Promenade d’un Français dans l’Irlande/La Mine d'or

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LA  L A G É N I E  ou  L E I N S T E R.

La Mine D’or— Wicklow — Wexford



AYANT donc définitivement pris ma résolution, mon bagage dans ma poche, et mon bâton à la main, je commençai gaiement mon voyage : bien m’en prit d’avoir ce bâton, car sans lui, un des enfants de St. Patrice se serait cassé la tête sur le pavé. Comme je passais le long des trottoirs, près d’un jeune garçon, qui s’amusait à sauter par dessus les grilles de fer qui sont devant les maisons : j’apperçus son pied arrêté par la pointe d’une des piques. L’effort qu’il avait fait, étant tres considérable, il n’eût pas été maître de l’arrêter et sa tête aurait certainement touché le pavé ; d’un grand coup de bâton sous le pied, je le dégageai, avant que le saut fut fini, et il tomba sur ses jambes. J’éxaminai alors sa playe, le pied était presque percé d’outre-en-outre ; je le fis porter chez un apothicaire, et quand il fut pansé, don’t be such a fool another time, lui dis-je, en lui mettant un shilling dans la main. Ma promenade, me dis-je alors, en moi-même, ne saurait manquer d’être utile, à peine est elle commencée, que j’ai déja sauvé la vie à un homme ! je regardai cela comme un très heureux présage, et je poursuivis mon chemin.

Je m’arrêtai à la porte d’une maison pour demander ma route, à un homme à cheval qui causait avec quelqu’un. Après avoir cheminé une demie-heure, cet homme me joignit, me parla, et enfin me dit, " I am an old soldier, je vais près de l’endroit, où vous allez vous même, si la crouppe de mon cheval vous convient, elle est fort " à votre service :" " Monsieur, " lui répondis-je," I am a young soldier, et je vous suis bien obligé ! " j’avais à peine fini de parler, que j’étais déja à califourchon derriere lui ; bientôt nous commençâmes à parler de vieilles guerres, et ce fut avec régret que je me séparai de ce bon humain, dont je n’ai pas la moindre idée, à moins que par quelque chose qu’il m’a dit, je ne puisse le croire aide major à Dublin.

Je n’avais pas trop calculé la distance, quand je quittai la ville, et encore moins l’heure du jour, huit milles disais-je, ce n’est rien : huit milles Irlandais, c’est quelque chose ; il était onze heurs passées, lorsque j’arrivai à la maison où j’avais dessein d’aller : Les portes étaient barricadées et pour comble de malheur, la personne qui m’avait invité n’était pas à la maison, point d’auberges qu’à quatre milles, et en retournant du côté Dublin : retourner quatre milles sur mes pas, morbleu, j’aimerais mieux en faire dix en avant, et je fus en avant : a minuit et demi, je me trouvai dans un village .... tout le monde dormait ; à la fin cependant, j’apperçus de la lumiere dans une cabane : c’était la demeure de pauvres ouvriers qui revenaient de la ville ; je demandai l’hospitalité, on m’offrit ce qu’il y avait dans la maison et je passai la nuit sur un trépied de bois, le dos appuyé contre la muraille. Pour le premier jour, le début n’était pas très agréable, mais enfin, force me fut de prendre patience, il en résulta qu’au matin on n’eut pas besoin de m’éveiller.

Dès le point du jour, tous les animaux qui dormaient pêle-mêle avec leurs maitres, m’apprirent bientôt que le soleil était levé : je sortis de la retraite malheureuse de l’indigence ! Combien cette nuit m’eut été profitable si j’avais toujours été l’enfant chéri de la fortune ! j’engagerais presque les parens de forcer leurs enfants à passer ainsi quelques nuits de leur jeunesse ; elles leur seraient plus avantageuses que des années à l’école. Pour prendre compassion du pauvre et avoir le désir de lui être utile, il faut s’en approcher : le riche insouciant, qui ne l’a jamais vu de près, n’entend parler de lui qu’avec mépris et détourne la vue avec horreur.

Vèrs les quatre heures du matin, je me rendis au camp près de Bray et je pus éxaminer à mon aise, le bon ordre, même l’élégance de l’arrangement des barraques : éxcépté quelques sentinelles, personne ne bougeait ; j’étais fort scandalisé de voir les soldats si paresseux et de me trouver éveillé de si bonne heure : à la fin cependant après bien des tours dans l’enceinte, je me trouvai fatigué; je m’assis à quelque distance au pied d’un arbre et je m’endormis aussi. Vèrs les sept heures du matin, je sentis je ne sais quoi, remuer dans ma poche et une voix me demanda : " êtes vous mort Monsieur " ! " oui ! Lui répondis je, et l’apparition qui n’était autre que le diable en personne, où du-moins quelque vieille sorciere du camp, s’en fut au plus vite.

Je quittai mon lit sans beaucoup de peine et m’étant informé si la demeure de Mr. Burton Conyngham n’était pas dans le voisinage, on me l’indiqua à trois milles, J’arrivai enfin à Rochestown, mais il n’était que huit heures et demie ; ce fut avec peine que je pus parler à quelqu’un, on me dit que le maitre de la maison était malade et qu’on ne déjeunerait pas avant onze heures : il fallut bien encore prendre patience. On ne connait pas le prix d’un bon déjeuner, quand on dort la grasse matinée, mais après une pareille nuit et un souper aussi léger, c’est autre chose.

Mr. Burton Conyngham, était entouré de sa famille et d’une phalange de Chirurgiens, Apothicaires et Médecins : je ne pùs même pas lui parler : tout cela me parut fort étrange pour un rhûme, mais cependant je n’en étais pas autrement inquiet : quand l’homme riche me disais-je, a une égratignure, les gens qui l’entourent prennent un air désolé, et s’il a un rhûme, on appelle la faculté, qui avec gravité, lui fait avaller ses pillules, pour s’acquérir une certaine réputation et pour tâcher de prolonger la bienheureuse toux qui remplit ses poches. J’avais tort cependant, car sa maladie était mortelle.

Il me fallut donc poursuivre mon chemin : traversant les montagnes sauvages, qui semblent couvrir Dublin, après trois ou quatre heures de marche j’arrivai à Enniskerry, où je fus reçu par Mr. Walker, qui a fait de grandes recherches sur les antiquités Irlandaises. Cette petite ville appartient au Lord Powerscourt : son parc et sa maison, sont un des objets de plus grande curiosité près de la Capitale : c’est dans l’enceinte du parc que coule la riviere Dargle, dans la vallée charmante à la quelle elle donne son nom et dont les habitans sont si fiers avec juste raison : c’est aussi dans ce parc, qu’on voit la cascade de Powerscourt que les étrangers, viennent visiter de loin. La masse d’eau n’est pas très considérable et elle ne se détache pas du rocher, mais la cascade est très élevée et ressemble par sa blancheur à la chévelure agitée, d’un vieillard vénérable : c’est une comparaison assez originale, mais j’espere qu’on me la passera. La vallée dans laquelle elle tombe, est sans contredit, la plus Romanesque et la mieux boisée de toute l’Irlande.: les quatre où cinq milles que parcourt ce ruisseau, sont assez jolis, pour qu’une petite maitresse desirât rassembler dans son jardin toutes les beautés qui s’y trouvent.

C’était le printemps, les arbres étaient couverts de leur feuillages : la verdure charmante invitait à s’y reposer, je ne sais quelles idées m’occupaient alors ; je me mis à rêver et bientôt j’accouchai de ce rondeau, il n’a pas grand rapport à mon voyage, mais c’est égal.

à votre aise, vous pouvez rire
Du tourment que cause l’amour :
Vous connaitrez à votre tour
Qu’aimer est un cruel martyre
Quand on n’attend point de retour.

Il me semble entendre en ce jour
Pour vos mechans traits de satyre
Le dieu d’amour piqué vous dire

         à votre aise.

De ce dieu, charmante * * *
Craignez sur vous, d’attirer l’ire,
Aimez, que votre cœur soupire,
Que pour moi son feu vous inspire
Et je vous dirai sans détour,

         à votre aise.


J’ai vu tant de beaux livres, même sur la politique et sur la morale, où l’auteur fait au public l’amitié de lui présenter sa douce amie, que j’ose espérer qu’on excusera cette courte apostrophe et que même on me saura gré de ne pas m’étendre plus au long, sur les belles qualités, la peau blanche, les yeux noirs et les doigts pleins d’espiéglerie, de ma Maria, Lodoïska où Carolina.

L’Aubergiste d’Enniskerry est le répresentant des O’Toole à qui ce beau territoire appartint, et dont les propriétés furent confisquées, pour n’avoir pas voulu se soumettre au joug des Anglais. Il a pris pour son enseigne les armes des nouveaux propriétaires.

Si les émigrés rentrent jamais en France et qu’on ne leur rendent pas leurs biens, ce ne sera pas du-moins sur ma terre que je me ferai aubergiste.

On voit de la hauteur près la ville, une de ces ouvertures singulieres, que la Nature a pratiqué dans plusieurs endroits des montagnes de ce pays : on y a fait passer le chemin ici comme dans presque tous les autres et avec d’autant plus de raison que ces chasmes comme on les appelle, sont les seuls endroits où l’on puisse passer, sans gravir jusqu’au sommet.

Retournant à l’èst presque sùr mes pas, j’accostai un bon paysan qui m’expliqua différentes choses du pays avec beaucoup de bon sens : les habitans du comté de Wicklow en général sont tres intélligents, et le pays est fort bien cultivé, près des côtes particulièrement ; les montagnes peu élevées et la quantité de Maisons riches que l’on y voit, le rendent aussi le plus agréable.

J’atteignis bientôt Olly Brook, où je fus reçu par Lord Moleswortb, des bontés de qui, j’avais déja eû lieu de me louer pendant mon séjour à Dublin. Le Laurier, l’Arboisier, le Houx et même le Mirthe, sont communs dans cette partie, quoique les fruits y soient assez rares ; le fait est, que pour faire mûrir le fruit, il faut de la chaleur, mais que ces arbres verds en ont moins besoin que d’un climat tempéré en hiver.

C’est dans cette maison que vivait, ce Robert Adair, si fameux dans nombre de chansons en Écosse et en Irlande. J’ai vu son portrait, il est l’aieul de Lord Molesworth, et de Sir Robert Hodson à qui Olly Brook appartient, On m’a conté son histoire de cette maniere. Un Écossais, un maitre ivrogne apparemment, ayant entendu parler des prouesses Bachiques de Robert Adair, vint d’Écosse éxprès pour le défier à la bouteille ; à peine débarqué à Dublin, il demanda à de tout le monde dans son jargon, Ken ye, one Robin Adair, tant qu’à la fin on lui indiqua son homme. Il se rendit chez lui, demanda à lui parler et lui fit part de son projet : Robert Adair était alors à table ; il lui offrit de vuider le différent sur le champ, mais l’Écossais ne voulut rien accepter chez lui et lui dit que tout était prêt à l’auberge de Bray.

Nos deux champions, se rendirent sùr le champ de Bataille, mais après dix bouteilles l’Écossais se laissa tomber sous la table : Robert Adair la dessus, tira la sonnétte, en demanda une onzieme et en présence des garçons se mettant à cheval sur le pauvre Écossais, il l’avalla entièrement sans prendre haleine et se mit a hurler huzza à gorgée déployée.

Quand le bon-homme d’Écosse, eut cuvé son vin, il s’en retourna en ville : son histoire avait fait du bruit, et l’on venait lui demander en ricannant, Ken ye, one Robin Adair, et il répondait, I ken the dil.

C’est fort bien pour ce temps là, mais comme je suis un auteur impartial et qu’il faut rendre justice à tout le monde, je suis bien convaincu que si la bataille avait encore lieu, l’Ecosse l’emporterait cette fois.... pourvù que je ne sois pas un des combattans, c’est tout ce que je demande.

Suivant les détours d’une vallée romanesque, resserée dans des montagnes escarpées et qui sont pour la plupart couvertes de bois et de verdure jusqu’au sommet, j’arrivai à Belvue, chez Mr. Peter Latouche. Mde Latouche a u»e écolle de vingt quatre jeunes filles, qu’elle maintient à ses frais, et dont elle est elle-même la maitresse d’Ecolle. Lorsqu’elles sont d’age, elle les dote et les marie à de bons laboureurs. Ceci est un des amusemens les plus nobles et les plus raisonnables dont j’aye vu des gens riches s’occupper. Rien dans le monde n’est fait pour changer plutôt la face d’un pays, qu’une succession de jeunes femmes vertueuses accoutumées au travail, à l’industrie et au bien être qui les suit.

Comme à mon ordinaire, je me suis souvent promené dans les environs, entrant dans les cabanes des paysans et causant avec eux : c’est là, que l’on voit souvent la fausseté de ces réputations usurpées de bienveillance, mais aussi lorsqu’elles sont fondées sur la vérité, c’est là que l’on en voit le vrai triomphe. Grand nombre de maisons étaient assez propres et bien tenues, une honnête industrie y fixait l’aisance ; ceux mêmes parmi les paysans dont l’humanité attentive, n’avait pu changer les manieres, bénissaient la providence d’avoir cette fois, si bien placé les richesses.

On voit dans l’église de la paroisse, un monument superbe en marbre blanc, élevé en l’honneur de David Latouche, par ses trois fils. Ce David, était venu de France, lors de la révocation de l’édit de Nantes et par une continuelle industrie de plus de quarante ans avait acquis une fortune tres considérable : quoique Banquier, c’était un homme humain et charitable : on rapporte, que sur ses vieux jours, il ne sortait jamais sans avoir ses poches pleines de shillings, qu’il donnait aux pauvres ; comme on lui représentait, que s’il donnait à tous ceux qui lui demanderaient, il ferait la charité à bien des mauvais sujects : " oui " répondit il, mais si mon shilling tombe à propos une fois dans dix, c’est assez. "

L’eglise dans laquelle on voit son monument avoit été bâtie par lui: on lit sur le portail cette inscription touchante. Of thy own, Oh ! my God, do I give unto thee.

Ce fut à Belvue que j’appris la nouvelle affligeante de la mort de Mr. Burton Conyngham ! quoique je fusse à mon douzieme jour de marche et que j’eusse rééllement fait du chemin, je n’étais cependant aprés tout, qu’à dix sept milles de Dublin ; je fus quelques temps embarrassé, sur le parti que je devais prendre, car je voyais clairement qu’après ce malheur j’aurais beaucoup de peine et beaucoup de fatigue, sans aucune espéce d’avantage pour moi du-moins ; à la fin cependant, après bien des refléxions, l’idée de l’utilité dont je croyais mon projet susceptible, me fit passer sur les considérations qui ne m’étaient que personnelles, je me déterminai a le poursuivre vigoureusement et à laisser le reste à la providence. Je résolus même, de présenter les lettres que Mr. B— C— m’avait donné, dut-on me prendre pour un méssager de l’autre monde.

Je fus offrir mes respects, au plus vieux et au plus gros arboisier que l’on puisse voir non seulement en Irlande, mais même dans les montagnes de Nice et de Provence. On le voit dans le beau jardin de Mont-Kennedy : le corps de l’arbre, a au moins trois pieds de diametre : le vent et le temps l’ont jetté sur le côté et dans cette situation, il a pris racine et a poussé des branches d’une grosseur démesurée, de sorte qu’à lui seul, il forme un petit bois d’arboisiers.

Je m’enfonçai de là, dans les montagnes arides du comté de Wicklow et je fus à Loughilla, une des maisons de Mr. Peter Latouche, que l’on est fort surpris de trouver dans un endroit aussi sauvage ; la maison la plus proche, est à cinq où six milles ; il n’y a même des cabanes de paysans qu’à une grande distance : c’est un petit coin de terre fertile près d’un joli Lac, et aussi distinct du reste du pays, qu’une isle l’est de l’eau qui l’entoure. Suivant le cours du ruisseau qui sort du Lac, je me rendis à Glandalough qui veut dire la vallée des deux lacs. Il est assez singulier qu’il n’y ait pas un seul ancien nom dans ce pays qui n’ait sa signification particuliere ; dans cet endroit, elle est bien évidente car il y a effectivement deux lacs, qui se joignent à l’endroit même, que l’on appelle aussi les sept eglises. C’est dans ce lieu désert, que l’on voit les plus anciens restes de la dévotion des siecles passés et dont l’antiquité remonte aux premiers ages de la Chrétienté. St. Kevin où Cavan, y fonda un monastere dans le troisieme, où quatrieme siecle de l’ère Chrétienne, vraisemblablement sur les ruines d’un établissement des Druides, qui cherchaient toujours les lieux les plus sauvages, pour leur culte. Ce fut longtemps un Evêché ; il est à présent réuni à celui de Dublin. On y voit encore les ruines de sept eglises et une de ces tours rondes dont on ne connaît point l’origine et qui sont assez communes en Irlande. Elles se ressemblent toutes : elles ont une porte à quinze où vingt pieds de terre, communément à l’est, quelques fenêtres étroites et pas le moindre vestige d’escalier dans l’intérieur, à moins que ce ne soit quelques pierres d’attente, qui au fait pouvaient fort bien y avoir éte placées, pour supporter différents planchers, dans lesquels il devait y avoir une trappe pour parvenir de l’un à l’autre, par le moyen d’échelles : ces tours se trouvent toujours à quelque distance d’une église, et entièrement isolées. Celle que l’on voit en Écosse à Brechin près de Montrose, est absolument du même genre.

J’ai lu il y a quelques temps, dans un voyage au Nord de l’Asie, la description de tours semblables. Le voyageur, n’avait (à ce que je présume) aucune connaissance de l’Irlande : il s’était echappé de Sibérie, où il avait éte forcé de vivre pendant plusieurs années ; il rapporte avoir vu de ces tours extraordinaires, dans cette partie de la Tartarie, aun nord-est de la Mer Caspienne : il donne la gravure d’une d’elles, avec les ruines qui sont auprès, qui étaient dit il, " une maison de priere auprès desquelles ces tours se trouvent toujours situées." Si ce n’etait pour le costume et la figure des gens qu’il a placé au pied, on croirait voir l’estampe d’une ruine Irlandaise.

Quoiqu’il en soit, les Irlandais ont la plus grande vénération, pour les ruines de Glandalough, ils y viennent de très loin faire des pélerinages et des pénitences, le jour de la fête du saint qui arrive le 3 de Juin : ils dansent ensuite et s’amusent jusqu’à la nuit.

On trouve dans cette enceinte sacrée, un reméde à bien des maux ! avez vous mal au bras, il suffit de le passer dans un trou pratiqué dans une pierre pour cet effet : il y a aussi un endroit où l’on se frotte le dos et un autre où c’est la tête ; si l’on peut embrasser un pilier qui est au milieu du cimetierre, on est sur de sa femme. Le lit du saint est on trou long de six pieds creusé dans le roc ; il a une vertu toute particuliere ; on n’y parvient qu’avec beaucoup de peine, en suivant la pente rapide de la montagne, au-dessus du lac : toute personne qui a allez de résolution pour se glisser jusques là et qui s’étend dans le lit, est sure de ne point mourir en mal d’enfant : sur cette assurance grand nombre de femmes et de filles, (qui esperent le devenir bientôt) y viennent faire leur dévotion. Je serais presque tenté de croire que c’est par cette raison qu’elles les pondent si aisément et en aussi grande quantité.

Tout ceci me sembla venir fort à-propos au commencement de ma promenade ; je passai mon bras dans le trou, je frottai mon dos contre une pierre, ma tête contre une autre et fus ainsi me précautioner de santé pour le reste de mon voyage. J’essayai même d’embrasser le pilier .... mais je n’en dirai pas le résultat : quant au lit du saint, je pensai qu’il n’y avait pas grand danger que je pus jamais mourir, du mal dont il prévient les conséquences funestes et je ne m’en inquiétai pas beaucoup.

Rath-drum, est une petite ville à quelque distance de cet endroit fameux ; elle est assez florissante, on y fabrique une quantité prodigieuse de flannelles ; le paysan m’y a semblé assez industrieux et plus aisé qu’ailleurs. Tous les premiers lundys de chaque mois, il s’y tient un marché, où l’on m’a assuré, qu’il se vend pour plus de quatre mille livres sterlings de flannelle. Lord.... (je ne me rappelle pas son nom) a bâti à ses frais, un magasin assez grand pour les déposer : C’est lui qui a encouragé cette nouvelle manufacture, cela lui fait beaucoup d’honneur et sera aussi très avantageux à sa terre.

Les paysans sont très curieux de savoir l’heure du jour : à tout moment les femmes et les enfants sortent des cabanes et viennent demander au voyageur l’heure qu’il est, peutêtre pour avoir le plaisir de voir une montre, ou d’entrer en conversation.

Il y a dans ce voisinage une mine de cuivre très considérable : les premiers frais on montés à plus de 6o,ooo l. (douze cent mille livres tournois) avant que la compagnie put rien retirer ; elle est à present dans le plus grand état d’activité et emploie près de trois cents ouvriers. On fait passer l’eau qui sort de la mine sur des plaques de mauvais fer faites éxprès : elle les dissout en partie et le cuivre, qu’elle contient s’y attache. On use d’un expédient assez ingénieux pour renouveller l’air au fond de la mine : on a détourné le cours d’un petit ruisseau, que l’on fait tomber dans l’ouverture sur des fagôts d’épine : l’eau tombe en pluie et forme un courant d’air.

La mine d’or qui a fait tant de bruit à la fin de 1795 n’est qu’à six où sept milles à travers les montagnes : il me fallait souvent demander le chemin ; ma demande excitait la plus vive curiosité ; les paysans quittaient leur travaux et avant de me répondre, me faisaient à leur tour mille questions, et s’informaient si on allait y travailler, si le gouvernement m’y avait envoyé & ils me contaient ensuite, coment pierrot avait envoyé ses enfants un dimanche matin après la pluye et qu’ils lui avaient rapporté de l’or pour plus de vingt guinées. Dans des cas pareils, on cite ceux qui trouvent, mais on ne parle pas de ceux qui ont perdu leur temps et même la vie dans leur recherches infructueuses. Il y a plusieurs ouvriers qui ont passé des jours et des nuits à l’ouvrage, sans rien trouver qui put les dédommager de leur peines et qui enfin accablés de fatigues sont revenus dans leur famille le troisième où quatrième jour et y sont morts presque sur le champ.

Il y avait dans mon chemin une rivière assez rapide, avec deux où trois pieds d’eau il fallait la passer à gué, ou faire, quatre où cinq milles : il faisait chaud ; je profitai de l’occasion pour prendre un bain ; un paysan assez bien vêtu, qui causait avec moi de la mine d’or se trouva tellement intérréssé dans cette affaire, que pour avoir le plaisir d’en parler, plus longtemps, il imita mon éxemple et porta même mes habits à l’autre bord.

L’endroit où les paysans ont creusé pour trouver l’or, est au pied d’une montagne assez élevée, (appellée Cruachan) dans le lit d’un ruisseau ou plutôt d’un torrent qui y prend sa source. Aucun d’eux n’a eu l’idée d’aller fouiller sur le penchant de la montagne, d’où il parait certain, qu’est venu l’or qui se trouve dans le ruisseau.

Ce torrent se nommait en Irlandais, ruisseau d’or et ensuite en Anglais, le ruisseau du pauvre homme ; cela semblerait donner à croire qu’on y avait trouvé de l’or autrefois. Voici un passage singulier des recherches du Général Vallancey sur les antiquités Irlandaises, qui ont été imprimées plus de vingt ans avant la découverte de la mine d’or dans le comté de Wicklow.

" L’ancienne histoire d’Irlande rapporte que cette isle, abondait en or, (afosd ou aphosd) et qu’il y avait une fonderie de ce métal précieux à un endroit appellé aphost, sur la rivière Laiphi où l’or était bearvain, rafiné : qu’on y trouvait deux espéces d’or, l’or jaune or buidh, et l’or blanc, or ban, que le nom de l’artiste qui a le premier purifié et travaillé ce métal, était inachadan. Ce passage est exprimé de cette maniere dans le liber lacanus, ecrit sous le regne du Roy Tighearmas."

" Ce prince civilisa son peuple ; il introduisit la teinture des étoffes en pourpre, bleu et verd ; on lui attribue le rafinement de l’or — inachadan ainm an cearda ro bearbh an d’or agus i foarhhith, (no aphosd) irrthir ’laiphi ro bearbhan, " c’est-à-dire, le nom du rafineur était inachadan, et il rafinait l’or, à soarvi, (où aphosd) sur le côté de l’Est de la Laiphi, où de la riviere Liffey."

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que le savant Général qui ne croyait pas qu’on eut jamais trouvé d’or en Irlande, introduit ce passage, pour appuyer la tradition reçue de la colonie Scythienne transportée en Irlande ; Voici la conclusion qu’il en tire ; " ici nous avons le mot aphosd pour or, un mot inconnu à toutes les nations Celtiques. On sait que l’Irlande n’a jamais produit d’or, par conséquent ce mot est étranger : mais nous savons que les Scythes habitaient sur les bords de la riviere phasis dans la colchide, où l’or abonde &c. " Il donne ensuite à entendre que c’était une tradition corrompue de la colonie Scythienne, qui attribuait au pays dans lequel elle se trouvait, une chose qui éxistait, dans celui qu’elle avait quittée.

La riviere Liffey, prend sa source à quatre ou cinq milles de l’endroit, où on a trouvé l’or et s’en approche à l’Est, jusqu’à deux ou trois milles de l’autre côté de la montagne Croghan, avant de faire le tour du Comté de Kildare, pour se jetter dans la mer à Dublin. Cette indication, ne pourrait elle pas donner du crédit aux manuscrits des anciens historiens, d’autant que les bijoux et ornemens militaires que l’on a souvent trouvé dans les tourbieres, particulierement dans celle de Cullen * Comté de Tipperary, et les autres endroits où il y a eu des batailles, semblent être d’un or, de la même qualité que celui que l’on a trouvé au pied de la Montagne Croghan, ou Cruachan.


  • On a de plus trouvé dans la tourbiere pres de Cullen, des sabres d’airain ; j’en ai vu au college, qui ressemblaient en tout, à ceux que l’on attribua aux Carthaginois.
         L’essayeur de la monnaie à Londres, après avoir comparé ces épées d’airain, avec celles que Sir William Hamilton déterra il y a quelques années, sur le Champ de bataille de Cannes declara : qu’elles se ressemblaient tellement pour la forme et la composition du métal, qu’il croyait qu’elles avaient été fondues dans le même fourneau et le même moule.


J’avais une lettre de Mr. Burton Connyngham pour l’officier de son régiment commandant le poste de troupes que le gouvernement y a placé pour garder la mine et empêcher les paysans d’y travailler. Il s’est promené quelques temps avec moi sur l’endroit même ; le nombre de trous que la soif de l’or, a fait creuser dans ce ruisseau est inconcevable : quelques personnes m’ont assurées avoir vu travailler à la fois jusqu’à quatre mille hommes ; il n’est pas un seul de ces trous, où l’on n’ait trouvé quelque chose, quoique ce fut rarement l’ouvrier qui en profitat, mais les femmes et les enfants qui allaient de l’un à l’autre, et qui n’avaient autre chose à faire, qu’à éxaminer de tous leurs yeux.

La somme totale de ce qu’on y a trouvé, peut monter entre trois où quatre mille livres sterlings ; la plus grosse piece d’or pésait vingt deux onces et pouvait valoir 80 guinées : il semble que cet or ait été dans un état de fusion et ait été entrainé de la montagne par le courant, avec les pierres, la tourbe et les arbres que l’on trouve dans le lit du ruisseau : cette piece de 22 onces, était attachée à une pierre, comme si elle eut été fondue dessus, et le laboureur qui l’a trouvée, ne put l’en détacher qu’à coups de marteau. Le gouvernement a défendu fort à-propos d’y travailler plus longtemps, car s’il ne l’eut pas fait promptement, tous les vagabonds non seulement de l’Irlande, mais de l’Angleterre, et peutêtre du Continent, s’y seraient rendus en foule et le grand nombre se trouvant frustré dans ses espérances, aurait fini par piller les maisons du voisinage pour y trouver de quoi vivre. Il y a toujours une garde de vingt ou trente hommes dans un petit village à quelque distance et une sentinelle sur l’endroit même, pour empêcher qui que ce soit d’y travailler.

Reste à savoir à présent, s’il serait avantageux ou non, d’exploiter ce terrein.

Le gouvernement ne peut pas toujours avoir une garde dans cet endroit et il est certain, qu’aussitôt qu’elle l’aura quittée, les paysans reviendront y travailler, fut-ce dans mille ans. Supposé qu’on y travaillat, le profit qui pourrait en résulter pour le gouvernement, ne peut guères se mettre en ligne de compte, car je suis bien convaincu que les frais seraient beaucoup plus considérables, à moins que l’on employat, des esclaves à cet ouvrage, (comme dans les mines du Perou) sur qui l’on éxerçat tous les raffinemens possibles de cruautés ; sans cela, toutes les fois qu’un ouvrier se baisserait, on pourrait le soupçonner de voler et la facilité qu’il aurait à le faire, l’y engagerait vraisemblablement. Il faut cependant qu’on s’en occuppe, afin de ne pas laisser un appât aussi tentant à la misere et prévenir le désordre qui pourrait en résulter.

Après avoir satisfait ma curiosité, je fis dans le voisinage un diner frugal de pommes de terre et d’eau ; puis revenant à l’Est, je me rendis à Arklow, où je fus reçu avec bonté par le révérend Mr. Bailly recteur de la ville : il eut la complaisance de me donner les observations suivantes, tant sur la pièce d’or dont j’ai parlé, que sur l’endroit en général. Comme on les trouvera détaillés dans ce qui précède, je me dispenserai de les traduire.

Voyez la page opposée.
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The gold is found in marshy spots by the side of a smalh stream in a gravelly stratum, and in the clifts of the rock which lies beneath, of all forms and sizes, from the above down to the smallest perceptible pieces, bearing all the appearance of having been in a state of fusion — Also when the mud and gravel are carefully washed, they afford a considerable quantity of gold dust.

The secret of the Mine was discovered about eleven or twelve years ago, by some poor people in the neighbourhood, who have since occasionally collected considerable quantities — but it was not publicly known, untill the beginning of September, 1795, from that time several hundreds, (sometimes thousands) of the country people, have been daily employed in the search. — It is computed that Gold to the value of several thousand pounds has been collected. On the I4th of October, two companies of the Kildare Militia, marched into Arklow, and on the following day, proceeded to guard the Mine, on the part of his Majesty.

N. B. This piece is the property of eight poor Labourers, who agreed to join shares in the search.
Esquisse d’une piece d’or pesant 22 onces, trouvée en Septembre
1795, Pres d’Arklow, au pied de la montagne Crogban,
dans le Comté de Wicklow.

Circonference d’un des côtés.    (En Pouces.)

Le pays près de la petite ville d’Arklow, est très joli et bien coupé de bois, de montagnes, de plaines et de vallées. La compagnie des mines de cuivre, a l’intention de rendre la riviere navigable jusqu’auprès de Rathdrum ; c’est un objet qui pourrait être de la plus grande utilité, mais les frais sont si considérables qu’à-moins que le gouvernement ne vienne à son aide, je ne crois pas qu’elle l’entreprenne ; le port d’Arcklow d’ailleurs, est si mauvais, que c’est plutôt une rade : le rivage est si plat que les vaisseaux sont obligés de rester à près d’un mille en mer et de se mettre au large, à la moindre apparence de mauvais temps.

Cheminant avec une pluie à-verse et sans autre chose pour m’en garantir, qu’une piece de toile cirée, dont je m’étais pourvu à Dublin et qui paraissait assez étrange aux habitans des villages par où je passais : je m’arrêtai un moment à Fernes, pour examiner une petite tour ronde près des ruines de la Cathedrale et du vieux chateau, aussi bien que le palais de l’Evêque, qui est beaucoup plus considérable que la ville principale de son Evêché. J’accostai un homme qui me parut être un bon humain ; je lui fis quelques questions, et au lieu de me répondre, il me toisa des pieds à la tête, puis me demanda, si j’étais né dans quelque coin recullé du royaume ? comme je fuis toujours préparé à de pareilles questions, je lui répondis en Écossais et en riant ; I dinna ken, I dinna mind, sur quoi il me demanda, d’où je venais et où j’allais ? I come front hence, lui dis je, en lui montrant le nord and I gang there, en lui montrant le sud. " I know ta your linguage " dit il alors, en m’appliquant une tappe sur l’épaule " you are a d__ d cunning Scotch, you are come in this country to make your fortune ; well well, we shall soon hear of you, for you are a d__ d lucky set ! " " Ne’er sash mon, " lui dis-je alors en riant et ensuite je lui demandai mon chemin, qu’il m’indiqua de bonne grace.

C’est une petite ruse dont j’ai bien souvent fait usage, dans ma promenade et qui m’a presque toujours réussi. Les habitans pouvaient bien aisément distinguer que j’étais étranger sans trop savoir de quelle nation, mais en leur appliquant quelque mets de broad Scotch, ils n’avaient pas de peine à me croire Écossais.

Les Irlandais sont assez accoutumés, à voir des gens de toute éspéce venir d’Ecosse et au bout de quelques années faire des fortunes assez considérables ; c’est vraiment chez l’étranger que le caractere Écossais est remarquable. Il suffit, qu’il y en ait un, dans une ville qui aye fait fortune, pour y attirer un grand nombre de ses compatriotes ; ils viennent tous se ranger sous ses ailes et il les pousse, les protége, les aide de son crédit et les met en bon chemin : aussi, il n’y a pas de villes un peu considérable en Europe, où on ne soit sùr d’en trouver dans un état assez brillant et d’autres attirés par la fumée du rôt. C’est sans doute fort respectable, et un étranger qui ne les aurait vu que chez eux, aurait de la peine à s’imaginer comment ils peuvent être si attachés et si serviables les uns aux autres, loin de leur foyers.

La pluie est dans ce pays quelque chose de terrible, elle vous perce jusqu’aux os, et vous fait trembler de froid au milieu de l’été, mais heureusement le vent qui lui succéde presque toujours, vous seche bientôt. Voila précisement ce qui m’arriva avant d’entrer à Enniscorthy, après avoir été mouillé tout le jour comme si j’eusse voyagé dans la riviere, Je ne m’arrêtai dans cette ville qui est assez considérable, et où il y a beaucoup de manufactures, qu’autant de tems qu’il m’en fallut pour me reposer, et je fus me présenter trois milles plus loin à Wikon, chez Mr. Alcock, dont l’hospitalité fut me faire oublier ma fatigue. J’y trouvai un vieux Arrigateur, qui s’en allait de maison en maison, avec un plan pour arroser les prairies ; le bon homme savait fort bien se faire payer une guinée par jour en outre de son entretien, et celui de ses chevaux : il disait avoir été sécrétaire du Pape Ganganelli .... à moins qu’on ne prenne quelque apparence de charlatanerie, il y a gros à parier, que l’on ne réussira à rien dans ces bons pays. Il y avait autrefois une ville assez considérable, près du vieux chateau de Wilton : du tems même de la reine Elizabeth, les soldats préféraient s’arrêter là, qu’à Enniscorthy qui alors n’était qu’une petite bourgade ; la charue passe à présent sur les ruines des maisons, et à peine peut on en appercevoir de traces ... la France n’est pas le seul pays où il y ait eu une Vendee.

Je me rendis de là à Wexford, qui sans lui faire de tort, est une des villes les plus laides, et les plus sales de toute l’Irlande. La fatigue un peu vigoureuse que je venais de prendre et dont j’avais perdu l’habitude depuis longtems, me força à rester huit jours ici avec la fievre, et pour comble de malheur, la plupart de mes lettres dans cette ville, venaient de Mr. B. C ――. J’y reçus cependant quelques attentions. Wexford est situé sur une large baye qui est presque entierement à sec, à la marée basse : on pourrait gagner ici sept où huit mille arpens de terre en la désséchant, cela procurerait le double avantage de creuser le lit de la riviere et de faire un port important ; On voit à Wexford le pont le plus long, qui ait jamais joint deux pièces de terres ; il m’a fallu plus de sept minutes à ma marche, pour aller d’un bout à l’autre : je suppose d’après cela, qu’il peut être un tiers de mille Irlandais en longueur. C’est la promenade favorite des belles du pays, il y a des bancs pour se reposer et le dimanche, on y a de la musique, ce qui y attire beaucoup de monde et le rend très agréable. Les fortunes dans le voisinage de cette ville sont plus divisées que partout ailleurs ; on n’y voit point, de ces Baleines monstrueuses qui dévorent à elles seules, la substance d’une province ; il y a beaucoup de gens à leur aise, mais il n’y en a point d’éxcéssivement riches ; la plupart des propriétaires sont déscendants des soldats de Cromwell, mais comme ils étaient nombreux dans cette partie, on fut obligé de faire les lots plus petits, afin d’en donner à tout le monde.

C’est dans ce voisinage, que Strongbow débarqua avec quelques troupes pour secourir le roy de Leinster, Mac-Dermot, qui avait été détroné ; on sait quel fut le prétexte de l’invasion de Henry II. roy d’Angleterre, quelque tems après ; il se fit rendre hommage par les differens Rois et princes de l’Isle : les Anglais cependant, resterent dans leur limite plus de trois cents ans et ne se rendirent enfin maitre de l’isle entiere, que sous la reine Elizabeth. Les habitans de la baronie de Forth, près Wexford, sont les déscendans de ces premiers suivans de Strongbow, ils ne se sont jamais mêlés avec les Irlandais, ils parlent encore un language singulier, qui a plus de rapport au Flamand qu’à l’Anglais moderne. Ils suivent aussi leur manière et se marient entre eux. Leur maisons semblent plus propres et plus commodes que celle des autres habitans, et ils sont aussi plus propres pour leur personne et semblent en tout une éspéce différente.

Dans le mois de Juillet 1793, les White boys éssuyerent ici une déroute compléte, et depuis ce moment ils ne se sont pas montrés. Comme on en a beaucoup parlé, je crois devoir donner quelques détails sur leur éxistence. Dans tous les pays du monde, le paysan ne paye la dixme, qu’avec beaucoup de peine : elle est regardée partout, comme un impôt onéreux et tres nuisible à la culture de la terre, car le laboureur est obligé de la payer, sur le produit de son industrie. Elle parait en Irlande plus véxatoire que partout ailleurs, car la tres grande masse du peuple étant catholique, il leur semble dùr, d’être obligé de maintenir un ministre qui souvent est le seul protestant de sa paroisse, et éxige ses droits à la rigueur. En outre de la dixme ordinaire, il a droit presque par toute l’Irlande au dixième du lait de la vache, au dixieme des œufs et des légumes du jardin ; on sent aisément, que ces conditions sont bien séveres, lorsque le ministre exige ses droits en nature, et surtout lorsqu’on réfléchit qu’il faut encore que ces pauvres misérables, fournissent à la subsistance de leur propres prêtres : ils ont souvent fait des réclamations à ce sujet, auxquelles on ne pouvait gueres faire droit, sans renverser les loix de l’établissement comme on l’appelle, c’est à dire de la réligion établie. Des réclamation, les paysans vinrent aux menaces et des menaces, à leur éxécutions ; ils s’assemblerent la nuit en grand nombre dans certains quartiers de l’Irlande et pour se reconnaitre mirent leurs chemises pardessus leurs habits d’ou leur est venu le nom de White Boys, ou garçons blancs : ils couraient ainsi les campagnes, brisaient les portes des ministres et s’ils pouvaient attrapper leur bestiaux, ils leur coupaient la queue et les oreilles. Ils n’insultaient cependant personne autre, et le voyageur pouvait en toute sureté passer au milieu d’eux ; pour ces différentes offences les magistrats du comté de Wexford en arrrêterent une vingtaine et les mirent dans la prison de la ville. Leurs camarades demanderent leur délivrance et ne purent l’obtenir. Ils menacerent alors de venir les délivrer de force, et s’avancerent sur la ville, au nombre de deux ou trois mille ; il n’y avait alors presque point de troupes à Wexford : tout ce qu’on put rassembler, ne montait pas à plus de cent où cent cinquante soldats, que l’on fit marcher au devant d’eux.

En se rendant à la ville, les White Boys arrêterent un officier qu’ils trouverent sur le chemin, et firent dire au Maire, que cet officier répondrait sur sa tête de la sureté de leur camarades. Cela causa beaucoup d’inquiétude à Wexford : l’on craignait avec quelque apparence de raison qu’ils ne missent leur menace à éxécution. Le major de la place s’avança imprudement loin de sa troupe pour leur parler et après quelques discussions assez vives, il reçut un coup de faux au milieu du corps, qui le fit tomber roide mort. Aussitôt que les troupes eurent apperçu ce qui s’était passe, elles firent feu et dans deux où trois minutes, toute la phalange des garçons blancs fut culbutée et mise en fuite, laissant derriere elle entre deux et trois cents morts. Quelques uns de ces malheureux qui étaient bléssés, craignant le suplice qui les attendaient s’ils étaient pris, se retirèrent du mieux qu’ils purent dans les bleds et dans les hayes et y périrent misérablement.

Depuis cette bataille, on n’en a pas entendu parler et le pays a toujours été très tranquille : cette révolte me donne en petit, une histoire parfaite de la révolution de France ; je suppose qu’à l’approche de ces trois mille hommes, on eut délivré les prisonniers ; cela semblait assez naturel puis qu’il n’y avait pas plus de 150 soldats à leur opposer ; n’est il pas clair que leur prétensions se fussent augmentées, qu’ils eussent fait la loi dans le pays et peutêtre mis les magistrats en prison ; je suppose à présent, que le gouvernement les eut laisse tranquilles trois semaines, où un mois et eut temporisé et parlementé avec eux : au lieu de trois mille ils eussent été plus de trente mille et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’ enfin ils se fussent rendus maitres et eussent détruits ce gouvernement, auquel ils demandaient d’abord des graces.

J’ai trouvé une famille Française, établie ici depuis cinq, ou six ans; un vaisseau partit de Bretagne en 1791 et fut obligé par le mauvais temps, de relâcher à Wexford. Il y avait dessus, trente et quelque personnes, dont la plupart se disperserent sur champ ; il resta seulement à Wexford une dame avec ses trois filles et son parent un homme agé, avec une fille mariée ; au bout de deux ans, lorsque leur ressources furent épuisées, les habitans firent une souscription en leur faveur, qui les aidat à vivre les trois années suivantes, quoique assez misérablement, une des jeunes personnes s’est mariée dans la ville à un jeune homme dont les affaires semblent aller assez bien.

Je ne serais pas entré dans ce détail, si l’homme agé dont j’ai fait mention, n’avait été l’occasion d’un trait de reconnaissance, qui fait honneur à la nature humaine. Plusieurs prisonniers Anglais mouraient de faim et de misere, sous le regne de Robespierre, dans une petite ville de Bretagne. Une dame agée, touchée de compassion, réussit à les secourir au péril de sa vie, et même quelque tems après, les aida à s’échapper en leur fournissant de l’argent. Ils s’informèrent d’elle, coment ils pourraient reconnaitre ses bontés ? J’ai, dit elle, un parent à Wexford, il est émigré : cela vous fait connaitre quelle peut être sa situation ; faites lui passer ce petit billet et si vous pouvez faire quelque chose pour lui, je vous en ferai obligée.

A peine furent ils sortis de France, qu’ils s’informerent à Wexford si une telle personne y éxistait ; bientôt après, l’homme agé reçut de Lisbonne une lettre fort honnête d’un marchand, nommé Mac-gibbon, * qui en reconnaissant l’obligation qu’il avait à Mademoiselle***, en Bretagne, le priait d’accépter un billet de banque de vingt guinées, comme une marque de sa reconnaissance : il reçut aussi une autre lettre que j’ai vu, d’un officier Anglais nommé Yescombe, qui assurait sur sa tête, une pension de 24 livres sterlings par an, jusqu’à ce qu’il put retourner dans ses propriétés et lui paya, le premier quartier d’avance. Au récit de pareils traits le cœur se dilate, on est joyeux, de trouver un homme reconnaissant et bienveillant, sans le fatras de beau language des bienfaiteurs ordinaires, qui souvent s’en tiennent à leur rhétorique, parce qu’elle fait parler d’eux, autant et peutêtre plus, que le bienfait lui-même.


  • J’ai connu une famille de ce nom à Sterling en Écosse dont je savais qu’un a été prisonnier en France et a eu beaucoup de peine à en sortir.. cela m’a fait beauoup de plaisir, de savoir que c’était lui.


J’ai tant trouvé de ces aimables messieurs et j’en ai si souvent été la dupe, que je suis presque tenté de traiter du haut-en-bas, un homme qui m’offre sa protéction. Un jour même, un homme de cette trempe me faisait de belles offres de service aux-quelles je répondais poliment et assez froidement ; mais me dit il, vous ne paraissez pas croire ce que je vous dis ? après quelques momens de tergiversation, comme il insistait, " non en vérité " lui répondis je, " je n’en crois rien ! "... " coment vous n’en croyez rien ? ".... " si vous me rendez, " lui dis je, " les services dont vous me parlez, j’en serai tres reconnaissant, si comme beaucoup d’autres, vous ne pensez plus à moi, lorsque vous m’aurez perdu de vue, permettez moi de m’y attendre et de ne pas m’en affliger. "

Pendant que j’étais à Wexford, un corsaire républicain eut l’impudence de se mettre à l’entrée de la baye et de faire contribuer les vaisseaux qui en sortaient ; il sut trouver le moyen de s’échapper : je crus devoir en faire autant et je me rendis à une douzaine de milles à Golph Bridge chez un bon et riche quacker, où j’arrivai mouillé et crotté, Dieu fait : mais ces honnêtes gens m’acccueillirent fort bien. Ils me fournirent entre-autres, une redingotte avec laquelle Je vins à table, elle aurait bien couverte trois personnes comme moi, aussi un des quackers de la maison, voyant son ampleur, coupa la moitié du Roast-beef et la mit dans mon assiette en disant, friend thou ought to fill thy belly. Je m’appercus, qu’ils ne disaient point de graces, avant où après le diner,mais seulement la bonne femme resta quelque momens les yeux baissés sur son assiette, soupira bien haut et ensuite me dit, " nous croyons qu’il vaut mieux penser sans rien dire, que parler sans penser." Au matin, une jolie demoiselle de la maison, me dit avec tant de grace, " l’ami as-tu bien dormi cette nuit ;" que je crois en verité, que si la veille elle m’eut dit sur le même ton, " l’ami dors bien cette nuit, " cela aurait fort bien pû m’en empêcher.

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