Proverbes dramatiques/Les Secondes Loges de L’Opéra

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LES
SECONDES LOGES
DE
L’OPÉRA,
LE DIMANCHE.

DIX-HUITIEME PROVERBE.


PERSONNAGES


* Mad. GOURSAIN, Marchande de galons. Coëffée en bonnet, habillée d’une belle & bonne étoffe.
M. GOURSAIN, son mari. Habit noir, perruque à nœuds.
* Mad. MÉRIGON, Marchande de drap. Comme Mad. Goursain.
M. MÉRIGON, son mari. Habit noir, perruque à nœuds.
M. MORANDAL, Intendant de Maison, Habit galonné.
M. RENARD, Procureur au Châtelet. Habit noir, perruque à nœuds, mise un peu de travers.

* Ces deux femmes doivent être grosses.


La Scène est dans une des secondes Loges ; après l’Opéra.

.


Scène premiere.

Mad. GOURSAIN, Mad. MÉRIGON, M. RENARD, M. MORANDAL.
M. MORANDAL.

Eh bien, Mesdames, comment avez-vous trouvé l’Opéra, aujourd’hui ?

Mad. GOURSAIN.

Assez joli ; il n’est pourtant pas si beau que l’autre.

M. MORANDAL.

Lequel ?

Mad. GOURSAIN.

Et celui qu’on jouoit, il y a eu Dimanche quinze jours.

M. MORANDAL.

Armide ? ah, dame ; c’est autre chose ; mais chacun vaut son prix.

Mad. MERIGON.

Monsieur Morandal, n’avez-vous pas vû mon chou ? il m’a promis de venir me reprendre ici.

M. MORANDAL.

Il est monté avec moi, & il va venir tout-à-l’heure. Mais qu’est-ce qui est-là qui se cache avec son chapeau, n’est-ce pas un certain Procureur, appelle Renard ? il me semble avoir vu ce visage-là quelque part.

M. RENARD.

Visage, toi-même ; hé poliçon ; je voudrois bien l’avoir pourquoi on laisse entrer ici des gens du Parterre.

Mad. MERIGON.

Ah, Madame, il va recommencer. En vérité il nous a fait bien rire toujours, pendant l’Opéra. Il a été on ne peut pas plus divertissant.

M. MORANDAL.

Je le crois bien ; c’est le métier des singes. Il rit. Ah, ah, ah.

Mad. GOURSAIN.

Ah ! Monsieur Morandal, finissez donc, ne me faites pas rire davantage ; car je n’en peux plus à force de me retenir.

M. RENARD.

Il ne falloit pas vous gêner, Madame, & me demander mon chapeau.

Mad. MERIGON, riant très-fort & essuyant ses yeux.

Hi, hi, hi, hi, hi. Ah ! je n’en puis plus.

Mad. GOURSAIN.

Mais, où prend-il donc tout ce qu’il dit ?

Mad. MERIGON.

Ah, je crois que voilà mon mari.

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Scène II.

Mad. GOURSAIN, Mad. MÉRIGON, M. MÉRIGON,
M. MORANDAL, M. RENARD.
Mad. MERIGON.

Hé bien, mon chou, où étois-tu donc ? nous t’attendons.

M. MERIGON.

Allons, allons, me voilà. Madame Goursain est-elle un peu contente ?

Mad. GOURSAIN.

Oh, pour cela oui.

M. MERIGON.

Vous me croirez une autre fois, Madame ; vous voyez que je me connois en musique, moi.

Mad. GOURSAIN.

Oui. mais Monsieur Goursain m’avoit dit que j’entendrois l’air que chante ma fille ; j’ai toujours écouté & on ne l’a pas chanté.

M. RENARD.

C’est qu’on ne savoit pas que vous étiez ici ; mais une autre fois, cela n’arrivera plus.

M. MERIGON.

Renard, se moque de vous, Madame Goursain ; je vous en avertis.

Mad. GOURSAIN.

Bon, je ne l’écoute ni plus ni moins, que s’il ne parloit pas.

Mad. MERIGON.

Si tu savois, mon chou, tout ce qu’il nous a dit, il a pensé nous faire crever de rire ; il nous a fait des contes…

M. RENARD.

Sans les Barons.

Mad. GOURSAIN.

Il n’a jamais été si fou.

M. MORANDAL.

C’est vous, Mesdames, qui lui tournez la tête.

Mad. MERIGON.

Ah, c’est bien honnête cela, Monsieur Morandal ; il ne nous a pas dit de ces choses-là, par exemple.

M. RENARD.

Comment ; mais c’est que je ne parle jamais de choses, moi : pour qui me prenez-vous ?

M. MERIGON.

Voilà votre paquet, Mesdames ; pourquoi l’attaquez-vous aussi, il ne restera jamais court, déjà.

M. RENARD.

Oh, ces Dames savent bien que ce n’est pas mon défaut.

Mad. MERIGON.

Comment, nous le savons bien ? celui-là est assez important ; à Mad. Goursain, est-ce que vous en savez quelque chose, Madame ?

Mad. GOURSAIN.

Il faut lui pardonner, il ne sait ce qu’il dit. Où est donc Monsieur Goursain ? je l’ai vu dans le Parterre, qui se donnoit des airs de lorgner, dame, il faut voir. Est-ce qu’il ne nous a pas lorgné aussi, nous ?

M. MORANDAL.

C’étoit avec ma lorgnette, que je lui avois prêtée. Elle est fort bonne.

Mad. GOURSAIN.

Il n’avoit donc pas la sienne ; car il en a une garnie en argent, qui est fort belle ; c’est un Milord Anglois qui lui a donné. Et tenez, Monsieur Mérigon, vous savez bien ; c’est celui à qui nous avons fait ce gros envoi, pour un grand mariage… Vous souvenez-vous ?

M. MERIGON.

Oui, oui, je me rappelle cela, j’ai quelque idée confuse…

M. RENARD.

On ne dit plus confuse ; on dit honteuse, n’est-ce pas, Mesdames, que c’est plus honnête ?

Mad. GOURSAIN.

Ah, mon Dieu, le drôle de corps, ne finirez-vous donc jamais ?

M. RENARD.

Je n’ai pas encore commencé.

Mad. GOURSAIN.

Tenez, tenez, voilà Monsieur Goursain.

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Scène III.

Mad. GOURSAIN, Mad. MÉRIGON, M. GOURSAIN,
M. MÉRIGON, M. MORANDAL, M. RENARD.
M. GOURSAIN.

Mesdames, j’ai l’honneur de vous saluer.

Mad. MERIGON.

Bonjour, Monsieur Goursain.

M. GOURSAIN.

Qu’est-ce que c’est que tous ces gens-là que vous avez avec vous ?

M. MERIGON.

Allons, allons, entre dans la loge, tu le verras.

M. GOURSAIN.

Oh, je n’ai que faire d’y entrer. Est-ce que vous ne vous en assez pas donc ? voulez-vous coucher ici ? je suis votre serviteur.

Mad. GOURSAIN.

Mon ami, tu ne me dis rien ; dis donc la poule, d’où viens-tu ?

M. GOURSAIN.

Pardi, moi ; je vous attendois toujours là-bas, il n’y a presque plus personne. Eh, dis donc, toi, frere Renard, qu’est-ce que tu fais-là, dans ton coin, tu ne dis rien ?

M. RENARD.

Ces Dames m’ont défendu de parler.

M. GOURSAIN.

A propos, Monsieur Morandal, j’ai vu votre Duc, là-bas.

M. MORANDAL.

Ne vous a-t il pas demandé si j’étois ici ?

M. GOURSAIN.

Non, il ne m’a pas parlé ; mais il m’a fait l’honneur de me saluer bien poliment.

M. MORANDAL.

Il me demande quelquefois : eh bien, Monsieur Morandal, comment avez-vous trouvé l’Opéra, Dimanche ? & les Dames avec qui vous étiez : ah, ah, Monsieur le drôle, vous n’êtes pas de mauvais goût.

M. GOURSAIN.

Tout de bon ? écoute donc cela, Madame Goursain.

Mad. MERIGON.

Qu’est-ce que c’est ? nous n’avons pas entendu.

M. MORANDAL.

Je disois à Monsieur Goursain, que Monsieur le Duc vous trouvoit fort jolies toutes les deux.

Mad. GOURSAIN.

Quoi, tout de bon, il vous a parlé de nous ?

M. MORANDAL.

Oui, en vérité.

Mad. MERIGON.

C’est bien honnête à lui, & il nous fait bien de l’honneur.

Mad. GOURSAIN.

Il faudroit le prier devenir un jour à notre maison de Passy.

Mad. MERIGON.

Ah, que c’est bien dit !

M. MORANDAL.

Il ne demanderoit pas mieux.

Mad. GOURSAIN.

Comme cela feroit enrager Madame Angrand, avec sa vieille Croix de Saint-Louis ! elle qui dit toujours, qu’elle n’aime que les gens de condition ? Il faudra arranger cela ; entendez-vous, Monsieur Morandal ?

M. MORANDAL.

Oui, oui, laissez-moi faire.

M. MERIGON.

Dites donc un peu, vous autres ; qu’est-ce que vous avez fait de l’Abbé ?

Mad. MERIGON.

Il est allé à son concert de la rue de la Verrerie.

M. GOURSAIN.

Et, viendra-t-il souper ?

Mad. GOURSAIN.

Il nous a promis sans faute de n’y pas manquer…

M. MERIGON.

C’est que je serois bien aise que Monsieur Morandal, qui passe sa vie avec des gens de condition, l’entendît chanter. Vous verriez comme c’est une belle voix ; il fait toujours trembler toutes les vitres de la maison, quand il chante.

Mad. MERIGON.

Ah, c’est vrai, mon chou a raison ; il faut se boucher les oreilles pour l’entendre.

M. GOURSAIN.

Ah, oui ; c’est le plus beau creux du monde ! n’est-ce pas comme cela qu’il faut dire ?

M. RENARD.

Oui ; mais pas devant des Dames, il ne faut pas parler de corde dans la maison d’un pendu. Il rit. Ah ah, ah, ah.

M. MORANDAL.

Celui-là est un peu fort de caffé, Mesdames, qu’en dites-vous ?

Mad. GOURSAIN.

Allons, allons nous-en. Madame Mérigon, je vous conseille de vous trousser un peu ; car dans ces temps humides-là, on abîme ici toutes ses robes.

Mad. MERIGON.

Vous avez bien raison. Monsieur Goursain, aidez-moi un peu à sortir d’ici ; mais ne me lâchez pas ; car je ne suis pas légere.

M. GOURSAIN.

Appuyez, appuyez-vous ; là, vous y voilà.

Mad. GOURSAIN.

Monsieur Goursain, Bertrand est-il là-bas ?

M. GOURSAIN.

Oui, oui, il est avec le carrosse ; mais j’ai renvoyé Lapierre.

Mad. GOURSAIN.

Et pourquoi donc cela ?

M. GOURSAIN.

Il faut bien qu’il aille mettre le couvert ; vous ne pensez à rien, vous autres.

Mad. MERIGON.

Ah, oui, les hommes s’entendent beaucoup au ménage, n’est-il pas vrai, Madame ? je crois que sans nous ils seroient bien embarassés. Ah, Monsieur Renard, prenez donc garde, vous allez me faire tomber.

M. RENARD.

Ne craignez rien, allez, allez ; ce que je tiens, je le tiens bien.

M. MORANDAL.

Il n’est pas Procureur pour rien, il a la serre bonne.

M. GOURSAIN.

Ah-çà, Monsieur Morandal, allez-vous-en vous deux Renard, avec ces Dames.

M. MERIGON.

Oui, oui, nous nous en irons Goursain & moi, de notre côté.

Mad. MERIGON.

Où vont-ils donc comme cela ?

M. RENARD.

Ils ont une petite fille en Ville ; laissez les faire, il ne faut pas que les femmes se mêlent de cela.

Mad. MERIGON.

Adieu, mon chou ; ne sois donc pas longtemps.

M. RENARD.

Si vous ne revenez pas, vous nous écrirez ; mais prenez garde au cornet où vous tremperez votre plume, entendez-vous ?


Fin du Tome premier.
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Explication du Proverbe :

18. Il ne sort du sac, que ce qu’il y a dedans.