Puyjalon, le solitaire de l’Île-à-la-Chasse/00b

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AVANT-PROPOS

« Si le roman », a dit Louis Bertrand à propos du cinquième volume de sa série «  Mes Destinées », « si le roman, sous sa forme la plus haute, est une « représentation » au sens philosophique et métaphysique du mot, je puis faire du roman avec n’importe quoi de la réalité. Le roman est partout ; il suffit de le voir ».

Voilà pourquoi, sur la page frontispice de ce livre, en dessous du titre, j’ai été tenté d’écrire le mot : « roman ».

Le roman le plus vrai est toujours une tromperie et ce qui l’individualise, c’est la fiction avec son intrique et ses aventures. Le récit d’une aventure vraie, la peinture d’une vie réelle sur une scène étendue et variée, d’une vie réellement vécue, mêlée à des événements notoires, et dans laquelle on peut trouver avec les aveux de la vie intérieure et de la passion, le foisonnement des idées, des imaginations, des projets et des rêves, enfin, tout ce qui peut trouver place dans un roman au vrai sens du mot, ce récit, dis-je, ne pourrait-il présenter le même intérêt que le plus hardi des romans d’aventures, sans le moins du monde violer les lois les plus élémentaires du genre ?

On dit parfois d’une vie d’homme, ou de femme : « C’est un véritable roman ». Et on peut en effet, en lire le récit comme on lit une œuvre de pure imagination. Et puis, il est entendu dans le grand public qu’il n’y a d’intéressant que le roman. De là le genre de l’histoire romancée.

C’est au roman, ai-je cru, que s’apparente un peu la vie du comte Henry de Puyjalon ; en même temps que du récit de cette vie et de l’analyse de son œuvre s’élaborent des documents qui pourront servir à histoire sans se confondre avec elle. De sorte qu’en définitive ce que j’ai tenté de faire, ce n’est pas un roman et ce n’est pas non plus de l’histoire. À part, très légèrement, le début, et un peu la fin, le livre que je présente aujourd’hui raconte une vie nullement romancée ; c’est l’analyse sincère d’une œuvre magnifique…

Disons que j’ai fait un rêve : essayer de réaliser un genre qui serait avant tout le récit d’une aventure vraie, la peinture d’une vie réelle, dont on a été le témoin, et qui, sans prétendre au même intérêt que le roman à fiction pure, emploierait les procédés de ce genre pour obtenir un maximum de vérité et de vie…

Le comte Henry de Puyjalon fut une des figures attachantes de la fin du siècle dernier en notre pays. Encore que sa mort ne date que d’un peu plus d’un quart de siècle ; encore qu’il ait vécu pendant trente ans parmi nous et qu’il ait laissé une œuvre dont les résultats ont eu incontestablement, par certains côtés, une sensible influence sur notre développement économique, il est à peu près inconnu parmi la génération présente. Aussi, à la suggestion, dois-je dire, de mon aimable préfacier, M. L.-A. Richard, ai-je cru intéressant de ressusciter en quelque sorte ce personnage qui mérite assurément de n’être point tout à fait oublié. Je l’ai envisagé d’un point de vue précis : dans le rôle qu’il a joué parmi l’évolution des habitants de nos forêts et de nos eaux ; rôle très important et injustement méconnu. Il était pour nous, à bien dire, un étranger ; et c’est pourquoi on peut être un peu honteux d’avoir reçu, sans chercher à en profiter, tant de leçons du parfait désintéressement de cet étranger.

Henry de Puyjalon, pendant vingt-cinq ans, a plaidé une cause et a cherché à la faire triompher ; il a donné des preuves et des présomptions de ce qu’il avançait. Plus particulièrement, il s’est attaché à démontrer la nécessité urgente, absolue, de lois et de règlements de protection des grandes richesses naturelles que sont pour nous la faune et la gent écaillère de nos pêcheries maritimes ; la nécessité du repeuplement de nos forêts dévastées et de nos eaux vidées de leurs habitants naturels.

C’est ce rôle intéressant qu’Henry de Puyjalon a joué qui m’a provoqué à me faire l’humble biographe de celui que feu le chanoine V.-A. Huard a appelé l’« Homme du Labrador », malgré que je n’en aie pas, dois-je avouer, le moindre souvenir personnel même du mouvement de sympathie suscité, parmi ses amis, quand ils apprirent, voici trente-trois ans, la fin pénible du « Solitaire de l’Île-à-la-Chasse » ?.

Mais le biographe improvisé que je suis a eu recours à d’anciens amis de Puyjalon qui l’ont intimement connu, comme M. Johan Beetz, du Service Provincial de l’élevage des animaux à fourrure, son fils, Louis-Henry de Puyjalon, d’Ottawa, le seul survivant[1] aujourd’hui de sa belle et grande famille, et d’autres qu’il remercie très sincèrement pour les précieux documents qu’ils lui ont procurés ! Et puis, le biographe a lu, étudié, les manuels, les récits, les nombreux rapports laissés par Henry de Puyjalon sur ses explorations, ses visites, ses longs séjours à travers la « terra incognita » du Labrador Canadien.

Dans ces manuels, ces récits et ces rapports, Henry de Puyjalon nous raconte la vie des bêtes au Labrador, sans le moindre pédantisme. Il y étale avec complaisance une complète familiarité. Ce sont de beaux documents labradoriens ; et aussi humains. On y retrouve l’intrépidité du savant et du sportif ; une belle et intelligente allégresse à l’égard des bêtes des forêts, des eaux et de l’air. Bref, Henry de Puyjalon était un géologue de plein air et un amateur de la grande nature. Ses manuels, ses récits, ses rapports, ce sont, en définitive, comme des mémoires qu’il nous a laissés et, pour ma part, si j’étais obligé de ne garder pour les lire qu’un genre d’ouvrages, je prendrais les mémoires, les souvenirs des hommes d’esprit, de talent et de sciences qui ont été mêlés aux progrès et aux développements de l’Humanité et qui nous ont laissé des carnets, des notes, matériaux qui sont souvent d’autant plus précieux qu’ils les ont moins travaillés, moins ouvrés.

D. P.
  1. Voir correction apportée par l’auteur