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Quand les violons sont partis/Complainte pour Don Juan

La bibliothèque libre.
Quand les violons sont partisLibrairie Léon Vanier ; A. Messein, SuccrPoésies complètes d’Édouard Dubus (p. 80-81).
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COMPLAINTE POUR DON JUAN

Pour Léon Deschamps.

Je suis un piano brisé,
Parce qu’il a trop amusé.

Au clavier tout neuf, des menottes
À plaisir ont cassé des notes.

J’ai roucoulé très gentiment
Des morceaux pleins de sentiment.

Histoire de rire, des femmes
Ont tapoté des airs infâmes,

D’autres : des « tradéridéras »
Et des « laïtous » d’opéras.

C’était faux, on n’y songea guère
À la guerre comme à la guerre.


Chacune voulut à son tour
Quelque ritournelle d’amour,

Et joua sans miséricorde
En massacrant corde sur corde,

Tant et tant ! que les trémolos
Eurent la gaîté des sanglots.

On croyait ouïr, aux roulades,
Les râles d’un tas de malades.

Quand ce fut assez odieux,
Elles me firent leurs adieux

À coups de pied dans la carcasse :
Un joujou déplaît, on le casse.

Je suis un piano brisé,
Parce qu’il a trop amusé.