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Quelques-uns (Verhaeren)

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PoèmesSociété du Mercure de France (p. 95-96).
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QUELQUES-UNS


Plus loin que les soleils, une ville d’ébène
Se dresse et mire énormément en leur cerveau
Son deuil et sa grandeur de morte ou de caveau.
La terre ? elle a passé. Le ciel ? se voit à peine.
Et de l’ombre toujours, immensément toujours.
Un horizon d’ivoire y traîne des suaires
Sur des monts soulevés en tertres mortuaires
Qui n’ont plus souvenir de ce qui fut les jours.
Et des passants muets marchent dans les soirs blêmes,
Hommes pleins de douleurs, vieux de tristesse, seuls.

Ils ont plié leurs ans ainsi que des linceuls ;
Ils sont les revenus de tout, même d’eux-mêmes ;

Les vices leur sont noirs, mais aussi les vertus ;
Leurs cœurs saignés à blanc et leurs ardeurs matées,
Ils travaillent à vivre indulgemment athées.
Leurs yeux qui se parlaient encore, ils les ont tus ;
Et maintenant plus rien en eux jamais ne bouge ;
Ni les désirs, ni les regrets, ni les effrois ;
Ils n’ont plus même, hélas ! le grand rêve des Croix
Ni le dernier espoir tendu vers la mort rouge.