Quelques notes sur Antoine de Lamothe de Cadillac

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QUELQUES NOTES


SUR


ANTOINE de LAMOTHE de CADILLAC



L’article de M. Bedard et la lettre de M. Rameau, publiés dans la Revue Canadienne, m’ont rappelé que j’avais commencé, depuis longtemps, à réunir des notes sur Lamothe de Cadillac. Quoique bien incomplètes, elles ne seront peut-être pas inutiles à ceux qui voudront écrire la vie du fondateur du Détroit : elles pourront, dans tous les cas, être continuées et complétées. C’est dans ce but que je les donne ici.

1687. — La date la plus ancienne où je trouve le nom de Lamothe dans nos archives, est celle de son mariage. Il eut lieu à Québec, le 25 juin 1687, comme M. Tanguay l’a indiqué dans son Dictionnaire Généalogique. On ne peut avoir aucun doute sur l’identité des personnes.

Voici, d’ailleurs, l’acte du mariage, extrait des registres de la paroisse de Québec :

« Le vingt cinquième iour du mois de Juin de l’année mil six cent quatre vingt sept après les fiançailles et la publication de deux bancs de mariage, — ayant obtenu dispense du troisième de Monsieur de Bernieres vicaire-general de Mgr levesque de quebec, — le 1er a esté publié le 22 et le second le 24 du present mois, d’entre antoine de la mothe, escer Sr de cadillac de la ville du port royal en l’acadie — aâge environ de 26 ans fils de M. Jean de la mothe, Sgr. du dit lieu, de cadillac, de launay et de Montet conseiller au parlement de Tolose et de dame Jeanne de malentant ses pere et mere, actuellement (?) de la d. ville, d’une part, et de marie-therese guyon fille de defunct denys guyon, bourgeois de cette ville, et d’elizabeth boucher ses pere et mère, d’autre part, aâgée environ de dix sept ans et ne s’estant decouvert aucun empêchement, j’ay François Dupré — curé de cette eglise paroissiale les ay solennellement mariés et donné la benediction nuptiale — en presence des Tesmoins soubsignés, les Srs barthelemi desmarx (Desmarais ?) michel denys guyon Jacques guyon, denys le maistre, lesquels avec l’espoux et l’epouse ont signé

Guyon

François Dupré
Lamothe Launay
Marie Therese guyon
Jacques Guyon
Michel guyon
denis LeMaistre »

On remarquera la signature du futur époux. Il écrit Lamothe et non La Mothe, comme l’on fait généralement.

Le surnom de Launay porte à croire qu’Antoine était un des cadets de la famille, et qu’il se sera appelé Cadillac après la mort d’un frère aîné.

Le mariage fut célébré, mercredi, le lendemain de la fête de St Jean-Baptiste, laquelle était chômée à cette époque.

La mention des fiançailles, qui ne peuvent être que les fiançailles solennelles, nous permet d’ajouter que l’usage de cette cérémonie s’est conservé longtemps dans l’Église du Canada.

La simple indication de la ville de Port Royal, ou mieux, l’absence de titre fait supposer que Lamothe n’avait à cette époque aucune charge, ni civile ni militaire. Il serait venu en Acadie pour son propre compte. Le fait, cependant, demande à être vérifié.

L’âge que suppose M. Rameau se trouve confirmé par l’extrait donné ci-dessus.

Le père de l’épouse était le quatrième fils de Jean Guyon du Buisson, qui avait fait partie de la petite colonie de Giffard. Pendant que ses frères s’établissaient à la campagne — à Beauport, à Château-Richer, à Ste-Famille de l’île d’Orléans — il semble avoir toujours demeuré à Québec, ainsi que son frère, Michel du Rouvray. Il s’était acquis une honnête fortune, car, à sa mort, il possédait une maison en pierre avec un terrain considérable, sur la rue St-Pierre, sans compter deux fermes de quatre arpents de front chacune, situées à la côte de Lauson. (Archives de la Prévôté de Québec.) Des dix enfants que lui donne le Dictionnaire Généalogique, quatre seulement vivaient en 1689 : Jacques, François, Thérèse et Joseph. (Archives de la Prévôté de Québec.) Je ne vois pas qu’il ait pris aucun surnom de terre, comme ses frères ; mais son fils aîné s’appela, plus tard, Sieur du Fresney. Quoiqu’il ne soit désigné que par le titre, relativement modeste, de bourgeois, je crois qu’il occupait dans la société de Québec une position respectée. M. Chartier de Lotbinière, lieutenant-général en la Prévôté de Québec, avait assisté à son mariage et voulut, plus tard, être le parrain de Thérèse.

Celle-ci avait fait son éducation chez les Ursulines. (Les Ursulines de Québec, t. 1, p. 333.)

À l’époque de son mariage, elle était âgée de seize ans, et se trouvait orpheline depuis près de deux ans, ayant eu le malheur de perdre presque en même temps son père et sa mère.

De ses trois frères, vivants en 1689, l’aîné, du Fresney se maria un an après elle, c’est-à-dire aussitôt qu’il eut atteint sa majorité, et il devint le tuteur des autres. Il s’établit à Québec ; il eut une nombreuse famille ; mais ses enfants moururent presque tous en bas âge.

François mourut jeune : lui, sa femme, ses cinq enfants, tous étaient morts au commencement de 1703.

Joseph avait un caractère décidé et avide d’aventures. On ne voit pas qu’il se soit marié. À l’âge de 20 ans, il se fait émanciper (Conseil Supérieur, 30 juin 1693.) L’âge de majorité, comme tout le monde le sait, était fixé à vingt-cinq ans.

Mais on peut dire, sans jeu de mot, qu’il était déjà très émancipé. On le trouve dans la compagnie des deux De Niort de la Noraye, jeunes gens notoirement joueurs et prodigues. Au commencement de janvier 1694, on leur reproche, entre autres escapades, d’avoir, en compagnie de Le Moyne de Martigny et de Denis Juchereau de la Ferté, fait tapage nocturne dans les rues de la basse-ville de Québec, cassé les vitres et enfoncé les portes qui n’étaient pas protégées par les volets et les armatures de fer, nécessaires à cette époque. Plus tard, en 1707, il fut accusé « d’être entré avec les Anglais dans des négociations contre le service de Sa Majesté » ; mais le Conseil Supérieur le renvoya absous. (Registres criminels, 1706–20.)

C’est la dernière mention que je trouve de Joseph Guyon.

Qui était François Guyon, le corsaire, dont parle M. Rameau ?

Est-ce François III, le frère de Marie Thérèse, et par suite, le beau-frère de Lamothe ?

La question reste à éclaircir. Mais il n’est pas impossible que les deux futurs beaux-frères se soient rencontrés dans leurs hardies expéditions sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre ; c’est à cette rencontre qu’il faudrait faire remonter la résolution prise par Lamothe de venir se marier à Québec.

L’oncle de François III, Michel Guyon de Rouvray, était « charpentier de navires. » Je vois qu’il a construit plus d’un bâtiment pour la pêche et le commerce du golfe. Il a dû, bien naturellement, en fournir à son neveu. D’ailleurs, c’est peut-être dans ses chantiers, au récit animé des exploits des vieux loups de mer, que François aura trouvé sa vocation de marin.

Il est certain qu’après 1690, quelques-uns des marchands de Québec armèrent leurs bâtiments en corsaires.

D’un autre côté, il ne faut pas oublier que plusieurs membres de la famille Guyon ont porté le nom de François, entre autres, si je ne me trompe, un cousin de François III, qui a été en même temps le bisaïeul de Louis Olivier Gamache. Celui-ci a, sans doute, puisé dans le récit des exploits de son parent, ascendant ou collatéral, le goût de la vie d’aventures qui l’a rendu célèbre.

1688. — Le 23 juillet (Titres des seigneuries, p. 328), M. de Lamothe obtint la concession d’une seigneurie qui comprenait l’île du Mont-désert, aujourd’hui dans l’état du Maine. Comme l’acte de concession est daté de Montréal, faut-il conclure que Lamothe y était venu trouver M. de Denonville, après être descendu à l’Acadie avec sa femme, l’été précédent ?

N’a-t-il pas, au contraire, demeuré à Québec dans sa nouvelle famille, attendant une occasion favorable de se distinguer ?… Dans tous les cas, M. de Denonville, dans un considérant très laconique, dit que le concessionnaire demeurait à l’Acadie. Remarquons, en passant, que le gouverneur ne donne à cette concession aucun des motifs ordinaires de zèle pour la religion ou de services rendus au roi.

1689. — Lamothe toujours « résidant à Port-Royal, » est encore à Québec au mois de juillet. Il paraît devant la cour de la Prévôté pour obtenir le partage de la succession de son beau-père. Jacques, en son nom et comme tuteur de ses deux frères, y aurait consenti assez volontiers ; mais François réclama énergiquement, menaçant de faire annuler les procédés aussitôt sa majorité atteinte : il avait alors vingt-trois ans (Prévôté de Québec, 2 juillet 1689).

L’affaire fut portée au Conseil Supérieur, qui conseilla un arrangement à l’amiable. Cette haute cour, quoique très sévère à l’égard des titres et qualités que prenaient ses justiciables, qualifie Lamothe d’Écuyer, et sa femme de Demoiselle. En revanche, elle ne fait mention d’aucun titre militaire.

Le 11 juillet, Lamothe est encore à Québec. Mais il dut en partir bientôt après, puisque, d’après M. Rameau, il a été employé par M. de la Caffinière pour servir de guide et de pilote à son escadre sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre. Il a pu se rendre à Port-Royal assez vite pour rencontrer M. de la Caffinière, qui ne dut y arriver que vers la fin de septembre.

1690. — Lamothe doit être en France, d’après M. Rameau. Denonville, dans un Mémoire présenté en janvier, dit : « M. Perrot (l’ancien gouverneur de l’Acadie) connaît bien toute cette côte, ainsi que le Sieur de Villebon, qui est présentement à La Rochelle avec un homme appelé Lamothe, lesquels tous ont été souvent à Boston et à Manatte. »

J’ai un peu hésité à reconnaître dans cette indication dédaigneuse le gentilhomme à qui M. de Denonville avait lui-même accordé la seigneurie du Mont-désert. Mais je me suis aperçu que je n’avais sous les yeux que des extraits, et non le texte du Mémoire. (Documents relating, etc., t. IX, p. 446.)

M. de Lagny, dans une lettre à Pontchartrain (Documents relating, etc., t. IX, p. 659), dit positivement que Lamothe revint en France en 1689.

1691. — Au mois de janvier, il poursuit à Québec Gervais Beaudouin, chirurgien, qui avait acheté, par indivis, sa part dans la maison de la rue St-Pierre, pour la somme de 2000 livres.

Je n’ai pu constater s’il agissait par procuration ou s’il était présent. Dans ce dernier cas, il a dû arriver à Québec dans l’automne de 1690.

Dans une liste de l’avancement des officiers, copiée à Paris, mais dont je n’ai pu contrôler l’exactitude, je vois que, cette année 1691, il était simple lieutenant.

Pontchartrain écrit à Frontenac, avril 1692, que le roi approuve le projet de faire passer Lamothe en France, pour recevoir de sa bouche des renseignements sur l’expédition contre Boston. Le gouverneur avait dû faire part de son projet dans l’automne de 1691. C’est à cette date, au plus tard, que nous devons fixer les premiers rapports, de confiance d’un côté, de fidélité de l’autre, qui s’établirent entre Frontenac et Lamothe.

Par les qualités et les défauts, personne ne pouvait mieux que ce dernier continuer l’œuvre de La Salle. M. de Frontenac le poussa vite sur la voie qu’avait suivie l’infortuné normand : avec quel succès pour lui et quel profit pour nous ? il est assez difficile de le dire maintenant.

1692. — Baptême à Québec de son fils aîné Antoine, 26 avril. Il est qualifié « Lieutenant dans les troupes de la marine. »

Il passe en France d’après l’ordre du roi.

1693. — C’est à cette date qu’il faut placer, je crois, le Mémoire dont M. Rameau parle, et qui a été publié par extraits dans le Documents relating, etc. La carte et l’attestation de Franquelin confirment cette supposition.

Le 1 mars, Lamothe reçoit du roi des lettres confirmatives de la charge de lieutenant, qu’il ne tenait jusque-là que du gouverneur. Quelques jours plus tard, Louis XIV fait écrire à Frontenac de lui donner le commandement des bateaux qui devaient être construits sur les lacs.

Lamothe arrive à Québec, très probablement au commencement de l’été.

1er Janvier 1694. — Il est nommé garde-marine[1] et il en reçoit le brevet le 10 avril suivant. (Liste de l’avancement, etc.) D’un autre côté, il avait dû être, ou il fut bientôt nommé capitaine d’une compagnie du détachement de la marine. Dès le 5 mai, M. Hertel est désigné comme enseigne dans sa compagnie. (Registre des baptêmes, etc., de Québec et de Montréal.)

Il ne faut pas croire que le premier grade fût inférieur au second. Il semble, au contraire, qu’on n’arrivait au premier que par le second, quand on n’avait pas eu l’avantage de passer par l’académie préparatoire, et qu’on était destiné à commander des bâtiments, comme c’était le cas pour Lamothe[2].

Au mois de septembre, il accompagne M. de Frontenac à Montréal. C’est là qu’il est choisi par ce dernier pour aller à Michilimakinac relever M. de Louvigny de son gouvernement. (Documents relating, etc., t. IX, p. 584.)

En communiquant la nouvelle de cette faveur à un sien ami, Lamothe fait, du gouverneur, des éloges qui rappellent ce mot prêté à Madame de Sévigné : « Il faut avouer que nous avons un grand roi ! »

À Michilimakinac, Lamothe devait avoir l’œil, d’un côté, sur les nations supérieures, comme on disait alors, et de l’autre, sur les agissements des commerçants anglais.

Il est inutile d’entrer dans les détails de son administration, qui sont assez connus. Elle ne dura que du mois de septembre 1694 à la fin du mois d’avril 1697, où il descendit à Québec avec un parti considérable de sauvages et de canots de marchands.

Je n’ai pas l’intention d’examiner ici jusqu’à quel point il avait profité de sa position pour faire le commerce des pelleteries en contrebande ; mais je crois que les accusations qui s’élevaient de plusieurs côtés contre lui engagèrent M. de Frontenac à le remplacer par M. de Tonti le jeune. Ces accusations furent bientôt portées au Conseil Supérieur. Le procès qui s’en suivit est intéressant à plus d’un titre ; j’en ferai connaître les principales phases.

Michilimakinac était un centre où venaient se rencontrer les nations supérieures et les traitants français : il s’y faisait depuis longtemps un commerce considérable. Lamothe ne voulut pas négliger une aussi bonne occasion de travailler un peu à sa fortune. Mais il fallait pour cela compter avec les marchands voyageurs et les intéresser à l’entreprise.

Ce moyen, employé alors au fond des bois, est devenu d’un certain usage, dit-on, au milieu de personnes d’ailleurs civilisées.

Parmi les traitants qui se rendirent à Michilimakinac au commencement de l’été de 1696, se trouvait un montréalais, Sauton, qui avait pu, grâce au concours de ses amis, apporter dans son canot des marchandises pour une valeur de 1539 livres. Ce n’était pas beaucoup ; mais les profits paraissaient si considérables qu’il pouvait espérer de doubler et même de tripler cette somme. Lamothe l’accueillit bien, et au bout de quelques jours, il le pressa de former une société avec deux jeunes voyageurs qu’il avait à son service, Louis Durand et Joseph Moreau[3].

Il promettait de leur fournir des marchandises pour la valeur de 7,000 livres, les profits devant être partagés par les trois associés. Ceux-ci eurent garde de refuser une proposition aussi avantageuse. Le marché conclu, les marchandises furent livrées. Mais, au bout d’un mois, Lamothe emprisonna ses hommes et fit enlever toutes les marchandises, celles qu’il venait de fournir, comme celles que Sauton avait apportées de Montréal, à l’exception de quelques objets de peu de valeur.

Que Lamothe ait été poussé à cet acte par les calculs d’une politique peu scrupuleuse, par l’inconstance de son caractère, ou par des sentiments de jalousie, comme on l’en accusa, peu importe ; l’acte était arbitraire ; il méritait d’être condamné et il le fut ; mais il en coûta de longues démarches aux pauvres victimes, et au gouverneur de Michilimakinac, un certain déploiement d’habileté.

Il serait intéressant pour l’histoire de notre ancien droit de suivre les phases des procès intentés de part et d’autre : requêtes en assignation, comparutions, défauts, répliques, dupliques, récusations, etc. ; mais ce récit m’entraînerait trop loin.

Moreau et Durand s’étaient adressés à l’intendant : Lamothe essaya de faire renvoyer le procès en première instance, mais ses efforts furent inutiles. Il demanda ensuite que la difficulté fut tranchée par des arbitres, ce qui fut accordé par M. de Champigny et accepté par les demandeurs. Les arbitres, — MM. Pachot, Hazeur et Chambalon — réglèrent certains points ; mais ils se virent bientôt en présence de difficultés si grandes qu’ils refusèrent d’aller plus loin. L’intendant reprit le procès et le porta devant le Conseil Supérieur, dont il était le président, comme l’on sait. Aussitôt Lamothe le récusa comme juge, mais il le fit avec un profond respect et avec l’impertinence spirituelle qui le caractérise.

Il s’adresse à M. de Champigny lui-même : « Supplie humblement Antoine de Lamothe-Cadillac, capitaine en pied d’un détachement de la marine, disant qu’au sujet du procès qu’il a en ce Conseil contre Joseph Moreau, vous pourriez peut-être, sans y faire réflexion, en vouloir être juge, même dans le renvoi qu’il prétend demander en la Prévôté ; c’est ce qui l’oblige de vous représenter avec toute la soumission possible de vouloir vous ressouvenir que les dites parties, après avoir porté l’affaire en arbitrage, étant chez vous, vous donnâtes diverses instructions et conseils au dit Moreau, le suppliant présent, à qui vous fîtes réponse, vous étant aperçu de son inquiétude, qu’il ne trouvât pas mauvais de ce que vous instruisiez par charité ces pauvres gens qui n’entendaient point les affaires. »

Comme si la pointe n’était pas assez acérée, Lamothe continue avec tous les dehors du plus profond respect :

« Il vous plaise vous ressouvenir que vous avez menacé le suppliant de confisquer l’eau-de-vie dont il est fait mention dans le procès… si vous jugiez cette affaire ; même de le faire condamner en une grosse amende…, y ayant même des témoins, si par hasard vous ne vous en souveniez point. La déclaration que fait aussi Louis Durand en se désistant de l’instance qu’il avait encommencée contre ledit suppliant, par laquelle déclaration il paraît qu’il ne l’a poursuivi que sur l’espérance que vous lui aviez donnée d’en sortir à son avantage

« Cela donne lieu au suppliant de lui faire appréhender que vous pourriez prendre occasion de le châtier dans le procès, pour n’avoir pas voulu faire publier votre ordonnance à Michilimakina, surtout en faisant réflexion aux menaces que vous lui avez faites dans les lettres que vous lui avez fait l’honneur de lui écrire, de le perdre à la Cour. »

Et Lamothe, très obligeamment, offre à M. de Champigny de lui fournir, s’il en a besoin, des extraits de ces lettres menaçantes.

La lecture de ce document ne causa pas beaucoup de surprise aux conseillers, à la Compagnie comme on disait alors, car on savait que Lamothe ne lâchait pas facilement prise ; mais ils prévirent dès lors que la lutte allait de nouveau s’engager entre l’intendant et le gouverneur, lutte qui ne pouvait manquer d’être longue et ennuyeuse.

L’intendant répondit aussitôt avec beaucoup de calme et avec dignité : qu’il n’avait aucune inimitié personnelle contre M. de Lamothe ; mais qu’il avait dû le prévenir que sa charge l’obligeait de veiller à l’exécution des ordres du roi, et de punir ceux qui y contrevenaient ; que de nombreuses plaintes étaient portées contre lui par un grand nombre de personnes, et qu’il fallait à tout prix faire observer le dernier édit du roi. « D’ailleurs, ajoutait l’intendant, le sieur de Lamothe a si bien reconnu la pureté des motifs qui me faisaient agir, que lorsqu’il est venu en instance devant moi, s’il avait eu des raisons de me récuser, il se serait défendu de répondre et de procéder, comme il a fait… Vous savez, messieurs et vous devez vous rappeler qu’après avoir instruit le procès qui pendait entre le sieur de Lamothe et les dits Durand et Moreau, j’avais prié la compagnie de trouver bon que je lui référasse le jugement à prononcer, et que je vous en fis le rapport en conséquence. La compagnie voulut bien agréer ma demande. Mais, comme dans l’intervalle, les parties étaient convenues de prendre des arbitres pour décider leur différend, je ne voulus point passer outre. Bien au contraire, je les engageai à mettre la plus grande confiance dans ces arbitres, et ceux-ci, de crainte que je n’eusse quelque objection, m’ayant parlé pour obtenir les documents nécessaires, j’y donnai très volontairement les mains, à condition que les pièces qui sortiraient de mon greffe y seraient remises par eux, après la difficulté réglée. Les arbitres, après avoir rendu deux sentences interlocutoires, ont déclaré qu’ils se déportaient. Le procès revenait donc devant moi. J’ai ordonné que les parties se pourvoiraient devant le Conseil. J’estime que je ne dois pas être récusé : vous savez, messieurs, que d’après les pouvoirs que Sa Majesté a bien voulu attacher à la charge d’intendant, je puis juger, nonobstant toute récusation et prise à partie. J’aurais donc le droit de ne tenir aucun compte de la requête du sieur de Lamothe et de passer outre. Mais j’aime mieux m’en rapporter au jugement de la compagnie, et je la prie de décider si je dois m’abstenir en cette cause.»

Maître Claude de Bermen de la Martinière, membre du conseil, fait remarquer qu’il avait donné des avis à Moreau, et même fait quelques écritures pour lui, à l’époque où le procès était pendant devant M. l’intendant. Il n’avait agi que dans un esprit de charité, pour un pauvre garçon, dépourvu de connaissances et qui paraissait avoir bon droit ; il ne prévoyait pas alors que l’affaire serait référée au conseil.

Là-dessus, M. de la Martinière et l’intendant se retirent pour laisser aux conseillers toute la liberté de délibération. Ceux-ci, après s’être fait lire les pièces et avoir entendu le procureur-général du roi, en vinrent à la conclusion suivante :

« Le Conseil, en ce qui concerne le d. Sieur de la Martinière, après avoir oui les parties, a ordonné qu’il s’abstiendra, et au regard des dites causes de récusation proposées contre M. l’Intendant, le Conseil les a déclarées inadmissibles, et, en ce faisant, ordonne qu’il demeurera juge. »

(Signé)Rouer de Villeray[4].

Le conseil députe ensuite M. Charles Aubert de la Chesnaye, un de ses plus jeunes membres[5], vers l’intendant, pour le prier de venir prendre sa place. M. de Champigny étant rentré, « faisant droit sur… la requête du dit sieur  de Lamothe… ensemble sur celle du dit Moreau, oui les dites parties, ensemble le procureur-général du roi, » recueille les opinions des conseillers, et prononce le jugement suivant : « Le Conseil, au désir du référé de mon dit sieur l’intendant, a retenu et retient le procès en question, pour être jugé en icelui sur son rapport et après l’instruction par lui faite. »

Bochart Champigny.

Par cet arrêt, le conseil refusait de renvoyer Lamothe devant la Prévôté pour y plaider en première instance ; il ne voulait pas, non plus, juger d’après la première instruction du procès faite par l’intendant ; mais il se réservait le droit de faire étudier la question de nouveau avant de rendre la sentence.

Tout ceci se passait le 25 février 1698.

À la séance suivante, 10 mars, M. de Frontenac était venu occuper sa place au conseil. Quand les affaires de routine eurent été expédiées, sur sa demande, le secrétaire fit la lecture de l’appel interjeté par Lamothe au conseil du roi, puis le gouverneur prenant la parole :

— Messieurs, dit-il, le roi donnant à ses sujets la liberté de se pourvoir contre les arrêts des parlements et conseils supérieurs de son royaume, et le sieur de Lamothe-Cadillac m’ayant adressé une requête par laquelle il expose les raisons qu’il prétend avoir de demander la cassation de celui qui a été rendu en ce conseil le 25 février dernier, par lequel le renvoi qu’il demandait lui est dénié, et m’ayant de plus encore représenté qu’il ne pouvait quant à présent évoquer dans une autre cour, à cause de la difficulté qui se rencontre au sujet de l’éloignement des lieux, qui ne lui permet pas de garder les formalités requises en pareil cas, je crois être obligé de vous représenter que je ne puis pas consentir qu’il soit passé outre à l’instruction de cette affaire, jusqu’à ce qu’il paraisse un arrêt du conseil privé du roi, qui l’ordonne ou que la cour s’explique autrement.

Le conseil s’était rarement vu traiter d’une manière aussi cavalière, même par M. de Frontenac. L’effet produit par cette déclaration se manifesta probablement sur la figure des conseillers, car le gouverneur s’empressa d’ajouter :

— Cependant, messieurs, j’assurerai à la compagnie que mon intention n’est point, par cette surséance, de lui faire aucune peine : je veux seulement conserver aux sujets du roi la liberté de se servir des privilèges que Sa Majesté leur accorde, à quoi, M. le procureur-général, par le devoir de sa charge, est obligé de tenir la main autant qu’il est possible.

L’intendant : — Il est au moins nécessaire, avant d’aller plus loin, que la requête présentée à M. le gouverneur par le sieur de Lamothe soit vue.

— Cela n’est point nécessaire, répond le gouverneur, puisqu’elle ne renferme que les raisons données dans l’appel qui a été signifié au conseil et que le secrétaire vient de lire.

Le procureur-général, qui n’entendait pas subir aveuglément la direction que le gouverneur semblait vouloir lui imposer, se lève aussitôt :

— Il devait sans doute veiller à la conservation des privilèges des sujets du roi ; mais en même temps, il ne pouvait négliger ceux du conseil, ni permettre qu’on entreprit quelque chose contre les arrêts. Avant de rien dire sur le procès, il réclamait, pour les examiner, le discours du gouverneur et l’appel de Lamothe.

Les conseillers paraissent avoir consenti facilement à cette demande, sans trop penser qu’ils allaient blesser profondément l’irrascible comte de Frontenac. Celui-ci quittant aussitôt la salle, se contenta de lancer cette menace aux audacieux qui voudraient lui résister :

— Messieurs, si la compagnie n’a pas d’égards à ce que je viens de représenter, je verrai ce que j’aurai à faire.

Et il sortit.

D’habitude, M. de Frontenac ne menaçait pas en vain : les conseillers le savaient : ils comprirent qu’ils venaient de commettre une imprudence et qu’ils avaient besoin de réfléchir pour trouver le moyen de la réparer en satisfaisant le gouverneur sans trop compromettre leurs droits et leur dignité.

Après s’être ajournés une première fois au vendredi suivant, 14 mars, ils prirent encore huit jours pour mûrir leur réflexion ; enfin ils se réunirent le 21 mars.

MM. de Frontenac et de Champigny ne manquèrent pas d’être à leurs places, puisqu’il s’agissait autant de maintenir leur influence personnelle que de défendre les droits de la justice.

Toutes les pièces du procès et les arrêtés du conseil ayant été examinés de nouveau, le procureur-général donna ses conclusions et il le fit avec beaucoup de fermeté. Il s’éleva contre la position prise par le gouverneur dans ce procès, et la protection qu’il voulait accorder à Lamothe. Les conseillers avaient besoin, dit-il, d’être complètement libres pour prononcer leur arrêt définitif, et pour cela, ils devaient prier le gouverneur et l’intendant de se retirer, pendant qu’ils opineraient.

— Pour moi, dit aussitôt M. de Champigny, je suis tout prêt à me retirer, si M. le gouverneur veut faire de même.

— Je le veux bien, répond M. de Frontenac, encore que je n’estime pas que la présence de M. l’intendant, ni la mienne, puissent en aucune façon gêner la compagnie dans ses suffrages. Je dois d’autant moins vous gêner, messieurs, que jusqu’à présent, vous le reconnaissez parfaitement, je n’ai jamais essayé de contraindre vos opinions. Néanmoins je veux vous ôter jusqu’au dernier prétexte de pouvoir le faire croire : je vais me retirer dans ma chambre pour me chauffer — je prie M. le greffier d’y faire allumer le feu — et j’attendrai, messieurs, que vous ayez pris vos délibérations ; mais, remarquez-le bien, elles doivent rouler sur la question de la surséance au conseil du roi, et non sur le référé de M. l’intendant. Qu’on m’avertisse quand la compagnie aura délibéré, afin que je vienne reprendre ma place, si je le juge à propos.

Le gouverneur et l’intendant se retirent en observant le cérémonial accoutumé[6].

Les conseillers eurent bien garde, cette fois, de se montrer trop récalcitrants. Dans leur arrêt, qu’on va lire, ils donnèrent une nouvelle preuve de la manière dont on savait ne pas contraindre leurs opinions, et M. de Frontenac dut rire sous cape entendant lire ce qui suit :

« Dit a été par le conseil que, sans s’arrêter à son dit arrêt du 25e février dernier, en ce qui concerne la retenue du procès en question entre le sieur de Lamothe et le dit Moreau, pour être jugé en icelui sur le référé de M. l’intendant, que M. l’intendant sera prié de dispenser le conseil de connaître du dit procès, pour les raisons portées aux conclusions, et de pourvoir aux parties, ainsi qu’il avisera bon être. Au surplus, que toutes les pièces mentionnées et datées au présent arrêt seront envoyées à M. de Pontchartrain, ministre et secrétaire d’État, pour qu’il ait agréable de faire savoir à la compagnie les intentions du roi sur cette affaire et d’autres de pareille nature.

(Signé)Rouer de Villeray. »

— J’ai beaucoup de joie, messieurs, dit aussitôt le gouverneur, de voir que la compagnie a, en quelque façon, adhéré aux remontrances que je vous avais faites. Vous avez trouvé un expédient de ne point continuer une procédure aussi irrégulière que celle-ci, qui était directement contraire aux ordonnances réitérées que le roi a faites à cet égard. Autrement, j’aurais appréhendé que vous n’eussiez reçu de la cour quelque réprimande, et même quelques corrections. Aussi, messieurs, je ne manquerai pas d’avertir Sa Majesté de ce qui s’est passé en ce conseil. Je lui ferai surtout connaître la conduite de son procureur-général. Loin de me seconder pour la conservation des ordonnances, bien loin de s’opposer à ce que la compagnie n’y contrevînt, ainsi qu’il est obligé de faire par le devoir de sa charge, cet officier semble avoir voulu vous pousser à n’y avoir aucun égard. Je le répète, je dois faire connaître ces choses au roi. »

Après des menaces aussi clairement exprimées — et qui se répétaient assez souvent — on ne peut guère s’étonner de la timidité des conseillers. La fermeté de M. d’Auteuil était presque de l’intrépidité. Quant à M. de Champigny, la prudence dont il avait toujours fait preuve, autant que l’indépendance de sa position, le mettait à l’abri de la colère et des rancunes de M. de Frontenac.

M. d’Auteuil ne craignit pas de répondre :

— Je crois que mes conclusions et le réquisitoire que j’ai présentés me justifieront suffisamment. On y verra la preuve de l’application que j’ai apportée à examiner si la procédure a été régulière et si elle a été faite conformément aux ordonnances. J’espère qu’on n’y trouvera rien de contraire aux obligations de la charge que Sa Majesté a bien voulu me confier. Voilà pourquoi je crois n’y avoir rien à modifier.

— Pour moi, reprit M. de Champigny, conformément à l’arrêt qui vient d’être rendu, je reprends le procès entre le sieur de Lamothe et le dit Moreau pour le juger comme intendant, vu que j’en ai le pouvoir par la commission que j’ai reçue du roi. Je rendrai compte à Sa Majesté de la bonne conduite du conseil en cette affaire, lequel, d’ailleurs, n’a fait que se conformer aux ordonnances de Sa Majesté.

— Puisqu’il en est ainsi — reprit le gouverneur, évidemment surpris et piqué, — puisque M. l’intendant veut bien reprendre le procès pour le juger, ce sera à lui de se justifier auprès du roi, et de faire voir qu’il n’a pas outrepassé ses pouvoirs.

Lamothe dut se résigner à voir son procès instruit devant l’intendant, dont il semblait craindre l’impartialité. La sentence fut rendue le 22 avril.

Je n’ai pu en trouver le dispositif, non plus que les minutes du procès. Ces documents ont été malheureusement consumés, je crois, avec les archives de l’intendance, dans l’incendie où M. Begon faillit périr. Mais, d’après le procès intenté presque aussitôt par Sauton contre Lamothe, je conclus que cette sentence confirmait les faits admis par celui-ci devant ses arbitres, le condamnait à certains dommages envers Moreau et Durand.

En effet, dans les pièces énumérées au cours du procès, je trouve :

1o Mention de cette sentence.

2o Mention d’une quittance faite par Moreau en faveur de Lamothe de toutes les sommes dues par ce dernier par suite de la sentence de l’intendant.

3o La conclusion, tirée par le juge de la Prévôté, que cette sentence était une preuve authentique des faits avancés par Sauton : Par ce jugement, disait-il, « il est clairement justifié comme quoi le sieur de Lamothe s’est emparé des marchandises et effets du dit suppliant. »

M. de Lamothe passa en France dans les derniers jours de novembre 1698. La maladie de M. de Frontenac fut peut-être la cause de ce voyage. Il n’est pas impossible qu’il ait été chargé de porter à Louis XIV l’expression des derniers sentiments de fidélité de ce vieux serviteur et ses vues sur la situation du pays. Dans tous les cas, Lamothe, qui était à Québec au commencement de l’automne, quand Sauton descendit de Montréal pour se faire payer par lui, devait en être parti le 22 novembre, car Saulon assigne madame de Lamothe à paraître, conjointement avec son mari, devant le lieutenant-général de la Prévôté, précaution qu’il n’aurait pas été obligé de prendre si Lamothe eût été sur les lieux, Nous sommes certains que le 29 il était déjà parti (déclaration de Mme  de Lamothe).

M. de Frontenac mourut, comme tout le monde sait, le 25 novembre.

Avait-il fait parvenir à la cour les plaintes dont il avait menacé MM. de Champigny et d’Auteuil ? Je n’ai encore rien trouvé à ce sujet. Mais je vois que le procès intenté par Sauton, et dont je viens de parler, suivit son cours régulier devant M. de Lotbinière. Il fut un peu retardé, il est vrai, par l’absence de l’accusé, continué après son retour, et jugé définitivement le 10 octobre 1699, en faveur de Sauton, le juge s’appuyant, comme je l’ai dit plus haut, sur la sentence de l’intendant, ce qu’il n’aurait pu faire, si la sentence avait été annulée, ou simplement réformée.

Voici le jugement de M. de Lotbinière :

« Tout considéré et examiné, nous avons condamné le défendeur à payer au demandeur la somme de 1555 livres, 5 sols, 10 deniers, monnaie de France, pour paiement des marchandises dont le dit défendeur s’est emparé à Michilimakinac, pays des Outaois, où il commandait, avec le profit d’icelles marchandises, pour lequel les parties se conformeront aux articles stipulés par le jugement qu’a rendu mon dit seigneur l’intendant, sur le même sujet entre les nommés Moreau et Durand, contre le dit défendeur ; au surplus nous rendons débiteur le dit défendeur de 200 livres en castor envers le demandeur, pour en quelque manière, l’indemniser de la tierce-partie qui lui devait revenir du profit qu’il espérait faire des marchandises que le défendeur vendit à Michilimakinac, tant à lui qu’aux dits Moreau et Durand, et dont il se saisit ensuite de son autorité, et icelui défendeur condamné avec dépens liquidés en la somme de 34 livres monnaie de France. »

Le procès durait depuis un an.

Si la justice n’était pas expéditive à cette époque, elle ne manquait pas d’un certain courage, et surtout elle ne ruinait pas les plaideurs.

Mes notes s’arrêtent ici.

Ainsi, Lamothe est à Québec depuis le mois d’août 1697 jusqu’au mois de novembre 1698. À cette époque, il passe en France, d’où il revient au mois d’août 1699. Il paraît avoir séjourné à Québec jusqu’à 1701, où M. de Callières l’envoie à Détroit, étudier l’opportunité d’y bâtir un fort. En 1702, il est à Québec (Archives de la Prévôté) : il n’est encore que capitaine dans le détachement de la marine.

Le reste de la vie de Lamothe de Cadillac est plus connu, du moins pour la période de la fondation du Détroit, grâce aux notes de M. Rameau[7] et aux documents copiés à Paris.

Je crois cependant que nous ne possédons pas encore les éléments nécessaires pour porter un jugement définitif sur son caractère et sur ses actes, non plus que sur ceux de Frontenac.

H. A. V.
  1. Louis XIV institua, en 1682, des académies de gardes-marines. Le dessein que le Roi se proposa… « était de former de braves et d’habiles officiers de marine. Ils devaient être tous gentilshommes ; mais on y reçut depuis des jeunes gens d’honnête condition et vivant noblement. Le Roi leur donna des maîtres d’écriture, de dessin, de mathématiques, de fortification, d’hydrographie, des maîtres à danser, des maîtres d’escrime et pour l’exercice de la pique. Les gardes embarqués sur les vaisseaux y servent comme soldats, et en font toutes les fonctions sans aucune distinction. » — (Histoire de la Milice Française, par le P. Daniel, t. 2, p. 713).
  2. En général, les charges de la marine étaient plus difficiles à obtenir que celles de l’armée de terre, et ceux qui les remplissaient avaient le pas sur les officiers de même nom dans l’armée. Ainsi, marchaient de pair, par ordre d’ancienneté de leurs commissions, « les colonels d’infanterie et les capitaines de vaisseaux,… les lieutenants colonels d’infanterie et les capitaines de frégates légères,… les capitaines d’infanterie et les lieutenants de vaisseaux, etc. » — (Histoire de la Milice, etc., t. 2, p. 710.)

    Ce passage explique le problème, assez singulier à première vue, que de vieux capitaines de l’infanterie aient reçu comme récompense le brevêt de lieutenant, et même de simple enseigne de vaisseaux.

  3. Moreau avait 24 ans. Il paraît s’être fixé à Batiscan. (Archives du Cons. Sup.)

    Louis Durand était né le 13 décembre 1670 à Sillery, d’une mère baronne. (Registres de Sillery.) Il demeura quelque temps à Québec après son mariage ; mais le Dictionnaire Généalogique semble le perdre de vue après 1702. Durand alla s’établir dans la seigneurie de Tilly, probablement à St-Antoine. Je vois qu’il eut quelques procès à soutenir, un, entre autres, pour diffamation. On me permettra de citer la défense de Durand, parce qu’elle peint les mœurs, et fait connaître quelques-unes des peines criminelles de l’époque : « Étant en compagnie de jeunes gens au mois de mars dernier (1711), on y parla des justices patibulaires qu’on avait exercées en ce pays. Les uns disaient avoir vu pendre ou rouer, les autres avoir vu infliger d’autres châtiments. Je dis que quoique je fusse plus vieux qu’eux, je n’en avais pas tant vu. J’ai seulement vu pendre deux hommes sur le cheval de bois, avec des cravates de volailles autour du cou. C’étaient Sabourin et le Gros Jean, à ce que dirent les personnes assemblées pour voir l’exécution. Depuis, je ne les ai connus que de vue, sans avoir aucun différend avec eux. » Il paraît que l’un des deux suppliciés était le beau-frère du demandeur. En conséquence, le juge, après avoir défendu à Durand, sous peine d’amende, « de nommer en compagnie les personnes qui ont été châtiées en justice » le condamna aux frais du procès, « liquidés à 48 sols de France, faisant 3 livres 4 sols du pays, » et, ajoutait-il, « sur ce que le demandeur nous a dit que Dehorné lui avait pris 7 livres pour avoir fait la requête et donné les deux assignations, avons ordonné que le dit Dehorné sera tenu de restituer au dit demandeur 3 livres 16 sols. »

  4. M. Rouer de Villeray était le doyen des conseillers. C’est en cette qualité qu’en l’absence de l’intendant, il recueille les votes, et prononce l’arrêt qu’on vient de lire ; mais M. de Champigny, rentré au conseil, reprend ses fonctions de président.
  5. Par ordre de nomination. Il devait avoir près de 68 ans.
  6. C’est à dire qu’au moment où ils se levèrent pour sortir, tous les conseillers se levèrent aussi, les saluèrent profondément et les firent reconduire par deux d’entre eux. Après la délibération, MM. de Peiras et Aubert de la Chenaye furent députés pour aller chercher et accompagner les deux hauts fonctionnaires à leur retour.
  7. Notice historique sur la colonie canadienne du Détroit.