Quand les violons sont partis/Complainte pour Don Juan
COMPLAINTE POUR DON JUAN
Je suis un piano brisé,
Parce qu’il a trop amusé.
Au clavier tout neuf, des menottes
À plaisir ont cassé des notes.
J’ai roucoulé très gentiment
Des morceaux pleins de sentiment.
Histoire de rire, des femmes
Ont tapoté des airs infâmes,
D’autres : des « tradéridéras »
Et des « laïtous » d’opéras.
C’était faux, on n’y songea guère
À la guerre comme à la guerre.
Chacune voulut à son tour
Quelque ritournelle d’amour,
Et joua sans miséricorde
En massacrant corde sur corde,
Tant et tant ! que les trémolos
Eurent la gaîté des sanglots.
On croyait ouïr, aux roulades,
Les râles d’un tas de malades.
Quand ce fut assez odieux,
Elles me firent leurs adieux
À coups de pied dans la carcasse :
Un joujou déplaît, on le casse.
Je suis un piano brisé,
Parce qu’il a trop amusé.