Quel amour d’enfant !/XXV

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XXV

giselle pleure, mais elle est duchesse et millionnaire


Giselle pleura longtemps ; elle regrettait Julien, elle regrettait de s’être engagée avec le duc, qu’elle n’aimait pas. Mais, le premier moment passé, elle chercha à s’étourdir sur l’avenir qu’elle s’était préparé, en songeant aux bijoux que lui donnerait son mari, à la vie heureuse qu’il lui ferait mener, au luxe dont elle serait entourée, à l’admiration dont elle serait l’objet. Elle compara cette existence à celle que lui aurait fait mener Julien, et dont elle exagéra à plaisir la monotonie et les privations.

« Décidément, dit-elle, je serai bien plus heureuse avec le duc ; il n’osera me rien refuser, et je serai enfin maîtresse de mes actions. »

Giselle se leva et alla se regarder dans la glace.

« Mon Dieu, dit-elle, quelle figure je me suis faite en pleurant ! j’ai les yeux rouges et bouffis ; si le duc me voit ainsi, que pensera-t-il ? Ce n’est pas aimable pour lui ; il croira que je regrette de m’être engagée. Il va venir, bien sûr. Je vais aller me bassiner les yeux et tâcher de prendre un air riant. Pauvre Julien ! je l’aimais pourtant ; mais pas assez pour être l’esclave de ses volontés. Quel dommage qu’il ait des idées si absurdes, qu’il ne soit pas duc, et qu’il n’ait pas cinq cent mille livres de rente comme ce duc que je n’aime pas !… Il va me faire de beaux présents probablement, le duc. Je lui demanderai des rubis ; j’aime beaucoup les rubis. Et les opales ! comme c’est beau, entouré de diamants ! »

Giselle alla préparer son visage pour recevoir convenablement l’élu de sa vanité et non de son cœur. Avant de rentrer au salon, elle alla chez sa mère.

« Maman, savez-vous que Julien est parti ?

léontine.

Oui, mon enfant ; il m’avait dit hier qu’il viendrait ce matin de bonne heure pour te faire ses adieux. Pauvre Julien ! il pleurait en me faisant les siens.

giselle.

C’est bien sa faute ! Moi aussi j’ai pleuré. Avez-vous vu le duc ?

léontine.

Je ne l’ai pas vu ; mais il nous a écrit à ton père et à moi pour demander ta main ; il ajoute que c’est avec ton consentement qu’il fait cette démarche décisive.

giselle.

C’est vrai, maman ; je suis décidée à l’épouser, puisque vous m’avez permis de choisir. J’aurais bien mieux aimé Julien, mais il est trop exigeant, trop sévère.

léontine.

C’est-à-dire trop raisonnable pour toi, ma pauvre enfant. Au reste, ton père a pris beaucoup d’informations sur le duc ; il paraît qu’il mène une vie très rangée depuis qu’il t’aime, c’est-à-dire depuis près d’un an ; on le dit très généreux et bon pour ses domestiques ; il donne beaucoup aux pauvres ; il a un caractère excellent. Enfin, il y a tout lieu d’espérer que tu seras heureuse.

giselle.

Voyez, maman, quelle bague il m’a donnée hier.

léontine.

Déjà ? Tu n’aurais pas dû la recevoir.

giselle.

C’était impossible, maman. Il m’a dit que c’était en mémoire de ma promesse ; que je devais porter cette bague en signe d’esclavage, non du mien, mais du sien, car ce serait lui qui serait mon esclave ; et il s’est mis à genoux devant moi, et il m’a baisé les mains. Je ne pouvais plus les lui arracher. Lui avez-vous répondu ?

léontine.

Il a écrit qu’il viendrait lui-même chercher la réponse avant déjeuner ; je l’attends à chaque minute.

giselle.

Faut-il que je reste ?

léontine.

Je n’y vois pas d’inconvénient, puisqu’il s’est déjà expliqué avec toi.

giselle.

Et que dit papa ?

léontine.

Il a l’air content ; tu sais qu’il n’aimait pas beaucoup le pauvre Julien, parce qu’il te contrariait.

giselle.

Oh ! maman, le duc va venir ; ne me parlez


« Il s’est mis à genoux devant moi. »

pas de Julien ; son souvenir me donne envie de

pleurer.

— Monsieur le duc de Palma », annonça le valet de chambre.

Le duc entra au moment où Giselle essuyait furtivement ses yeux remplis de larmes. Il le vit et s’en effraya.

« Giselle pleure, s’écria-t-il : ses vœux et les miens seraient-ils repoussés ?

— Rassurez-vous, mon cher duc, dit Léontine en se levant et lui tendant la main ; nous vous donnons Giselle avec plaisir ; mais une jeune personne ne prend pas une décision aussi grave sans donner quelques larmes à ses parents. Elle suit actuellement l’avis que donnait Victor Hugo à sa fille au moment de son mariage :

« Sors avec une larme, entre avec un sourire. »

— Merci, mille fois et éternellement merci, chère, très chère Madame, répondit le duc en lui baisant la main. Giselle, continua-t-il, essuyez ces larmes, bien naturelles sans doute, mais qui me causent une vraie souffrance, puisque c’est moi qui les fais couler. Je vous jure qu’une fois ma femme, vous n’en verserez jamais par ma faute. »

Giselle voulut parler, mais elle ne put articuler une parole ; elle répondit par une légère pression de la main que tenait le duc dans les siennes. Il déclara qu’il ne quitterait plus sa Giselle bien-aimée, et que du matin au soir il serait à ses ordres.

Après le déjeuner, qui fut tragi-comique au milieu du sérieux un peu triste de M. et de Mme de Gerville, du mélange de larmes et de sourires de Giselle et des extases admiratives du duc, ce dernier, suivant Giselle pas à pas, s’établit près d’elle et lui demanda si elle aimait les bracelets.

« Beaucoup, dit Giselle, mais je n’en ai jamais porté.

le duc.

Votre bras est pourtant fait pour porter tout ce qu’il y a de plus beau. Permettez-moi de vous en essayer un qui est fait sur la mesure du poignet de la Vénus de Médicis. »

Giselle sourit pendant que le duc tirait de sa poche un écrin en velours bleu et or ; il l’ouvrit et présenta aux yeux ravis de Giselle un bracelet de toute beauté, en diamants et rubis. Il le prit et l’attacha au bras de Giselle ; il allait parfaitement ; l’enchantement de Giselle, ses exclamations de joie récompensèrent largement le duc de son généreux présent. À partir de ce moment, Giselle se sentit toute consolée et ne songea plus à Julien ni aux quarante ans du duc. Chaque jour c’étaient de nouveaux cadeaux plus riches les uns que les autres ; il en faisait non seulement à Giselle, mais à toute sa famille et à ses jeunes amies, et y mettait une telle bonne grâce que Giselle commença à le trouver charmant, qu’elle attendait ses visites avec impatience et qu’il put se croire aimé.

Toute la famille, y compris Mme de Monclair, partagea la bonne impression qu’il avait produite ; les domestiques l’adoraient ; il leur donnait des pièces d’or avec une profusion qui leur faisait chanter ses louanges. Giselle se trouvait entourée de personnes qui la félicitaient sur son choix.

Le duc pressait beaucoup le mariage, et, à son grand ravissement, Giselle l’appuyait dans ses demandes, si bien qu’un mois après les derniers adieux de Julien, Giselle était duchesse de Palma.

Les premiers temps furent un enchantement continuel. Les parents de Giselle la voyaient peu ; ils vivaient tristement dans l’isolement et dans la crainte, car ils connaissaient trop bien Giselle pour ne pas prévoir que ses exigences finiraient par lasser la patience du duc. En effet, une première scène éclata, un jour que le duc souffrait d’un rhumatisme au bras et lui demandait de passer une soirée à la maison pour lui donner un peu de repos.

« Impossible, mon ami ; il faut absolument que vous me meniez au petit bal de la cour. J’ai une toilette ravissante et des invitations pour tout le temps du bal, y compris le cotillon ; et puis j’ai promis de souper à la table des duchesses et princesses ; je ne peux pas manquer cette soirée, c’est impossible.

le duc.

Mais, Giselle, je t’assure que je ne suis pas en état d’y aller. Je ne peux seulement pas lever le bras pour passer mon habit.

giselle.

Alors, il faudra que j’y aille seule ; je ne peux pas manquer un petit bal de la cour.

le duc.

Tu me laisseras donc tout seul, Giselle ? Moi, je sacrifierais tous les bals et les plaisirs du monde pour ne pas te quitter, pour te tenir compagnie.

giselle.

Vous, je crois bien, vous avez dansé, vous vous êtes amusé pendant vingt ans et moi je commence, il n’y a que six mois que je suis mariée.

le duc.

Mais, Giselle, ma bien-aimée Giselle, tu es bien jeune pour aller seule dans le monde. Écris un mot, mon amie, pour t’excuser. Je t’en prie, je t’en supplie.

giselle.

Non, ce serait considéré comme une défaite ; tous ces messieurs diront que vous êtes jaloux.

le duc.

Et quand ils le diraient, mon amie, ils ne seraient pas tout à fait dans le faux. »

La discussion continua quelques instants encore ; malgré les sollicitations les plus pressantes et les plus humbles, Giselle maintint sa volonté ; elle se coiffa, s’habilla et partit, croyant avoir beaucoup fait en s’étant laissé admirer pendant une demi-heure par son mari. Il resta seul et ne se coucha ni ne dormit jusqu’au retour de Giselle ; elle s’était beaucoup amusée ; il la reçut sans humeur et même avec tendresse ; elle l’en récompensa en lui racontant tous les plaisirs et les distinctions dont elle avait été l’objet ; elle l’embrassa, le cajola, l’assura qu’elle ne recommencerait pas ; que c’était à cause de la cour qu’elle avait cru devoir aller à ce bal. Elle fit si bien que le duc fut enchanté de sa femme, et qu’il l’aima et lui obéit plus que jamais.

Des scènes pareilles et bien plus vives se renouvelèrent souvent et finirent par amener du refroidissement. Deux ans après son mariage, Giselle sortait seule pendant que son mari cherchait des distractions de son côté ; tous deux faisaient des dépenses folles qui mirent du désordre dans l’immense fortune du duc. Il n’en tint aucun compte, il joua pour s’étourdir et pour regagner au jeu ce que lui et sa femme avaient dissipé ; les choses en vinrent au point que le duc se trouva ruiné ; il abandonna Giselle qu’il n’aimait plus ; elle fut recueillie par ses parents, dont la vie s’écoulait dans les larmes et la désolation.