avec soin. Il y a une baye de sept à huit milles de long, qu’on ne peut appercevoir qu’en montant au sommet d’une assez haute montagne dans le voisinage ; l’on découvre, de cette hauteur, le Shannon serpentant dans la plaine jusqu’à Limérick, et l’endroit où il se jette dans le lac près de Portumna, aussi bien que les petites villes qui sont sur ses bords, dont la principale est Ninagh, et l’on distingue encore, le chemin qui conduit aux mines d’argent que l’on travaille à sept milles de Killaloe.
On est faché de ne voir nulle part aucune apparence d’industrie : il n’y a point de Manufacture : après le labourage il n’y a plus rien à attendre ; mais patience, il faut un certain temps à une nation pour sortir d’une stupeur de sept cents ans ; il n’y en a que quatorze, qu’elle commence à donner l’essor à son génie ; déjà l’on a pensé à surmonter les difficultés immenses qui se présentaient pour rendre le Shannon navigable ; on y a en partie réussi dans bien des endroits par le moyen de canaux de communications : il doit l’être à présent depuis la mer, jusqu’à l’endroit ou il est joint par le grand Canal d’Irlande à une trentaine de mille, plus haut que Portumna. Le grand Canal s’achéve lui-même tout doucement, et sera certainement fini dans quelques années : alors la communication intérieure sera ouverte au travèrs de l’Irlande, de Dublin à Limerick, et l’industrie s’augmentera en proportion des moyens de se défaire avantageusement de son produit.
On ne s’en est même pas tenu là ; j’ai vu plusieurs cartes du Shannon, eù les canaux de communication entre les lacs supérieurs, depuis celui de Derg, sont marqués jusqu’au de là de Leitrim, dans le Lough Allen, à une distance de plus de deux cent milles Irlandais ; Je ne vois pas pourquoi, on ne chercherait pas à faire un effort de plus, pour achever de joindre Lough Clean, le dernier ou plutôt le premier lac du Shannon, avec la riviere et le lac Gilty, qui se jettent dans la mer à Sligo : la distance entre les deux rivieres, n’est guères que de cinq où six milles ; elles sont, il est sùr séparées par des hauteurs, mais pas à beaucoup près si considérable qu’on l’imaginerait de la tête d’une telle riviere, qui vient prendre sa source à quinze ou seize milles de la mer, et traverse l’Irlande dans un cours de deux cent cinquante milles à-peu-près, dans la même maniere et dans la même direction que la Séverne en Angleterre.
On doit cependant convenir que la navigation des grands lacs qui se trouvent sur son cours, doit être fort difficile à des bateaux de canaux où de rivières ; ces lacs sont sujets, comme toutes les eaux méditerrannées, à des tempêtes soudaines qui renverseraient aisément le bateau le plus fort. Le seul reméde que je voye à cela ; c’est de les dessécher ; avec quelque argent et de la bonne volonté ce ne serait pas très difficile, et donnerait de plus à l’Irlande deux cents mille arpens de terre.
Les premiers pas pour la civilisation d’un pays, c’est de couper les bois, de déssécher les marais, de creuser le lit des rivieres, et de donner du cours aux eaux stagnantes ... les gens de ce pays, ont assez bien réussi dans le premier article pour n’avoir pas laissé de quoi faire un cure-dent dans bien des endroits : à peine ont ils commencés à s’occupper des autres.
On voit près de Killaloe un de ces forts ronds qui sont si communs en Irlande : on appelle celui-cy, O’Bryan’s Palace: la tradition rapporte que cet O’Bryan Bohrom, qui défit les Danois à Clontarf et périt dans la bataille, faisait ici sa résidence : il est assez bien situé pour la défense, et à l’endroit où la riviere sort du lac ; ce fort n’est pas si grand que plusieurs que j’ai vu, mais les parapets semblent plus élevés et les fosses plus profonds ; je ne scaurais concevoir qu’elle espèce de Palais, ou de demeure quelconque, on pouvait élever dans une enceinte pareille, à moins que ce ne fussent des baraques de planches, où des tentes.
Je suivis le côté de l’Ouest du Lough Derg, et m’accostai d’un honnête procureur, qui s’en allait gaiement mettre à contribution le pays d’alentour ; il me montra à quelque distance du rivage, une tour quarrée située sur un roc ; quelques Contrebandiers déterminée y avaient établie une distillerie pour éviter les droits ; ils s’y étaient barricadés et avaient même des armes avec eux ; aucun commis de la douane n’osait hazarder ses jours prétieux en approchant de ces amis déterminés de la Créature. On fut obligé d’envoyer des troupes contre eux avec du canon, mais la distance du rivage etait un peu considérable, et d’ailleurs on ne voulait pas venir à la derniere rigueur ; on fut obligé de les affammer, et ils ne se rendirent que le quinzieme jour, après une capitulation honorable.
Je passai ce jour là, chez Mr. H. Brady à Tomgrany, qui est un assez joli village, situé au fond de la baye dont j’ai parlé ; on découvre de là plusieurs isles dans le lac, entre-autres celle que l’on appelle l’Isle Sainte, où l’on voit une tour ronde très élevée ; il y avait aussi autrefois sept Eglises ; les habitans viennent toujours avec beaucoup de dévotion, faire des pélerinages autour des ruines ; les Catholiques du pays se sont réservés le cimetierre, et ne permettent à qui que ce soit parmi les protestans, d’y faire déposer ses os. Un homme riche de la paroisse menaçait un laboureur de l’en faire chasser..." oui dà ! dit l’autre, " j’ai plus de droits dans la paroisse que vous, car vous ne sauriez me priver de six pieds de terre dans l’isle Sainte, et avec toute votre richesse vous ne sauriez les y avoir. "
Traversant la ville ruinée de Mont-Shannon, je me rendis à Meelick, chez Mr. Th. Burk ; il y avait auprès de sa maison une Abbaye dont les ruines sont encore regardées avec vénération ; on voit près de celles de la chapelle, une espèce de célulle en pierre fort singuliere, et dans laquelle, tout ce qu’un homme peut faire, est de s’y retourner ; cela semble avoir été un confessional. Au dessus d’une tombe, il y a une pierre creusée quarrément, pleine d’eau du ciel et qui a dit on la vertu de guérir les cors ... c’est charmant de voyager en Irlande ; j’espere que quand ma promenade sera finie ; je serai guéri de tous maux. Les bords du lac, étaient il y a peu de tems, couverts de bois dans cette partie ; on finissait de les abbattre alors ; à présent tout ce pays est nud et bien aride.
Près de Woodfort, il commence à s’embellir, et est assez joli prés d’un village qu’on appelle Abby, sur les confins des provinces de Munster et de Connaught. Il y avait là, une Abbaye très considérable et dont l’Eglise était dédiée à la Vierge. C’était un jour de fête, et il y avait beaucoup de monde : cette ruine est une des seules dont les habitans ayent eu le bon esprit de tirer parti, pour s’éviter la peine de bâtir une nouvelle église. Les Catholiques ont, dans ces derniers tems, obtenus la permission de faire usage de deux des chapelles latérales, dont la voute tenait encore ; on ne peut guères se faire une idée de la misere de ces chapelles et des pauvres gens qui les fréquentent. Il y avait alors dans le cimetierre, deux où trois prêtres occuppés à confesser : ils étaient assis sur une pierre, et avaient dans la main un petit drapeau, qui servait à séparer le pénitent de la foule : quand son affaire était finie, il était remplacé, par un autre. Le prêtre, à ce qu’on m’a plusieurs fois assuré, reçoit quelque chose pour sa peine, dont le tariffe est fixé : c’est, m’a-t-on encore dit, leur principal revenu. Au bout du compte il faut bien qu’ils vivent, ce n’est que sur les petits droits qu’ils perçoivent sur les fidéles, que leur cuisine est fondée. J’en ai cependant vu, à ma grande surprise, qui n’étaient point mal, qui avaient même entre cent et deux cents livres sterlings par an, en outre d’une maison passable et des diners sans fin, qu’ils sont, en quelque façon, authorisés à aller prendre chez leurs paroissiens un peu aisés.
La loi accorde à tout prêtre catholique, qui se fait protestant, la somme de quarante livres sterlings par an, qui doit lui être payée par le Comté dans lequel il vit : il doit aussi être promù au premier vicariat * (curacy} vacant. Les insultes que le peuple fait souffrir au petit nombre, qui ont profité de ces avantages sont bien faites, pour dégouter ceux qu’une conscience relachée ferait plus penser à leurs intérets temporels : cependant la loi est pour eux et je ne crois pas, qu’il y en ait une douzaine dans toute l’Irlande.
- Le ministre que l’on appelle Vicar en Anglais, est le Curé en Francais et le Curate Anglais c’est le Vicaire.
Je fus visiter prés de cette Abbaye, la sainte Fontaine du lieu : elle n’est point comme les autres au milieu de la campagne, elle est entourée de maisons : quoique je fusse prévenu et que je susse à-peu-près ce que je devais y trouver, j’avoue qu’il me fut bien difficile de tenir mon sérieux, en voyant une vingtaine de femmes retroussées d’une maniere toute particuliere et marchant à la file les unes des autres sur leurs genoux nuds. Il faut bien penser à la Vierge pour ne pas eclater de rire, en voyant les contorsions que les cailloux leur font faire, aussi bien que la peur qu’elles ont de laisser salir leur beau cotillon rouge, et la maniere originale dont elles le retroussent entre leur cuisse, ou même sur leurs hanches .... ah, ah ! Monsieur Twiss, la belle occasion que c’eut été pour vous ! les belles remarques que vous eussiez pu faire sur la forme et la grosseur des jambes et des cuisses . . . je serai plus discret que vous, Monsieur Twiss, et je ne ferai point part au public, de ce que la Vierge me fit voir ce jour là.
Il y avait à quelque distance un bon humain, qui me voyant étranger, s’approcha de moi : je lui demandai à quoi l’eau de la fontaine était bonne ; " ah ! Monsieur me dit il, " à tout ; l’aveugle s’en retourne en marchant, le boiteux en parlant et le sourd en voyant. Si vous avez quelques infirmités, faites seulement sept fois le tour et vous verrez ce qui en arrivera."
Je n’avais pas besoin d’en faire l’expérience par moi-même pour voir ce qui aurait pu en arriver, car aprés le pélerinage lorsque ces pauvres gens vont se laver dans la fontaine, j’ai vu plus d’un genou écorché et saignant. Au fait cependant, si cette pénitence sévere peut prévenir des fautes, par la crainte du mal que les cailloux pourraient faire. Qu’importe ? je suis de ces gens, qui croyent préférable de prévenir le crime par des sottises, que d’être obligé de le réprimer après, par le glaive de la justice.