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Quand les violons sont partis/L’idole

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Quand les violons sont partisLibrairie Léon Vanier ; A. Messein, SuccrPoésies complètes d’Édouard Dubus (p. 72-74).
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L’IDOLE

Pour Louis Pilate de Brinn’Gaubast.

Les bras levés en un grand geste qui bannit,
L’antique idole d’or, à la bouche narquoise,
Du mal enchantement de ses yeux de turquoise
Éclaire son immense temple de granit.

Depuis la voûte impénétrable qui l’abrite,
Jusqu’à l’autel de marbre noir, son piédestal,
Tout l’édifice, qu’ornemente un art brutal,
Trahit un culte sombre au maléfique rite.

Un nuage d’encens, lourd d’apparitions,
Exhalé d’encensoirs défaillants s’y déroule
Et tombe, à plis voluptueux, sur une foule
Muette et prosternée en adorations,


Dès les vieux jours ensevelis dans les ténèbres,
Viennent là toutes les tribus de l’univers
Se profaner, sans joie, en hommages pervers,
Où leur âme s’endort pour des réveils funèbres.

Parfois quelqu’un surgit, de lumière vêtu,
Qui, jetant l’anathème au fond du sanctuaire,
Fait retentir dans un silence mortuaire
Sa voix, où pour jamais l’accent humain s’est tu.

Il exalte un espoir insensé de victoire
Qui, sous les pieds cruels de la divinité,
Révolterait son peuple en serpent irrité
Dans le mépris d’un châtiment expiatoire,

Et, le regard dans une extase évanoui,
S’ouvre la chair de la poitrine avec les ongles,
Puis lève haut, comme une fleur pourpre des jungles,
Ses mains rejointes en calice épanoui.

Tous alors, bondissant de leur sommeil stupide,
Morne océan qu’un vent de haine a déchaîné,
D’une seule clameur hurlent : qu’il soit traîné
Dehors, et que la main des femmes le lapide.


Et de rechef, quand c’est fini de l’apostat,
Ils s’accroupissent dans leur fête sépulcrale,
Blasphémant : qu’ils arracheront son dernier râle
À qui se dresserait pour un même attentat.

Mais dédaigneuse et se riant des forfaitures,
Sachant par tous les morts qu’en vain s’attaqueront
À son joug triomphal, qui leur courbe le front,
Les générations vivantes et futures,

Les bras levés en un grand geste qui bannit,
L’antique idole d’or, à la bouche narquoise,
Du mal enchantement de ses yeux de turquoise,
Éclaire son immense temple de granit.