Proverbes dramatiques/Le Bossu

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Proverbes dramatiquesLejaytome V (p. 99-124).


LE BOSSU.

SOIXANTE-QUATRIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


LE CHEVALIER, sous le nom du PRÉSIDENT DE ROUVIGNI, bossu & borgne. Habit noir, cheveux longs, sans chapeau.
Mad. DE SAINT-CLAIR, veuve. Bien mise, avec prétentions.
Mad. DE MOUSON, veuve. Mise de bon goût.
M. DE PIRMONT, Officier de Cavalerie. En uniforme.
TOURANGEAU, Laquais du Président, en livrée.


La Scène est chez le Président, à Lyon, dans un second sallon.

Scène premiere.

LE PRÉSIDENT, TOURANGEAU.
TOURANGEAU.

Il y a un Monsieur qui a envoyé savoir si vous étiez chez vous, Monsieur le Chevalier.

Le PRÉSIDENT.

Monsieur le Chevalier ! Comment, depuis que nous sommes ici, tu ne peux pas t’accoutumer à dire Monsieur le Président ?

TOURANGEAU.

Je vous demande pardon, Monsieur le Président, c’est que lorsque nous sommes seuls, je n’y pense jamais, mais devant le monde vous savez bien…

Le PRÉSIDENT.

Allons, c’est bon. Qu’est-ce que c’est que ce Monsieur ?

TOURANGEAU.

C’est un Officier, à ce qu’on m’a dit.

Le PRÉSIDENT.

Je parie que c’est Pirmont.

TOURANGEAU.

Pirmont ? oui, c’est comme cela qu’on l’a nommé.

Le PRÉSIDENT.

Il faut le laisser entrer.

TOURANGEAU.

J’entends quelqu’un ; c’est peut-être lui.

Le PRÉSIDENT.

Sors ; c’est lui-même.

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Scène II.

Le PRÉSIDENT, M. De PIRMONT.
Le PRÉSIDENT.

Monsieur, donnez-vous donc la peine d’entrer.

M. De PIRMONT.

Monsieur le Président, vous serez sans doute étonné de ma visite ; mais j'ai été si surpris hier à l’assemblée, lorsque je vous ai vu, de vous trouver une parfaite ressemblance avec un de mes amis, que je me suis proposé d’avoir l’honneur de vous venir voir, & plus je vous regarde, plus cette ressemblance augmente.

Le PRÉSIDENT.

Vous voulez apparemment parler de mon frere le Chevalier ; il est un peu mieux fait que moi pourtant, convenez-en ?

M. De PIRMONT.

Monsieur…

Le PRÉSIDENT.

Et puis il a ses deux yeux, & je ne lui ressemble guère de ce côté-là : mais en quoi je lui ressemble beaucoup, c’est que je vous aime réellement autant qu’il peut vous aimer.

M. De PIRMONT.

Monsieur, je voudrois fort mériter l’honneur que vous me faites.

Le PRÉSIDENT.

Il ne faudra pas attendre long-tems pour cela. (Il hausse le bandeau qu’il a sur un œil.)

M. De PIRMONT.

Que vois-je ?

Le PRÉSIDENT.

C’est moi-même.

M. De PIRMONT.

Ah, Chevalier ! (Il l’embrasse.) Par quelle aventure ?…

Le PRÉSIDENT.

Je vais te l’expliquer. (Il remet son bandeau.) Asseyons-nous. (Ils s’asseyent.)

M. De PIRMONT.

Je ne comprends rien à cette mascarade ! Pourquoi cette bosse aussi ?

Le PRÉSIDENT.

A présent ce n’est qu’une plaisanterie ; mais c’est une chose très-sérieuse qui m’a fait prendre ce parti là. J’ai eu une affaire avec un homme que l’ai dangereusement blessé : comme il se porte mieux, tout est fini. Dans le premier moment j’ai craint qu’il ne mourût, & j’ai voulu me mettre en sûreté. J’ai un frere qui se nomme le Président de Rouvigni, qui est bossu & borgne, & qui voyage en Italie ; j’ai pris le parti de prendre son nom & sa tournure, & de venir ici. Tu sais que Lyon rassemble la meilleure compagnie ; j’y ai mené la vie la plus agréable depuis que j’y suis, & sans la moindre inquiétude.

M. De PIRMONT.

Mais puisque ton affaire est arrangée, pourquoi ne pas reprendre ta forme ordinaire, & ne pas retourner à Paris ?

Le PRÉSIDENT.

Tu ne croiras pas que fait comme me voilà, j’ai fait deux conquêtes ici.

M. De PIRMONT.

Bon !

Le PRÉSIDENT.

Mais de tout ce qu’il y a de mieux. Ce sont deux veuves fort riches.

M. De PIRMONT.

Que tu trompes peut-être ?

Le PRÉSIDENT.

Pas toutes les deux ; mais une d’elles pour venger l’autre.

M. De PIRMONT.

Est-ce celle auprès de qui tu étois hier ?

Le PRÉSIDENT.

Oui, Madame de Saint-Clair, que je ne peux pas souffrir.

M. De PIRMONT.

Tu as raison : malgré sa beauté, c’est une femme odieuse ; elle est vaine, orgueilleuse, présomptueuse…

Le PRÉSIDENT.

Méprisante, dédaigneuse, insoutenable ! Pour Madame de Mouson…

M. De PIRMONT.

C’est une femme comme il y en a peu ; elle n’emprunte aucun art pour se faire aimer ; elle enchante par une noble simplicité ; tout attire vers elle, & elle inspire une heureuse confiance : sans oser espérer d’en être aimé, on desire de lui plaire. Le charme qu’elle répand sur tout ce qui l’environne, surpasse même ce qu’on appelle bonheur avec une autre. Si c’est elle que tu veux venger, tu as bien raison.

Le PRÉSIDENT.

Elle-même. Tout bossu & borgne que j’étois forcé de paroître, j’essayai de lui plaire, & j’y réussis au point que je fus préféré à tous ceux qui s’empressoient autour d’elle ; cela m’y attacha encore plus fortement : je lui proposai de l’épouser, & elle y consentit.

M. De PIRMONT.

Mais il n’y a pas de bonheur pareil au tien.

Le PRÉSIDENT.

Je n’en conçois pas de plus grand ! Madame de Saint Clair, rivale en beauté de Madame de Mouson, fit des plaisanteries très amères sur son goût pour moi ; je fus un peu inquiet que cela ne l’en détachât.

M. De PIRMONT.

Il falloit te montrer tel que tu es.

Le PRÉSIDENT.

Je voulus pousser cela plus loin, & j’eus de quoi être content ; car Madame de Mouson me dit les propos que Madame du Saint-Clair avoit tenu sur son choix ; mais que cela n’étoit pas étonnant de sa part, que c’étoit plutôt la figure qui la déterminoit que le mérite personnel. Je fus enchanté de la façon de penser de Madame de Mouson sur moi, & dans la joie où j’étois…

M. De PIRMONT.

Tu lui fis voir que tu ne méritois pas les plaisanteries de Madame de Saint-Clair ?

Le PRÉSIDENT.

Point du tout, je formai le projet de l’en faire repentir.

M. De PIRMONT.

Et comment ?

Le PRÉSIDENT.

En la rendant amoureuse de moi.

M. De PIRMONT.

J’aime cela tout-à-fait ; je voudrois que tu eusse réussi.

Le PRÉSIDENT.

On ne peut pas plus. Mais j’entends Madame de Mouson : viens souper ici ce soir, & tu seras témoin de la vengeance que j’ai imaginée. Elles y souperont toutes les deux.

M. De PIRMONT.

Je vais faire une visite, & je reviens tout de suite.

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Scène III.

Mad. De MOUSON, Le PRÉSIDENT, TOURANGEAU.
TOURANGEAU.

Madame de Mouson.

Le PRÉSIDENT.

Ah ! Madame, il est bien honnête à vous d’arriver de si bonne heure.

Mad. De MOUSON.

Honnête ! ce n’est pas là le mot, Président, convenez-en ? Vous savez le plaisir que j’ai à être avec vous.

Le PRÉSIDENT.

Madame, il ne peut pas surpasser le mien, je vous le jure. Si vous pouviez concevoir le bonheur que je goûte en vous aimant, cette sorte d’admiration que j’ai pour moi, d’avoir pu toucher un cœur comme le vôtre ! réellement vous finirez par me rendre d’un amour propre excessif.

Mad. De MOUSON.

Vous en dites autant, peut-être, à Madame de Saint-Clair ?

Le PRÉSIDENT.

Sûrement ; j’étudie auprès de vous tout ce que je dois lui dire, & elle n’imagine pas que c’est à vous qu’elle le doit.

Mad. De MOUSON.

Mais elle est fort jolie, & je ne serois pas surprise qu’à la fin elle ne parvînt à vous plaire réellement.

Le PRÉSIDENT.

Cela feroit honneur à mon goût, à ma façon de penser, sur-tout après la comparaison que je dois faire de vous à elle. Quelle différence ! Que son ame est loin de ressembler à la vôtre ! Quel esprit que le sien ! En vérité il n’y a que le desir de vous venger qui puisse me faire supporter l’excès d’ennui & de dégoût qu’elle m’inspire.

Mad. De MOUSON.

Vous le dites, & je le dois croire : mais je n’aime point ce desir que vous avez de me venger ; je vous l’ai déjà dit : que m’importe ce qu’elle a pu dire & penser : étoit-elle faite pour sentir tout ce que vous valez ? Tenez, Président, c’est plus votre amour propre que ma gloire que vous voulez satisfaire.

Le PRÉSIDENT.

S’il n’étoit question que de mon amour propre, la maniere donc elle l’a attaqué m’inquiéteroit peu ; je ne tiens pas beaucoup aux défauts qu’elle m’a reprochés.

Mad. De MOUSON.

Eh bien, en voilà assez. Mandez-lui tout simplement que vous êtes revenu à moi, & que je vais vous épouser : si elle vous aime, elle sera assez punie par les regrets de vous perdre.

Le PRÉSIDENT.

Oui ; mais elle ne conviendroit pas qu’elle m’a aimé, & je veux que tout le monde le sache.

Mad. De MOUSON.

Vous dites qu’elle consent à vous épouser ?

Le PRÉSIDENT.

Il est vrai.

Mad. De MOUSON.

Que voulez-vous de plus ?

Le PRÉSIDENT.

Elle veut que nous partions secrétement pour sa Terre de Saint-Clair, pour aller nous y marier, & ne revenir que quand elle croira qu’on ne parlera plus de ce mariage : moi je n’aime pas le mystere avec elle ; je veux que triomphe éclate.

Mad. De MOUSON.

Allons, vous êtes fou. Finissez cette plaisanterie-là.

Le PRÉSIDENT.

Dès ce soir même.

Mad. De MOUSON.

Comment ?

Le PRÉSIDENT.

Elle vient souper ici avec vous.

Mad. De MOUSON.

Quel est votre projet ?

Le PRÉSIDENT.

Puisque vous êtes arrivée avant elle, que vous vous cachiez ; sûrement elle va venir. Entrez dans ce cabinet, & vous n’en sortirez que quand vous le jugerez à propos. Vous me ferez des reproches de vous avoir sacrifié à elle ; je ferai l’étonné de l’excès de jalousie que vous montrerez ; elle sera enchantée de triompher devant vous, & je me charge du reste.

Mad. De MOUSON.

A quoi cela sera-t-il bon ?

Le PRÉSIDENT.

A l’humilier, & peut-être à la corriger.

Mad. De MOUSON.

Vous ne la corrigerez point ; & je me suis bien des fois repentie de la lettre que vous avez exigé de moi, pour la faire tomber dans le piége que vous vouliez lui tendre. Il n’y a peut-être jamais eu que vous, qui ait désiré de celle qu’il aime, qu’elle lui écrive qu’elle ne l’aime plus.

Le PRÉSIDENT.

Cela a bien réussi. J’entends quelqu’un : sauvez-vous dans le cabinet.

Mad. De MOUSON, se levant.

Avouez que vous me faites faire tout ce que vous voulez. (Elle entre dans le cabinet.)

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Scène IV.

Le PRÉSIDENT, Mad. De SAINT-CLAIR, TOURANGEAU.
TOURANGEAU.

Madame de Saint-Clair.

Mad. De SAINT-CLAIR.

En vérité, Président, il faut que je vous aime beaucoup pour venir ici, aujourd’hui.

Le PRÉSIDENT.

Quand ce ne seroit que pour me charmer de nouveau par cette assurance…

Mad. De SAINT-CLAIR, s’assoyant.

Sans votre souper, je ne serois pas sortie, Président ; mais je vous avoue que j’ai tout espéré du plaisir de me trouver chez vous.

Le PRÉSIDENT.

Vous me comblez de joie ! Et je ne sai pas de quoi vous pouvez vous plaindre, car en honneur vous n’avez jamais été si belle : vos yeux…

Mad. De SAINT-CLAIR.

Ne les regardez pas, Président.

Le PRÉSIDENT.

Que je me refuse au plaisir d’y lire mon bonheur : ah ! je ne me traiterai jamais avec tant de cruauté.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Il semble que vous m’aimiez réellement ?

Le PRÉSIDENT.

Comment réellement ? Qui pourroit vous en faire douter un instant ? vous m’allarmez !

Mad. De SAINT-CLAIR.

Je ne sai, je crains que vous ne vous trompiez vous-même : de plus, vous revoyez Madame de Mouson ; elle a bien des charmes, Président ! c’est une personne d’un si grand mérite ; elle en avoit tant découvert en vous, les hommes sont flattés de cela, c’est tout simple ; & puis elle a tant de graces, un peu gauches à la vérité ; mais vous autres, vous ne distinguez pas tout cela.

Le PRÉSIDENT.

Tout ce qui peut charmer en vous m’a-t-il échappé ?

Mad. De SAINT-CLAIR.

Ah ! je craindrois trop d’être anéantie devant elle ; point de comparaison, s’il vous plaît ; c’est une bonne petite femme, je l’ai aimée autrefois.

Le PRÉSIDENT.

C’est dans ce tems-là que vous avez blâmé son goût pour moi.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Ah ! ne parlons plus de cela ; je me fais horreur à moi-même de vous avoir si mal connu ; je me suis fait justice depuis, en vous disant qu’elle n’étoit pas digne de vous, & je vous l’ai prouvé, je crois, en vous aimant.

Le PRÉSIDENT.

J’en suis pénétré de reconnoissance. Elle a été piquée que je vous préférasse.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Oui, elle a eu la sottise de vous écrire qu’elle ne vous aimoit plus ; je vous avoue que celui-là m’a charmé.

Le PRÉSIDENT.

C’étoit une noirceur que vous m’aviez fait là d’avoir ridiculisé son goût pour moi.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Je vous l’ai dit, si je ne vous avois pas déjà aimé, est-ce que ce qu’elle peur faire m’importe assez pour m’en devoir occuper.

Le PRÉSIDENT.

Oui ; mais la maniere dont vous vous êtes récriée par-tout, n’annonçoit rien qui me fût favorable ; vous aviez même fait penser comme vous la plupart des femmes de Lyon. Puisque vous m’aimez, la réparation ne doit rien vous coûter.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Mais je vous épouse, Président, que voulez-vous de plus ?

Le PRÉSIDENT.

Que ce ne soit pas dans votre Terre, que ce soit ici aux yeux de toute la ville.

Mad. De SAINT-CLAIR.

C’est une folie que cette prétention-là ! d’ailleurs la représentation me déplaît à mourir.

Le PRÉSIDENT.

Vous n’êtes pas accoutumée au monde ?

Mad. De SAINT-CLAIR.

Ce n’est pas cela, mais…

Le PRÉSIDENT.

Mais, c’est que vous rougissez de votre choix, après le langage que vous avez tenu.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Quelle idée !

Le PRÉSIDENT.

Mais pourquoi ne pas déclarer ce mariage ? Si vous ne voulez pas qu’il se fasse ici, je vous suivrai par-tout où vous voudrez.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Si vous voulez que je vous en dise la véritable raison, c’est que je promis à la mort de mon mari de ne me jamais remarier ; il est vrai que je n’étois qu’un enfant.

Le PRÉSIDENT.

On connoît la valeur de ces promesses-là, & elles ne doivent point vous arrêter.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Rien ne peut vaincre mes répugnances là-dessus.

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Scène V.

M. De PIRMONT, Le PRÉSIDENT, Mad. De SAINT-CLAIR, TOURANGEAU.
TOURANGEAU.

Monsieur de Pirmont.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Quoi ! vous connoissez Monsieur de Pirmont ?

Le PRÉSIDENT.

Il est mon ami depuis long-tems ; je n’ai point de secrets pour lui, Madame ; consentez que je lui apprenne mon bonheur.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Puisqu’il est de vos amis, il partagera sûrement notre satisfaction : oui, Monsieur, j’épouse le Président ; mais j’exige de vous de n’en point parler encore.

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Scène VI.

Mad. De SAINT-CLAIR, Mad. De MOUSON, Le PRÉSIDENT, M. De PIRMONT.
Mad. De MOUSON, sortant du cabinet.

Pour moi, Madame, qui ne suis point dans le secret, j’espere que vous ne trouverez pas extraordinaire que j’apprenne à tout le monde, qu’après avoir si hautement blâmé mon goût pour le Président, vous voulez bien l’épouser pour réparer vos torts.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Quoi, Madame ?…

Mad. De MOUSON.

J’ai tout entendu, & vos projets, & tout ce que vous avez dit de moi, & comme je ne veux pas que votre façon de penser sur mon compte soit un secret non plus, je vais l’apprendre à tout le monde, ainsi que votre mariage.

M. De PIRMONT.

Mesdames, si vous voulez passer dans le sallon, il y a déjà nombreuse compagnie à qui vous ferez sûrement le plus grand plaisir.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Eh bien, Madame, je vais y aller. Quelque chose que vous disiez, mon sort vous fait envie ; puisque la jalousie vous a portée à nous écouter ; & le choix d’une femme aussi parfaite que vous, ne peut que me faire honneur : il vous en restera toujours la gloire de m’avoir éclairée sur ce que vaut le Président. Oui, Madame, je l’épouse, & je vous l’apprends, & j’en recevrai vos complimens avec la plus grande satisfaction.

Le PRÉSIDENT.

Voilà tout ce que je voulois.

Mad. De MOUSON.

Vous jouissez de tout votre triomphe ; mais du moins vous ne blâmerez plus l’amour qu’il m’a inspiré.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Non, Madame, je vous promets de n’en plus parler.

Mad. De MOUSON.

Président, partons dans le sallon.

Le PRÉSIDENT.

Non, Madame ; il faut savoir auparavant si Madame de Saint-Clair voudra souper ici.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Oui, oui, Président, tous mes scrupules sont levés.

Le PRÉSIDENT, à Mad. de Saint-Clair.

Les miens ne le sont pas tout-à-fait : je vous ai fait une trahison abominable, j’en conviens : mais vous m’aviez traité avec trop de mépris, j’ai voulu vous prouver que j’étois plus digne que vous ne pensiez, d’être aimé d’une honnête femme ; & après vous avoir tout avoué, je dois vous apprendre aussi que ce n’est que Madame de Mouson pour qui je puisse vivre, & que je l’épouse.

Mad. De SAINT-CLAIR.

Quoi ! monstre…

Le PRÉSIDENT.

J’ai pu vous le paroître jusqu’à présent, mais je vais me montrer tel que je suis. (Il ôte son bandeau, & fait disparoître sa bosse.)

Mad. De SAINT-CLAIR.

Que vois-je ?…

Mad. De MOUSON.

Est-il bien possible !…

Le PRÉSIDENT.

Oui, Madame, je ne suis point le Président de Rouvigny, mais son frere, le Chevalier de la Milliere, l’ami de Pirmont, qu’une affaire d’honneur avoit fait cacher sous le nom du Président.

Mad. De MOUSON.

Et vous m’avez laissé ignorer tout cela. Ah, Chevalier !…

Le PRÉSIDENT.

Je voulois vous venger de Madame, avant de vous rien apprendre, & que vous ne puissiez pas l’empêcher, ce que vous auriez sûrement fait, si vous aviez tout sçû.

Mad. De SAINT-CLAIR, avec dépit.

Monsieur de Pirmont, donnez-moi la main, je vous prie.

Le PRÉSIDENT.

Quoi, Madame, vous ne soupez pas ici ?

Mad. De SAINT-CLAIR.

Je ne veux les revoir de ma vie. (Elle s’en va.)

Le PRÉSIDENT.

Pirmont, tu reviendras ?

M. De PIRMONT.

Sûrement.

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Scène VII.

Mad. De MOUSON, Le PRÉSIDENT.
Mad. De MOUSON.

Je voudrois pouvoir cacher cette aventure à tout le monde.

Le PRÉSIDENT.

Vous êtes trop bonne, Madame.

Mad. De MOUSON.

Ne paroissez encore aujourd’hui qu’en Président de Rouvigny.

Le PRÉSIDENT.

Je ne le puis, je veux avoir le plaisir de voir approuver votre choix hautement, & ne plus vous exposer à trouver encore une Madame de Saint Clair.

Mad. De MOUSON.

Ah ! Chevalier, je n’avois pas besoin de vous voir mieux que vous n’étiez, pour vous aimer toujours.

Le PRÉSIDENT.

C’est ce qui fera que toute ma vie vous ne me verrez occupé que de ma reconnoissance & de mon bonheur.


Fin du soixante-quatrieme Proverbe.
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Explication du Proverbe :

64. Il ne faut pas dire, Fontaine je ne boirai pas de ton Eau.