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Promenades Littéraires (Gourmont)/Les Contes de fées

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Promenades LittérairesMercure de France (p. 248-255).


LES CONTES DE FÉES


Ayant écrit ce titre, j’ai un scrupule. Nous disons bien aujourd’hui Contes de Fées, mais est-ce ainsi qu’il faut dire ? Tous les livres anciens portent invariablement Contes des Fées, ce qui est bien différent. La première formule signifie : contes où il y a des fées ; la seconde : contes contés par les fées. Il y a de cela une preuve ; c’est le titre même du grand recueil intitulé : le Cabinet des Fées ; ce recueil porte, en effet, en sous-titre : contenant tous leurs ouvrages en neuf volumes. On donnait donc autrefois ces contes comme étant l’œuvre même des fées. Perrault, qui les mit à la mode, avait intitulé son recueil célèbre : Contes de ma mère l’Oye, ou histoires du temps passé ; et cette « Mère l’Oye » était bien une fée, une vieille fée, qui narrait aux petits enfants ses aventures et celles de ses sœurs, les autres fées.

Il n’y a que les fées, d’ailleurs, qui puissent conter d’aussi charmantes histoires que la Belle au bois dormant, le Nain jaune ou Gracieuse et Persinette, ou encore La Belle et la Bête, cette merveille. On le croyait jadis, et on accordait à ces récits une origine surnaturelle. De nos jours les érudits, qui ont étudié cette question difficile de la naissance et de la propagation des contes populaires, sont généralement revenus à l’opinion ancienne. Ils n’admettent pas qu’un conte qui se transmet de bouche en bouche, de la mère à l’enfant, puisse avoir un auteur connu. Ces contes, disent-ils, sont nés on ne sait où, on ne sait quand, peut-être dans l’Inde, peut-être en Égypte ou en Grèce, jadis, avant les civilisations ; et depuis que les hommes font de la littérature, de la poésie lyrique, des romans et des discours, ils ont perdu la faculté d’imaginer ces jolies choses qui s’appellent des contes de fées, quoique souvent il n’y soit pas du tout question des fées.

J’ai pensé ainsi longtemps, et je crois encore que cette pensée contient une grande part de vérité. Cependant, il faut bien reconnaître que l’on n’a pas pu retrouver dans la tradition orale tous les contes de Perrault. Quelques-uns seulement, comme le Petit chaperon rouge, sont manifestement antérieurs à Perrault. Pour quelques autres, il est très possible qu’il les ait créés lui-même, sur le modèle de ceux que lui avaient racontés sa nourrice ou sa mère.

Cela est possible ; on vient d’ailleurs de nous en donner une nouvelle preuve. Deux jeunes écrivains, Pierre de Querlon et Charles Verrier, ont publié, il y a quelques semaines, un petit volume, la Princesse à l’Aventure, qui est un véritable conte de fées. On ne serait pas très surpris de le trouver dans les recueils anciens ou dans la « Bibliothèque bleue » ; il est ingénu et compliqué, obscur et merveilleux ainsi que tous les vieux contes. Comme il convient, on ne comprend bien l’histoire que lorsque l’on est arrivé au dernier feuillet. Mais à ce moment, tout devient limpide et l’esprit est satisfait. Il est vrai de dire que l’on attend sans aucune angoisse le dénouement heureux. Il est prévu, et d’ailleurs la promenade est si charmante qu’on s’y attarde volontiers. C’est un des livres les plus jolis qui aient paru depuis longtemps. Je ne sais quel a été son succès. Aucun des « grands critiques » académiques n’en a parlé ; cela est trop délicat pour eux. Je crois pourtant que si ce petit conte pouvait arriver jusqu’au public, il plairait infiniment à ceux qui ont quelque goût littéraire, aussi bien qu’à ceux qui lisent uniquement pour s’amuser.

On vient donc d’écrire un véritable conte de fées. Cela n’a rien de paradoxal : le conte de fées, depuis plus de deux siècles, fait partie de la littérature française. Il a produit autant de chefs-d’œuvre que le théâtre et le roman : un conte de fées ne me paraît pas plus extraordinaire, et peut-être moins, en 1904, qu’une tragédie. La tradition n’en a presque jamais été interrompue. Charles Nodier, vers 1820, a écrit des contes de fées, dont quelques-uns ne sont pas encore oubliés. Si, depuis cette époque, le goût s’est un peu détourné de cette littérature simple et souriante, la mode peut la favoriser à nouveau. Cela serait charmant. Et quelle revanche contre les turpitudes naturalistes ! Ou la science, ou la poésie : il n’y a pas de milieu.

Charles Perrault passe généralement pour avoir eu le premier l’idée de recueillir les contes, de les mettre en bon français, de les adapter au goût d’un public difficile et nullement naïf. C’est donc lui qui aurait créé, comme genre littéraire, le conte de fées. Rien n’est plus faux. Cette erreur est, il est vrai, accréditée par toutes nos histoires de la littérature française, où la question tient d’ailleurs fort peu de place ; mais ce n’est pas moins une erreur, et assez grave, puisqu’elle frustre de la gloire qui lui revient légitimement une des femmes les plus ingénieuses et les plus spirituelles qui furent jamais, Marie-Catherine-Jumelle de Berneville, comtesse d’Aulnoy. Quand on écrira une véritable histoire de la littérature française, un ouvrage sérieux où l’exactitude ne sera pas sacrifiée aux considérations morales et pédagogiques, il faudra donner tout un chapitre à l’auteur des Illustres Fées. Mais que de recherches cela nécessitera ! Les éditions des contes de Mme d’Aulnoy sont innombrables ; il y en a peut-être des centaines, la plupart sans date. Distinguer entre toutes la première est fort difficile. Je pense qu’elle a dû être publiée entre 1682 et 1690 ; mais je ne l’ai pas vue et je ne puis en fixer la date exacte. Parmi ces contes que tous les enfants lisaient, quand on lisait encore des contes, les plus célèbres sont Fortunio, Babiole, la Bonne petite Souris, le Nain jaune, l’Oiseau bleu, la Biche au bois. Si on ne les lit plus guère, leurs titres, du moins, sont entrés dans la langue où ils ont la valeur de véritables locutions. Mais peut-être recommencera-t-on quelque jour à les aimer ; ils le méritent.

La comtesse d’Aulnoy habita longtemps l’Espagne, et elle a écrit sur ce pays un volume des plus curieux. Elle avait beaucoup d’esprit ; c’est elle qui a dit ce mot si souvent répété : « Quand on connaît l’Espagne, on n’a pas envie d’y bâtir des châteaux. » Elle mourut, avant d’avoir atteint la vieillesse, en 1705.

Mme d’Aulnoy eut une rivale, ou plutôt une imitatrice, dans la personne de Mlle de La Force, fille de François de Caumont, marquis de Castelmoron, qui publia, avec beaucoup de succès, en 1692, Les Fées, contes des contes. Mlle de La Force est assez connue par ses aventures. Demoiselle d’honneur de Mme de Guise, elle fit, comme beaucoup de demoiselles d’honneur en ces temps galants, bon marché de son honneur. Le célèbre comédien Baron, « recherché de la cour et de la ville », la charma d’abord, puis M. de Brion, le fils du président, puis, il faut bien l’avouer, beaucoup d’autres. Après cela, on souscrira sans étonnement au jugement de Charles Nisard : « Mlle de La Force n’a pas l’imagination aussi réglée, ni peut-être aussi chaste que Mme d’Aulnoy ; non pas certes qu’elle dise jamais rien qui alarme la pudeur, mais que Voltaire estimait son esprit, et je n’ai jamais vu son livre de contes, qui s’appelle La Princesse couleur de rose et le Prince Céladon (1743).

Mais nous voici arrivés à un nom qu’il faut mettre hardiment à côté de celui de Perrault, et peut-être un peu au-dessus. Il s’agit de Marie Le Prince, femme de Thomas de Beaumont, née à Rouen le 26 avril 1711, morte à Avallon, le 6 décembre 1776. Presque toute sa vie se passa en Angleterre ; c’est là qu’elle écrivit et publia un ouvrage aux prétentions les plus modestes et qui n’en est pas moins devenu immortel, le Magasin des Enfants (Londres, 1757, 4 vol. in-12). Je le connais depuis l’âge où j’ai été capable d’écouter une histoire : ma bonne, qui en était fanatique, me le lisait tout haut, mais les abréviations la gênaient : elle disait Melle (Mlle), au lieu de Mademoiselle, ce qui ne laissait pas d’embrouiller un peu les dialogues. Il est vrai que seuls me captivaient les contes qui terminent chaque entretien : l’un me parut merveilleux et m’a toujours hanté depuis, la Belle et la Bête. C’est un chef-d’œuvre, assurément, et, en affirmant cela, je ne laisse pas les souvenirs d’enfance influencer mon jugement littéraire. La Belle et la Bête va de pair avec Psyché et avec la première partie de Parthenopeus de Blois, cette version médiévale de la fable de Psyché. Dans la petite édition de Montbéliard où je le relis souvent, ce conte admirable est « orné » d’une gravure dont la naïveté séduit. La Bête y est figurée par une sorte d’ours blanc piqueté de points noirs. Cette naïveté est bien plus intelligente que l’imagination des dessinateurs modernes qui, comme Bertall, ont fait de la bête un monstre terrible à la fois et répugnant. Sous sa forme d’ours excentrique, ma Bête présente sans doute, et c’est ce qu’il faut, peu d’attraits pour une jeune fille, mais, et c’est encore ce qu’il faut, elle n’inspire ni le dégoût ni la terreur.

Mme Le Prince de Beaumont a encore écrit deux contes infiniment connus et délicieux, le Prince chéri et le Prince charmant. C’était une femme de talent qui a eu son heure de génie : il ne faut considérer en elle que le génie et lui vouer une profonde admiration.

J’arrête là ces notes sur une littérature jusqu’ici négligée. Il a été difficile de les rassembler. Tout est à faire dans cet ordre d’idées. Peut-être la Princesse à l’aventure remettra-t-elle à la mode les contes de fées ? Alors, quelque curieux essaierait d’en débrouiller l’histoire littéraire ; cela serait très utile.