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Quelques personnages officiels à Tahiti, sous le règne de S. M. Napoléon III/4

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M. LE COMTE ÉMILE DE LA RONCIÈRE



« Toutefois il faut, dans ce pays, moins d’argent que de personnel. Je ne parle pas de ce personnel banal qu’on pourrait appeler d’exportation et qui s’expédie partout, mais d’un personnel ad hoc, et non encore de ce personnel si souvent taré dont on gratifie les colonies, sans songer que cela donne aux étrangers, qui y sont ou qui y viennent, une bien triste idée des employés français. »
(Extrait du cahier de M. le comte Émile de la Roncière.
— Service administratif à Tahiti
.)


Risum teneatis amici ! L’homme qui a écrit les lignes qui nous servent d’épigraphe, est celui qui a commencé sa carrière administrative par les dix années de réclusion du procès de Saumur, et qui l’a terminée par le procès inique fait à M. le commissaire-adjoint Boyer, par ce procès qui ajoute, si c’est possible, à l’infamie de celui qui ordonna de le faire et qui sera, à jamais, la flétrissure honteuse des juges qui y ont pris part. En un mot, c’est M. le comte Émile de la Roncière. C’est l’homme dont les dépêches au Ministre de la Marine mises en regard les unes des autres, obligent à dire : « C’est un… zélateur infidèle de la vérité. » M. l’amiral Dieudonné, qui dans ce ministère, a longtemps occupé une haute position, peut se rappeler qu’un jour, dans son cabinet, M. Bonet, lieutenant de vaisseau, lui prouvait, pièces officielles en main, que cette qualification convenait fort bien à M. le Commandant commissaire impérial comte Émile de la Roncière.

Durant ces dernières années, un assez grand nombre d’officiers de la marine française sont venus à Tahiti. Tous ils y ont séjourné un temps plus ou moins long, et bien que les noms de la plupart d’entre eux soient effacés de notre mémoire, nous pouvons en citer quelques-uns, qui sont : MM. de Kerangal, de Rulhières et de Watre, capitaines de frégate ; MM. Garrey, Bonet, Parrayon et Pescheloche, lieutenants de vaisseau ; ces Messieurs, nous en sommes convaincu, si on les interrogeait, diraient tous comme nous.

Mais nos lecteurs, ou du moins la plupart d’entre eux, ne connaissent point les honorables officiers dont nous venons de citer les noms, ils ne pourront donc point avoir recours à leur témoignage pour vérifier notre dire. C’est pourquoi il nous faut le justifier d’une autre façon, car jeter au visage de qui que ce soit, même à celui de M. Émile de la Roncière, l’épithète que nous avons voilée plus haut, est une chose grave devant Dieu et devant les hommes.

Le fait suivant y suffira, pensons-nous.

M. le comte Émile de la Roncière, Commandant commissaire impérial à Tahiti, avait attaché à sa personne, en qualité d’officier d’ordonnance, M. l’enseigne de vaisseau René-Jules-Édouard Moriceau. Ce jeune homme, à qui cette position créait de nombreux loisirs, s’empressa de les utiliser en se donnant les ennuis d’une passion sérieuse, et s’éprit d’une jeune fille qui, à tous égards, mérite l’amour d’un honnête homme. Il demanda sa main et aussitôt qu’elle lui eût été accordée, il sollicita de Son Exc. M. le Ministre de la Marine, l’autorisation sans laquelle nul officier ne peut se marier. Dans le même temps, le jeune Moriceau écrivit à ses fournisseurs pour qu’ils eussent à lui envoyer, dans le plus bref délai, tous ces objets élégants, mais coûteux, qui composent d’ordinaire une corbeille de mariage. Le bruit public (car de quoi ne se mêle point le public) disait que tout serait digne de la gracieuse fiancée et de l’amour du futur époux.

Hélas ! souvent femme varie, a dit quelqu’un ! que n’eût-il point dit s’il eût parlé des jeunes filles ? Un jour, mademoiselle M… S… reprit sa parole et tous ces beaux projets s’évanouirent.

M. Moriceau, blessé dans son amour, était en outre fort ennuyé d’avoir à payer une foule de colifichets dont il n’avait plus que faire. Leur arrivée cependant était imminente, et peut-être même étaient-ils parvenus déjà à San-Francisco.

Monsieur le Commissaire impérial de la Roncière, auquel le jeune officier d’ordonnance fit part de ses ennuis, se résolut à lui venir en aide et pour cela il écrivit à M. le Consul général de France à San-Francisco une lettre officielle où il lui annonçait, avec douleur, la mort de M. Moriceau, enseigne de vaisseau de la Marine impériale. Il l’informait en outre que ce jeune homme ayant fait en France de nombreuses et importantes demandes de fournitures, il croyait devoir, dans l’intérêt des marchands eux-mêmes, le prier de les avertir, par le télégraphe, de la mort inattendue de cet officier. Dans sa sollicitude (pour les fournisseurs), M. de la Roncière avait pris soin d’envoyer au Consul un billet signé de sa main et dont le contenu était le télégramme à faire parvenir.

Cette lettre et ce télégramme sont des pièces officielles, nous les avons vues et lues au Consulat de France à San-Francisco.

M. le contre-amiral Cloué les a vues aussi au mois d’août 1869, et il en a peut-être envoyé des copies à Son Exc. l’amiral Rigault de Genouilly, ministre de la marine, auquel d’ailleurs, nous le savons, M. le Consul général de France à San-Francisco en a fait tenir des copies légalisées.

Plusieurs des Français qui habitent la capitale de la Californie connaissent cette histoire et ont vu les pièces dont nous parlons. Le télégramme de M. de la Roncière ne put parvenir assez tôt à tous les fournisseurs, et les marchandises de certains d’entre eux durent être vendues soit pour leur compte, soit pour celui de la succession de feu M. Moriceau.

Heureusement les lettres et les télégrammes font rarement mourir, aussi le jeune officier, qui jamais à Tahiti n’avait été malade, aura nous l’espérons conservé la splendide santé que nous lui avons connue au moment même où M. le comte Émile de la Roncière annonçait sa mort[1].

Ce commandant Commissaire impérial est arrivé à Tahiti le onze octobre 1864. Ses appointements s’élevaient alors à 15,000 francs par an sans aucun supplément. Cette somme n’était vraiment pas suffisante dans un pays où tout est cher, aussi sollicita-t-il une augmentation annuelle de dix mille francs pour frais de représentation, et la dépêche ministérielle qui les lui accorda, à compter du 1er janvier 1865, ne fit que pourvoir à un besoin réel.

M. de la Roncière aimait à faire confortablement les honneurs de sa maison. Il recevait assez souvent, donnait de bons dîners et de jolies soirées. Il entretenait un nombreux personnel de domestiques, les battait quelquefois, leur payait des indemnités et avait voiture et chevaux.

Ses dépenses étaient assez considérables, car en dehors de ce que lui coûtait son train de vie, il a eu à payer chez divers marchands des notes assez élevées. L’une d’elles, entre autres, s’élève pour la seule année de 1867, à douze mille cent dix-huit francs et soixante centimes. Aussi croyons-nous que la somme annuelle de vingt-cinq mille francs qui lui était allouée lui suffisait à peine.

M. le capitaine de vaisseau de Jouslard le remplaça dans ses fonctions, le 4 juin 1869 ; il a donc occupé le poste de Commandant Commissaire impérial à Tahiti, durant quatre ans, sept mois et vingt-quatre jours.

Nous plaçons ci-dessous, le relevé de tout l’argent qu’il a reçu et qui lui était dû par l’État pour ce temps de service.

Ce relevé est pris aux sources officielles[2].

ANNÉES SOLDE FRAIS
de représentation
FONDS SECRETS
1864
1865
1866
1867
1868
1869
4,479 f. 17
15,000 f. 8»
15,000 f. 8»
15,000 f. 8»
15,000 f. 8»
6,416 f. 84
» f. 88
10,000 f. 8»
10,000 f. 8»
10,000 f. 8»
10,000 f. 8»

4,277 f. 78

» f. 88
» f. 88
1,500 f. 8»
1,500 f. 8»
1,500 f. 8»
625 f. 8»
Totaux. 70,896 f. 01 44,277 f. 78 5,125 f. 8»

En récapitulant nous avons :

Solde 
 70,896 f. 01
Frais de représentation 
 44,277 f. 78
Fonds secrets 
 5,125 f. 8»
Soit un total général de 
 120,298 f. 79

Si maintenant nous consultons les registres du Trésor à Papeete, nous y verrons les talons des traités envoyées en France par M. le comte Émile de la Roncière. Le total des sommes représentées par ces traités est de quatre-vingt-quatorze mille cinq cent trente francs, dont voici le détail.

LISTE des traites prises au Trésor français de Papeete, par M. le comte Émile de la Roncière, dans les années 1865, 1866, 1867, 1868 et 1869[3].
ANNÉES JOURS DE MOIS MONTANT
de la traite
TOTAUX
par année
TOTAL
général
1865 1er février.
29 septembre.
1866 22 mai.
87 septembre.
17 septembre.
30 septembre.
1867 17 janvier.
10 juin.
18 octobre.
20 décembre.
1868 84 février.
89 mars.
10 juin.
88 juillet.
8» août.
83 septembre.
14 octobre.
82 décembre.
20 décembre.
1868 30 janvier.
83 février.
13 mai.
19 mai.
28 juin.
85 juillet.
88 juillet.
88,500
30
88,530
2,000
1,500
10,000
500
14,000
10,000
12,000
750
8,000
30,750
15,000
4,000
1,000
2,000
1,000
1,000
1,000
500
3,000
28,500
1,000
5,000
500
1,000
7,750
2,000
83,500
20,750
94,530 f.
Total…… 94,530 f. ……… 94,530 f.
Nous avons vu que M. de la Roncière avait reçu à Tahiti 
 120,298 fr. 62
Il a envoyé en France en traites 
 94,530 fr. 6»
La différence est une somme de 
 25,768 fr. 62
qui a dû lui suffire pour toutes les dépenses de sa maison durant quatre ans sept mois et vingt-quatre jours. Il a aussi fallu qu’avec la même somme il acquittât les notes des négociants, notes parfois considérables, puisque d’eux d’entre elles, en ce moment sous nos yeux, forment à elles seules, un total de vingt et un mille quatre cent quatre-vingts francs et cinquante et un centimes.

C’est M. le comte Émile de la Roncière qui, dans sa lettre du mois de décembre 1864, au Ministre de la marine (pièce 2), disait :

« Il est facile de voir qu’ici la passion, je dirai presque celle du lucre, a étouffé les sentiments généreux dont on déplore l’absence. »

Nous pourrions continuer et ajouter encore des pages pleines de faits intéressants, mais ce que nous venons de dire suffit, au moins pour le moment présent.

Si cependant, plus tard, nous étions obligé de traiter encore le même sujet, nous serons « plein de discours ». Ce jour-là, nous en sommes sûrs, tous nos lecteurs seront de cœur et de conviction avec nous, lorsque modifiant un peu un passage de la lettre écrite au Ministre, en juillet 1866, par M. de la Roncière (5e pièce), nous dirons :

« Pour nous il est un point sur lequel notre conviction ne changera jamais. » M. le comte Émile de la Roncière avant tout est un…… Le pouvoir dont il disposait et qu’il a honteusement déconsidéré, n’a été entre ses mains qu’un moyen de s’enrichir et de pratiquer l’iniquité.

Papeete, août 1870.

J. P. CHOPARD.
  1. Rapprocher cet acte de M. É. de la Roncière de l’article 146 du code pénal.
  2. Nous n’avons pas porté sur ce relevé les quatre mille francs qui lui ont été donnés pour effectuer son retour en France.
  3. Ce tableau n’est pas complet. Quelques traites ont été oubliées.