Prospectus de l’expérience aérostatique de Chambéry

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PROSPECTUS
DE
L’EXPÉRIENCE AÉROSTATIQUE
DE CHAMBÉRY[1]

Ce fut une belle époque pour l’esprit humain que celle où les papiers publics nous dirent : « L’homme peut enfin s’élever et se soutenir dans les airs. » Dans ce premier moment où l’étonnement et l’admiration ne nous laissaient pas même assez de sang-froid pour entrevoir des objections, toutes les têtes fermentèrent : on ne vit que ballons, on ne parla que ballons. Depuis le physicien en titre jusqu’au dernier artisan, tout le monde voulut lancer le sien ; les enfants même apprirent à prononcer, Aérostat, Gaz, Baudruche, etc. ; et tandis que la renommée publiait en Europe chaque nouvel essai aérostatique, une nation aimable, idolâtre de tout ce qui lui appartient, et qui ne s’informe pas, avant de décerner ses apothéoses, s’il y aura des incrédules chez les nations voisines, prodiguait aux inventeurs tout ce que la reconnaissance publique exaltée par l’admiration peut inventer de plus flatteur. Distinctions personnelles, éloges de toute espèce, bustes, médailles, inscriptions, etc. ; elle n’oubliait rien pour les rassasier de gloire et porter aux générations les plus éloignées l’histoire de cette découverte et le nom de ses auteurs.

Il est vrai qu’après les premiers accès de cette fièvre aérostatique, la voix aigre de la critique s’est fait entendre au milieu des clameurs de l’admiration : mais si l’enthousiasme de nos voisins a pu faire sourire de temps en temps le philosophe de sang-froid, que faut-il penser de cette espèce de dédain avec lequel certaines gens ont accueilli cette découverte ? Ou nous nous trompons fort, ou il y a bien moins de philosophie dans la conduite des critiques que dans celle des enthousiastes.

Rendons justice aux premiers spectateurs de ces brillantes expériences : jamais peut-être l’enthousiasme ne fut plus plus pardonnable ; la machine aérostatique nous semble à tous égards digne des honneurs du fanatisme, et peut-être n’est-il pas au pouvoir de l’homme de l’envisager froidement. Il y a dans cette expérience, indépendamment de toute idée d’utilité, quelque chose d’imposant qui subjugue les sens et commande l’admiration. L’art de naviguer, ou même de s’élever dans les airs, ne passait plus de nos jours que pour une chimère, destinée, comme le mouvement perpétuel, à l’amusement de quelques cerveaux creux : rien ne paraissant plus visiblement au-dessus des forces humaines, la tentative seule jetait sur les téméraires un vernis de ridicule ; et l’opinion publique déterminée par le sort de tous les Icares passés, croyait leur faire honneur en les plaçant un peu au-dessus des insensés.

Et voilà que tout à coup, contre l’attente universelle, dans le fond d’une province, et sans respect pour les calculs de tant de grands hommes qui démontraient la folie de l’entreprise par a moins x, MM. de Montgolfier[2] s’emparent de la découverte, et font pâlir l’envie avec leur toile et leur fumée.

Qu’on se transporte par la pensée au château de la Muette, dans ce moment où deux hommes intrépides (que l’injuste Renommée ne place peut-être pas assez au-dessus de leurs successeurs) disaient pour la première fois « coupez les cordes ! » et, les premiers de leur espèce, suspendus à une frêle machine, planaient sur les têtes de cent mille spectateurs palpitants[3], – on pardonnera tout aux premiers élans de l’admiration.

Grand philosophe ! Dont l’œil tout à la fois perçant et sévère voit toutes les faiblesses humaines et n’en pardonne aucune, daignez froncer cet auguste sourcil à l’aspect seul d’un ballon : songez quelquefois combien vous seriez porté à pardonner l’enthousiasme public, si vous en étiez l’objet, et souvenez-vous que l’orgueil national est comme l’amour paternel : il faut savoir leur pardonner quelques enfantillages.

Mais à quoi servent les ballons ? – Écoutez, illustres critiques ! C’est parce que nous ne le savons pas que nous faisons des ballons pour l’apprendre. Contemporains des premiers globes électriques, vous auriez sans doute conseillé de les briser, comme vous voudriez maintenant brûler nos ballons : car cette électricité, qui nous a conduits aux paratonnerres et aux belles expériences de MM. Cavallo, Ledru, Quinquet, Bertholon[4], etc., cette électricité qui va bientôt se lier à d’autres phénomènes pour révéler peut-être les plus grands secrets de la nature, ne fut longtemps qu’une merveille stérile. En général, toute découverte qui apprend à l’homme des faits dont il ne se doutait pas, ou qui l’investit de forces nouvelles, doit être accueillie avec transport, parce qu’avec ces forces ou ces connaissances, il peut voyager à travers une région inconnue aux générations passées, et que c’est pour lui le comble de l’imprudence et même du ridicule de dire hardiment : « Je ne veux point visiter ce pays, je n’ai rien à y voir ; » sans savoir ce qu’il peut y chercher, et bien moins ce qu’il peut y trouver sans le chercher.

Ces réflexions nous ont déterminés à former une souscription destinée à procurer au public une expérience aérostatique. Le ballon que nous faisons construire, et auquel nous avons cru pour de bonnes raisons devoir donner une forme parfaitement sphérique, portera trois personnes : son diamètre sera de 55 pieds : il contiendra par conséquent 87 143 pieds cubes d’air raréfié, et déplacera un poids de 7 625 livres d’air atmosphérique (en négligeant des fractions insensibles). Nous ne disons rien de la force avec laquelle le ballon s’élèvera, attendu que nos idées sur le poids total dont nous le chargerons ne sont pas encore bien arrêtées : mais cette force (abstraction faite du poids) étant de 3 812 livres, on sent assez que nous sommes à l’aise pour toutes nos dispositions.

La machine sera faite et chargée suivant les principes des inventeurs. L’hémisphère supérieur sera couvert d’un filet ou réseau fixé seulement au pôle du ballon, et dont toutes les mailles viendront se nouer autour d’un cordage solide, qui servira de zone ou d'équateur : l’expérience ayant montré que cette partie ne devait point être formée en bois, et qu’en général il fallait éviter de faire entrer des matières solides dans la construction des ballons, dont la perfection consiste surtout à pouvoir obéir librement à la pression du fluide qui les enlève. D’autres cordages, fixés à la zone par une de leurs extrémités, viendront saisir de l’autre la galerie d’osier qui sera encore soutenue par le prolongement des nervures du ballon, espèce de cordes noyées dans les coutures des fuseaux, et qui rampent verticalement sur la surface de la machine comme les méridiens d’un globe.

Notre aérostat, autant que nous en pouvons juger dans ce moment, partira du 18 au 20 du courant, à moins que nous ne soyons contrariés par le temps dont la bizarrerie actuelle n’a rien d’égal : il s’élèvera du milieu de l’enclos de Buisson-Rond[5], où nous trouverons toutes les commodités nécessaires, et dont les respectables possesseurs se sont prêtés à nos vues avec cette politesse qui regarde comme un bienfait l’occasion qu’on lui fournit de rendre un service.

Nous croirions inutile d’entrer dans de plus grands détails sur la partie mécanique de notre expérience, dont le public peut s’instruire par ses yeux : ce que nous pouvons assurer en général, c’est que l’attention scrupuleuse qu’on apporte à toutes les parties de la construction, le zèle des personnes qui surveillent les ouvrages, et l’excellente qualité des matériaux doivent rassurer les esprits les plus timides. Ainsi nous espérons que notre entreprise ne sera point traversée ou rendue désagréable par de vaines terreurs, qui ne peuvent tenir devant le plus léger examen.

Il nous semble que tout amateur et même tout bon citoyen doit s’intéresser à l’exécution de cette belle expérience : au lieu, d’envisager froidement ou de rabaisser une découverte intéressante, il est bien plus digne de vrais philosophes d’en répéter le procédé, de l’examiner dans tous les sens, et de se rendre, pour ainsi dire, les airs familiers.

On demande tous les jours si l’on parviendra à diriger les ballons ? Sans douté on y parviendra, d’une manière plus ou moins parfaite ; et, suivant toutes les probabilités, le problème sera résolu par quelqu’un qui n’aura jamais dit : « Je le résoudrai. » Mais sera-ce donc en spéculant devant nos pupitres que nous parviendrons à perfectionner l’usage des ballons ? Qu’il nous soit permis d’en douter. Honneur à la théorie ! Mais quand elle ne s’appuie pas sur l’expérience, elle est sujette à faire d’étranges chutes ; et si l’on doit surtout s’en défier, c’est dans un genre où l’homme n’a jamais pu exercer ses forces ; car il] n’a point encore agi sur l’air, en l’air. Ce n’est pas que mille savants ne nous démontrent habilement du coin de leur feu tout ce qui est possible dans ce genre, tout ce qui ne l’est pas, tout ce qui doit arriver, etc. ; laissons-les dire, et faisons des ballons : l’usage nous apprendra des choses que les plus profondes méditations ne nous auraient jamais révélées. Il faut absolument que nous nous accoutumions à monter dans un ballon comme dans une berline ; et ce que les gens de mauvaise humeur appellent répétition inutile, dépense folle, etc., est cependant le seul moyen d’arriver au grand but vers lequel tous les yeux sont actuellement tournés. C’est en l’air que les auteurs de tant de pamphlets majestueusement intitulés : Moyen de diriger les ballons, deviendraient peut-être modestes, à force de honte ; c’est en l’air que nous apprendrons certainement si l’on peut s’aider de l’action de l’air, ce qui est fort douteux, ou seulement de l’action sur l’air, ce qui est très-probable ; c’est en l’air que nous apprendrons à nous servir avantageusement de cette dernière force. Enfin, une expérience de six mille ans nous ayant suffisamment convaincus qu’en fait de découvertes, nous avons bien peu de grâces à rendre aux raisonnements antécédents, il y a beaucoup de sagesse à se mettre modestement sur le chemin du hasard. Quant à nous, nous n’avons point la hardiesse de parler de moyens de direction. Peut-être avons-nous fait un beau rêve sur ce sujet ; mais, sans rappeler ce que nous avons tenté, nous annonçons seulement qu’on a fait les plus grands efforts pour montrer le parti qu’on peut tirer de la machine de MM. de Montgolfier, chargée à leur manière, pour la maintenir en l’air très-longtemps, et convaincre le public que, si elle a éprouvé jusqu’à présent quelques succès équivoques, il faut l’attribuer uniquement à des vices de construction ou à d’autres causes sur lesquelles il serait inutile de s’appesantir. Nous songeons même avec une vraie satisfaction que le ballon de Chambéry sera un nouvel hommage à MM. de Montgolfier, dont la voix publique a pu nous parler tous les jours, tout le jour, sans nous fatiguer un instant, parce qu’il ne lui est jamais arrivé de les nommer sans nous parler de leur modestie. Mais ce qui nous occupe sur toutes choses, c’est d’exciter par un spectacle frappant le goût des sciences, et surtout celui de la Physique expérimentale ; c’est de favoriser, d’accélérer dans notre patrie une certaine fermentation qui se fait sentir dans tous les esprits, et qui ne nous parait pas moins intéressante pour être un peu tardive, car nous aimons à croire qu’une virilité retardée annonce un tempérament robuste. Nous désirons que tout jeune homme, en voyant cette masse imposante se déployer pompeusement et s’élever dans les airs, se dise à lui-même qu’il peut prétendre à la même gloire ; que la même carrière est ouverte à ses efforts ; qu’il faut bien se garder de dire : « Tout est trouvé, » et que ’intelligence dans son vol infini ne redoute qu’une barrière, — la paresse.

L’invention des ballons est encore un beau sujet de méditation et d’encouragement pour les hommes de toutes les classes et de tous les pays. Que la nature est admirable dans la distribution de ses dons ! Avec quelle attention cette bonne mère nous avertit de temps à autre qu’elle ne déshérite aucun de ses enfants ! Quand le génie de la physique voulut enfin apprendre à l’homme qu’il pouvait devenir le rival des oiseaux, il n’alla point chez vous. Messieurs de Londres et de Paris ; mais pour opérer son prodige, il alla chercher les prédesdinés, où ? — Dans Annonay !

Chose étrange ! Si l’on passe en revue ces grandes inventions, ces procédés admirables des arts qui nous ont soumis Tunivers, on trouve que nous ne devons rien, ou j^resque rien, aux savants en titre. Béunis le plus souvent dans les grandes villes, environnés de tous les secours que l’instruction, les arts, l’ambition, et surtout les richesses peuvent prêter au génie, on les voit expliquer, corriger, analyser, perfectionner ; mais ils ne savent rien ajouter à la puissance humaine ; et tandis que l’orgueilleuse théorie calcule ou rêve doctement dans les Académies, l’expéri’ence, loin des capitales et de leurs lycées, enfante ses miracles chez l’amateur modeste parfaitement inconnu avant de devenir immortel. Il semble que la découverte dont nous parlons est particulièrement faite pour humilier les savants d’Europe. Que leur manquait-il pour y parvenir ? Rien ; car tous nos physiciens à gros livres connaissaient la principale qualité des gaz ; tous voyaient les nues se balancer dans les airs, et la fumée s’élever de leurs foyers ; tous avaient pu lire Borelli [6], qui s’exprime sur la nautique aérienne comme MM. de Montgolfier, quand ils rendirent compte de leur procédé. Il semble même que dans ces derniers temps le destin, pour lutiner quelques-uns de ces Messieurs, s’amusait à mettre la chose si près de leurs yeux qu’ils ne pussent pas la voir ; et tandis que, pour arriver à la découverte, il leur suffisait, pour ainsi dire, d’y penser, une main un peu moins fatale, mais tout aussi infaillible que celle qui effraya le roi d’Assyrie, écrivait sur les murs de leurs laboratoires : « Je t’ai trouvé léger. » Livrons-nous donc avec confiance à cette physique expérimentale, la seule vraie, la seule utile ; ne négligeons point les calculs, les théories savantes, mais connaissons aussi le prix d’une certaine’pratique investigatrice, qui ne passe légèrement sur rien, qui furette sans cesse dans l’univers, s’arrête devant les moindres objets, remue, pèse, décompose tout ce qu’elle peut apercevoir, et, prenant la raison par la main, tâtonne encore dans les ténèbres en attendant la lumière ; joignons même aux spéculations les procédés des arts, et ne croyons pas déroger en quittant quelquefois une formule d’algèbre pour prendre la lime et le rabot.

C’est en vain que nous prétexterions le défaut de secours, l’éloignement des grandes villes, la nullité des provinces : ces considérations ne doivent point nous décourager. Sans doute les ta-Jents semblent naître et s’accumuler dans les capitales ; mais le talent n’est fait que pour commenter le génie, et le génie naît partout. Ces réflexions qui pénètrent les souscripteurs feront sans doute la même impression sur Tesprit de leurs jeunes concitoyens ; c’est en leur faveur qu’à la place des récits froids et inanimés des gazettes, nous voulons leur procurer les mêmes sensations qui ont tant agité nos voisins. Nous nous estimerions heureux si le specta€le pompeux d’une des plus grandes merveilles de la phj’sique moderne pouvait, en passant des yeux à l’intelligence, échauffer leur âme, y développer le germe des grandes choses et leur donner une idée vive et pénétrante des jouissances et de la gloire que savent procurer les sciences. Tels sont les motifs qui nous ont principalement déterminés dans une entreprise qui pourrait paraître au premier coup d’œil quelque chose d’inutile.

Eloignés cependant d’un vain charlatanisme, nous ne nous dissimulerons point qu’en rendant hommage aux sciences, nous comptons pour beaucoup le motif d’agrément. La science est belle, sans doute :

Mais, croyez-nous, le plaisir a son prix !

Considéré seulement du côté du spectacle, quel autre peut être comparé à celui d’un grand aérostat qui s’élève et vole majestueusement, chargé de plusieurs voyageurs ? L’homme est affamé de sensations vives ; eh bien ! nous en préparons au public d’un genre inconnu jusqu’à nos jours ; et si l’on joint à l’intérêt naturel de la chose une foule d’agréments qui en seront la suite et qu’il est aisé de pressentir, on conviendra que le jour de l’expérience devra être écrit au nombre de ceux où l’art aura su le plus amuser notre existence.

Mais l’idée du spectacle que nous projetons nous conduisant par un penchant invincible à ce qui doit en former le principal ornement, nous ne finirons point sans faire à la plus belle moitié de la société un hommage particulier de notre expérience. C’est surtout aux dames que nous consacrons cette entreprise ; c’est elles que nous assurons des précautions scrupuleuses que nous avons prises pour que le plaisir de l’expérience ne puisse être acheté par un malheur, pas même par le plus léger inconvénient. Nous pouvons les assurer que l’expérience aérostatique exécutée avec prudence n’entraîne nul danger ; qu’elle n’effraye que les yeux, et que, quand un sylphe malfaisant viendrait dans les airs renverser le réchaud, le ballon serait toujours un parasol de 55 i^ieds de diamètre qui nous ramènerait les voyageurs sains et saufs. Mais, comme il est important de prendre des précautions d’avance contre un excès de sensibilité, aussi honorable pour les dames qu’il serait décourageant pour les navigateurs aériens, nous les invitons à jeter de temps en temps un coup d’œil sur nos travaux, dont la partie la plus essentielle ne saurait avoir de meilleurs juges. Puisqu’elles savent encore allier aux qualités qui font les délices des cercles toutes celles de la femme forte, nous ne leur parlerons point une langue inconnue en les priant de venir admirer la force de notre toile écrue, l’égalité et le mordant des différents points de couture, la rondeur des ourlets, et nos jmmenses fuseaux assemblés à surjets, jetant au dehors deux vastes remplis, qui vont s’unir pour recevoir et fixer sous une couture rabattue des cordes souples et robustes, fières de supporter cette galerie triomphale, d’où l’homme, perdu dans les nues, contemple d’un seul regard tous les êtres dont son génie l’a fait roi.

Après tant de précautions, nous avons droit d’attendre que le voyage aérien ne causera à nos dames que cette douce émotion qui peut encore embellir la beauté. Ainsi, nous ne voulons absolument ni cris, ni vapeurs, ni évanouissements : ces signes de terreur, quoique mal fondés, troubleraient trop cruellement de galants physiciens ; et les trois voyageurs qui ne manqueront point, en quittant la terre, d’avoir encore l’œil^sur ce qu’elle possède de plus intéressant, seraient inconsolables si leurs trois lunettes achromatiques, braquées sur l’enclos, venaient à découvrir quelque joli visage en contraction.

Les modernes Astolphes armés comme l’ancien, mais pour tout autre usage, d’un bruyant cornet, l’emboucheront en prenant congé des humains, pour crier d’une voix ferme et retentissante : « Honneur aux dames ! » Mais ils se flattent un peu que cette formule des anciens tournois amènera la douce cérémonie qui terminait ces brillantes fêtes, et qu’à leur retour sur terre, on ne leur refusera point l’accolade. Les gens sévères nous blâmeront-ils d’avoir ainsi perdu de vue la physique et les découvertes pour contempler si longtemps des êtres ■qui n’ont rien de commun avec les ballons que de faire tourner les têtes ? — Non, sans doute ; et nous craignons même qu’on ne voie dans toute notre galanterie qu’une politique fine, qui marche à son but par une voie détournée, en intéressant au succès de ses vues une des grandes puissances de l’univers. Au fond, cette attraction en vaut bien une autre ; et dans la noble ambition qui nous anime de favoriser le goût des sciences par tous les moyens possibles, pourquoi ne mettrions-nous pas les Grâces du parti des Muses ?


À Chambéry, ce 1er  avril 1784.

  1. Ce Prospectus et la Lettre qui suit ont été publiés, en deux brochures séparées, par l’auteur, et sous le voile de l’anonyme, en 1784, à Chambéry. Ils ont été réédités pour la première fois par M. Jules Philippe, député de la Haute-Savoie (Annecy, 1874, in-8o de 66 pp.).
  2. La première expérience publique faite par les frères Montgolfier eut lieu, le 5 juin 1783, sur la grande place d’Annonay, en présence des États du Vivarais. Elle fut répétée le 27 août suivant, sous la direction du physicien Charles, au Champ de Mars, à Paris.
  3. C’est Pilâtre de Rozier (et non, comme on pourrait le croire, l’un des Montgolfier) qui s’éleva du château de la Muette, près Paris, le 21 novembre 1783, en compagnie du marquis d’Arlandes, major dans un régiment d’infanterie. Ils furent les premiers voyageurs aériens. L’expérience paraissait offrir tant de dangers que le roi n’avait d’abord permis de la tenter qu’avec deux condamnés aux galères.
  4. Des quatre savants cités trois, en effet, se sont beaucoup occupés d’électricité : Tibère Cavallo, physicien napolitain ; Pierre Bertholon, médecin lyonnais, et Nicolas-Philippe Ledru, qui s’est rendu fameux comme prestidigitateur sous le nom de Comus. Quant à Quinquet, c’est un fait bien connu qu’il s’est approprié l’invention de la lampe à courant d’air et à cylindres, due au docteur Argand, de Genève.
  5. C’est aujourd’hui une belle promenade publique ; elle est située à l’est de la ville, au delà de l’Albane.
  6. Alphonse Borelli, médecin napolitain du dix-septième siècle.