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Prose et Vers/Petits poèmes d’amour

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Prose et VersAlbert Messein (p. 78-83).

PETITS POÈMES D’AMOUR

I

Sept fois les quatre saisons avaient passé dans les bois et les jardins semant tour à tour la violette qui inspire le désir, la rose qui couronne la passion, le chrysanthème qui annonce le déclin et la rose de Noël qui consacre la mort.

Et selon les fleurs qui tombaient de leurs quatre corbeilles, je t’ai désirée avec les violettes, je t’ai couronnée avec les roses, je t’ai regrettée avec les chrysanthèmes et je t’ai pleurée avec les roses de Noël. Et les lunes blanches suivaient les soleils rouges.

Je n’avais pas encore cueilli la fleur des fleurs, celle qui trouble comme la violette, qui enflamme comme la rose, qui attriste comme le chrysanthème et qui désespère comme la rose de Noël, la fleur idéale et charnelle de ton baiser.

Mais voici que je connais le parfum et le feu de la mélancolie et la douleur de l’amour. Que les saisons répandent de leurs corbeilles les violettes sur nos émois, les roses sur nos ardeurs, les chrysanthèmes sur nos regrets et les roses de Noël sur notre agonie !

II

Aujourd’hui tu m’as donné ton corps. Et les portes des tombeaux se sont ouvertes, et les rois des anciens temps sont remontés sur leurs trônes et les reines aux noms oubliés ont couvert de roses leur nudité ressuscitée.

Aujourd’hui tu m’as donné ton corps. Et le soleil s’est arrêté dans le ciel et l’hiver a éclaté en fleurs et les fleuves ont rebroussé leur cours, et plus rien n’est réel au monde en dehors de l’étreinte de tes bras nus.

III

Il est là-bas, paraît-il, au bout du monde, des armées qui cherchent de toutes les gueules de leurs canons et de toutes les pointes de leurs armes à s’entretuer. Le ciel de ce pays est noir de fumée et son sol est rouge de sang. Des étendards et des aigles passent inclinés, dans la foudre et les fanfares. Hommes et chevaux y confondent la chaude écume de leurs blessures et le souffle froid de leur agonie. Et sur la vaste terre pleurent des milliers de femmes, mères, sœurs, ou amantes.

Mais qu’importe la douleur des nations à l’invincible égoïsme de notre amour ? Ici les fenêtres sont closes, la porte est verrouillée, la lampe est éteinte. Baisers sur tes paupières, baisers sur ta bouche, baisers sur tes seins ! Ô ton corps dans les ténèbres ! Ô ta chevelure sur mes yeux ! Ô ta main sur mon cœur ! Que les femmes se lamentent et que les hommes se massacrent au bout du monde ! Je n’entends plus que tes soupirs sous le linceul parfumé des draps.

IV

Il me semble que je viens de tomber de la plus lointaine étoile des cieux inconnus.

Et je vais demandant à tous : Quel est donc le nom de la planète où je suis ?

V

Jadis nos pas traînaient lourdement dans la boue, et butaient aux ornières du chemin.

Maintenant, ô bien aimée, je foule aux pas le soleil, la lune et les étoiles.

VI

Quand tu me disais : « Je ne t’aime pas, » tous les glas du Jour des Morts tintaient en mon cœur.

Quand tu m’as dit : « Je t’aime, » toutes les cloches de Pâques fleuries ont sonné vers les Anges.

VII

Le grand roi Salomon avait sept cents reines et trois cents concubines, toutes parées de pourpre et portant des diadèmes d’or. Moi je n’ai que toi, si simple dans ton chapeau à fleurs et dans ta robe noire à collerette de dentelle. Mais je suis plus riche que le roi Salomon.

Le grand roi Salomon reçut en offrande de la reine de Saba de l’or, de l’argent, des éléphants et des paons, de l’ivoire et des épices. Moi, je n’ai reçu de toi que le sourire de tes yeux, le baiser de ta bouche et le don de ton corps. Mais je suis plus riche que le roi Salomon.

VIII

Tu m’as dit : « Vois au printemps renaître toutes les fleurs. La violette se trahit au plus profond des bois, le lilas éclate en fauves floraisons tout au long des sentiers des jardins, la primevère constelle les clairières dont l’herbe est fraîche et molle. »

Je t’ai répondu : « Le printemps n’est pas sur la terre, mais en moi. C’est moi seul qui porte le doux fardeau de toutes les fleurs. Ce n’est pas dans les clairières, ni le long des sentiers, ni au fond des bois que fleurissent les violettes, les lilas, et les primevères, c’est dans mon cœur, ô ma bien-aimée ! »

Tu m’as dit : « Écoute dans le crépuscule quand s’assourdit le frémissement des feuilles, le criaillement tournoyant des hirondelles, l’appel craintif des loriots au nid, et soudain, au faîte des arbres, sur la lisière de la forêt, la plainte éperdue des rossignols. »

Je t’ai répondu : « Il n’est plus sur terre de chants ni de gazouillis. Tous les oiseaux sont blottis, l’aile battante et la gorge gonflée, dans mon cœur. Et c’est en moi que se confondent magiquement la plainte passionnée des rossignols, et l’appel amoureux des loriots, et le cri affolé des hirondelles, ô bien-aimée ! »

IX

Je te dirai de belles histoires des temps passés. Mais il faut que je regarde dans tes yeux pour revoir les rois et les reines qui s’en allaient vêtus de pourpre, au trot des palefrois et à l’amble des haquenées, vers les villes aux remparts hérissés de trompettes d’argent et aux maisons tendues de tapisseries, où étaient figurés, épars dans des vergers d’or, les colombes blanches, les paons bleus et les phénix rouges de la fable.

Je te dirai de belles histoires des temps passés. Mais il faut que je respire le parfum de tes lèvres pour revivre les printemps de jadis, alors que les pages aux bouffantes chevelures jouaient de la viole, à l’ombre des pommiers en fleurs, pour assoupir la mélancolie des princesses qui, plus blanches que leurs blancs hennins, rêvaient au fiancé parti, parmi les lances levées et les bannières déployées, pour mener croisade contre les mécréants.

Je te dirai de belles histoires des temps passés. Mais il faut que j’appuie la tête contre ton cœur pour entendre les chants de guerre des croisés, et le grondement des litanies latines, et la marche des armées de fer dans les déserts de feu, et le soudain battement des tambours des barbares, et le tonnerre des chevauchées avant la mêlée, où, dans les flammes du crépuscule, étincelaient, symboles des deux sublimes folies, la croix et le croissant.

Je te dirai de belles histoires…

X

Non, je ne te les dirai pas. Notre amour n’est digne que du silence. Qu’on étouffe les vaines paroles qui volent sur les lèvres des hommes, qu’on jette au bûcher les livres où les poètes ont imprimé leur pensée. Quand j’ai fermé la porte de la chambre sur notre secret, j’oublie les hymnes qui ont lancé les peuples à la bataille, et les vociférations des poètes dressés dans la foudre des monts, et l’appel des grands tribuns rouges aux esclaves qui redressent l’échine dans les ergastules. Un seul mot suffit désormais à ma folie balbutiante, et ce mot, tu le connais, ô bien-aimée !