Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Claude de Malleville

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MALLEVILLE



Monsieur de Malleville était un homme fort poli et excessivement discret, dont la seule indiscrétion ne nous valut guère que l’Académie française. Plusieurs personnes « tous gens de lettres et dun mérite fort au-dessus du commun » : M. Godeau, M. de Gombauld, M. Chapelain, M. Giry, M. Habert, M. de Cerisy, M. de Serizay, M. de Malleville, s’assemblaient chez M. Conrart qui s’était trouvé le plus commodément logé pour les recevoir. Là ils s’entretenaient familièrement et se communiquaient leurs ouvrages. Ils avaient arrêté de ne parler à personne de leurs conférences.

M. de Malleville en dit un mot à M. Parel, qui voulut ea être, et en donna connaissance à M. des Marests, et à M. de Boisrobert. Par ce dernier, Richelieu fut mis au courant ; et bref, comme il n’était pas bon de rien refuser aux demandes du Cardinal, il fallut, malgré les résistances de Malleville lui-même, qui fut un des plus chauds à se débattre, mais trop tard, il fallut « faire un Corps, et s’assembler régulièrement, et sous une autorité publique » et aussi admettre dans le sein de la Société le surintendant des Finances Abel Servien, et le Chancelier Seguier, en attendant ce prince qui ne savait pas lire.

La seule indiscrétion ? Monsieur de Malleville en commit peut-être une autre lorsqu’il voulut absolument avoir raison de Voiture. Voiture avait fait un sonnet : La Belle Matineuse, traduit de l’italien d’Annibal Caro qui, lui-même, délayait une épigramme latine. Malleville se piqua d’émulation et lit un sonnet sur le sujet donné, puis, de ce non content, un deuxième, puis un troisième. Il pensait ainsi accabler son adversaire, sous le nombre. On discuta longtemps dans les ruelles, entre beaux esprits. D’autres concurrents entrèrent en lice. Mais Voiture, qui était fin et avait plus d’un tour dans son sac, eut le dernier mot. Il fit un autre Sonnet où une Belle, au lieu d’apparaître au matin pour éclipser le soleil, se présentait le soir, pour le remplacer. M. de Malleville quitta la partie.

11 revint à sa vertu favorite en ne publiant, chez Courbé, en 1659, qu’un tout petit et mince volume : Poésies du sieur de Malleville, qui sont des Vers d’Amour, des Vers de Balet, des Vers Lugubres, des Poésies Meslées, des Poésies Chrestiennes, des Madrigaux, des Rondeaux et quelques Stances, Sonnets, Epigrammes, Élégies… Encore — et c’est pousser fort loin les choses ! — le recueil n’est-il que posthume. On y trouve une chanson qu’il rima, estant à Fontainebleau.


CHANSON.
ESTANT À FONTAINEBLEAU.


Unique objet de mes désirs,
Qui faites toutes mes délices,
Où les Roys trouvent des plaisirs.
Je n’espreuve que des supplices,
Et la cause de ce tourment
Est vostre seul esloignement.

Parmy les bois délicieux
J’erre sans cesse comme une ombre
Et des fontaines de ces lieux
Mes yeux font accroistre le nombre,
Et la cause de ce tourment
Est vostre seul esloignement.

Ny le Tybre, ny le canal,
Qu’il faut que tout le monde admire,
Ne divertissent point mon mal,
Plus j’y’suis, et plus je souspire,
Et la cause de ce tourment
Est vostre seul esloignement.

La pompe d’un si beau séjour
Où préside une grande Reyne,
Et la merveille de sa Cour
Flattent plus mes yeux que ma peine ;
Et la cause de ce tourment
Est vostre seul esloignement.

Icy mille rares beautez
Dont les Dieux feroient leurs fortunes
Ont beau luire de tous costez
Leurs clartez me sont importunes ;
Et la cause de ce tourment
Est vostre seul esloignement


Encore un Amant que l’absence de sa Maîtresse empêche de goûter les splendeurs environnantes ! Eh ! par Kypris et par Érôs, Messieurs, amenez la donc, ou faites-en une autre, parmi ces « mille rares beautés ». Et regardez mieux le décor qui veut bien s’offrir à vos regards : les bois déhcieux, les fontaines, le Tibre, le Canal !

Est-ce aussi estant à Fontainebleau que ces vers naquirent, qui, dans le Recueil de Sercy, portent la signature : Malleville ? Je le voudrais, car il y en a d’honorables.

DAPHNIS
SUR LA MORT D’AMARANTE.
Stances.


Voicy la solitude où sur l’herbe couchez,
D’ua invisible trait également touchez.
Mon Amarante et moy prenions le frais à l’ombre
De cette Forest sombre.

Nous gousterions encor en cet heureux séjour
Les tranquilles plaisirs d’une parfaite amour,
Si la rigueur du sort ne l’avoit point ravie
Au plus beau de sa vie.


De vers en vers cela tombe ; mais la première stance ne semblait-elle pas avoir en elle quelque sincérité, et comme un frémissement avant-coureur de la douce plainte Lamartinienne ?