Promenade d’un Français dans l’Irlande/Dublin
ES bords de la Suire sont couverts de maisons de campagne agréablement situées, et elle est tres profonde jusqu’à Waterford, cette ville fait un grand commerce de salaison, et semble tres florissante : Il y a un quai qui aurait pu être de tres grand ornement, si les magistrats ne s’étaient avisés dernièrement, d’y bâtir des chantiers pour la construction des vaisseaux et quelques bicoques d’assez mauvais gout pour le service du public. On croirait d’abord, que les chantiers eussent été infiniment mieux de l’autre côté de la rivière pour les ouvriers qui y sont employés, qu’ensuite l’odeur du goudron, n’aurait pas empésté les maisons du voisinage, et que le quai n’aurait pas été interrompu, mais oh ! sweet smell of gain. Le pont est le premier de ce genre construit en Irlande : les piles de bois sont couvertes par trente trois pieds d'eau à la marée haute, sa beauté et sa solidité dans un endroit aussi profond de la rivière, fait beaucoup d'honneur à l'architecte qui en a construit plusieurs autres sur le même modéle.
Il y avoit alors dans la riviére un vaisseau Américain, chargé de passagers Nantais pour New York : il avoit fait naufrage sur les côtes et n'avait quitté la France que depuis quelque-jours. Les habitans firent une souscription en leur faveur et leur fournirent de vivres, jusqu'a l'endroit de leur destination. Je fis à ces passagers beaucoup de question sur le pays qu'ils venaient de quitter : ils étaient tous des gens du commun, des artizans pour la plupart, qui ne pouvaient me répondre autre chose, si non que le pain était cher, qu'il y avait bien de la misere et qu'ils allaient à New York, pour tacher d'y trouver de l'ouvrage.
Comme mon intention était de me rendre à Dublin, aussitôt que possible, je pris une place dans le coche qui ne me conduisit pas plus loin que Gorum, où il joignit la malle de Cork, mais malheureusement toutes les places étant prises, on me laissa dans ce misérable village, sans autre moyen quelconque d'aller plus loin avec mes effets, que de louer ce qu'ils appellent un car. Leur car est une espèce de charette très basse, sur des roues de deux pieds de diametre d'une, où deux pieces de bois,attachées à un gros essieu de bois, eù de fer qui tourne avec elles, je crois cette singuliere construction très bien calculée pour porter des poids considérables, mais pas si bien pour les travaux de la campagne aux quels on l'employe communément. Elle est cependant fabriquée de telle maniere qu'on pourrait imaginer que quelque fermier vigilant en a été l'inventeur, car le car est si près et tellement placé sous la queue du cheval, que tout ce qu'il peut laisser tomber y est reçu.
Ayant donc fait marché avec un carrier, de me conduire à six milles, au prix modéré d'une chaise de poste, je m'arrangeai dessus avec mon bagage. Mon conducteur s'arrêtait à toutes les portes pour boire, où causer, et cependant je restais au milieu du chemin, et exposé à la pluie : je le priai dabord très honnêtement, de continuer sa route, mais comme, après deux où trois fois, je m'apperçus qu'il n'en tenait compte, je commençai à répéter de toute ma force, ces compliments éloquens que l'on peut apprendre sur les ports et dans les marchés de Londres ; je m'apperçus bien vite, que cela le touchait extrêmement, car je lui entendis dire, en quittant ses amis, by phesbus, I am sure he is a gentleman, for he swears most confoundedly. Après cette petite leçon je n'eus pas la moindre peine avec lui, mais la pluie et les dragées dont le cheval avait rempli mes poches, me mirent de si mauvaise humeur, que je me promis bien, de ne plus m'exposer à leur faire tort de leurs denrées.
Je fus de là à Carlow, où l'on vient d'établir un séminaire pour les prêtres catholiques : cette ville est située sur la Barrow qui se joint avec le grand Canal d'Irlande : désirant en avoir une idée, je me rendis à Athy, où il y a tous les jours des bateaux publics qui se rendent à Dublin. En entrant dans le village, je fus arrêté par quatre où cinq personnes qui me demanderent la charité : ... c'était, disaient elles, afin de procurer un enterment honorable à un pauvre diable, qui était mort de faim : je leur répondis, que puisqu’il était mort, il n’avait plus besoin de rien, cette raison ne parut pas les satisfaire ; je contribuai à sa pompe funebre ! cette occasion est peutêtre la seule, où ses amis se soyent intérréssés à son sort.
Les bateaux du canal sont très commodes, et ressemblent beaucoup à ceux de Hollande, mais le prix du voyage est près du double. Celui dans lequel je voyageai, était rempli de discoureurs politiques, assez semblables a ce que nous appellions en France, des Mouchards ; m’appercevant étranger, un d’eux m’addressa plusieurs fois la parolle, sur des matieres assez délicates du governement. Après avoir fait quelque tems des réponses ambigùes, crainte d’interprétations fausses, je crus à-propos de faire semblant de dormir, et je me mis à ronfler : c’est une assez bonne manière de se tirer d’affaire en pareil cas.
Ce canal est un ouvrage superbe, il passe au travers de tourbes immenses, où l’on a été obligé de creuser dix où douze pieds, avant d’arriver à la terre, pour former les côtés et le fond du canal. On passe plusieurs aqueducs, entrautres un dont la hauteur et la longueur sont vraiment prodigieuse.
Dublin est une ville très considérable, a peu près la quatrieme partie de Londres, dont elle est l’image en petit ; les rues mêmes portent le même nom : la beauté de ses bàtimens pourrait le disputer à ceux de cette capitale : on est étonné de leur magnificence et de leur nombre. Le palais où le parlement s’assemble, fait honneur aux représentans de la nation, c’est un immense batiment circulaire et entouré d’une colonnade magnifique.
Il est digne de remarque, que l'endroit où s'assemblent les députés où représentans des plus grandes nations, est communément un vieux bâtiment irrégulier et fort laid, auquel on a tant d'attachement qu'on ne pense pas à en bâtir un plus commode.
La Bourse où le royal Exchange, est assez semblable à la maison du Maire à Londres quoique plus petite : la Douane aussi est beaucoup trop belle pour son usage, et le nouveau bâtiment que l'on appelle les Quatres Cours de justice, donne le plaisir à Thémis de se voir logée dans un endroit décent, ce qui dans tous les pays de l'Europe est assez rare. Son ancienne résidence était vraiment quelque chose d'éffrayant, tant par ses suppôts, que par l'air lugubre et sombre de l'antre dans lequel ils se tenaient : je me suis souvent amusé à me promener au milieu d'eux ; comme il n'était guères probable, que dans la situation où je me trouvais, j'eusse rien à démêler avec eux : je riais en moi-même de leur large perruque, sous laquelle était enterrée presque toute la figure, dont on n'appercevait gueres qu'un long nez, ainsi que ces faucons qu'on a dressé à fondre sur leur proie et dont le bec seul est à découvert. Si j'en crois la renommée, leurs attorneys ne le cédent en rien à nos procureurs et même par quelques petites histoires dont j'ai entendu parler, il semblerait qu'ils soient encore plus habiles.
Les places sont larges et bien bâties, le port seul, ne semblait pas répondre au reste de la ville, on vient de creuser un bassin immense qui remédiera à ce défaut, lorsque quelques maisons auront été bâties sur les bords pour le garantir du vent. Il est singulier que jusqu’à présent on n’ait pas encore pensé à avoir une belle Eglise à Dublin, elles sont toutes vieilles, et sans la moindre décoration ; il n’y a en tout, que deux misérables clochers, ce défaut empêche la ville de paraitre à quelque distance autant qu’elle le devrait faire.
Comme mon objet n’est pas de donner une description topographique de cette grande ville, je ne m’étendrai pas davantage sur les palais et les beaux batimens qu’elle contient. Les carosses brillans et l’opulence apparente des principales maisons, rendent encore plus choquante la vue des mendiants, dont la pauvreté abjecte fait horreur. On les voit collés pendant des heures, sur les grilles des étages souterrains, et forcer la charité en privant les gens qui y demeurent de la lumière du jour : d’autres aussi, sont très insolens et obtiennent en quelque façon par force, ce qu’on ne parait pas disposé à leur donner de bonne volonté. Ces scênes dégoutantes endurcissent le cœur peu-à-peu, et je n’ai jamais été moins disposé à faire la charité, que quelque tems après avoir demeuré à Dublin.
J’employai mon loisir, les premiers jours de mon arrivée comme je fais odinairement dans pareil cas, à courir de côtés et d’autres et à me mêler autant que possible a la foule. J’en joignis une qui me semblait attendre quelque chose avec beaucoup d’impatience, et j’arrivai auprès d’un gros batiment qui avait l’air d’un vieux chateau ; il y avait une petite plateforme au niveau d’une fenêtre au sécond étage ; plusieurs hommes d’assez mauvaise mine parurent dessus, je crus d’abord qu'il allait se passer quelque cérémonie singuliere ; mais bientôt je fus désabusé, car l'un d'eux passa une corde au cou de l'autre et l'acrocha à une barre de fer au dessus de lui ... je voulus m'éloigner au plus vite, mais la foule était trop grande : le pauvre malheureux resta un moment tout seul, exposé à la vue du peuple et bientôt la table sur laquelle ses pieds portaient, tomba et se replia sur la muraille ! .. on peut voir que les Irlandais ont encore enchéri sur leurs voisins, dans la manière de pendre les gens avec grace : mais je le répéte, je pense que c'est une très grande cruauté, que de faire une espéce de parade de la mort d'un homme : en diminuant l'horreur du suplice, on augmente les crimes et on multiplie les exécutions : je ne serais pas éloigné de croire que ce pourrait bien être la raison, pourquoi il y a plus de gens pendus dans la grande Bretagne et l'Irlande, que dans tout le reste de l'Europe.
La foule sembla se diriger vers un autre endroit, je la suivis encore et elle me conduisit au parc du Phoenix, où il y avait une course de chevaux ; je ne saurais trop dire le quel des deux, de la course où de l'éxécution, fit plus de plaisir au monstre à cent têtes.
Quoique la ville où les gens aisés demeurent soit peut-être une des plus belles de l'Europe, cependant les quartiers, où le bas peuple végéte, ne peuvent être comparé à rien par la malproperté et la misere qu'on y rencontre, on appelle ces quartiers, les Libertés de Dublin, et cela m'a souvent fait penser qu'après les Libertés de France sous Robespierre, il n’y en avait pas de plus dégoûtantes dans l’univers.
Parmi les personnes à qui j’étais recommandé, il y avait des Généraux et des Médecins, des Evêques et des Curés, des Banquiers et des Auteurs, des Lords et des Professeurs, des Avocats et des Plaideurs. Mr. Burton Conningham fut un de ceux qui m’accueillit le mieux, il eut la bonté de m’encourager dans mon plan : c’était un homme très respectable, ami du bien public et de tout ce qui lui semblait pouvoir être utile à son pays ; je puis en dire du bien sans crainte de passer pour flatteur, car il est mort. Il eut la complaisance de me conduire dans les différentes sociétés de gens de lettre et me fit faire connaissance avec quelques uns deux ; il y en a de très aimables et de très instruits, mais je n’en n’ai pas connu un seul, qui n’eut quelque chose d’original dans sa manière.
Le cabinet d’histoire naturelle pour les pierres, dont Mr. Kirwan prend soin, mérite l’attention du curieux ; On y trouve réuni un assemblage intéressant de toutes les pierres et de tous les minéraux connus. La bibliothéque de Lord Charlemont est un bijou charmant, où l’on voit rassemblé l’élégance et le bon gout.
On croirait, à voir les Irlandais dans les pays étrangers, qu’ils doivent être très galants et qu’ils ne peuvent vivre sans société : les mêmes gens, qui semblent avoir tant de plaisir à courtiser nos dames, ne paraissent pas en avoir du-tout, à voir les leurs exposées à la fleurette. Lorsqu’un Irlandais se présente à la porte d’un Jaques Roastbeef en Angleterre, celui-ci craint sur le champ quelque conspiration contre sa bourse, sa femme, sa fille où son vin. à Dublin en revanche, on rend cela assez passablement à l'étranger, et l'on est ce qu'ils appellent shy à le recevoir : on dirait que ces bonnes gens se rappellent leur tours de jeunesse.
On ne connait gueres d'autres sociétés, que ce qu'on appelle des routs où qu'avec plus de raison j'appellerais déroute, c'est à dire, que lorsque la maison peut contenir vingt personnes, on en invite soixante, ainsi de suite : j'ai vu de ces routs où depuis le vestibule jusqu'au grenier, toutes les salles étaient pleines de belles dames bien parées, qui sont si serrées les unes contre les autres qu'à peine elles peuvent se remuer et ne se parlent qu'avec l'éventail. Un étranger a quelques raisons d'être embarrassé dans ces assemblées trop brillantes, car il peut y voir plus de femmes rééllement charmantes, que dans bien des villes : il pense seulement que c'est grand domage de leur voir ainsi perdre dans les escaliers, un tems qu'elles pourraient passer plus agréablement avec un petit nombre d'amis, qui sauraient les apprécier.
Les gens riches dépensent presque tous, plus que leur revenu, et ainsi sont toujours obligés d'avoir recours à des expédients ruineux pour soutenir leur dépense : dans les pays plus fréquentés de l'Europe, cette prodigalité, est loin de faire tort à la société, en ce qu'elle encourage tous les arts et les talents qui servent à rendre la vie agréable ; en Irlande cela produit un effet tout à fait contraire et leur ôte la vie, parceque les fantaisies qui les ruinent, ne sont pas le produit du pays et qu'ainsi les beaux arts restent sans encouragements et ceux qui les cultivent se voyant meprisés, sont obligés de chercher une terre, qui sache mettre un prix à leur travaux. La seule chose que je voudrais recommander aux Lords qui veulent se ruiner, serait d’employer des choses faites en Irlande ; ce serait vraiment patriotique.
Lorsque l’on scut, que j’étais venu avec l’intention d’écrire les fariboles, dont le lecteur s’occuppe à présent, cela engagea plusieurs personnes à me procurer quelques agréments et m’ouvrit la porte d’établissements, où l’étranger n’avait jamais été admis.
D’autres me firent l’amitié, de me montrer le pot de chambre, au fond duquel on a mis la figure de Mr. Twiss, comme un petit encouragement. Ce Twiss était un Anglais, qui ne manquait pas d’ésprit, mais un Anglais comme on en voit beaucoup, remplis de préjugés en faveur de leur pays et qui regardent tous les autres peuples de la terre, comme des espéces tres inférieures. Après avoir couru toute l’Europe dans ces dispositions, il vint enfin en Irlande et eut l’imprudence de témoigner quelque mécontentement, de ce que les personnes à qui il était recommandé, ne l’invitaient pas plusieurs fois chez elles .... il aurait pu se rappeller que c’est un usage copié de l’Angleterre, où même on vous fait quelques fois l’amitié de vous inviter à la taverne et de vous faire payer votre écot. Cela lui valut quelques réponses un peu séches qui le mortifièrent: il commença la dessus son voyage et éprouva dans les villes, ce que j’y ai éprouvé moi-même, c’est-à-dire une hospitalité trop cérémonieuse ; la personne à qui vous présentez une lettre, vous fait une visite en cérémonie le lendemain et vous envoie une carte d’invitation à trois où quatre jours de distance. Il est sùr qu’il est assez singulier, d’obliger un voyageur à rester aussi longtemps dans une petite ville, où il n’a point de connaissance, pour lui procurer enfin le plaisir de voir de belles pièces d’argenterie, bien luisante sur le buffet, des domestiques en livrées, une grosse piece de bœuf au bout de la table et des questioneurs enragés autour ; mais enfin c’est l’usage et on croit faire une tres grande politesse, en ne vous invitant pas dès le premier jour ; il y a cependant dans toutes les villes des gens qui suivent la bonne vieille coutume, ainsi la seule chose à faire, c’est de tâcher d’avoir des lettres pour des gens d’un état différent et alors on passe son temps assez agréablement.
Cette maniere déplut fort à Mr. Twiss et comme dans le monde, le désagrement comme l’ennui, est une monnaie qui se donne et se reçoit, les siennes par conséquent, furent aussi loin de plaire : il acheva son voyage aussi vite qu’il put sans presque s’arrêter et à son retour, il publia une cinquantaine de pages, non pas tant sur ce qu’il avait lui même observé, que sur le rapport de voyageurs, il y a quatre où cinq cents ans ; il est sùr que ses rapports sont forts originaux, particulierement sur la maniere dont les filles faisaient le pain à Cork, en 1400. Il se permit aussi quelques plaisanteries sur les pelures de pommes de terre et sur les jambes des dames ; avec tout la véracité possible, ceci est un article fort délicat et on doit garder pour foi, toutes les observations que l’on a été assez heureux, de faire à ce sujet. Cela déplut extrêmement et pour s’en venger, on fit l’enfantillage de le représenter la bouche ouverte au fond d’un pot de chambre !
C’est une position nouvelle pour un voyageur de profession, allons Mr. Twiss, un autre volume, communiquez nous vos remarques, et surtout Soyez vêridique ! cependant il y eut quelque chose qui dut le consoler, c’est que son ouvrage qui au fait ne signifie pas grand chose, se vendit si bien, qu’à peine pourrait-on en trouver un éxemplaire à Dublin. Pour moi, je n’ai de rancune contre personne, les préjugés de ce pays me sont étrangers, les querelles politiques et religieuses qui l’ont déchiré si longtems, me sont aussi indifférentes que celles des Chinois ; d’après cela, pour quoi ne dirais je pas ce que je pense et quel mérite aurait mon ouvrage, si je m’abaissais à flatter dans quelque occasion que ce soit.
Une de mes connaissances me mena au théatre de société : c’est assurément un des établissement les plus somptueux que j’aye vu de ce genre, la salle est fort belle et l’assemblée tres nombreuse et parfaitement choisie ; le nombre de belles femmes qu’on y voit, a vraiment quelque chose de séduisant et une des seules foules dans laquelle je ne craindrais pas de me trouve pressé, est celle de la salle qui sert de caffe lorsque le spectacle est fini. Cependant je dois dire que ce théatre fait le plus grand tort au spectacle public ; on ne doit espérer avoir de bons acteurs que lorsqu’ils sont bien payés, et si les jeunes gens riches se ruinent à être acteurs eux mêmes, ils feront bien loin d’être disposés à encourager leur rivaux en tout, car les actrices viennent du théatre public. Les hommes ne sont point reçus sans être souscribteurs et le prix de la souscription revient à environ une guinée par représentation : chaque homme peut conduire deux dames avec lui, et le jour que j’y fus admis, cela engagea un jeune homme de la ville à s’affubler de cotillons et à s’y faire introduire par un de ses amis. Malheureusement il était un peu gai et il prononça quelques juremens peu féminins, cela fit scandale et on le mit à la porte ; je vis quelques uns des acteurs jouer passablement, mais j’en demande pardon, j’avoue que je ne puis me faire à voir des gens de rang, paraitre sur le théatre devant le public, car l’assemblée est assez nombreuse pour avoir ce nom. Au surplus je dois profiter de cette occasion pour remercier les personnes qui ont eu la complaisance de m’y admettre.
La salle de spectacle public est assez laide, le théatre étant peu suivi, les acteurs ne sont pas meilleurs que dans une petite ville de province.
On avait imaginé à Dublin un plaisir assez singulier dont le produit servait à maintenir l’hopital des femmes en couche ; c’est ce que l’on appellait, Promenade : en faveur du nom, j’ai voulu savoir ce que c’était : on se promenait dans une salle circulaire que l’on appelle la Rotonde, il y régnait un peu plus de liberté que dans les maisons, quoique cependant on ne se mêlat et on ne parlat qu’avec des gens de sa société ; après un certain tems on sonnait une cloche, et toute la compagnie se portait avec vivacité vèrs une porte que l’on ouvrait et chacun se plaçait avec ses amis autour de différentes tables de thé ; ma sociécé ne consistait que dans moi seul, et je ne pus jamais parvenir à me joindre avec un autre ; cela me donna occasion d’éxaminer les différentes parties : il y régnait vraiment une joie tranquille qui me fit d’autant plus de plaisir, que je ne m’attendais pas à l’y trouver. Les bonnes mamans étaient assez rares et semblaient distraites, les jeunes personnes au contraire étaient tres nombreuses et semblaient occupées, en un mot je ne doute pas que cette Proménade ne répondit parfaitement à son objet .... d’aider les couches des femmes. L’argent qui en provenait est à peu près tout ce que l’hopital avait pour se maintenir ; on y donne maintenant quelques fois des bals, pour lesquels, la salle semble mieux construite que pour les promenades.
Il y a plusieurs autres hopitaux, tous tenus par souscription ainsi qu’en Angleterre ; je ne puis souffrir de voir les secours donnés aux pauvres, dépendre du caprice et de la mode du moment. Si ce n’était plus la mode de souscrire que deviendraient tout ces établissemens ; ils étaient autrefois maintenus par des terres, mais à la réformation on les leur a ôté et quelques familles riches s’en sont emparés, pour prévenir la malversation, dont on accusait les administrateurs.
L’hopital des vieillards fait honneur aux habitans de cette ville, qui font éxister ainsi, un très grand nombre de pere de famille tombés dans la misere sur la fin de leur jours.
La maison d’industrie est un établissement considérable, où il y a près de dix sept cent pauvres, elle est en partie maintenue par leur travail ; leur ordinaire est infiniment meilleur, que dans la plupart des maisons de paysans, ils ont de la viande une fois par semaine, du pain, des pommes de terre et autres légumes tous les jours, des lits tres propres, il n’y a guères que leurs habits qui soient les mêmes qu’ils avaient avant. Tout pauvre qui se présente à cette maison, a droit d’y être reçu : ceux qui viennent ainsi s’offrir d’euxmêmes, peuvent sortir un jour de la semaine. Cependant malgré ces avantages, l’amour de la liberté est tellement enraciné dans le cœur de l’homme, qu’il y en a fort peu qui y viennent de leur bon gré et que les autres ne pensent qu’à s’évader.
Les artisans et gens de métier s’occupent souvent de plusieurs objets qui semblent entièrement opposés : on pourrait peutêtre attribuer à cette raison, la médiocrité de la plupart des choses qu’ils fabriquent.
Pendant que j’étais à Dublin, c’était la mode pour les gens de haute volée, d’aller entendre les sermons de charité d’un fameux prédicateur, Mr. Kirwan ; il est souvent arrivé que l’on y a fait des quêtes, qui ont monté jusqu’à mille ou douze cent livres sterlings : le but de ces aumônes, est pour maintenir des écolles de charité pour les orphelins. Les dames de Dublin s’occupent de petits ouvrages, dont elles fournissent les premiers matériaux à leurs frais et qu’elles font vendre ensuite au profit de ces mêmes Ecolles : j’ai été admis dans peu de maison riches, où je n’en n’aye vu d’occuppées de cet objet. Comme les gens d’un ordre mitoyen, sont toujours disposés à imiter leur supérieurs, cela a rendu les sermons de charité très fréquens par toute la ville ! c’est fort heureux quand ils ont d’aussi bons éxemples à suivre. Je trouve Mr. Kirwan, un prédicateur parfait, qui joint à un discours excellent une éloquence peu commune ; il fait tirer de la bourse du pécheur, les secours que la froide charité toute seule, aurait beaucoup de peine à en faire venir. Cependant la chaleur de ses expressions et ses gestes animés ont fait tres grand tort à la chaire dans cette ville ; ils y font souvent monter des forcenés qui par leur fureur ridicule, pourraient faire croire aux gens faibles de leur audience, que le diable en personne s’est affublé de la chasuble, pour venir les prêcher. Il est singulier comme tout est mode dans ce monde : à Dublin pour imiter un prédicateur favori et qui certainement a beaucoup de mérite, la tourbe des prêcheurs affecte une declamation et des gestes plus que théâtrales, tandis qu’à Edimbourg où un Mr. Greenfield, le ministre favori, a adopté une manière différente, on les voit immobiles, les yeux fixés sur un objet et articuler avec froideur, un froid sermon ; ils font communément si peu de geste et parlent avec si peu de chaleur, qu’autant vaudrait revêtir un morceau de bois de la cassoque presbytérienne dans l’un et l’autre cas, ils sont guidés par le désir d’imiter un homme que le public admire avec raison. Le prétexte de Mr. Greenfield pour son immobilité, c’est que la nature l’a formé d’une maniere si singuliere, que si dans le cours de son discours, quelque objet ridicule frappait sa vue, il ne pourrait s’empêcher d’éclater de rire ... voila une des raisons les plus originales que j’aye entendu donner : si un homme moins connu, s’avisait d’en offrir une pareille dans le cours de la vie, qu’en penserait-on ? dans tous les cas, je ne vois pas plus de raison pour les autres ministres, d’affecter sa maniére, qu’à Dublin, d’outrer celle de Mr. Kirwan, in medium veritas.
La justice est distribuée à peu-près de la même manière qu’en Angleterre et aussi comme en Angleterre, le prix des loix et de la médecine est éxorbitant : non seulement le pauvre est absolument privé des secours de cette derniere, mais encore tous ceux qui n’ont pas une fortune considérable ; même dans le fond des provinces de la Grande Bretagne, aussi bien que de l’Irlande, la classe mitoyenne ne peut guères espérer de voir un de Messieurs les suivans d’Hippocrate, à moins d’une, ou deux guinées par visite, et encore feraient ils capables de demander si elles sont de poids. Cependant les médecins, se font souvent un devoir, de visiter pour rien les personnes qu’ils savent n’avoir pas le moyen de payer, et l’on trouve dans cette classe des gens tres instruits, et très réspectables.
Il y a aussi des établissemens, afin de faciliter au pauvre le moyen d’avoir justice, mais ces moyens ne peuvent être employés avec décence que par l’homme qui n’a rien du tout, et c’est avec assez de peine que le pauvre plaideur peut à la fin faire entendre sa cause à l’oreille du juge ; il y a des éxemples d’hommes pauvres qui ont obtenu justice prompte, mais ce n’est guères que par le canal de gens riches, qui ont pris leur cause en main, et en ont fait la leur propre.
La classe des avocats, est dans les trois royaumes sur un pied tres respectable, et est composée de gens instruits et de tres bonne famille. Quoique on en dise, les attorneys ne sont pas si diables qu’ils sont noirs, j’en ai trouvé de fort honnêtes et de fort aimables ; cependant on assure, que quand on a quelques affaires avec un d’eux, à Londres aussi bien qu’à Dublin, il faut bien se donner de garde de lui souhaiter le bon jour dans la rue, car ce ferait mis sur le memoire, comme une consultation : il faut dit-on, encore bien moins l’inviter à diner, car en outre de l’abyme immense de son estomac, qu’on aurait beaucoup de peine a remplir, il pourrait arriver qu’il vous chargeat une guinée ou deux, pour l’usure de ses dents mâchelieres.
J’ai entendu parler d’un de ces Messieurs, qui chargeait régulièrement son client, pour avoir pensé à lui pendant son diner. Un d’eux, pendant que j’étais à Dublin, fut chargé par une dame à la campagne de porter une lettre à sa sœur : mon homme aussitôt arrivé en ville, prend une voiture et se rend chez elle, et comme elle était absente, il revint ainsi quinze jours de suite, lorsqu’à la fin l’ayant rencontrée, il lui remit sa lettre avec un mémoire de quinze guinées, pour ses peines et frais. Je ne finirais pas si je racontais toutes les histoires qui courent sur leur compte ; on pourrait leur appliquer la réponse de Lord Chesterfield, a Mademoiselle Chardleigh, (depuis Duchesse de Kingston,) qui se plaignait, qu’il était bien cruel, que l’on cherchat à détruire sa réputation en faisant courir le bruit dans la ville, qu’elle était accouchée de deux enfans ! " oh, dit-il," " cela ne doit pas vous inquiéter, vous savez bien qu’on ne doit jamais croire, que la moitié de ce qu’on dit."
Il m’a semblé, que dans la jurisprudence Anglaise, on emploie beaucoup trop la formule du serment, on fait jurer à tout bout de champ, et l’on semble y attacher beaucoup d’importance : n’est-il pas évident que l’homme sans foi, n’aura pas grande peine à charger sa conscience d’un crime de plus, s’il prévoit qu’il puisse lui être utile, et que l’homme de bien, n’a pas besoin de cette formalité. Voici une petite histoire qui explique allez bien, ce que je viens d’avancer.Pierrot avait emprunté le Chaudron,
De son voisin Lucas ! puis le trouvant tres bon
Ne voulut pas le rendre et lui chercha querelle !
De propos insultans une longue Kirielle
S’en suivit: après quoi le juge déclara,
Qu’il fallait que Pierrot jurat,
N’avoir pas du voisin emprunté la marmite !
" De tout mon cœur, s’écria l’hypocrite,"
Et sur le champ en l’air sa dextre il lui montra,
" Mais mechant," dit Lucas, " tu vas perdre ton ame ! "
" Toi, ton chaudron," lui repartit l’infame.
La Cour du Vice-Roi à Dublin est presqu’aussi brillante que celle du roy à Londres et le chateau dans laquelle il la tient efc d’une ancienne structure qui a aussi bonne apparence au moins, que le palais de St. James. Mr. Burton Conyngham eut la complaisance de me présenter à Lord Camden, qui ayant été informé de mon plan, crut qu’il pourrait être de quelque utilité et eut la bonté de m’engager à le mettre à éxécution, de ce moment, je m’en occuppai plus sérieusement et me mis à lire toutes les anciennes histoires et les ouvrages qui parlent du pays.
Si l’on ajoutait foi, aux récits de quelques uns de leurs Auteurs, on aurait bien de la peine à imaginer que leur histoire n’a rapport qu’à l’Irlande ; les descriptions pompeuses du grand monarque et des rois sans nombre qui composaient sa cour, pourraient faire croire que sa splendeur effaçait celle d’Aléxandre, après la conquête de l’Asie.
En tâchant d’écarter les fables, dont tous les peuples se plaisent à entourer leur origine, il parait qu’à remonter à une époque très recullée, ce pays avait toujours excité l’avidité des étrangers ; les Thuatha d’ha Denan (dont le nom Irlandais signifie les tribus des Danois,) succéderent aux Belges. Les chroniques Irlandaises, rapportent qu’une nation errante venant de la Tartarie, fixa pendant longtemps son séjour en Phénicie, qu’elle envoyat différentes colonies en Égypte et enfin forma une monarchie en Espagne, dans cette partie qui joint la France près des côtes de Galice, et après trois où quatre cents ans de séjour dans ce pays, une armée considérable sous la conduite de Milesius s’embarqua pour les côtes voisines de l’Irlande. Trouvant dans cette isle, le peuple dans un état peu différent de celui de pure nature, elle n’eut pas de peine à le vaincre, en dépit des sortiléges des Tuatha d’ha Denan ; Milesius, établit dans l’Irlande un gouvernement féodal pas très différent de celui qui éxiste encore à present en Allemagne. L’Isle entiere était divisée en quatre et quelques fois en cinq royaumes, qui eux-mêmes étaient subdivisés dans un très grand nombre de principautés. Il parait que les quatre principaux souverains s’étaient réservés le droit d’élire un monarque entre eux, ainsi qu’en Allemagne, où les sept Elécteurs, dont les états sont morcelés en petites principautés, ont le droit d’élire l’empereur, qui est le chef de la constitution Germanique.
Durant un cours de près de dixhuit siécles ils n’eurent d’autres ennemis étrangers, à combattre que les Danois, qui furent pendant un tems, maitres de presque tout le pays, quoiqu’à la fin O’Brien Boromh, roi de Munster, et alors grand Monarque d’Irlande, les défit si complettement à Clontarf près de Dublin, qu’ils n’oserent plus se montrer après ; ils ont laissé par toute l’Irlande plusieurs traces de leur séjour, tels que ces forts que les habitans appellent Rath, et dans la culture de terreins près de la mer et sur des hauteurs, qui y semblent peu propres à present ; il parait qu’ils les avaient choisis pour leur sureté personnelle, où pour s’éviter la peine de couper les bois, dans les parties que l’on cultive à present.
Ce nombre de princes et de petites nations dans l’Irlande y éxcitait des divisions et des guerres sans fin ; les différens partis se battaient avec l’acharnement des guerres civiles ; il est fort peu de grands Monarques, où de rois particuliers qui ne soient morts violement ; ce Boromh qui délivra son pays du joug des Danois, fut tué dans la bataille et son fils au lieu d’être reçu avec reconnaissance par ses compatriotes, fut obligé de les combattre à tous momens et ne parvint qu’avec beaucoup de peine dans ses états.
Il est singulier que dans un état de guerres perpétuelles, les beaux arts puissent fleurir en Irlande ; il parait cependant, que ces querelles et ces jalousies nationales n’avaient point éteint les lumieres qui leur avaient été apportées par Milesius et ses suivants ; quoique l’isle fut dans un état de troubles et dissentions perpetuelles, il s’en fallait cependant beaucoup qu’elle fut dans la situation de la plupart des pays sur le Continent, où les Goths, les Vandales et autres barbares se succédaient les uns aux autres.
Les Grecs semblent offrir un éxemple à peu près pareil : leur pays n’était pas beaucoup plus grand, il était comme l’Irlande, divisé en petites principautés et qui pis est, en petites républiques, sans avoir de chéfs suprême comme l’Allemagne et l’Irlande, qui put les contenir par son autorité : aussi était il déchiré de guerres intestines, de nations à nations et de villes à villes : cependant quel peuple dans l’univers, a porté les sciences et les arts à un plus haut point de perfection.
La fureur des partis, avaient toutes fois été poussée si loin, deux cents ans avant l’arrivée des Anglais sur leurs côtes, que la nation était affaiblie et était tombée dans un état de barbarie dont l’Europe ne faisait que de sortir ; peutêtre même, le progrès des lumieres sur le continent contribua-t-il à leur chute en Irlande en privant le pays de gens sçavans et paisibles, que la crainte avoit forcée d’y prendre asyle.
Il reste encore quelques monumens qui ont echappés à la rage du tems et des factions ; on peut encore consulter quelques ordonnames des roys d’Irlande qui prouvent que la Nation avait atteint un haut degrés de Civilisation.
Le général Vallancey, dans ses recherches ingénieuses sur les antiquités d’Irlande a fait une découverte singuliere qui constate évidemment les traditions qui s’étaient conservées par les habitans sur leur origine. Plaute dans une de ses comédies dont la scêne est en Sicile, introduit un général Carthaginois, qui se plaint dans sa langue, de la perte de sa fille : les Sçavants s’étaient vainement éxercés sur ce passage et avaient enfin renoncés à l’éxpliquer. Les copistes avaient joints ou déjoints les mots, comme il leur avait plu ; le général Vallancey sans déranger les lettres, mais seulement les distribuant où elles devaient être, a réussi avec beaucoup de peine à l’expliquer et a prouvé évidemmènt que l’Irlandais et la langue que parlait ce général Carthaginois étaient la même.
Il y a des passages tres altérés, mais cependant où la différence n’est pas beaucoup plus grande, qu’entre le Français de Rabelais et celui de nos jours, mais il y en a plusieurs, où il n’y a pas une seule lettre de différence et qui sont exprimés comme on le fait encore à présent : ainsi au milieu des plaintes du géneral Carthaginois, sur le perte de sa fille, on vient lui annoncer quelle est retrouvée et qu’elle a pris asyle dans le temple de Vénus sur quoi ; il récite ce vers,
Handone silli hanum bene silli in mustine
Tes faveurs ô Vénus, sont souvent bien ameres.
Où mot-à-mot, quand elle (Vénus) accorde une faveur, elle l’accorde enchainée avec le malheur.
Il y avait deux languages en Irlande, la langue des scavants et celle du peuple, qui en était une corruption ; la premiere se parlait à la cour, et devait être suivant toute apparence la langue punique ; l’autre parlé par le peuple devait être l’Erse, l’Irlandais, le Celtic ou le Gaellic. L’histoire nous aprend, que les Carthaginois étaient une colonie de Phéniciens, qui devaient par conséquent parler la même langue et lorsque l’on retrouve cette même langue, chez un peuple presqu’ignoré pendant très longtems des autres nations de l’Europe et que ses traditions et son histoire se réunissent à declarer que leurs ancêtres étaitnt une colonie Phénicienne, il faudrait être bien incrédule pour se refuser à les croire.
Les Écossais reclament la même origine et comme le language des deux nations, n’a pas plus de différence que l’Anglais d’un comté à l’autre, on ne peut gueres en douter, d’autant que les deux histoires s’accordent parfaitement en ce point, même pour les noms des chefs : la seule différence c’est que la chronique Irlandaise place cette émigration des Scots à une époque beaucoup plus rapprochée que l’histoire d’Ecosse. Il parait par elle, que ce fut à peu près au même tems, que les généraux romains poursuivaient les Calédoniens, les ancients habitans ; soit, que ce fut pour les aider a repousser leur vainqueur où pour profiter de leur malheur et s’emparer d’une partie du pays qu’ils venaient d’abandonner ; ils s’établirent comme je l’a déja dit, sur les côtes de l’ouest et après de longues et de sanglantes guerres contre les Romains, les Pictes, les Calédoniens et les Danois, ils se rendirent enfin, maitres de tout le pays.
L’Irlande quoique peu connue, portait le nom de Scotia, dans les livres de géographie des anciens. Les habitans dans les anciens manuscrits du pays, étaient désignés sous le nom de Schuidh où même Scots, où Scyts ; on a dérivé ce nom avec quel apparence de raison, des anciens Scythes où Tartares dont le pays semble avoir été la pepiniere du genre humain. *
- Il y a peu de nations en Europe et en Asie qui ne tirent leur origine des Tartares sous des noms différent, à commencer par les Francs et avant eux les Gaulois, qui ont laissé des traces de leur passage, les dernièrs dans l’Asie mineure, la Grece, et l’Italie, et les autres dans différents endroits depuis les confins de leur pays, en Transilvanie et en Allemagne.
Le nom de l’Irlande dans la langue du pays, est Erin ou Ennis Erin, qui veut dire l’isle de l’ouest, au surplus c’est assez indifférent ; cependant quand on parle des gens il est bon de connaitre, leur prétensions, leur origine, leur noms et surnoms afin d’éviter toutes méprises et pour ne pas les offenser.
St. Patrice le grand saint de pays, y vint planter la foi, des le troisième siecle de la Chrétienté ; il eût de grands débats avec les Druides, mais enfin il l’emportat, et pour récompenser son peuple fidele et le maintenir dans sa foi, il sut s’y prendre si adroitement, qu’il attirat tous les diables dans un certain endroit, sur le haut d’une montagne et les jetta les uns après les autres dans un trou tres profond au sommet ; il eut aussi le bon esprit de faire venir les serpents, les Pies, les Rats, les Grenouilles, les Tigres, les Lions, et autres bêtes venimeuses, (comme dit l’histoire) et il les précipita dans le même trou ; puis quand cette opération fut faite, il poussa une grosse pierre dessus, que l’on voit encore à Croagh Patrick, près de Westport. Aucun de ces animaux n’ont oie se montrer pendant longtemps en Irlande, mais malheureusement la foi commençant à s’affaiblir dans ces derniers temps, les Rats, les Pies, et les Grenouilles, ont osé reparaitre et il est fort à craindre qu’avant peu, tous les autres ne s’échappent.
Le jour de la fête de ce grand Saint, les paysans viennent en ville, et après s’être fait saigner, ils courent les rues avec une certaine herbe à leurs chapeaux, la cour assiste à une cérémonie de l’ordre, et le soir donne un grand bal.
Je me rendis un jour de grande revue, au parc du Phœnix, on tira le canon, on fit de grandes pétarrades, pour moi, je laissai les badauds voir pirouetter les soldats, n’en n’ayant que trop vu et je fus passer en revue les dames qui étaient sur le parapet du jardin ; il y avait trois bonnets jaunes qui formaient une batterie beaucoup plus attrayante que celle du Général, et presqu’aussi formidable. Si je n’avais devant les yeux, le sort funeste du pauvre Twifs, oh ! comme j’en dirais, il suffit Mesdames, de vous faire connaitre que jamais endroit ne fut plus convenable pour prouver à toute la terre, combien il vous a calomnié en disant du mal de ―― chut taisons nous, il vaut mieux laisser le plaisir de la découverte.
Je me trouvai à l’ouverture du nouveau bassin, l’importance d’un ouvrage aussi considérable, augmentait de beaucoup, l’intérêt de la pompe de la cérémonie. Le yacht du Viceroi fut le premier qui passa les écluses au bruit d’une vôlée de coups de canons ; et lorsqu’il fut arrivé dans le bassin, il créa Chevalier sur le vaisseau même, la personne qui avait entrepri et fourni aux frais de ce superbe ouvrage national ; il complette de ce côté, la jonction des canaux avec la mer ; Le Viceroi se promena ensuite d’un bout à l’autre dans un bateau élégant, toujours suivi et précédé des acclamations du peuple : l’enthousiasme de la foule immense, qui entourait la piéce d’eau, me faisait craindre que plusieurs ne s’y précipitassent, où ce que j’aurais encore moins aimé, ne m’y jettat moi-même ; dans quelque pays que l’on se trouve, on se laisse aisément électriser par le sentiment de la joie publique, surtout lorsquelle a des motifs raisonables comme dans cette occasion.
L’esprit de parti * soit politique, où religieux, s’est beaucoup affaibli dans ces derniers tems et j’ose espérer qu’avant dix ans il n’éxisterat plus du-tout. La religion catholique, a beaucoup plus de sectateurs que la dominante, qui n’est au fait que la religion des riches. Tous les gens de bas étage, par toute l’Irlande, excepté dans le nord, sont catholiques, Ils observent le carême et les jours de jeûne avec une régularité effrayante pour un homme qui n’aime à jeuner qu’à la maniere D’Ecosse. Le samedy saint en maniere de réjouissance, quelque bouchers proménent dans les rues, un hareng couvert de rubans et le fouettent avec des verges à chaque carrefour, pendant qu’une troupe d’enfants les suit en criant, baye baye baye, comme les moutons.
- Je veus parler de l’esprit de parti en faveur de la maison de Stewart.
Les gens du commun appellent le shilling Anglais a hog (un verrat) et la piece de six sous a pig, (un petit cochon) comme ce shilling vaut un sou de plus que celui du pays ; il fallait bien le distinguer du leur et on lui a donné le nom de l’animal le plus commun en Irlande, comme aussi le plus utile. Les Irlandais ont beaucoup d’amitié pour le cochon, il vit de pair-à-compagnon avec les habitans des campagnes, et souvent lorsque les Nourices veulent dire quelque douceur à leur marmôt, elle les font sauter dans leurs bras en leur chantant, my dear little pig, pig, pig, sweet little pig, & c’est un terme de grande tendresse à peu-près comme quand nos bourgois en France, appellaient leurs femmes, mon chou, ma poule, où mon rat.
Il y a à Dublin, une université fameuse : les places de Professeur sont, on pourrait presque dire, trop richement dotées, quoique ce ne soit pas leur avis : on trouve parmi eux, des gens tres instruits et fort aimables. Avant la Réformation, il fallait vraisemblablement être Prêtre pour avoir une chaire, et comme tels, ils ne pouvaient se marier. Par un caprice assez singulier de vieille fille, la reine Elizabeth a aussi éxigé la même chose, dans la nouvelle chartre qu’elle a accordé au Collége. Quoique presque tous les Professeurs soient mariés, ils ont cependant l’air de se soumettre à cette loi, car leurs femmes ne portent pas le nom de leurs maris.
On peut voir au college une belle bibliothèque, bien fournie de livres et de manuscrits rares, particulièrement dans la langue Irlandaise : Il y a aussi un Cabinet d’histoire naturelle et d’Anatomie ; dans ce dernier, on voit le squelette d’un homme dont tous les joints s’étaient ossifîés, et même une partie de sa chair ; il a vécu de cette maniere pendant des années, jusqu’à ce qu’enfin le mal a attaqué les parties nobles. On boit infiniment moins à Dublin, et même par toute l’Irlande, que je n’en avais d’idée : communément dans les principalles maisons, une heure où même une demie-heure après que les dames ont quittées la table, le maitre de la maison pousse son verre au milieu, et se léve ; cependant je ne prétends pas dire, qu’il n’a y ait pas quelques fois des parties absolument à boire, alors morbleu, on se grise d’une manière honnête ; J’en ai vu un éxemple assez original : un soir que je me retirais, un homme un peu gris, où plutôt tres sou, fut donner du coude contre un autre qui passait, celui-ci le reçut sans bouger, et le fit tomber par terre ; mon ivrogne se reléve, saisit son antagoniste au collet, lui demande son addresse, veut se battre à toute force, donne son nom, **** : l’autre ne voulait point, et répondait tres froidement. Après une dispute assez chaude, le premier lui dit, " je vois bien que vous n’êtes pas homme à vous battre comme un gentleman, eh bien ! je vais vous boxer pour six pences, " l’autre parut y consentir, mais malheureusement pour boxer, il faut ôter ses vêtemens : force lui fut, de lâcher le collet de son adversaire, qui profita de ce moment pour se mêler dans la foule sans que personne le vit.
- Boxer, c’est se battre à coups de poings, pour le faire en regle, il faut déposer et parier quelque argent, sans quoi on ferait responsable des conséquences : mais lorsqu’on a parié quelque chose, on peut en sureté de conscience pocher les yeux et casser la gueule à son homme.
Quand il fut tout nud, il chercha des yeux son antagoniste, et ne le voyant pas, il commença à jurer et à crier, where is the lousy rascal, where is &c. et il s’approchait de tout le monde, disant are you not the lousy scoundrel ? après cependant qu’il eut bien éventé sa rage, personne ne croyant devoir répondre à une question aussi malhonnête, il voulut se r’habiller : votre serviteur, la chemise avait disparue, et il ne put jamais la r’avoir.
Après avoir visité, ce qu’il y avait de curieux, et avoir préparé tout, pour rendre ma promenade sure et agréable, je pensai à la mettre à éxécution. Mr. Burton Connyngham eût la bonté de me procurer un passe-port du Lord Lieutenant, et de me donner un grand nombre de lettres pour ses amis à la campagne : il m’engagea aussi à lui communiquer de temps-en-temps mes refléxions, et enfin à commencer ma promenade par sa maison dans le Comté de Wicklow. Le Commandant en Chef, Général Cunningham me donnat aussi une letre générale de recommendation, et je fixai le 25 de May pour le jour de mon départ.
Je devais partir dans la matinée, mais on m’invitât à diner dans une famille charmante : de jolies femmes et un bon diner, sont deux choses auxquelles je n’ai jamais su résister.