Quelques épis d'une gerbe/Le chant des feuilles

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LE CHANT DES FEUILLES.

Ballade.


 
« Bruis, bruis,
Forêt mystérieuse ;
Ma lyre est curieuse,
Bruis.
Dis-moi la douce plainte
Qu’Angéla
Dans ton ombreuse enceinte
Exhala. »

Et la brise frémit et la forêt parla :

Angéla n’avait plus de père.
Tout le jour elle était aux champs ;
Le soir elle amusait sa mère
Par ses chants.
Mais sa mère pliait sous l’âge,
Oublieuse de ses beaux jours,
Et s’en allait disant toujours :
— « Soyez sage !
« Pas d’amours ! »

Las ! à seize ans l’âme est si tendre !
Angéla promettait en vain.
Un soir elle se fit attendre…
La nuit vint !
— « Sors d’ici ! » s’écria sa mère
Quand la timide enfant rentra ;
« Te donne asile qui voudra ;…
« Ma colère
« Te suivra ! »

Angéla, du logis chassée,
Vint et s’assit là, tout en pleurs,
Disant d’une voix oppressée
Ses douleurs :
— « Mère, Dieu bénisse la porte
« Qu’aujourd’hui ta main me défend !… »
Et, dans ses sanglots étouffant,
Tomba morte…
Pauvre enfant !

Et lorsqu’on fut dire à la mère :
— « Votre fille vient de mourir, »
Je la vis dans sa peine amere
Accourir :
— « Ta fuite, Angéla, m’est mortelle !…
« Devais-tu laisser notre seuil !!… »
Puis on la mit, comblant le deuil,
Avec elle
Au cercueil.

« Merci, merci,
Forêt, douce interprète ;
Ma lyre est satisfaite…
Merci !
Je sais la douce plainte
Qu’Angéla
Dans ton ombreuse enceinte
Exhala. »

Car la brise frémit et la forêt parla !