Quelques poèmes (Balmont)

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Traduction par (Alexis de Holstein ; René Ghil ?).
G. Crès et Cie.
PRÉFACE


Constantin Dmitrievitch Balmont naquit le 3 juin 1867, dans la propriété de son père, dépendante du gouvernement de Vladimir. De vieille noblesse, sa famille tire son origine d’Ecosse, comme celle d’un autre grand poète Russe, Michel Lermontoff. Il passa son enfance à la campagne, grandit en une de ces vastes gentilhommières construites en bois, qui ont peu de ressemblance avec les châteaux de France.

Ces vieilles demeures recelaient une atmosphère toute particulière, à la fois raffinée et patriarcale, un esprit d’oisiveté, de rêve, de tendresse et de sensualité. Des élans dé bonté et de colères brutales alternaient, se heurtaient, car le passé empiétait longtemps sur le présent, l’Orient se mêlait encore à l’Occident. La vie des maîtres ne se séparait pas de la vie des les énergies vitales de la Jeunesse. Ceux qui ne se contentaient ni des douteuses délices du retour, loin des villes et de la « civilisation pourrie », à la vie sainte du paysan, à la béatitude de la non-résistance au mal, prêches par Tolstoï, ni du carriérisme officiel, se débattaient parmi des recherches stériles d'une solution quelconque du : pourquoi la vie ? question toujours présente dans une jeune âme Russe. Aussi, le nombre de suicides et de cas d' aliénation mentale pendant ces tristes années, devint-il effrayant et incroyable.


Balmont n’échappa pas au sort de sa génération : il connut la persécution, il connut le désespoir jusqu’à une tentative de suicide. La série noire commence en 1884, alors qu’on l’accusa d’un « crime d’Etat », affiliation à un cercle révolutionnaire : pour quoi il est exclu du Gymnase. Il est cependant admis, après quelque temps, dans un Lycée d’une autre ville, mais contraint de vivre « comme dans une prison », dit-il dans une courte autobiographie, interné chez un de ces professeurs de l’époque plutôt policiers que pédagogues.

« Je maudis le Gymnase de toutes mes forces », continue le poète, de qui le système nerveux demeura ébranlé pour longtemps par le régime de cette institution.

En 1886, Balmont entre à l’Université de Moscou, à la Faculté de Droit. Mais les sciences juridiques ne l'intéressent que médiocrement, et passe-t-il son temps à étudier la littérature Allemande et l’histoire de la Révolution Française.

Puis, un an ainsi rempli, nouvelles persécutions.

Cette fois, Balmont est accusé d’être l’un des organisateurs d’un « désordre » universitaire, terme policier qui englobait toutes manifestations tant soit peu bruyantes de la Jeunesse des hautes Écoles. Ces a désordres » ou « émeutes » avaient pour point de départ, tantôt quelque mécontentement en matière de cours, tantôt l’interdiction aux élèves d’organiser une bibliothèque ou — chose plus grave — un restaurant d’étudiants. Sans pouvoir préciser la cause de l' « émeute » dont on désigna Balmont comme l’un des promoteurs,il dut quitter l’Université de Moscou, et ne sortit de prison que pour l’exil dans sa province natale. Deux tentatives encore pour continuer les études universitaires, puis il s’adonne exclusivement aux études littéraires, philosophiques et historiques, étant son propre maître. 14 PRÉFACE

Les débuts littéraires de Balmont ont été tout aussi malheureux et pénibles. Pendant quatre ou cinq ans, aucune revue n’accepta ni ses poèmes, ni ses articles. Son premier recueil de vers, édité à ses frais, n’eut aucun succès. Disons que Balmont n’attache à ce volume aucune importance dans son évolution, le considérant comme assez médiocre. D’ailleurs, l’auteur l’a retiré de la circulation, et il est maintenant devenu introuvable. Sa première traduction du norvégien (un livre de Henrik Jaeger sur Ibsen) a été brûlé par la Censure.

Le succès n’est venu qu’avec ses traductions des œuvres de Shelley et d’Edgar Poe, et son second volume de poésie : Sous le Ciel du Nord.

L’œuvre de Balmont est immense, sa puissance de travail gigantesque. Il a étudié le Français, l’Anglais, Allemand, l’Espagnol, l’Italien, le Suédois, le Norvégien et le Polonais, et, de toutes ces langues, il a publié de très belles et de très fidèles traductions d’œuvres importantes. Sa curiosité linguistique effleura aussi maintes langues orientales mortes et vivantes, le Sanscrit, le Javanais, le Géorgien, etc. L’étude des langues n’est pas un but pour lui, mais la possibilité de connaître leur littérature, ne gardant pas pour lui-même, d’ail-

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leurs, ces délices littéraires : toutes les fois qu’il entre- prend l'étude d’une nouvelle langue étrangère, il dote son pays d’une série de traductions.

Depuis 1905, Balmont habite Paris. Il est proscrit politique. Le retour en Russie lui est interdit, sous peine d’exil en Sibérie : son crime est la publication de certains articles écrits pendant la courte période révolutionnaire, quand avait été proclamée la liberté de presse, et d’un recueil de poèmes publié à l’Étran- ger : Chants du Vengeur.

Ce n’est pas un sédentaire, avons-nous dit. Non seu- lement l’Europe, mais en 1904, il visite le Mexique, en 1910 l’Egypte, en 1911 il entreprend le tour du monde en s’arrêtant longuement en Australie, aux Indes, à Samoa, aux îles Fidji, etc.

Cette vision cinématographique du Globe terrestre en l’espace de peu d’années, la confusion qui peut résulter de l’étude précipitée de tant de langues si diverses entre elles, la lecture aussi, d’un nombre très grand de livres en toutes langues tantôt purement lit- téraires, tantôt d’intérêt historique ou ethnographique, le labeur intense et le temps que pareille préparation demandait, n’ont nullement diminué ou adultéré l’œuvre

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maîtresse de Balmont, son Œuvre de poète. Cela tien- drait du miracle, si l'on n’est pas prévenu de la sin- gulière disposition d’esprit de Balmont de ne rien voir directement, et si l'on ne découvre pas la qualité exclu- sivement Russe de son âme, qualité que nous attri- buons à l'intensité de ses impressions d’enfance. Bal- mont, en vrai grand lyrique qu’il est, ne voit le monde extérieur qu’à travers sa vision intérieure en même temps intellectuelle et intuitive. Il lit les contrées qu’il visite plus qu’il ne les regarde, il les rêve ensuite. Son érudition acquise par des lectures, n’est pas une érudition savante et pédante : c’est encore une source d’images et de concepts tout personnels, très intérieurs. Voilà pourquoi Balmont est resté poète avant tout, et poète Russe par excellence.

Pour comprendre le rôle de Balmont dans la litté- rature Russe, le lecteur occidental doit se représenter des conditions politiques qui lui sont totalement étran- gères, qui ont créé une vie, un état moral de la société, à peine compréhensibles pour un citoyen de pays de- puis longtemps libres.

Toute la littérature russe s’est naturellement ressen- tie de cette existence sociale particulière.

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Il sied d’abord de retenir ceci : la liberté de la presse n’a jamais existé en Russie, à aucun moment de son histoire, excepté durant les quelques mois de la révo- lution de 1905.

La discussion de toutes les questions sociales ou po- litiques les plus vitales pour le pays, est interdite, ce- pendant qu’une élite, minime en comparaison de la masse énorme de la population, mais nombreuse dans la classe cultivée, sent la nécessité, considère comme un devoir d’exprimer ses opinions. De là une littéra- ture de prétextes, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Le roman, la critique, la poésie même, sont des pré- textes pour avancer une idée politique, sociale ou phi- losophique. La littérature prend un pli de littérature à tendances. Les grands talents percent malgré tout, s’élèvent au-dessus de l’esprit utilitaire pour donner de la beauté, des œuvres d’art. Mais la direction géné- rale persiste, et s’accroît à mesure que les problèmes de la vie sociale. en Russie se compliquent. Il s’ensuit un bien et un mal. S’il est vrai que la littérature russe, par là, reste très près de la vie, exerce une énorme action et monte à une littérature d’idées chez les meil- leurs écrivains, — le mal est, que le Public, habitué à

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rechercher avant tout la tendance dans une œuvre d’art, trop entier et partant intransigeant comme tout homme et tout peuple jeunes, devient volontiers des- potique comme la censure elle-même. Et il exigera de l'auteur les tendances en vogue, les idées réputées pro- gressistes, — tout le reste étant à l'index. Cette recherche des idées avant toute chose, doit alors aller au mépris même de la forme. Un auteur assez connu ne préten- dait-il point, en conversations privées, « qu’un livre n’étant pas une prostituée, il n’a pas besoin d’orne- ments ».

Cet esprit utilitaire dont la poésie devait surtout se mal trouver, envahit la littérature russe dans la seconde moitié du XIXe siècle qui, pour commencer, avait été, en superbe éclosion, l’époque du grand Pouchkine. Dans cette seconde période la Russie compte peu de poètes, — c’est le règne des grands romanciers : Tourguéneff, Tolstoï, Dostoïewsky. Deux seuls poètes d’une va- leur incontestable, à cette époque : Tutcheff et Fête, le premier passant inaperçu, l’autre vilipendé par la critique pour son manque de civisme. Cet autre était précisément le fin et l’élégant Fête, que Tourguéneff qualifiait de « poète des poètes ». C’est le seul Nécras-

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soff qui alors connaît une grande renommée, non point grâce à ses dons poétiques, mais parce qu’il mettait le souci de propagande des idées démocratiques très au-dessus des préoccupations d’art. Le « chantre de la misère du peuple » voulait trop souvent son vers habile et sa sensibilité au service d’une cause déter- minée.

Comme nous l’avons dit, au moment où Balmont commence sa carrière littéraire, la réaction gouverne- mentale est à son comble, la censure inexorable, — et les éléments d’opposition sont d’autant âpres à pour- suivre leurs buts : les lettres russes, proprement dites, se trouvent prises dans ce feu de barrage. Le roman- cier Tchékhoff, qui remplaçait la grande triade dont les voix se taisaient, par son pessimisme sans issue détrui- sait les dernières illusions, esquissant d’une main de maître l’avachissement général, en toutes les classes de la société...

C’est dans cette atmosphère de cauchemar terne, morne, que retentit la voix de Balmont : « Soyons comme le Soleil ! »

Cette voix chantait l’exaltation de la Vie. Cette poé-

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sie affirmait qu’en plus, et peut être en dehors des con- cepts de Justice et d’utilité sociale et morale, des sen- timents de pitié pour l’humble, de bonté et de sacrifice, il est de la Beauté, le rêve, l’élan de l’âme humaine vers le supra-terrestre, les pressentiments d’un mystère insondable !

La mission du poète n’est pas de prêcher, proclamait cette voix, elle est de créer la Beauté, et ce disant, Balmont ramenait la poésie Russe aux sources de la Poésie et à la belle tradition de Pouchkine.

« Soyons comme le Soleil », dit le poète, — comme cette source de vie, voulons-nous comprendre de lui. Et la Vie, c’est toute la nature : elle englobe la joie avec la tristesse, le bonheur avec la souffrance, l’aima- ble comme l’horrible, la vie et la mort, la mort comme la survie. Notre grand lyrique vibre de toutes les vi- brations de la nature, et par là il dépasse la limite qu’on a l’habitude d’assigner au lyrisme.

Il est presque superflu de dire que la beauté de la forme préoccupa constamment et admirablement Bal - mont. Mais il n’a pas seulement créé de beaux vers, il a recréé le vers russe. Ici nous emprunterons d’une

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Google notice de M. Volochine, un poète russe, son opinion sur le vers de Balmont :

« Balmont trouve le vers Russe fatigué et figé. Il l’assouplit et par lui il résonnera d’une manière nouvelle. Il allume par des feux d’assonances intérieures, le fait chanter en carillons de cloches, en mélodie fuguée, le fleurit de rimes et de rythmes inconnus. Du chuchotement essouflé des lignes entrecoupées, il l’élargit jus-qu’au chant sonore d’une mélopée populaire. Son vers devient tantôt orchestre, tantôt clochettes d’argent, il se créa libre, brillant, capricieux, simple, maniéré, — comme la personnalité de Balmont, comme sa voix vivante. »

Le vocabulaire de Balmont est riche naturellement, mais il l’a enrichi encore de néologismes osés, cependant si conformes aux lois fondamentales de la langue maternelle, que loin d’étonner, ils paraissent familiers à l’oreille russe et n’arrêtent même pas l’attention. Nous pensons ne pas nous tromper de beaucoup, en disant que son action sur la langue littéraire Russe a été grande généralement. Sans être un maître en prose, comme il l’est en poésie, il contribua beaucoup aussi, à libérer la prose russe de la platitude dans laquelle 22 PRÉFACE

elle tomba dans les dernières années du XIXe siècle. Quant à la Poésie elle prit sous son ascendant un essor inconnu dans les annales des lettres Russes. Des poètes se révélaient de tous côtés. En phalanges ser- rées la nouvelle génération marchait à la conquête du droit d’exprimer librement ses personnalités. Dans l'ardeur de la lutte, qui n’est pas sans analogies avec les luttes des poètes de la période dite « Symboliste», en France, il exista, certes, des exagérations, des es- sais malheureux, mais aussi éclata l'éclosion de talents de valeur incontestable.

Maintenant, après presque trente ans d’une produc- tion littéraire énorme, Balmont est considéré par la totalité des critiques Russes, comme une des gloires de la littérature. Les historiens littéraires cherchent à le situer sous une rubrique, sous une de ces étiquettes chères aux théoriciens.

Selon une habitude simpliste et malignement contrac- tée dès les débuts de Balmont, d'aucuns veulent le dire un « décadent ». Certains le considèrent comme chef de l'Ecole Symboliste russe, d’autres, et non des moindres, créent pour lui et pour la pléiade issue de lui, une dénomination spéciale : ce seraient les « néo-

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romantiques du XXe siècle ». Et quelques critiques admiratifs, remontant le courant des choses, recher- chent dans son œuvre le civisme et les tendances réa- listes, encore chers au grand public...

Pour nous, Balmont n’est ni au-dessus, ni au-des- sous de toutes ces appellations : il en est à côté. Et si nous devions chercher parmi les innombrables ap- préciations russes, un jugement qui correspondrait à notre propre opinion sur Balmont, nous répéterions volontiers les paroles du philosophe et poète Vladimir Solovieff, qui voici bien des années écrivait à Balmont lui-même :

« Vous êtes un poète par la grâce de Dieu »...

... Nous ne nous illusionnons pas sur l’impression que le public Français peut avoir de l’œuvre de Balmont représentée par le présent petit recueil de ses poésies, choisies parmi les dix volumes de son œuvre poétique. Cette impression ne sera et ne peut être qu’incomplète : comme toute traduction, celle-ci ne rend que ce qu’elle peut rendre. Elle abolit, hélas ! la sonorité incomparable du vers de Balmont, elle amoindrit parfois l’énergie de l’épithète ou souligne

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Google peut-être trop, grâce à la précision du Français, un certain vague destiné à suggérer plus qu’à dire... Notre préoccupation a été d’être absolument fidèles à la pensée du poète, à son sentiment et autant que possible, à ses rythmes.

Nous sommes heureux de pouvoir dire que cette traduction, lue par l’auteur, a mérité son approbation.


SOYONS COMME LE SOLEIL



SOYONS COMME LE SOLEIL





Soyons comme le Soleil ! Oublions
Qui nous mène sur la voie d’or.
Souvenons-nous, avant tout, qu’éternellement vers autre chose,
Vers le nouveau, le Fort, le Bien, le Mal,
De geste éclatant nous nous emportons en un songe somptueux !
Sans oubli ! implorons le non-Terrestre
En notre vouloir terrestre...

Comme le Soleil, jeune toujours,
Caressons les fleurs, les fleurs qui flamboient,
L’air transparent, et tout ce qui est d’or !


Es-tu heureux ?... Sois deux fois plus heureux,
Et sois l'incarnation du rêve soudain !
Ah ! ne pas t’attarder dans l’immobile !
Plus loin, et loin ! jusqu’à la limite sacrée.
Plus loin nous attire le Terme fatidique :
Dans l'Éternité, où de nouvelles corolles s’allumeront...


Soyons comme le Soleil, il est jeune !
Et en cela s’atteste l’ordre de la Beauté.




LES ACCORDS




En la beauté des musiques,
Ainsi qu'en l'immutabilité de miroirs,
J’ai trouvé les contours des rêves
Qui n’ont pas été révélés avant moi :
Angoissés, et enliés
Comme des plantes sous des pesanteurs de glace.

Je leur ai donné le délice,
La gloire de leur naissance !

30 QUELQUES POÈMES

J'ai détruit la glace sonore :

Et, comme des hymnes qui ne sont pas entendus,

Respirent les lotus somptueux

Au-dessus du miroir des eaux.

Et, dans les musiques muettes

Et sur la neuve transparence,

Des rêves, la ronde vivante

Crée un monde nouveau, à demi raconté

Mais qui va s’accordant avec tout l'Exprimé

Dans la profondeur des eaux reflétantes. Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/38 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/39 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/40 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/41 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/42 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/43


LES NAVIRES MORTS



 
Pris en remuements dans les glaces, dans l’accalmie des mers dorment
Les squelettes muets des navires morts.
Le vent à vol rapide qui toucha leurs voiles
Et, en effroi, s’est enfui ! bondit aux cieux —
Bondit ! et n’ose pas de son haleine battre la terre,
Pour n’avoir vu partout que la pâleur, le gel, et la mort !…
Comme des sarcophages, les glaces à blocs lents
En une longue multitude surgirent des eaux.

La neige blanche se couche et tourbillonne au-dessus de la vague,
Et emplit l’air d’une candeur mortelle.
Le royaume de la Mort blanche n’a, nulle part, de limites…
— Et, qu’êtes-vous venus chercher ici, ô Rejetés des vagues ?
Squelettes muets des navires morts !

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Narcisse, vertige de suggestion,
Amour en l’amour ! question et réponse,
Enigme de Vie, reflet,
Linceul nuptial : la couleur blanche.




L'ANGOISSE DES STEPPES



Le son d'une zourna résonne, résonne, résonne,
Le son des tiges, la stipe plumeuse, susurre, susurre, susurre...
Le croissant des Temps, en torpeur, brûle, et brûle,
Un gémissement d'à travers les larmes s’accroît, s'accroît, s'accroît, — s'accroît.

44 QUELQUES POÈMES

Le lointain des steppes n’est ni instant, ni heure,

ni année : Le large des steppes, et, de voie, aucune, aucune,

aucune. Ténèbre des nuits, et muette, muette, cette voûte

d’étoiles...

Immutabilité des jours : est latent un appel, —

mais de qui ? de qui ? de qui ?

Mère et père, où sont-ils, où sont-ils — tous les

miens ? Le rêve du printemps étincelait : vois qu’il dort,

qu’il dort, il dort... Le lointain appelle, à le suivre, appelle, à le suivre,

le suivre...

Son de zourna qui résonne, résonne, résonne...

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Les murs rédigent des annales, et parlent de nœuds coulants…
Les fenêtres, — ce sont les yeux des diables, — les fenêtres attendent la nuit, et ensorcellent !

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Mais, dans l’épanouissement, n’oubliez pas que la mort est belle, comme la vie,
Et que royale est la grandeur des tombes qui refroidissent.




LE POLE AUSTRAL DE LA LUNE
LE PÔLE AUSTRAL DE LA LUNE 61

Le pôle austral de la Lune s'assoupit, il s'endormit entre les monts merveilleux Qui consternent par leurs formes régulières. C'est la pensée enclose en octaves harmonieuses. Ces sommets vivent sans eau, dans une zone de rayons immobiles.

Aveuglant, éclatant comme l'esprit, et qui tombent en étranges reflets, sur les vallées qui reposent au pied des massifs, Entre de morts cratères toujours lumineux, Eternellement calmes, non touchés de la nuit, ne caressant aucun oeil.

Ces monts épouvantables luisent de la fixité d'une lumiére éternelle Au dessus de l'espace froid des songes inanimés... C'est la terreur du rêve, c'est la pensée des siècles, C'est la mystique vie de Beauté, l'impitoyable clarté où voit le poète !

ЮЖНЫЙ ПОЛЮС ЛУНЫ

Южный полюс Луны задремал, он уснул между гор величавых, ‎Поражающих правильной формой своей. ‎Это — мысль, заключённая в стройных октавах, Эти горы живут без воды, в полосе неподвижных лучей, —

Ослепительно-ярких, как ум, и ложащихся отблеском странным ‎На долины, что спят у подножия гор, ‎Между кратеров мёртвых, всегда светлотканных, Вечно тихих, нетронутых тьмой, и ничей не ласкающих взор.

Эти страшные горы горят неподвижностью вечного света,

‎Над холодным пространством безжизненных снов,

‎Это ужас мечты, это дума веков, Запредельная жизнь Красоты, беспощадная ясность Поэта. Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/69 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/70 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/71 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/72 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/73 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/74 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/76 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/77 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/78 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/79 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/80 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/81 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/82 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/83 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/84 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/85 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/86 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/87 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/88 Page:Balmont - Quelques poèmes, 1916.djvu/89


POURQUOI
IL N’EST PLUS DE PREUX

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AUX JOURS OBSCURS…




Aux jours obscurs de Boris Godounov,
Dans la brume du morne pays Russe
Des hordes erraient sans toit, —
Et dans les nuits, deux lunes montaient au ciel…

Deux soleils se tenaient aux cieux des matins,
Avec férocité couvant le monde qui dévale.
Et un glapissement prolongé : « Du pain ! du pain ! du pain ! »
De la ténèbre des bois irruait jusqu’au Tsar.


Dans les rues, les êtres squelettiques
Broutaient avidement l’herbe maigre,
Brutes et nus, — comme un bétail :
Et les rêves s’accomplissaient en réalité.

Alourdis de pourriture, les cercueils
Aux vivants donnaient, fétide et infernale, une nourriture.
Entre les dents des morts l’on trouvait du foin !
Et devenait toute maison, un lugubre bouge…

Les tempêtes et leurs tournements abattaient les tours,
Et les cieux, dérobés de triples nues,
Transparaissaient soudain d’une rouge lueur
Et de batailles entre surnaturels guerriers !

Jamais vus, des oiseaux arrivaient.
Les aigles planèrent sur Moscou.
Aux carrefours, des vieillards, en silence, attendaient,
Qui hochaient leurs têtes chenues…


La Mort et la Haine rôdaient parmi l’humanité.
Et la Terre tressaillit de la vue d’une comète..
Et dans ces jours, Dmitri se leva de sa tombe
Pour incarner au corps d’Otrépiev, son esprit !




LE PAYS QUI SE TAIT




Le Pays qui se tait, tout en blanc, tout blanc, —
Comme une Fiancée couverte du voile
Qui par Lui sera touché, par lui, admirant et hardi,
Et qui apporte l’ensoleillement des chauds pétales.

Le Pays qui connaît le plus long hiver
Et la prison résonnante des glaces qui étreignent,
Où, il n’est pas de fin pour les feux et la fumée fondante,
Où, si longtemps, entre elles s’entretiennent les étoiles…


Pays, qui après les fastes de mai,
Et à peine l’été lui donne-t-il un regard, dit déjà : « Je dors, » —
Grand Pays ! malheureux, près du cœur,
Toi, que, comme une mère, je plains et je chéris…




HYMNE AU FEU
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LA TERRE


 
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La Terre enseigne à regarder profondément, — profondément.
Les yeux corporels sommeillent. Brille et veille un Œil invisible.
S’effrayant, il regarde
Le mystère terrestre.
Cependant que la Terre dit :

— « Sois allègre, — je suis dans l’allégresse !
Regarde devant toi :
Il est une voix dans le saltant aujourd’hui, ainsi qu’une voix dans l’obscur hier.
Dans le lit cave du lac, le sous sol est argile, marne et terreau,
Mais ce n’est là que la couche première :
Là est le fond, et au-dessus de la profondeur la vague, après la vague.
Écoute ! Il est temps.
Sois jeune !


Tout sur la Terre est changement, — trait par trait, ajoute-toi...

Brillent les pensées,
Et la mémoire est vivante,
Et sonores sont les mots.
Les jours s’en vont, —
Mais il est des îles !

Des mers bleues les plus grandes profondeurs,
Près des îles, invariablement, gisent.
Sois, par ton âme,
Comme tous ceux
Qui lient en unité la dualité,
Les nuits et les jours,
Les ténèbres et les feux.
Brillent les pensées,
Et la mémoire est vivante :
N’oublie pas les îles !…
En un désert sauvage, au-dessus de l’ensevelissement sourd des eaux,
Une douce oasis fleurit, et fleurit,
D’un songe d’or
Sa vie caresse !
L’Aujourd’hui, comme une fumée
Deviendra un Hier :
De l’esprit saint
Sois jeune !
Il est temps ! Il est temps !… »

J’entends, j’entends ta voix, Terre jeune !
Tout m’est visible, et tout compréhensible : je suis ainsi que Toi.
J’entends comme respirent les fleurs nocturnes,
Je vois comme tressaille le brin d’herbe qui éclôt.
Mais j’ai peur d’un vide soudain qui soit dans mon âme !
À quoi me sert que l’un après l’autre des traits de vie surgissent ?
Ce que j’aime, s’enfuit et se perd...
Sonore est ta voix, ô jeune Terre !
Tu es multicolore pour éternellement !
Je vois tes nuances et les regards secrets.
J’entends harmonieusement lefe chœurs des rythmes,
La voix des rivières et souterraines et solaires, —
Mais, j’ai peur ! parce que les dessins se déchirent,
J’ai peur, ô Terre, — je suis un Homme !
À quoi me servent et les lacs, et la mer, et les monts ?
Serai-je seul, éternellement, avec le rêve ?...

L’adolescent fait peur, lorsqu’il est chenu !
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Qu’est-ce, qu’est-ce qui fait ce frôlement, là-bas,
Qui est comme le bruissement des calmes eaux ?...
Qu’est-ce qui songe, à moitié endormi,
Croît et chante ?

Silence... Sérénité...
Le monde est sous minuit. Tout se tait.
L*âme de qui, de qui ? est entendue...
Qu’est-ce, qui résonne, plein de vie ?

C’est une voix, jeune éternellement, une voix.
Elle est presque, presque sans paroles,
Mais belle, mais sainte.
Comme le principe de tous les principes.

Une vague qui roule, —
Mais pas la Mer... Profondément
Respire la vie d’un autre songe.
Sous la Lune elle est si vastement aise !

C’est un champ. La nuit regarde.
Caressant est le regard étoilé.
Les doux épis chuchotent,
Tous les épis chuchotent,

Se redressent, chantent, —
Se penchent pour le sommeil.
Sève de vie. Labeur éternel.
Avec douceur le grain frôle le grain.....

Qu’est-ce qui est plus loin ? Une théorie
De troncs non vivants, mais vivants :
Des grappes de fruits au-dessus de la terre,
À nouveau, principe des principes.

Sur de petits piquets
Une tempête recelée,
Rire sonore, et le vers sonore,
Un moment d’oubli, — la Vigne !

Une joie sereine du visage, —
Les étoiles regardent, caressantes...
Il mûrit, il s’apprête son vin,
Le jaune, le rouge raisin !

Et l’on récoltera ces grappes.
On les écrasera, on en extraira le sang.
Le travail est gai. Les cœurs chantent.
Dans la vie, à nouveau, vit l’Amour !

Ô Grain victorieux,
Grappes de fruits de l’Être !
Il sera du vin blanc.
Il sera un flot rouge !

Une année s’écoulera après une année,
La vie doit se précipiter.
Mais l’épi ne passera pas.
Mais les grappes vivront !


Les rêves ne finiront pas,
Le Printemps reluira pour tous !
Ainsi, la Liturgie de la Beauté
Est, fut, et doit être !




DERRIÈRE LE VERT BOCAGE
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Mon ouïe, sans que j’écoute, saisit
Que balbutie l’alme étendue, en seul miroir.
— « Cher ! ô mon cher ! Je t’aime ! »…
Minuit, de l’horizon regarde.




EPITRE ÉTOILÉE




Je te donnerai une épître étoilée.
De l’arc-en-ciel je ferai une route,
Au-dessus de l’abîme plein de tonnerres
J’érigerai haut, ta demeure.
Et les couchants amis des étoiles,
Et les aurores emperlées
Etendront leurs striures longues…
Tu seras en un sommeil à mainte douceur,
Aromatique comme les tendres muguets,
Transparent comme une forêt feuillée,

Roséeux comme un pré amène…
Tu seras en le point d’unité et dans le chant,
Nous serons dans l’instant immortel, —
Nos visages tournés vers le Sud.




LES CHARMES DE LA FEE




Je marchais à travers la forêt. La forêt était sombre
Et étrangement enchantée.
Et moi, j’aimais je ne sais qui.
Et moi, j’étais ému.

Qui a rendu si tendres les nuages,
Qu’ils sont tous en douceur de perles ?
Et pourquoi le fleuve au ruisseau
Chante-t-il : Serons-nous amis ?


Et pourquoi tout soudain, le muguet
A-t-il soupiré, tandis qu’il pâlit dans l’herbe ?
Et pourquoi si suave, le gazon ? —
Oh ! je sais : c’est la Fée…

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LE TOCSIN-FANTOME



LE TOCSIN-FANTOME




Je suis esprit, je suis le Tocsin-fantôme
Qui des spectres seuls est entendu !
Les maisons, je le sens, sont en flammes,
Et les hommes restent prostrés en l’absence et l’oubli.

Le feu, lourd de fumée, rampe et vers eux se coule,
Et je suis tout entier un ulul de détresse, mais aphone !…
Bourdonne donc, ô Cloche ! sonne à toute volée,
Et sois un cri parmi l’obscurité diffuse.


D’airs épais elle rampe et serpente, la fumée :
Comme une lourde bête va le charme nocturne.
Et, ô quelle terreur pour moi, d’être muet
Sous l’éparre cuivré de l’Incendie !

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Les couleurs flamboient en feux qui ne trompent pas,
Des magies ont couvert le froid firmament.
Le cœur est plein des sanglots de l’orgue :
Est-ce la Mort ?

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INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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TABLE
TABLE

Préface 9

Soyons comme le Soleil 27

Les accords 29

Pierre-Alatyr 31

Dans les âmes se retrouve tout 35

Les navires morts 37

Extrait de la « Fata Morgana » :

               Le jaune 39
               Mauve-pâle 40
               Le Blanc 41

L'angoisse des steppes 43

La Ville 45

Le poisson doré 49 162

TABLE

Comme un Espagnol 53

Doucement 55

Le pôle austral de la lune 61

Près de la Pierre bleue 63

La pluie 65

Plantes sous-marines 69

Les roseaux 71

Le calme 73

Le silence lunaire 75

Les mal-nés 77

Les treize Sœurs 79

Pourquoi il n’est plus de preux en Russie 85

Aux Jours obscurs 91

Le pays qui se tait 95

Hymne au Feu 99

L’Eau 105

La Terre 109

Derrière le vert bocage 119

Sur l’eau 121

Epître étoilée 123

Les charmes de la Fée 125

Sœurs des étoiles 127

L’azur 129 Celui qui se réveille 131

Le tocsin-fantôme 135

Résignation 137

La course des minutes 139

Quatre cierges 141

Est-ce ? 143

Dors 145

L’instable 147

Et ils naviguaient 149

Index bibliographique 153