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Promenades Littéraires (Gourmont)/Dessins de Holbein

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Promenades LittérairesMercure de FranceTroisième série (p. 367-370).


DESSINS DE HOLBEIN


Cette édition nouvelle de l’Éloge de la folie[1], d’Érasme, offre le plus heureux assemblage de l’érudition et de l’art ; les quatre-vingts petites compositions de Hans Holbein sont fidèlement reproduites d’après les originaux dessinés à la plume sur les marges du Froben de 1514 conservé à la Bibliothèque de Bâle ; le texte est d’une remarquable correction et commenté discrètement par des notes précises. Tout d’abord, on se laisse séduire par les Holbein, par ces bonshommes qui, après bientôt quatre siècles, parlent et gesticulent aussi clairement que le premier jour. Cet art d’illustrer, c’est-à-dire d’expliquer un livre par des images, est arrivé à la perfection du premier coup, comme l’imprimerie elle même ; il est même antérieur à Gutenberg, et déjà très remarquable dans les xylographies, où la lettre ne figure que par surcroît[2].

L’illustration des livres redeviendra peut-être tolérable dans quelques années, quand les dessins d’un artiste, même très compliqués et nuancés, pourront se reproduire directement, comme on fait aujourd’hui pour les dessins au trait. Cela ne remplacera pas absolument la gravure sur bois, qui est par excellence l’art compagnon de la typographie, mais cela nous épargnera du moins les horreurs de la simili-gravure, procédé rapide et barbare dont il n’est permis de se servir qu’en des publications dénuées de tout souci artistique. Mais pour obtenir de bonnes images, gravure sur bois ou procédé direct, il faut de bons originaux ; il faut des artistes qui sachent dessiner, et cela devient rare. Ni Holbein, ni Durer, ni Burgmair n’ont gravé eux-mêmes la plupart de leurs estampes ; ils livraient aux « tailleurs de bois « des planches où le dessin, fait à la plume, était entièrement fini et le graveur n’avait qu’à enlever avec dextérité toute la superficie du bois qui était restée blanche. En réalité, au point de vue non technique, mais artistique, les belles gravures sur bois du xvie siècle sont des dessins à la plume. S’il y avait aujourd’hui des artistes capables de dessiner les planches de la « Grande Passion », il ne serait plus utile de les faire graver sur bois ; la photogravure les reproduirait directement sans aucun dommage. Ainsi, tandis que l’ancienne gravure sur bois ne pouvait s’exercer que sur des dessins nets et finis, celle d’aujourd’hui n’est nécessaire que s’il faut reporter sur bois des photographies ou des dessins vagues, estompés ou maladroits. D’art manuel, elle est devenue art d’interprétation, et, dans ce dernier rôle, rien ne la remplace.

Les petits Holbein de l’Érasme de M. I. B. Kan sont des reproductions directes des dessins. Peut-être, avec leur extraordinaire habileté, les anciens tailleurs de bois auraient-ils pu ménager sans nulle cassure les traits si fins et si capricieux de l’artiste, mais le tirage eût promptement écrasé quelques-unes des fragilités de la planche, car on se servait de poirier, non même debout, mais de fil. Puisque Holbein a dessiné sur le papier, et non sur le bois même, la reproduction par la photogravure est nécessairement plus exacte que n’auraient été d’anciennes gravures exécutées d’après des calques. Les images de Hans Holbein ne furent gravées pour la première fois, par Stettler de Berne, « perita Holbenio non indigna manu », qu’en 1676 : Desideri Erasmi Encomium Moriae, cum Gerardi Listrii commentariis et figuris Ioannis Holbenii ; Basileae, typis Genathianis, in-8o.

  1. Μωριας Εγκωμιον. Stultitiae Laus. Des. Erasmi. Rot. Declamatio. Recognivit et adnotavit. I. B. Kan. Erasm. Gymn. Rect. Emer. Insertae tant figurae holbeinianae Hagae-Com., apud Martinum Nijhoff, cicicicccxcviii.
  2. La préface du récent album de M. Rouveyre, Le Gynécée (1909), est entièrement gravée sur bois. Cette remarquable xylographie est due à M. Vibert, artiste digne des anciens maîtres.