Quelques poètes/03

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INTRODUCTION



La Méthode biographique de Critique littéraire

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SAINTE-BEUVE ET SA MÉTHODE



I. TOUTE VIE HUMAINE EST-ELLE INTÉRESSANTE PAR ELLE-MÊME ? — II. LA BIOGRAPHIE D’UN ÉCRIVAIN EXPLIQUE-T-ELLE EN PARTIE SON ŒUVRE ? — III. LES OBJECTIONS. — IV. LES CONCLUSIONS PRATIQUES.

Le 23 décembre 1904, il y eut cent ans que Charles-Augustin Sainte-Beuve naquit à Boulogne-sur-Mer. Un comité, organisé par le Journal des Débats et présidé par MM. Gaston Boissier et Brunetière, a apposé sur la maison natale un médaillon commémoratif, œuvre du maître Vernier, et un Livre d’or illustré, moderne Guirlande de Julie… en prose, étudie le poète, le philosophe, le journaliste, le professeur, le critique littéraire, l’annotateur du « Livre d’amour » et, qui l’eût pensé ? le critique militaire.

Nous repoussons résolument la tentation de suivre dans ses capricieux méandres cette existence de soixante-cinq ans, si « diversifiée », suivant un de ses mots favoris[1], et qui a reflété dans son cours tant de paysages et de bosquets variés : telle une rivière nullement pressée, toute gracieuse de contours et de mélancolie, qui l’opposent aux puissants fleuves, dont le cours droit, rapide et fort, symbolise assez bien la volonté ferme et les convictions chez les hommes. Nous ne suivrons point successivement le jeune romantique qui incarna dans le Cénacle la finesse du goût et l’érudition, essaya de fournir, dans la personne de Ronsard, un portrait d’ancêtre à Victor Hugo, puis se détacha de la nouvelle école et de son impérieux chef ; — le célibataire endurci, amoureux de Mme Victor Hugo, puis de Mme d’Arbouville et assidu chez Mme Récamier, — le poète qui se cache à demi, telle Galatée sous les saules, sous le nom de « son ami Joseph Delorme », un jeune frère de René et d’Obermann qui aurait lu les Regrets de Joachim du Bellay et les élégies sensuelles d’André Chénier, — le fervent de Lamennais, qui se détache, en 1840, du christianisme, comme il avait fait plus tôt du romantisme, — l’artiste qui, en cette même année, décisive pour lui, renonce tristement à la création littéraire (vers et romans), pour se faire bibliothécaire à la Mazarine et critique avec son premier volume de l’Histoire de Port-Royal, — le professeur de Lausanne en 1837, de Liége en 1848, du Collège de France en 1855, où le tumulte de la jeunesse libérale ne lui laisse débiter que deux leçons, le maître de conférences de l’École Normale, qui enseigne enfin paisiblement de 1857 à 1861, — l’ancien fonctionnaire de Louis-Philippe mourant sénateur de l’Empire, libertin et champion de la « libre pensée »… Vie pleine de variations, de péripéties d’idées et d’abandon des principes d’antan, tout comme le fut celle de son grand contemporain et cher ami de jeunesse Victor Hugo, avec cette grave différence que l’auteur de la Légende des Siècles passa d’un état d’esprit à l’autre et, en définitive, du royalisme catholique au socialisme anticlérical, en poète, c’est-à-dire par succession d’enthousiasmes ou par bonds d’indignation, ce qui est de l’enthousiasme encore, tandis que l’auteur désabusé de Volupté cheminait d’une région des idées à l’autre, par déceptions et désenchantements. Partout, il était l’éternel voyageur qui s’éloigne.

Avoir traversé, nuance à nuance, toutes les idées et dispositions de conscience lui valut du moins de devenir le critique le plus fin de tous ceux qui ont brillé en notre ciel depuis quatre siècles et d’être à son genre à peu près ce qu’Alphonse Daudet fut à la nouvelle ; grâce à son aimable et infatigable scepticisme, ce voluptueux d’esprit comprit tout, sauf sans doute la grandeur.

Pour être vraiment un grand critique (à la manière des Malherbe, des Boileau, des Nisard, afin de ne point parler des vivants ou… d’un vivant leur héritier), la foi lui faisait défaut, nous entendons la foi en quelque chose. « Je suis arrivé dans la vie à l’indifférence complète, disait-il… Avant la mort finale de cet être mobile qui s’appelle de mon nom, que d’hommes sont déjà morts en moi[2] ! »

Il n’eut pas même la foi dans sa découverte en critique, dans ce qui en fit, trente ans durant, la force et le charme, et c’est probablement pour cela qu’on a si mal rendu justice à sa grande innovation et qu’on l’a, sur ce point, si peu continué.

Nous ne voulons point parler de son introduction, assez contestable, d’une critique très soignée dans le journalisme, à partir de 1849, où ses premiers Lundis parurent au Constitutionnel.

Il s’agit de sa grande et féconde originalité, nous voulons dire sa méthode biographique de critique littéraire, son idée de mêler l’homme et l’écrivain et d’éclairer l’un par l’autre, de ne point se borner au catalogue sec, ni même à l’appréciation abstraite et ordinairement aride des œuvres, son plaisir à dévoiler les circonstances publiques et privées où un ouvrage a vu le jour, à reconstituer peu à peu un tempérament vivant et à révéler l’âme et même le corps avec leurs ressources et leurs faiblesses, de sorte qu’en lisant un Lundi de Sainte-Beuve, si habilement sont entrelacées cette trame et cette chaîne, l’on ne sait point au juste si on lit une biographie ou une étude de critique littéraire ; au vrai, l’on a les deux, et s’il prend la curiosité de les distinguer l’une de l’autre, on y éprouve beaucoup de peine : dans la plupart des cas, l’on arrive à s’apercevoir que l’artiste, très habilement, suit en même temps un double plan, l’un biographique, l’autre littéraire, et que le passage de l’un à l’autre se fait sans cesse, mais d’une manière imperceptible. Sainte-Beuve commence d’ordinaire, sitôt une idée agréablement proposée au début, par résumer la jeunesse du personnage : il y montre la première apparition des traits de nature qui se marqueront fortement plus tard dans les ouvrages. De ceux-ci, le premier l’arrête, il en donne de très courtes citations, triées heureusement, et non seulement en définit par là le caractère propre, mais en tire de nouveaux traits pour la physionomie d’ensemble de l’écrivain qu’il ne perd jamais de vue et qu’il poursuit ainsi lentement et sûrement. Avec grâce il reprend le fil biographique, qu’il sait colorer des plus fines demi-teintes, et ainsi, peu à peu, de fragments biographiques en citations et précises inductions littéraires, il parvient à une légère et pénétrante conclusion finale sur la vie et sur l’œuvre : à moins, comme souvent il lui arrive, qu’il n’annonce, pour la semaine d’après, une suite de retouches à son premier essai. Il en sort une tapisserie de couleurs fondues et comme adoucies déjà par le temps, où deux dessins s’enroulent harmonieusement l’un autour de l’autre, représentant une physionomie à la fois morale et intellectuelle, un talent et une vie, — exquis ouvrage de femme, œuvre qui manque, en somme, de virilité et d’élan, mais qui est un petit poème de délicatesse.

Ouvrons au hasard l’un des vingt-huit volumes des Lundis. Voici, par exemple, le premier de deux articles consacrés à Montesquieu[3]. Dressons-en, pour ainsi dire, le schéma aride, et la méthode, croyons-nous, apparaîtra dans son jour : après une courte vue générale et une page sur les manuscrits encore inédits de Montesquieu, la jeunesse de l’écrivain, 1689-1714 (nous soulignons à dessein les parties biographiques), et, à ce propos, comment Montesquieu cherche dès lors « l’esprit des choses » et quel genre de goût il montre pour l’antiquité. — Sa charge au Parlement de Bordeaux, 1714-1726 : facilité qu’elle lui donne pour observer ; il aime mieux regarder les hommes que leur rendre la justice. — Ses premiers discours à l’Académie de Bordeaux, 1716 : sa manière précieuse et sensuelle, à la Fontenelle ; son amour de la science ; sa subordination du fait à l’idée. — L’apparition des trois grands ouvrages, 1721, 1734, 1748 : leur fonds commun sur l’institution sociale. — La publication des « Lettres persanes », 1721 : leur cachet de la Régence. L’idée de la justice chez l’auteur. Sa froideur. Sa langue. Sa prudence politique. — Le Temple de Gnide, 1725 : méprise de talent. Sa conception de l’amour et son manque de grâce en tout. — Le Discours à la louange de l’étude et des sciences, prononcé à l’Académie de Bordeaux, novembre 1725 : son estime des sciences pour leur utilité « sociale » et son zèle de « citoyen ». — Son grand voyage en Europe, 1728-1729 : son opinion sur l’Angleterre et, à ce propos, de l’art et de l’artifice dans les deux derniers ouvrages.

Rassemblez les traits biographiques et vous avez le tableau de la Jeunesse de Montesquieu. Ramassez les traits littéraires et vous possédez les linéaments principaux du Génie du grand homme, dont la description sera complétée d’ailleurs dans le « lundi » suivant. Mais ceci est mêlé à cela, ou mieux ceci sort logiquement de cela, et inspire plus de confiance, en vérité, que ces portraits d’écrivains où, sans aucune biographie et presque sans citations, tous les résultats littéraires se présentent bien alignés comme à la parade, sans que nous puissions juger si quelque passe-volant ne s’est point glissé parmi eux. Ici, nous assistons à l’analyse, et l’analyse est charmante ; nous voyons comment sont obtenues, pas à pas, les conclusions, et nous y gagnons, outre le spectacle toujours attrayant d’une vie humaine, une conviction plus ferme sur les appréciations littéraires, puisque l’on nous en place les principales pièces mêmes sous les yeux.

Cette excellente méthode, née au dix-neuvième siècle, si modernement teintée de romantisme et de naturalisme par le goût des tableaux animés et par le souci de la réalité qui ne la quitte pas, se rattache dans son fond, chose curieuse, à la manière du grand siècle, au réalisme psychologique de l’École de 1660. Le fait nous semble intéressant et prouve qu’elle forme comme un bouquet des principales modes de penser qui régnèrent en France depuis deux cent cinquante ans.

C’est bien La Bruyère qui affirmait, en toute connaissance de cause : « Ce sont les faits qui louent, et la manière de les raconter. » Par les faits (actions et gestes) lui-même louait, et encore plus raillait. Sous l’apparence des vies de son entourage, il avait observé les tempéraments physiques et moraux : il les fait défiler dans son livre en mettant en scène de petites biographies. De même, Sainte-Beuve, qui lui doit tant, ressaisira à son tour sous leur biographie le tempérament des gens.

Bossuet lui-même, l’un des grands hommes à qui l’auteur des Lundis rend le mieux justice, de quoi composait-il donc ses Oraisons funèbres ? — De fragments biographiques et de jugements moraux qui en découlaient naturellement. Rien n’est classique comme le plan de l’Oraison de Condé, où l’orateur n’a fait qu’une application du mot de l’Écriture qu’il cite au début : « Leurs seules actions les peuvent louer ». 1re partie, les qualités du cœur chez le prince. — La bataille de Rocroi : la clémence. — Le retour à la cour : la modestie. — Bataille de Fribourg : le courage. — Échec devant Lérida : la possession de soi. — Défection du temps de la Fronde : la sincérité dans le repentir. — Négociations en Espagne et en France : la grandeur d’âme. — Bataille de Senef : la tendresse paternelle. — La retraite à Chantilly : la bonté… Les qualités de l’esprit, dans la 2e partie, ne sont point illustrées d’une autre façon.

Il en ressort cette conclusion étrange, mais point paradoxale, que les brèves oraisons funèbres de Sainte-Beuve sont exactement conçues comme les grandes de Bossuet ; nous ne voyons qu’une différence : l’orateur ancien, quand son plan comprend deux parties, comme pour Condé, parcourt par deux fois, mais toujours chronologiquement dans chaque partie, la vie de son héros ; le critique moderne suit une à une les années de son auteur, cheminant sans cesse à côté de lui, du même pas que lui, et recueillant à mesure, sans les ordonner par avance, les traits intellectuels qui se révèlent à sa pénétration.

Du fond même de cette méthode biographique, — à l’heure où l’on cherche de toutes parts à donner une base scientifique à la critique littéraire[4], — il sera bien permis de s’entretenir, à un modeste admirateur de Sainte-Beuve, qui l’a aimé, lui et sa méthode, presque jusqu’au danger, jusqu’à en soutenir les avantages devant le tribunal qui semblait y être le moins acquis, nous avons nommé la Sorbonne. Il lui sera permis d’exposer impartialement les bons côtés de la méthode, dont il est, depuis beau temps, intimement convaincu, aussi bien que les inconvénients qui lui furent plus d’une fois opposés.

Dégageons donc avec netteté les deux principes sur lesquels manifestement repose la critique de Sainte-Beuve ; ayons pour lui le courage de ses opinions, et puisque l’on voit bien que ses préférences l’attirent vers les âmes de second ou même de troisième plan, tâchons d’éclairer par nous-même ces deux questions tour à tour :

1° Toute vie d’homme est-elle intéressante par elle-même ?

2° Une vie d’écrivain l’est-elle doublement par cette raison qu’elle explique en partie son œuvre ?

Ces deux démonstrations seront suivies de la discussion des objections faites à la méthode, pour aboutir, dans une quatrième et dernière partie, aux conclusions pratiques.

I

TOUTE VIE HUMAINE EST-ELLE INTÉRESSANTE PAR ELLE-MÊME ?

Voilà certes une question à laquelle notre époque ne sera point embarrassée de faire réponse. L’histoire n’en est plus, grâce à Dieu, à ne se composer que des hauts faits des rois et des conquérants, et, à la suite des Augustin Thierry et des Michelet, nous aimons les détails pittoresques et caractéristiques sur les humbles, cette poussière souvent anonyme, mais agissante, de la politique et des batailles. De même, les rois de la pensée et les conquérants d’idées, les grands écrivains, en un mot, ne sont plus seuls à occuper la scène de la critique : les auteurs minores, voire les minimi viennent tour à tour réclamer aussi leur part des regards du public. Parallèlement, dans le domaine intellectuel et dans la société se fait l’ascension des prolétaires. Le romantisme y aida. Non seulement l’école nouvelle avait des origines dites alors « libérales », c’est-à-dire se rattachant aux traditions de la Révolution, mais elle se complut, par passion de l’antithèse, à produire en pleine lumière, en face des grands personnages, tels que François 1er, Charles-Quint ou le capitaine Phébus, les parias de la société, les Triboulet, les Quasimodo ou les Jean Valjean. Le roman rivalisa avec la poésie : Balzac et Flaubert nous intéressèrent aux âmes, fort médiocres en somme, des Birotteau et des Bovary, leurs successeurs nous touchent par l’histoire si simple des « frères Yves » et des « bonnes Perrettes » ; il se fit donc une universelle démocratisation des personnages qui retiennent l’attention de la foule.

Dans le monde qui pense, la féconde méthode de l’évolution est venue encourager cette tendance, en prouvant que les humbles cas sont instructifs et figurent comme les maillons serrés de la grande chaîne progressive des mouvements d’idées.

En même temps, par suite de la chute des douanes intérieures de la société, et du progrès matériel des communications, les hommes se trouvèrent rapprochés ; la sympathie, qui n’est que la consonnance des sensibilités, s’en accrut, et le sentiment de la solidarité sociale et humaine se développa dans une ample mesure[5].

En conséquence, il n’est pas une vie d’homme, quelle qu’elle soit, qui n’attire un peu de notre curiosité et beaucoup de notre sympathie. C’est même en définitive l’objet qui attire par excellence, nous voulons dire le plus de personnes, et chacun de nous le plus immédiatement. Sans doute, la méditation des idées générales, la création ou l’analyse de la beauté esthétique, sont singulièrement passionnantes. Mais la première n’est que le partage d’esprits d’élite, et encore ne se produit-elle chez eux que moyennant certaines précautions et à certaines heures privilégiées ; quant au beau, il ne vise qu’à réaliser plus d’humanité, mais c’est de l’humanité élaborée artificiellement et noblement d’ailleurs par l’art et extraite de la vie. Or, le spectacle direct de la vie séduit beaucoup plus souvent les hommes et un bien plus grand nombre d’entre eux : une preuve brutale en est que la masse des lecteurs de journaux se jette avant tout et parfois exclusivement sur les faits-divers et les feuilletons, c’est-à-dire, d’une part, sur les événements graves arrivés à des congénères dont on ignore et dont on ne cherche même point à retenir le nom, d’autre part sur les récits d’existences imaginaires, mais très vivantes, qu’ouvre aux lecteurs l’habileté des romanciers.

Dans le cours de nos journées à chacun, qu’est-ce qui nous intéresse donc plus universellement, plus immédiatement, plus inlassablement, que la vie d’un de nos semblables, qui nous sera soudain révélée par un récit bien fait, par une confidence sincère, par une de ces surprises quelconques du hasard qui viennent, à certains moments, nous découvrir l’intimité d’un foyer ou le tréfonds d’une destinée ?

C’est que, tout occupés nous-mêmes et tendus à vivre, nous regardons de tous nos yeux comment l’on vit à côté de nous, comment nos compagnons de bord se tirent des multiples difficultés de l’humaine traversée, comment chacun d’eux résout pour son propre compte tous ces problèmes de sa formation personnelle, de la religion, de l’honneur, de l’amour, du mariage, de la naissance des enfants et de leur éducation, de l’argent, du support des maladies et des déceptions, du vieillissement dont secrètement on s’aperçoit si vite, alors même qu’on est encore dit jeune, de la vieillesse, de la mort.

Cet appétit de la vie des autres et du « vécu », qu’a dû ressentir, j’imagine, l’humanité à toute époque, est bien puissant à la nôtre, puisque, depuis cent ans, il s’impose à l’art sous les noms divers de romantisme, naturalisme, réalisme, naturisme, pleinairisme, tranches de vie, etc., etc… Le public réclame perpétuellement qu’il y ait le moins de différence et de transposition, le plus d’identité possible entre la vie, matière de l’art, et l’art lui-même : à mesure que les écoles, planant de leur propre vol, s’éloignent du sol de la terre, il les y rappelle, et toutes les réformes esthétiques depuis un siècle ont été un effort, plus ou moins heureux, de rapprochement vers la réalité de la vie. Les preuves en seraient trop faciles à trouver dans l’évolution du théâtre, de la poésie lyrique ou du roman.

D’autres preuves se peuvent tirer du genre de goût actuel du public français pour l’histoire : on sait avec quelle furia il s’est jeté naguère sur les « Mémoires », qui ne sont autre chose que de l’histoire « vécue », et voici qu’il encourage depuis peu ce que je me permettrai d’appeler « l’histoire romancée ». Il favorise visiblement aujourd’hui les historiens qui mettent dans leur histoire encore plus de vie que leurs prédécesseurs, en y introduisant des personnages fictifs, mais vraisemblables, qui incarnent toute une classe sociale ou un état d’esprit collectif. Voilà comment, sous quelques plumes éminentes[6], « l’histoire romancée » paraît presque sur le point de se confondre avec le roman historique, si aimé encore de notre génération, qui a fait récemment, à l’une de ses œuvres venue du Nord, un extraordinaire succès.

De tout temps l’on a donc aimé à connaître d’une façon vivante la vie des hommes, de tous les hommes, et, depuis un siècle, plus qu’on ne l’avait jamais fait, et notre génération, à cet égard, semble renchérir encore sur ses aînées, en s’appropriant le fameux mot de Térence, légèrement modifié : « Je suis homme et je considère que nulle vie d’homme ne m’est étrangère. »

Une semblable curiosité procède peut-être encore d’un inconscient retour sur soi-même et sur la dignité humaine, et celui qui prend intérêt à une biographie quelconque se dit peut-être, à son insu, que toute vie d’homme a le droit d’être connue. Chaque être humain ayant figuré sur la terre n’a-t-il point légitimement quelque aspiration à ce que l’on conserve la trace et le souvenir de son passage, pour ne point retomber dans le néant de l’éternel oubli tout comme les simples insectes que sa marche a foulés et les animaux dont s’est nourrie sa chair ? De toutes ses forces, il tente désespérément d’atteindre, suivant ses moyens, à une telle survivance : tantôt c’est en s’adonnant à la carrière laborieuse de l’ambition, tantôt par des fondations pieuses ou académiques, etc., et l’on pourrait retrouver sans doute chez la masse un vestige obscur de la force de cette aspiration à durer, dans l’inscription maniaque des noms, graffiti de tous les siècles, sur les monuments publics et jusque sur les arbres renommés des forêts, particulièrement chez les pèlerins qui ont fait quelque effort pour les aller visiter .

Il n’est guère possible de supputer le nombre de choses physiques et morales dont nous aurions la clef, si, exactement, nous connaissions ainsi, chacun, nos ascendants, c’est-à-dire les personnes de qui nous tenons l’être, le sang avec ses pauvretés et ses richesses, et beaucoup de nos idées. Sans compter le culte des ancêtres qui y gagnerait, tandis qu’il se trouve si peu d’hommes qui sachent quelque chose de précis sur leur propre famille au delà de deux ou trois générations, nous ne devons point oublier que le document humain, c’est-à-dire les observations sur l’individu, forme la matière de l’art, de la littérature et de la plupart des sciences morales ou biologiques. Trop absorbée malheureusement par sa dépense d’énergie quotidienne, l’humanité ne fait pas ses relevés de compte. Mais de quelle ressource ce serait et pour la famille, et pour le penseur, si de chaque existence éteinte il demeurait une notice ou au moins une « fiche » biographique bien faite, sincère et équitable celle-là ! Alors on aurait la raison de bien des influences héréditaires qui s’exercent indéniablement sur chacun de nous, et l’on entendrait, par-delà le temps, résonner au vrai la voix des « morts qui parlent ». Le jour où une personnalité marquante surgirait dans une race, la consultation d’une pareille « généalogie biographique » ferait comprendre en grande partie, — la liberté de l’âme demeurant entière, — par quelles réserves de sève lentement accumulées a pu être préparée une fleur de vertu ou de talent, d’héroïsme ou de génie. Ce serait une manière de pénétrer les secrets les plus délicats de la nature, peut-être même de soupçonner quelques-uns de ceux de la Providence.

En attendant l’avènement de ces ressources plus complètes dont disposeront, il faut l’espérer, nos neveux, et à ne se servir que des existantes, l’on voit que Sainte-Beuve eut raison de nous révéler le secret de l’intérêt qui gît dans les vies, toutes les vies, les vies moyennes ou même complètement ordinaires en apparence, telle celle d’une jeune receveuse des postes, dans le Perche, cette Christel, qui termine par une idylle touchante les Portraits de Femmes ; telles encore ces vies modestes de solitaires ou de religieuses attachées plus qu’il n’aurait convenu à leurs petits jardins, qu’il nous a racontées en perfection dans son Histoire de Port-Royal.

C’est bien ce premier principe qu’il transporta dans la critique littéraire : « Ce que j’ai voulu en critique, disait-il dans sa maturité, ç’a été d’y introduire une sorte de charme et en même temps plus de réalité qu’on n’en mettait auparavant, en un mot de la poésie à la fois et quelque physiologie[7]. » Cette réalité et cette physiologie qu’il souligne lui-même, qu’est-ce autre chose que la vie et le tempérament de l’homme, par lesquels il éclaire l’écrivain ? Nous avons donc à nous poser maintenant notre seconde question :

II

LA BIOGRAPHIE D’UN ÉCRIVAIN EXPLIQUE-T-ELLE
EN PARTIE SON ŒUVRE ?

Que se propose donc la critique littéraire, sinon d’expliquer et de juger les ouvrages de littérature, c’est-à-dire : 1° d’éclairer les idées et les sentiments qu’ils contiennent ; 2° d’apprécier la part de beauté qu’ils présentent ?

Avant le dix-neuvième siècle, elle se contentait de juger et de confronter chaque œuvre avec les règles esthétiques qui, dogmatiquement, s’imposaient au genre correspondant. Traitant un ouvrage tout comme un bolide qui aurait chu du ciel, elle s’exposait à des lacunes et à des méprises étranges, en ne tenant quasi aucun compte des circonstances qui l’avaient vu naître, des influences qu’il avait subies. Mais, il y a près d’un siècle, la critique littéraire ne se satisfit plus à aussi bon compte : appliquant, elle aussi, la méthode des « sources », elle se proposa le plus souvent de remonter aux sources naturelles de chaque écrit, en un mot d’expliquer avant de juger, ce qui lui permettait de juger, après ce long travail préalable, beaucoup plus équitablement l’originalité de l’écrivain : tel un magistrat, en face d’un prévenu, cherche d’abord à sonder la genèse et les mobiles de l’acte et mesure ainsi plus exactement, avant de la traduire dans un arrêt, la responsabilité morale de l’homme. Pour être vrai, il convient de reconnaître que, souvent, la critique du siècle dernier, curieuse de tout, même de ce qui n’offrait pas une grande valeur proprement esthétique, a tendu, par réaction, à s’absorber dans la tâche de l’explication pour faillir un peu au ministère du jugement, notamment du jugement moral.

Les sources propres d’une œuvre se trouvent manifestement dans l’époque, les circonstances où elle s’est produite, les empreintes qui ont marqué sur elle, le tour que lui a conféré son auteur, en un mot elles se peuvent ramener à l’artiste qui l’a créée, avec sa date, sa race, son pays, ses idées et ses sentiments, son tempérament propre. Par exemple, quiconque a ressaisi, dans sa vie familière, le naturel âpre, brusque, sec et simpliste de Malherbe, entêté de clarté et d’ordre religieux et politique, comprend sans peine le caractère de son lyrisme et de sa réforme du Parnasse. — Pour qui sait la naissance en Orient d’André Chénier, le fils de la belle Grecque, et son enfance dans la serre chaude des vallées du Languedoc, s’explique tout uniment comme le jeune poète a pu entrer de plain-pied dans l’antiquité, et, entre autres choses, pour être plus précis, la vivacité dont il rend les impressions de fraîcheur. — Notre illustre contemporain, M. Sully Prudhomme, le philosophe-poète, ne s’éclaire-t-il pas singulièrement avec ses nobles et éternelles incertitudes métaphysiques, si l’on connaît ses attaches avec la brumeuse ville de Lyon, d’où était sa mère, pâle et triste, où les âmes, reployées sur elles-mêmes, ont coutume d’être inquiètes des grands problèmes ; où lui-même, à la vingtième année, connut une sorte de vision religieuse[8] ? Voilà ce qui, dans une large mesure, a commencé, avec des précisions diverses, à être déterminé au XIXe siècle.

Villemain, dans ses brillants tableaux, tint compte largement de l’histoire de la société. Mais c’est Sainte-Beuve qui, à notre sens, signala avec le plus de finesse et le plus de tact les sources historiques et surtout personnelles d’une œuvre d’art littéraire. Sans théorie tapageuse, cherchant avec son bon sens avisé à appliquer son idée neuve, après maints tâtonnements, que M. G. Michaut nous a si bien déduits[9], il a donné l’inimitable galerie des Lundis, où il n’a point substitué, comme on l’a dit, l’étude des écrivains à celle des œuvres, mais accompagné l’une par l’autre : nous avons analysé, en commençant, la savante marche littéraire par échelons biographiques, qui est proprement sa manière.

En inaugurant cette méthode pleine du « charme » qu’il sentait bien, Sainte-Beuve avait compris à merveille qu’elle réalisait par surcroît son tout féminin désir de plaire, qui fut l’un des traits essentiels de sa nature. Puisqu’il avait formé l’entreprise hardie et contestable de faire descendre la critique littéraire érudite des ouvrages spéciaux et des chaires d’enseignement supérieur dans la presse quotidienne, rien ne la pouvait mieux favoriser : le grand public se lasse, en effet, très vite des questions d’art pur, il est friand, en revanche, des traits de biographie, qui rafraîchissent son attention, nous l’avons vu, piquent sa curiosité et mettent en œuvre sa sympathie. Aussi, entre mêler les questions esthétiques d’anecdotes biographiques et les relier les unes aux autres par leurs délicates affinités, c’était un coup de maître, qui fut l’habileté en même temps que l’originalité de Sainte-Beuve. Non seulement il nous expliquait le caractère des physionomies littéraires, mais encore il rapprochait de nous les littérateurs, en montrant que, tout artistes qu’ils sont, ils sont hommes comme nous, avec des faiblesses comme les nôtres, parfois pires que les nôtres, notamment du côté de l’orgueil, et, en fin de compte, il rapprochait de nous la littérature.

Taine arriva et, avec son esprit puissant, mais insensible aux nuances, s’emparant de la vue juste de Sainte-Beuve, il la mit en système, ce qui la rendit célèbre et la faussa. Telle est l’opinion communément admise aujourd’hui par les critiques : mais le public est, en général, très éloigné encore d’une semblable sévérité et cite avec une admiration sans partage l’Essai sur La Fontaine et ses Fables, un des livres les plus brillants et les plus faux de la critique française. Sans compter que le fabuliste n’a sans doute jamais eu le dessein de représenter dans le détail toutes les classes sociales de son époque, ainsi que l’affirme l’auteur, comment peut-on prétendre qu’un écrivain est le produit nécessaire de la race, du milieu et du moment ; que La Fontaine, par exemple, fut fatalement ce que nous voyons qu’il a été, parce que c’était un Champenois vivant au temps de la cour de Louis XIV ? comme si tous les Champenois de cette époque qui vinrent à Versailles étaient nécessairement devenus des La Fontaine… Que le fabuliste ait reçu de son milieu une certaine empreinte, nous le nions certes moins que personne, et nous admettons fort bien que les alentours et comme l’écorce du génie d’un écrivain soient expliqués par là ; mais il n’en reste pas moins vrai que La Fontaine fut La Fontaine surtout par la raison qu’il était La Fontaine, ce qui veut dire qu’il apportait de naissance un ensemble d’aptitudes et de prédispositions qui constituent le fond de sa nature propre : la théorie de Taine ne tient nul compte de cet élément primordial, qui est pourtant l’essentiel et comme la base d’un écrivain, à savoir le tempérament non pas ethnique, mais individuel.

Cet élément premier peut-il donc être atteint par une analyse scientifique ? Dans une certaine mesure, croyons-nous. C’est d’abord lorsqu’on aura su, au moyen des exactes notices d’ancêtres que nous demandons plus haut et par cette sorte de généalogie biographique, compter et mesurer les éléments héréditaires qui entrent manifestement dans la composition d’un individu.

Les philosophes modernes allèguent aussi l’état des parents au moment de la conception de l’enfant, lorsque du moins il est possible de le savoir.

Nous pensons que la part d’inconnu pourra reculer encore, grâce, entre autres, à une connaissance qui a joui longtemps d’une bien mauvaise réputation et qui fait aujourd’hui hausser les épaules à tous ceux qui ne l’ont pas étudiée de près, autant dire à presque tout le monde : nous voulons parler de l’astrologie scientifique. Nous apercevons d’ici les sourires incrédules et moqueurs de ceux de nos lecteurs qui ont eu le courage de nous suivre jusqu’à ce point, et d’avance nous les affrontons bravement comme toutes les fois que la vérité est en jeu. Car enfin il est devenu impossible de nier la réalité des résultats de la moderne science astrale, à la suite des récents travaux, à la fois mathématiques et psychologiques, de M. Paul Flambart et de ses émules : étant donnés le caractère et la nature d’un écrivain, par de savants calculs astronomiques, il retrouve, à une heure près, la date de la naissance, ou inversement, avec la date de la naissance, il reconstitue, sans les connaître, les linéaments d’un esprit, d’un caractère et même parfois d’une vie. Ainsi, l’un de ses confrères en cette science, à qui l’on a présenté le ciel de nativité de George Sand, a authentiquement écrit ces quelques traits d’ensemble sans soupçonner le moins du monde la personne visée :

« Esprit brillant et ingénieux. — Profondeur et fermeté du jugement. — Activité intellectuelle. — Spiritualité élevée. — Indépendance de l’esprit. — Grande bonté et grande bienveillance. — Sensibilité très développée. — Caractère aimant, impressionnable, éloigné de tout ce qui est bas et vulgaire. — Sensualité et attrait pour les plaisirs matériels. — Imagination et raison[10]. »

En exceptant de ce médaillon un seul trait, « fermeté du jugement », nous ne voyons pas qu’un critique, sachant, lui, de qui il parle, puisse tracer de la grande femme-écrivain une esquisse plus ressemblante, et il serait souverainement fâcheux que, par un préjugé causé seulement par d’antiques charlataneries astrologiques, les critiques modernes, qui entendent approfondir scientifiquement les choses, renonçassent à des contributions d’une aussi avérée précision. Quand on y réfléchit bien, d’ailleurs, quelle difficulté y a-t-il d’admettre que, dans les premiers instants de notre apparition sur la terre, nos organes, si tendres et délicats, reçoivent l’empreinte invisible d’influences cosmiques, qui se répercutent aussitôt, comme toutes les influences matérielles, sur nos qualités internes ? Et après qu’on a étudié des milliers de tempéraments, comparés à l’état du ciel au moment de leur naissance, pourquoi n’aurait-on pas expérimentalement pu établir une sorte de table de concordance entre tel genre de caractère, par exemple, et telle conjonction d’astres, entre tel trait intellectuel et telle position de planètes ? Ces idées nous étonnent parce qu’elles sont nouvelles pour beaucoup, mais elles ont grande chance d’être une portion de la vérité de demain. Elles reçoivent déjà une sorte de confirmation par le rapport où elles semblent bien être avec les lois encore mal démêlées de l’hérédité : ainsi, pour les membres d’une même famille, parents et enfants, aïeuls et petits-fils, etc., il est des similitudes frappantes et des parentés entre l’état du ciel de leurs naissances respectives, par exemple pour Louis XIV et le grand-dauphin, pour Victor Hugo et ses arrière-petits-enfants, etc.[11]. Aussi bien par ces influences s’expliqueraient en partie les différences souvent si sensibles qui s’observent entre frères et sœurs doués de la même hérédité.

Que les partisans de la liberté, dont nous sommes, se rassurent. Les prédispositions intellectuelles et morales, qui nous viennent du ciel physique, ne font nul obstacle à notre libre arbitre : elles déterminent simplement le terrain sur lequel il évoluera à l’aise, absolument comme les circonstances nous obligent à vivre en Europe, ou en Asie, ou en Afrique, sans que notre liberté morale en soit pour rien diminuée. Nous sommes sans doute prédestinés chacun à vivre, soit par l’imagination surtout ou par la raison, soit dans l’amour de la solitude ou dans le goût de la société, etc., tout aussi libres de dominer et d’exploiter par nous-mêmes telle de ces régions que nous le serions pour telle autre : notre personnalité libre, que les Allemands appellent « le facteur personnel », n’est nullement engagée ni violentée par là. Bien plus, elle est capable de résistance et de réaction. Les prédispositions morales qui nous viennent des astres agissent probablement sur notre tempérament à la manière des hérédités physiologiques. La science moderne a prouvé que celles-ci ne sont point fatales : elles forment en nous un « terrain » préparé pour telle ou telle maladie de notre race, mais la faveur d’heureuses circonstances ou d’une hygiène appropriée et voulue peut empêcher le mal héréditaire d’y germer et nous permettre de pratiquer notre « évasion » hors des tendances natives.

Cette résistance saura plus sûrement s’organiser, du moins pour les natures douées de volonté, si l’on sait se bien connaître et prévoir. L’on devine aisément de quel prix serait l’exacte connaissance de cette pâte primitive dont l’individu est façonné, pour la direction de sa propre conduite, par exemple, et pour l’éducation des enfants. De quel prix ne serait-elle pas également pour la pleine intelligence des autres hommes et en particulier des écrivains ? Ce n’est pas à dire, sans doute, que, même à l’aide de ces lumières, qui brilleront peut-être plus vives pour nos descendants, l’on connaîtrait tout du fonds d’un homme. Les chimistes nous apprennent que, en isolant les divers éléments d’un corps de la nature et en refaisant ensuite artificiellement la synthèse, ils n’obtiennent pas toujours un corps identique au premier, le nouveau n’affectant point toujours dans sa combinaison la même symétrie moléculaire que l’ancien : il se peut, de même, que dans l’humanité, des éléments connus viennent, un moment donné, à se combiner, pour former un tempérament nouveau, suivant une mystérieuse formule qui résiste à toute espèce d’analyse. Et puis, le « facteur personnel » de chacun de nous échappera toujours, suivant l’apparence, à une mensuration scientifique. Mais l’important est de faire sur une nature humaine le plus de déterminations précises, ou de prévoir du moins celles qui pourront humainement se faire dans un avenir plus ou moins prochain.

Quoi qu’il en soit, une pareille étude délicate et scientifique des natures individuelles, lesquelles présentent, du reste, une infinie variété, semble n’avoir jamais été essayée par l’auteur de La Fontaine et ses Fables, toujours hanté par sa théorie trop grosse et seulement approximative de « la race ». Sainte-Beuve, au contraire, s’était sans cesse appliqué à y remonter, sans tenir compte d’ailleurs de l’élément astral. Pour l’hérédité, il l’indiquait souvent d’une touche légère, et il lui donna plus d’importance à mesure que ce grand problème était plus fouillé dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. Ainsi, l’année qui précéda sa mort, en 1868, il s’analysait lui-même et attribuait son goût pour la littérature à son père, déclarant nettement que « le point où celui-ci était arrivé, s’était trouvé comme fixé à l’origine dans son organisation » à lui, et que « ç’avait été son point de départ[12] ». Toujours il avait perçu clairement qu’une œuvre littéraire a sa principale source, et partant sa clef, dans le tempérament de son auteur, et que le tempérament apparaît surtout par la biographie, d’où sa méthode biographique.


L’influence de Sainte-Beuve s’est évidemment marquée, de divers côtés, sur la manière d’écrire l’histoire des hommes en général, des écrivains et même des saints, dans la biographie et l’hagiographie, où les parties humaines des héros sont mises en lumière d’une façon beaucoup plus exacte et vivante qu’auparavant[13]. Mais l’on peut s’étonner que l’action proprement littéraire du critique n’ait pas été plus profonde, surtout dans les sphères officielles. Le phénomène tient sans doute à ce que la plupart des illustres critiques littéraires de la fin du XIXe siècle se trouvèrent être, de par leur nature propre, avant tout intellectuels, beaucoup plus logiciens et philosophes qu’historiens et artistes, plus épris de synthèses que d’analyses, se complaisant de préférence à l’ingénieux démontage et remontage des pièces de théâtre, aux vastes généralisations et systématisations, aux simplifications et dépouillements pénétrants et spirituels, au replacement des individus dans l’histoire des idées, avant tout servants de l’idée, au détriment du fait et du beau, qu’ils paraissent équitablement dédaigner. Adieu les délicates et fines analyses, les pastels fondus et spirituels, les échantillons variés de beauté littéraire ou d’humanité, présentés soigneusement par des hommes de société, aimables moralistes mondains ! Mais, en revanche, les dissertations fortes et vigoureuses de nos maîtres, que nous sentons passer au-dessus de nos têtes avec une docile et tremblante admiration. L’on comprend que les poètes en particulier se plaignent de n’être plus jugés que par des philosophes, et non plus par un des leurs[14]. Venant après Taine et Sainte-Beuve, les modernes philosophes de la critique ne peuvent pas, naturellement, ne point tenir compte de l’histoire littéraire, soit générale, soit même biographique, même quand ils ont l’air de s’en défendre ; mais il faut voir avec quelle désinvolture large et succincte ils profitent des longs et patients travaux de ceux qui ont défriché, à la sueur de leur front, un coin de l’histoire de la littérature ; souvent ils leur empruntent des idées générales qui leur serviront, à eux, d’énergiques sergents de bataille, pour ranger leurs diverses théories sur un écrivain. Chez lui, ils nous montreront en gros le bourgeois, le précieux, le Gaulois, le provincial, etc., et les divisions s’alignent ainsi sur un, deux, dix auteurs jugés fermement et intellectuellement, sous des formules brèves et bien classées, sans qu’il y ait besoin de tant méditer sur la vie des gens et de faire tous ces prudents et hésitants détours auxquels s’était condamné le pauvre Sainte-Beuve.

Mais ne soyons point injustes : quelques critiques, non des plus renommés, se sont mis, surtout dans les thèses du doctorat ès lettres français, à étudier lentement et avec précision le tempérament et la vie des écrivains, pour démêler ensuite l’empreinte de l’un et de l’autre sur leurs ouvrages. Ils se sont rendu compte qu’il n’y avait pas de meilleur moyen de comprendre le plus grand nombre des tonalités et des nuances, et ceci n’est-il point une bonne partie, pour ne pas dire le principal de la littérature, parce que c’est en elles que consistent et l’art et les idées exactes d’un écrivain ? Nous apercevons donc là des résultats certains, qui sont un commencement d’application de la méthode biographique, vers laquelle Sainte-Beuve, jadis, nous avait si bien orientés. Mais combien ne reste-t-il pas encore à s’avancer dans

cette voie !

III

LES OBJECTIONS

Les adversaires de la méthode biographique lui adressent un certain nombre d’objections que nous nous devons d’examiner en toute impartialité ; elles se ramènent, sauf erreur, aux trois suivantes : 1° c’est encombrer inutilement la critique littéraire ; — 2° c’est trahir les auteurs et les rabaisser ; — 3° la méthode ne peut s’appliquer valablement qu’aux écrivains secondaires.

D’abord, dit-on, c’est encombrer la critique littéraire d’un poids lourd, qui ne vaut pas les maigres résultats que l’on en tire, c’est compliquer à l’infini, et sans grand profit, la tâche du critique : aussi bien, dans le monde vivant, lorsqu’un être nouveau s’est détaché de ses auteurs, c’est qu’il a le pouvoir de vivre par lui-même, indépendant, par conséquent d’être jugé seul, sans qu’il soit besoin de le ramener à ceux qui l’ont produit. Aussi, même bornée à l’étude d’une seule vie, cette méthode inflige à ceux qui l’emploient une extraordinaire patience et une plaisante lenteur. Connaître un homme et une vie dans le détail exige un travail très minutieux, et l’on a pu comparer spirituellement la longanimité exigée du biographe à celle qui s’impose à l’entomologiste[15] ; aussi, pour peu que l’on s’attache à un grand écrivain, surtout s’il a vécu longtemps, risque-t-on de mourir soi-même avant d’avoir réussi à faire mourir son héros, ce qui arriva aux biographes de Bossuet et de la marquise de Sévigné, auxquels nous reviendrons plus loin. — Mais ce dernier point de vue concerne les auteurs, non les lecteurs, qui s’en soucient peu, et la valeur d’une méthode ne s’est jamais mesurée aux efforts qu’elle demande, mais aux résultats qu’elle produit. Les historiens dignes de ce nom ont bien dû s’astreindre à la méthode infiniment longue des sources, et ils ne songent point à s’en plaindre, parce qu’ils envisagent la sûreté des acquisitions qui en résultent. Quel encouragement les critiques littéraires ne recueilleront-ils pas sur leur longue route quand ils découvriront dans telle ou telle des œuvres de leur modèle le contre-coup manifeste de tel événement de sa vie, quand ils percevront peu à peu dans son tempérament des traits qui se retrouvent dans toute sa carrière littéraire et qu’ils pourront restituer ce « dessin plus ou moins original, que la nature trace d’abord en nous » pour « le caractère moral comme pour la physionomie physique » et qui « va creusant et le plus souvent grossissant avec les années[16] » ! Ils ne peuvent manquer d’y puiser de grandes lumières pour leur double ministère d’explication et de jugement des œuvres.

Quant à la métaphore biologique, que l’on veut opposer, de l’être qui se suffit à lui-même, une fois détaché de sa souche originelle, elle se retourne directement contre la thèse de ses auteurs. Quel meilleur moyen, en effet, de se rendre compte de cet être que de le rapporter à cette souche même ? Ainsi, un enfant a tel trait caractéristique dans le visage ou le caractère : simple constatation. Sa mère ou un oncle ou un aïeul offre la même particularité, et voilà l’explication, qui permet de voir à quelle race ancestrale il doit cet héritage, et même de juger, au besoin, la juste atténuation de responsabilité dont doit bénéficier telle ou telle tendance morale. L’on devine tout le parti qui peut se tirer d’un procédé du même genre pour pénétrer une nature d’artiste.


C’est trahir, dit-on encore, et rabaisser un auteur que d’introduire dans la critique littéraire des explications biographiques. Un proverbe français, commun, mais expressif, déclare : « Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre. » Vous ôtez ainsi, à coup sûr, du nimbe et de l’auréole qui se posent naturellement autour du chef de ceux que nous connaissons uniquement par des manifestations intellectuelles, si vous étudiez « la physiologie » de l’écrivain. — Le fait est certain, mais le mal est-il si grand de réduire un peu de cette idéalisation spontanée, qui n’est, elle-même, qu’une mensongère apparence ? Par exemple, vous ne voyez un penseur, un professeur que dans sa chaire, bien sanglé dans sa redingote et dans son esprit : vous l’admirez de loin. Vous êtes reçu dans son intimité, vous le surprenez en déshabillé et en robe de chambre : peut-être descend-il un peu du trône où vous l’aviez placé, dans cette tendance instinctive que l’homme subit à embellir tout ; mais comme vous le comprenez mieux, lui et ses idées, et même ses idées bien apprêtées pour le public I La critique biographique n’est pas autre chose que la fréquentation de l’écrivain… en robe de chambre.

Mais, ajoute-t-on, c’est le rapetisser et le rabaisser que de l’interviewer, vivant ou mort, sur la naissance de son œuvre, car c’est réduire notablement la portée de celle-ci. D’un fait particulier ou d’une émotion individuelle il a tiré ce qu’ils comportaient d’idée générale ou de sentiment commun à tous les hommes, en laissant tomber exprès tout ce qu’il y avait de particulier dans le point de départ, et vous, critique biographique, vous allez me rappeler ce pauvre et humain point de départ, ruinant ainsi directement l’œuvre de l’artiste ; tandis que lui-même s’était élevé du particulier au général, vous le faites, vous, redescendre, contre son gré, du général au particulier. Pour user d’exemples, j’ai été sincèrement touché par le Lac, de Lamartine, par les Nuits, de Musset, ou les Châtiments, d’Hugo : j’ai appliqué le sentiment exprimé par le poète à des émotions que j’ai éprouvées, en personne, ou connues à côté de moi ; qu’importe que vous veniez m’apprendre que ces pièces furent inspirées à leurs auteurs par la passion sentimentale de l’un pour Mme Charles, par le voyage en Italie de l’autre avec George Sand, par l’exil politique du troisième à Jersey ! L’appréciation de la vraie beauté artistique, dont le caractère est justement l’universalité, n’a que faire de cette intrusion de la chronique indiscrète, voire même scandaleuse. — Nous avouons que cette objection, à laquelle nous avons cherché à donner toute sa force, nous semble la plus grave. Là est manifestement l’écueil de la méthode. Mais quelle méthode n’a pas les siens ? Il faut l’avoir regardé en face pour savoir l’éviter, pour résister à la tentation toujours vive d’éveiller malicieusement la curiosité mondaine et frivole, au lieu de laisser couler à larges bords l’admiration du beau. C’est affaire de tact et de doigté, et encore plus peut-être de naturelle largeur d’esprit. Sainte-Beuve n’en a pas toujours fait preuve, et l’on a beau jeu à lui reprocher d’avoir paru ressentir comme une secrète jouissance à ramener l’âme des écrivains étudiés par lui à des dimensions humaines, même bourgeoises, à « montrer le visage des morts », comme disait crûment l’ancien carabin, « avec leur front, leur teint, leurs verrues », à les déloger du « point de perspective et d’illusion » où ils se trouvaient, pour « leur ouvrir devant tous les entrailles » et en « faire l’autopsie[17] ».

Cette résolution de largeur d’idées une fois prise et fidèlement tenue et ces précautions sévèrement gardées, quel profit n’y a-t-il point pour un critique, étant donnés, d’un côté, une œuvre et, de l’autre, son point de départ, à mesurer exactement le chemin parcouru de l’un à l’autre, en repassant par les mêmes étapes que l’auteur ; à refaire en partie le labeur auquel s’était livré celui-ci, jugeant du travail artistique non plus par le dehors, mais bien par l’intérieur ; en un mot, et ce n’est guère trop dire, à recréer le livre à son tour. Alors on le possède entièrement, alors on le connaît presque aussi bien que l’auteur, parce que, avant de le repenser avec lui, avec lui on l’a revécu, tout comme si, nouveau Diable Boiteux, l’on pénétrait, perçant le temps et les murailles, dans l’atelier, dans le cœur et dans le cerveau de l’artiste.

Ainsi, pour reprendre les exemples objectés, l’on comprendra certes mieux la sentimentalité débordante du Lac quand on connaîtra et la jeune poitrinaire sentimentale, et les molles rives du lac du Bourget, qui l’ont inspiré. L’on retrouvera dans les Nuits les notes chaudes et pittoresques des campagnes et des cités italiennes, et dans les Châtiments l’âpre écho de la colère personnelle de l’exilé. Mais il demeure entendu que l’analyse détaillée et minutieuse se reformera ensuite en une chaleureuse synthèse et que, après avoir expliqué ainsi, par des raisons contingentes et personnelles, le point d’origine, tout le tour et la formation d’une œuvre, l’on fera appel à sa plus large sympathie, dégagée des menus documents de l’histoire et de la biographie, pour juger, goûter et admirer le fond éternel et le grand lieu commun qui fait la matière pure et précieuse de tout chef-d’œuvre.


Les adversaires de la méthode biographique se retranchent alors dans une autre position. Ils accorderaient à la rigueur que la méthode fût valable pour les écrivains secondaires, lesquels sont plus sensibles, disent-ils, à l’impression des événements et du milieu. Mais elle ne vaut plus rien pour les grands écrivains, qui tirent tout de leur génie, surtout pour les grands écrivains classiques qui ne comprenaient point que l’on ne dissimulât pas jalousement sa personnalité et sa vie derrière les idées générales de ses œuvres.

Nous ne pouvons aucunement admettre une telle distinction. Ce sont de grands écrivains que ceux dont nous tirions des exemples à l’instant, ce ne sont pas moins que les trois grands poètes du romantisme. Il est trop évident que la littérature moderne, inaugurée par Jean-Jacques Rousseau, se prête admirablement à la méthode, puisque ses écrivains font leurs œuvres avec leurs impressions, directement et presque sans nulle élaboration : leur biographie a l’air de se confondre, dans certains cas, avec leurs ouvrages, témoin les Confessions ou l’Année terrible, et ici l’étude de la vie devient pour le critique un devoir impérieux et indiscutable, puisque c’est la seule voie pour lui de contrôler la sincérité de l’écrivain.

Mais les grands classiques ? demande-t-on. — La méthode est très éloignée de s’avouer impuissante à leur égard. Pour le théâtre de Corneille, par exemple, il sera aisé et utile de retrouver l’avocat normand dans les plaidoyers moraux ou politiques, même l’habitant de Rouen dans les vers expressifs sur le reflux des fleuves, partout le chevaleresque contemporain des héroïnes de la Fronde, etc. Nous comprendrons mieux l’amertume des Maximes sur les lèvres de l’amoureux déçu de Mme de Longueville et du capitaine dupé de la folle guerre contre le Mazarin, cette amertume légèrement adoucie, sur la fin, par le charme de Mme de Lafayette qui, présente auprès de son fauteuil de goutteux, lui fait atténuer bon nombre de ses cruels jugements sur l’homme. Comment concevoir la morale hardie de Molière si l’on ne sait l’autorité tyrannique des parents d’alors sur la question matrimoniale ? et le tableau d’ensemble vigoureux et divers, brossé par sa verve, quel moyen y aurait-il de le saisir pleinement, si l’on ignorait les treize années employées d’abord à parcourir tant de nos vieilles provinces en tous sens, par ce chemineau de génie ? Serait-il encore question aujourd’hui d’étudier, comme on faisait jadis, Esther et Athalie tout à la suite d’Iphigénie et de Phèdre, sans distinguer avec soin du passionné dramaturge, amoureux de la Champmeslé, le pieux retraité, présidant, en son logis, les processions religieuses de ses jeunes enfants ? Serait-ce d’aventure La Bruyère que l’on prétendrait expliquer sans le replacer en son poste d’observation de Versailles et de Chantilly ? ou par hasard serait-ce Voltaire qui échapperait à la méthode, si du moins on le met au rang des grands écrivains et non pas des grandes influences ? pour lui plus que pour tout autre, l’existence est nécessaire pour commenter les écrits de circonstance, et l’on ne peut expliquer nulle de ses lettres, de ses épîtres ou des tirades philosophiques de ses tragédies, sans les rapporter à l’épisode correspondant, parmi la vie de ce père authentique du journalisme moderne. Témoin cette preuve qui fut naguère bien inattendue : un éminent professeur de la Sorbonne, des plus hostiles à cette méthode et des plus épris d’idées pures, notre regretté maître Léon Crouslé, ayant voulu rassembler, à la fin de son existence, ses idées sur Voltaire, qu’il n’avait jamais cessé d’étudier, fut conduit par la force des choses à donner la plus grande place à l’histoire de la vie, exactement un volume et demi sur deux, 550 pages sur 750[18]. Ce fut, à nos yeux, l’une des plus belles conquêtes de la méthode.

Il est à remarquer que les grands écrivains, en particulier les grands poètes lyriques, ou ceux qui se croient tels, pensant devoir à leur génération d’en être les chantres attitrés, puisent souvent leur inspiration dans les événements publics, telles sont l’ode de Malherbe sur la prise de la Rochelle, celle de Boileau sur le siège de Namur, la pièce de Hugo sur le Retour de l’Empereur. Sans doute, s’ils sont réellement grands écrivains, ils dégagent spontanément de ces faits le maximum de généralité qui s’y recèle. Mais encore est-il nécessaire, pour bien comprendre et expliquer de semblables œuvres, de connaître clairement les événements qui leur servent de supports, le retentissement qu’ils ont eu dans le public et le contrecoup plus ou moins direct qu’ils ont exercé sur les auteurs eux-mêmes.

Un penseur contemporain remarquable par son sentiment de la vie et qui s’adonne à si utilement dégager pour le public cet élément essentiel du catholicisme, s’exprimait ainsi naguère à propos d’éducation : « … Puisque tous les grands écrivains ont dans leurs écrits exprimé leur vie, il faut derrière leurs mots retrouver, et faire retrouver aux élèves cette même vie… Un vers n’est que de la vie momifiée et solidifiée. Il attend un lecteur pour le ressusciter. C’est au professeur de savoir le faire sortir du tombeau[19]… » Or le critique ne doit-il pas aspirer au noble rôle de professeur pour adultes ?

Ajoutons enfin que, contrairement à l’opinion commune, la carrière littéraire est un chemin fort rude, qui exige une dépense considérable de labeur soutenu et de renoncement à ses aises. Molière, Racine, Flaubert ou Victor Hugo nous apparaissent, bien vus de près, comme de grands laborieux ; Lamartine fait une très rare exception, et l’histoire de presque tous les écrivains forme un rameau important de la noble histoire du travail humain ; de là, outre le grand intérêt psychologique, un réel intérêt moral pour la biographie des auteurs.

Si l’on s’adonne à l’écrire, l’on est sûr, — pour résumer, — en même temps que l’on documente les penseurs et que l’on aide expressément à la vérité, d’intéresser le grand public et de le conduire aux questions littéraires par une voie qui particulièrement le charme, par celle qu’il aime le mieux.

IV

LES CONCLUSIONS PRATIQUES.

Pour en venir aux résolutions pratiques, — car nous n’aimons guère à disserter pour le seul plaisir, — il est souhaitable que, selon son humeur et ses moyens, ou bien l’on compose des biographies d’écrivains en elles-mêmes, dont usera ensuite la critique littéraire, ou, si l’on en est capable, l’on aborde d’emblée la double tâche, en entremêlant la biographie et la critique, en replaçant dans le cours de la vie d’un écrivain l’apparition de ses ouvrages, qui seront jugés à mesure.

Ce dernier travail plus complexe présente évidemment un inconvénient naturel, dont n’étaient point déjà exemptes les esquisses de Sainte-Beuve : ce que l’on gagne en vérité, on le perd en clarté. Là on ne voit pas d’un coup d’œil tous les résultats littéraires bien alignés, mais on passe incessamment de la biographie à la critique et des idées générales au récit. — Il est facile de pallier ce désavantage en accusant avec soin les conclusions littéraires partielles, formulées en cours de route, puis en les résumant dans un dernier chapitre en une conclusion littéraire générale, ou même, à l’imitation de Léon Crouslé pour Voltaire, en renversant l’ancienne proportion adoptée et donnant les trois quarts à la vie et le reste aux œuvres. Enfin l’on pourra dresser un répertoire spécial qui aide à retrouver facilement les jugements littéraires dans le corps du volume.

Soit mêlée à la littérature, soit isolée d’elle, la Vie d’un écrivain doit être à la fois documentée et vivante, et n’a rien de commun, bien entendu, avec les quelques pages que l’on ose couramment mettre sous ce titre, lorsqu’on prétend étudier successivement tel homme dans « sa vie » et dans « son œuvre ». Parmi les innombrables personnages de la pièce des Cabotins, de Pailleron, se trouve je ne sais quel auteur sous pression, qui a sans cesse à la bouche le nom de l’ouvrage qu’il prépare et qui l’annonce chaque fois par son titre projeté, lequel revient perpétuellement dans la pièce comme une obsession et presque comme une « scie » : Murillo, sa vie, son œuvre, parodie amusante d’un cliché de titre si usité et si usé, qui recouvre ce que l’on sait, en fait de biographie : un sec catalogue de dates et de faits. Rien n’est moins vivant, rien ne répond moins à ce que ce mot si bref de Vie enferme d’admirable variété et de souple mouvement. L’on n’aboutit ainsi qu’à une image mutilée, informe et incolore de la vivante réalité.

En ce qui regarde les écrivains, la littérature biographique du XIXe siècle (pour ne pas remonter au delà), sans être très riche, présente un certain nombre d’essais honorables. Le premier représentant en est le baron Walckenaer : il donna, en 1820, une Histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine, qui connut quatre éditions. Ensuite il publia l’Histoire d’Horace (deux éditions, 1840 et 1858) et, avec son agréable mais digressive érudition, il entassa des Mémoires touchant la vie et les écrits de la marquise de Sévigné, cinq volumes qui ne la conduisent que jusqu’à l’année 1680, seize ans avant sa mort[20].

À la suite de Walckenaer, nous devons citer Amable Floquet, qui, d’une plume malheureusement lourde, mais admirablement consciencieuse, rassembla des Études sur la vie de Bossuet, d’abord en 1855, jusqu’au préceptorat du Dauphin, qu’il présenta neuf ans plus tard (1864). Il reste encore vingt-deux ans à étudier de la vie du grand évêque. Tels sont ceux que l’on pourrait appeler les professionnels de la biographie littéraire.

Ce genre fut également cultivé par des littérateurs proprement dits, plus hommes du monde, la plume à la main, je veux dire d’une psychologie plus flexible et plus fine, et qui s’y révélèrent des maîtres : ce furent Victor Cousin et Sainte-Beuve, qui ne s’aimaient pas, mais qui servirent avec éclat l’un et l’autre la cause de la biographie.

L’on sait le brillant succès, mélangé d’un peu d’ironie, que remportèrent les monographies des grandes dames du XVIIe siècle, Mmes de Hautefort, de Sablé, de Longueville, etc., dont s’était éprise la laborieuse vieillesse du philosophe.

Cependant, Sainte-Beuve poursuivait sans relâche sa vaste entreprise de biographies littéraires, ou plus exactement, de biographies d’écrivains, dont une partie s’intitule, à juste raison : « Portraits littéraires » : ce sont bien des portraits, en effet, de délicates miniatures que, selon la méthode à la fois biographique et littéraire exposée plus haut, il parfaisait à petites touches, grâce aux nuances infinies de son vocabulaire, trempé aux finesses savoureuses et pittoresques de son maître Montaigne, à qui il emprunte, entre autres choses, l’aimable coutume du redoublement d’expression du seizième siècle, mais en y remplaçant, lui, les deux mots synonymes par deux termes voisins, artistement gradués[21]. Voilà cinquante ans que ces délicates petites œuvres servent à bon droit, sinon de modèles, au moins d’inspiratrices, à quiconque se mêle ou de biographie ou de littérature. Mais reconnaissons que la finesse du critique ne va point sans préciosité, son tact sans tâtonnements, son goût des auteurs, petits ou minces, sans un fâcheux défaut de sympathie à l’égard des grands : n’osa-t-il pas écrire un jour ce véritable blasphème, qu’il n’était pas fâché « de tous les soufflets donnés à de grands noms[22] » ! Aussi convient-il, en tenant compte, d’ailleurs, des multiples progrès de l’érudition, de reprendre certaines études sournoises de Sainte-Beuve pour les élargir, la plupart de ses fins médaillons pour les agrandir et en faire des portraits en pied, bon nombre de ses pastels biographiques pour les pousser à de véritables et complètes peintures, où une lumière plus franche et plus vive osera s’épandre sur les œuvres.

On ne le fit guère à la fin du XIXe siècle, où l’on conçut généralement les biographies littéraires selon deux méthodes bien différentes que nous appellerons volontiers, l’une chartiste, et l’autre intellectuelle. Ceux-ci accumulaient documents sur documents, les uns au bout des autres, entremêlant les faits d’une vie avec des dissertations sur l’authenticité des sources biographiques, sans séparer ces éléments divers, et un pareil agrégat, d’ailleurs très instructif, ils osaient l’appeler Vie de tel écrivain, n’ayant oublié qu’une chose, c’est de faire passer dans tous ces matériaux morts ou au moins arides, le courant de la vie. Le type du genre se trouve réalisé dans la plupart des « Vies » d’écrivains qui sont en tête des éditions savantes de la collection des « Grands Écrivains de la France[23] ». D’autres, moins patients, les critiques intellectuels que nous avons décrits plus haut, ne se servent guère de quelques grands traits biographiques que pour donner une brillante unité, assez facile et factice, à leurs expertes analyses littéraires.

Veut-on avoir, par un souvenir personnel, une idée de la difficulté qu’ont ces messieurs à concevoir la biographie ? Nous exposions un jour nos idées à l’un d’eux, et non des moindres. « Il y a des vies d’écrivains intéressantes, reprit-il, mais il en est qui ne le sont pas. Voyez celle de Bourdaloue, dont la vie est tout bonnement celle d’un bon religieux. » — De loin, de très loin, peut-être de la région où l’on plane. Mais, vue de près, croit-on que la vie de Bourdaloue est la même chose que celle de son confrère, le P. La Chaise, ou celle du P. Porée identique à celle de dom Mabillon ? ou encore celle de M. de Meaux, un « bon évêque », pareille à celle de M. de Cambrai, qui fut, sans doute, un « bon évêque », lui aussi ?

À côté de la méthode « chartiste », très fastidieuse, et de la méthode « intellectuelle », très cavalière, il y a sûrement place pour une autre qui a d’ailleurs donné, depuis quelques années, plusieurs œuvres de valeur. Il s’agit de la biographie, à la fois érudite et vivante, dont voici à peu près la recette : rassembler consciencieusement tous les documents biographiques que l’on peut se procurer, dans les généalogies, registres d’état civil, minutes de notaire, archives publiques et privées, traditions orales, etc. ; dépouiller, à ce point de vue, les œuvres de l’auteur et tout ce qui a été écrit sur lui, en France et à l’étranger, sans négliger les contributions des sociétés provinciales, qui éclairent souvent d’une façon fort précise des points particuliers ; visiter soi-même les lieux où a vécu son héros, les pays et les demeures où il a séjourné, les paysages qu’il a eus sous les yeux, étant enfant, à l’âge où se forme pour toujours la toile de fond de l’imagination et de la mémoire, car il faut porter tout spécialement la lumière sur la naissance et aussi, beaucoup plus qu’on ne le fait généralement, sur l’enfance, l’homme adulte dépendant sans doute, pour une bonne part, de ses prédispositions héréditaires et aussi de ses premières impressions[24], — de tous ces matériaux rapportés de partout à pied d’œuvre, soigneusement triés d’avance et classés dans l’ordre chronologique, faire une construction d’ensemble, qui sera nécessairement harmonieuse si elle reproduit la vie. L’on sera frappé des périodes qui se marquent d’elles-mêmes dans l’existence que l’on étudie, et, se prêtant aux groupements naturels des faits, sans les violenter, on les présentera aisément en autant de « tableaux » correspondants. Malgré la diligence de l’information, il manquera fatalement quelques pierres à l’édifice : celles-là, quand il sera possible, on les restituera, non point par des hypothèses fantaisistes à la Renan[25], mais selon le maximum de vraisemblance et en se défiant de son imagination, à peu près comme les architectes tentent des « restaurations », par leurs dessins, de monuments antiques qui ne nous sont point parvenus intacts. Il en résultera une œuvre assurée par ses fondations érudites, imposante par son aspect, mais plaisante à contempler, chaude à l’œil, colorée, vivante en un mot, qui sera non point certes la vie de l’écrivain elle-même, mais la perspective vraie et naturellement artistique de cette vie.

Si, tentées par une pareille œuvre, des plumes de bonne volonté cherchaient à quel sujet précis s’appliquer, il leur faudrait d’abord établir le bilan total de la littérature biographique méritant ce nom : pour les grands écrivains l’on serait vite au bout du compte. Nous n’avons pas de Vie de Corneille, pas de Vie de Racine, pas de Vie de Boileau. Pour Molière nous possédons au moins le livre de Gustave Larroumet : La Comédie de Molière, l’auteur et le milieu. Depuis 1904, nous pouvons lire un vrai tableau de la vie de Pascal dans les 200 pages où M. Boutroux le fait revivre avec ses pensées et ses crises morales presque jour par jour. Nous avons cité Walckenaer pour Mme de Sévigné et pour La Fontaine : pour ce dernier, il y faut joindre, dans le genre réduit, le pénétrant récit de M. Georges Lafenestre dans la collection des « Grands Écrivains français »[26]. Si nous ajoutons le gros volume de M. Étienne Allaire sur La Bruyère dans la maison de Condé, nous serons, sauf erreur, bien près d’avoir cité tout le principal, pour le XVIIe siècle[27].

Le XVIIIe, au moins dans ses chefs, semble mieux partagé, puisque nous possédons les huit volumes de Desnoiresterres sur Voltaire et la Société française au dix-huitième siècle, qui en est à la seconde édition, sans compter l’ouvrage, plus serré, de Léon Crouslé, que nous avons cité plus haut, l’excellente Histoire des Travaux et des Idées de Buffon, par Flourens, les deux volumes de M. Baudouin sur la Vie de Jean-Jacques Rousseau, et M. Maurice Souriau, par sa pénétrante étude sur les manuscrits du Havre, vient de renouveler, de fond en comble, la biographie de Bernardin de Saint-Pierre[28]. Point n’est surprenant que la galerie biographique des écrivains du XIXe siècle reste presque toute à composer. Il était juste qu’un très heureux péristyle fût édifié tout d’abord par M. G. Michaut, qui vient d’appliquer en grand au critique lui-même sa propre méthode dans la thèse de doctorat, déjà indiquée : Sainte-Beuve avant les « Lundis ». Essai sur la formation de son esprit et de sa méthode critique. Enfin, si quelque incrédule doutait encore de l’utilité scientifique et morale des œuvres de ce genre et du crédit qu’elles peuvent, bien traitées, rencontrer auprès de nos contemporains, il n’a qu’à méditer sur le récent et éclatant succès de la belle Vie de Pasteur, en 700 pages, par M. René Vallery-Radot[29].


La lice est donc ouverte. Et l’on jugera peut-être que, pour stimuler les coureurs, l’heure n’est point mal choisie que celle où sonne le centenaire de la naissance de Sainte-Beuve. Ces fêtes n’auront pas déjà été perdues si elles peuvent ramener les lectures du public instruit, celles des jeunes filles et des femmes du monde, ces grandes dévoreuses de livres, vers le bréviaire de délicatesse qu’est la collection des Lundis : là dorment des trésors de jouissances artistiques et instructives, qui ne demandent qu’à reprendre vie plus souvent, dans un tête-à-tête plein de charme. Non seulement on y apprend, non seulement on s’y délecte, mais l’on a encore, avec un guide aussi subtil, l’impression ou au moins l’illusion toujours douce de devenir soi-même plus intelligent, un peu ce qu’éprouvaient nos pères lorsqu’ils frayaient avec les poésies d’Horace, cet autre maître de Sainte-Beuve : c’est que, dans la compagnie du critique, l’on sent inconsciemment sa propre faculté d’analyse poussée sans effort au maximum, — au maximum de la pénétration, au minimum des parcelles d’objets pénétrés.

Ceci serait sans doute un grand bien. Mais c’en serait encore un, non moins appréciable, si beaucoup de jeunes gens, ou mieux déjeunes hommes, car ceux-ci auraient déjà récolté un peu de l’expérience de la vie, mettaient leur pioche d’or vacante à l’œuvre de la biographie littéraire pour en dégager le filon encore si près d’être neuf. Les jeunes gens, d’ailleurs, peuvent commencer leur tâche : ils ne la termineront vraisemblablement que jeunes hommes. Dans l’atelier intellectuel de la France, beaucoup de ceux qui ne réclament que du travail n’ont qu’à se diriger de ce côté : ils trouveront, à leur choix, bien des écrivains qui attendent leur biographie ; ils rencontreront là une belle besogne humaine et sérieuse, qui les prendra tout entiers, car elle exigera d’eux, en même temps, toute leur érudition critique de savants et toute leur observation aiguë de moralistes, et ils auront conscience, eux, les romanciers vrais, de faire une œuvre tout aussi utile que leurs frères de la fiction. Sainte-Beuve présidera de loin à ce vivant et puissant labeur, encore que, dégoûté par les exemples de Victor Hugo et de Lamennais, il ait fermement honni la race des disciples[30] : mais les siens seront des disciples posthumes, et puis fort indépendants, on le voit, puisqu’ils aspireront à continuer et aussi à compléter le maître. Non pas, sur ce point vaincus d’avance, qu’ils espèrent lutter de délicatesse avec lui ; mais cette délicatesse, faute de fermes croyances morales, a trop souvent quelque chose de las, d’incomplet, de trop court et comme d’étriqué[31]. Aussi les débutants de la biographie, en tournant les yeux vers les Champs-Élysées de la gloire, ne doivent compter que sur un sourire assez sceptique venant du vert boqueteau où aimablement règne, séparé pour sa peine des génies qui le boudent un peu et condamné à la société des talents de mi-côte, — ce prince de la finesse française, à qui il n’a manqué qu’une grande âme.

N. B. — Comme il semble désirable que les chaires similaires des universités de province aient, autant que possible, leur spécialité, chacune, nous pouvons affirmer que les débutants de la biographie rencontreront, pour peu qu’ils le cherchent, l’appui le plus sympathique et le plus fraternel dans la chaire de littérature française de l’Université de Poitiers.

13 janvier 1905.

  1. Son autre mot favori est saison, pris au figuré. On sait que l’on se peint dans de tels mots : ceux de Sainte-Beuve marquent bien son double goût de la variété et de la poésie.
  2. Portraits littéraires, t. III, p. 543, 544.
  3. T. VII des Causeries du lundi, 3e édition, p. 41-62.
  4. Émile Hennequin : La Critique scientifique. Paris, Perrin, 3e éd., 1894. — La Méthode scientifique de l’histoire littéraire, Paris, Alcan, 1900, par Georges Renard, qui donne à la biographie une part exacte, mais modeste (p. 60-63). — L’Âme et l’Évolution de la littérature, des Origines à nos jours. Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 2, 1903, par Georges Dumesnil, qui, dans une réaction de spiritualisme généreuse, mais assez vague, fonde tout son système sur l’âme en général.
  5. Cf. Sully Prudhomme, La vraie Religion selon Pascal, 1905 « … Le progrès de la sympathie dans les foyers conscients et aimants qu’elle allume, oblige à reconnaître le principe d’une victoire évolutive, lente mais constante, du mieux sur l’état précédent ».
  6. (1) Les Lenôtre, Funck-Brentano, frères Margueritte, M.-R. Monlaur, etc.
  7. Portraits littéraires, nouvelle édition, t. III, p. 546.
  8. L’on trouvera le développement de ces idées dans les études suivantes sur Malherbe, sur André Chénier et sur Sully Prudhomme. C’est l’application de la même méthode à ces différents « cas » qui donne seule une certaine unité à ce livre.
  9. Sainte-Beuve avant les « Lundis ». Essai sur la formation de son esprit et de sa méthode critique. Thèse de doctorat ès lettres, 735 pages. Paris, A. Fontemoing, 1903.
  10. Paul Flambart, ancien élève de l’École polytechnique : Langage astral (Traité sommaire d’astrologie scientifique), avec un recueil d’exemples célèbres et de nombreux dessins de l’auteur, p. 137. Paris, bibliothèque Chacornac, 11, quai Saint-Michel, 1902. — L’auteur avait publié en 1901 l’Influence astrale (série d’articles parus dans la Nouvelle Revue et la Revue du monde invisible), 1901, Paris, Société des journaux spiritualistes réunis, rue Rodier, 3, et il a donné en 1903 une Étude nouvelle sur l’hérédité, accompagnée d’un recueil de nombreux exemples, 1903, bibliothèque Chacornac. — Les pionniers de cette nouvelle connaissance publient maintenant une revue intitulée La Science astrale.
  11. Étude nouvelle sur l’hérédité, citée p. 80, 84 et passim. — Nous ne voulons pas rappeler qu’un bon nombre de grands esprits ont ajouté foi à l’astrologie, même celle de jadis, par exemple Gœthe, qui recommande d’ailleurs aux écrivains de faire leur autobiographie (Vérité et Poésie, traduction Porchat, p. 1-4).
  12. Table des Lundis, par Ch. Pierrot, 1885, p. 39.
  13. Entre autres dans l’intéressante collection « les Saints », à la librairie Lecoffre. Cf. aussi les belles biographies de M. l’abbé Baunard.
  14. Voy. Emmanuel des Essart, Journal des Débats, 7 novembre 1903 : « Une Revue de la Poésie française. »
  15. Sainte-Beuve lui-même, dans les Lundis, t. VI, p. 169, à propos de Walckenaer, qui réussit également dans les deux branches.
  16. Sainte-Beuve, Lundis, t. XI, p. 511.
  17. Notes et Pensées. Causeries du lundi, t. XI, p. 522 et 461.
  18. La Vie et les Œuvres de Voltaire. Paris, Honoré Champion, 1899.
  19. Georges Fonsegrive, L’Éducation verbale. Quinzaine du 16 novembre 1897, p. 276.
  20. Ils eurent trois éditions. M. Aubenas publia un sixième volume, mais qui complète les années précédentes, et ne dépasse pas lui-même 1680.
  21. Par exemple, Montaigne dira couramment : « … Ils étaient régis et gouvernés par certaines polices et coutumes particulières… » Sainte-Beuve redouble aussi l’expression, mais en la graduant toujours : « … Les mœurs politiques anglaises se relevèrent patriotiquement et se retrempèrent avec Chatham… ; le côté positif et calculateur de l’esprit anglais… », etc.
  22. Il ne le dit pas tout à fait aussi crûment, car il est toujours exquisement enveloppé, même dans ses blasphèmes : « Cousin », écrit-il, « dit en parlant du livre de de Maistre contre Bacon : « Je ne lui aurais pas donné ce soufflet moi-même, mais je ne suis pas fâché qu’il l’ait reçu » C’est ce qu’on dirait, si on l’osait, de tous les soufflets donnés à de grands noms. » (Lundis, t. XI, p. 479.)
  23. À la librairie Hachette.
  24. Nous avons à présent, pour ces sortes d’excursions, un guide précieux et infatigable en M. André Hallays, qui parcourt, depuis quelques années, toute la France littéraire et artistique En flânant. Lire, sous ce titre, ses chroniques hebdomadaires du vendredi dans les Débats. Il en a déjà réuni un certain nombre en volume : À travers la France (Touraine, Velay, Normandie, Bourgogne, Provence). Perrin, 1903. Nous attendons les autres volumes.
  25. Voir l’étude que nous en avons faite dans la Quinzaine du 16 décembre 1902, Renan et les Études de littérature chrétienne, p. 433-455.
  26. La série de volumes de 200 pages, à la librairie Hachette (ne pas confondre, par suite d’une fâcheuse ressemblance de titres, avec la collection des « Grands Écrivains de la France », qui se compose d’éditions savantes et que nous avons signalée tout à l’heure).
  27. Nous serait-il loisible de mentionner en note l’Histoire anecdotique et critique de la Vie et des Œuvres de Racan (couronnée par l’Académie française), par laquelle nous nous sommes essayé, après dix ans de recherches, à donner la pratique de la méthode, avant d’en esquisser ici la théorie ? Nouvelle édition un peu abrégée : Un Gentilhomme de lettres au dix-septième siècle. Librairie Armand Colin)
  28. Maurice Souriau, professeur de littérature française à l’Université de Caen : Bernardin de Saint-Pierre, d’après ses manuscrits. Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1905.
  29. 7e édition, librairie Hachette, 1901.
  30. Lundis, t. XI, pensées xxvi et xxvii, portrait de Phanor.
  31. On le voit assez dans les conversations de la fin de sa vie, sténographiées, au jour le jour, par les frères Goncourt, qui d’ailleurs ne l’aiment pas : consulter notamment, grâce à la table alphabétique, le 2e volume du Journal des Goncourt (1862-1865), Eug. Fasquelle, 10e mille, 1904.